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Rédigé le 13/05/2024 à 21:51 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Rédigé le 13/05/2024 à 21:28 dans Gaza, Chansons, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Du jamais-vu depuis les années 1970 : malgré les accusations d’antisémitisme et la répression, les étudiants américains se mobilisent en masse, y compris au sein de la communauté juive. Ils réclament notamment l’arrêt des financements de leurs universités par les marchands d’armes servant à massacrer les Palestiniens. Les manifestations sont si importantes que Joe Biden a dû menacer Tel-Aviv de suspendre certaines de ses livraisons d’armes.
New York, 30 avril 2024. Des étudiants pro-palestiniens continuent de manifester avec un campement de protestation sur le campus de l’université de Columbia.
Shany Littman, journaliste israélienne, s’inquiète : « Où sont les étudiants protestataires israéliens contre la guerre à Gaza ? » Alors que les campus américains s’enflamment, dans les universités israéliennes, c’est le « calme plat »1. En période de préparation des examens, on ne quitte la bibliothèque que pour se sustenter à une terrasse au soleil. Les assassinats massifs de Gazaouis n’intéressent pas les étudiants. Enfin si, note-t-elle : depuis le 7 octobre, la seule manifestation sur un campus a été menée par Im Tirtzou (« si vous le voulez » en hébreu), un mouvement colonial venu exiger l’expulsion des universités de professeurs non conformes à ses vues, en particulier Nadera Shalhoub-Kevorkian, spécialiste des violences familiales et l’une des rares enseignantes palestiniennes de l’université de Jérusalem.
Constatant que les professeurs israéliens se soucient du risque croissant de boycott à leur encontre réclamé par les étudiants américains, Littman estime qu’ils feraient mieux de s’inquiéter de ce qui se passe à Gaza et de se mobiliser « comme à Columbia et à Yale ». Sinon, pourquoi l’académie « ne resterait-elle pas identifiée au gouvernement israélien et à ses politiques destructrices ? », s’interroge-t-elle.
La mobilisation contre Israël sur les campus états-uniens est inédite depuis celle contre la guerre du Vietnam des années 1970 — à cette différence près qu’à l’époque, des jeunes américains étaient mobilisés et risquaient donc de rentrer morts ou blessés. Cette contestation surgit sur un fond strictement politique : comme l’écrivait il y a plus de vingt ans l’historien anglo-américain Tony Judt, Israël apparait aux manifestants étudiants comme « un anachronisme »2, un État d’un autre temps, à la fois ethniciste et colonial, l’un des derniers de la planète. C’est pour ce motif qu’ils s’insurgent contre ce qu’il advient à Gaza.
Ceux qui manifestent exigent une « gestion éthique » des avoirs des universités, en particularité des plus riches. Ainsi, la dotation dont disposait Columbia en 2023 atteignait 13,64 milliards de dollars (12,66 milliards d’euros). Or une partie non négligeable de cet argent est investi dans des portefeuilles d’actions incluant des sociétés de fabrication d’armes et d’autres fournitures qui participent à la colonisation israélienne. Un financement qui a souvent pour contrepartie la présence des dirigeants d’entreprise dans les conseils d’administration des universités privées. Larry Fink, PDG de BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, siège à celui de l’Université de New York (NYU). Tout comme des dirigeants de sociétés d’armements dans de nombreuses universités.
Résultat : le 17 avril 2024, le comité consultatif de la responsabilité des investisseurs de Yale (ACIR) a annoncé qu’il ne recommanderait pas à ses administrateurs de se priver des fonds des fabricants d’armes américains parce que, selon lui, cette industrie n’a pas « atteint le seuil de ‘‘préjudice social grave”, condition préalable au désinvestissement ». À Gaza, a-t-il estimé, les armes fournies à Israël soutiennent « des utilisations socialement nécessaires, telles que l’application de la loi et la sécurité nationale »3. Un cas parmi d’autres.
Le mouvement engagé concerne donc autant les grandes industries américaines que les universités. En premier lieu parce que les groupes du « secteur militaro-industriel », comme Boeing, Raytheon, Northrop Grumann, Lockheed Martin ou General Dynamics figurent parmi les grands donateurs des universités et les fournisseurs d’emplois de leurs laboratoires. Ces institutions académiques se trouvent ainsi directement intéressées à la poursuite de la livraison gratuite d’armes au pouvoir israélien (pour 4,2 milliards de dollars annuels, soit 3,89 milliards d’euros). L’un des premiers rassemblements étudiants en appui à la cause palestinienne qui a eu lieu le 22 avril à NYU s’est focalisé sur deux exigences : la rupture du rapport financier de l’université avec les fabricants d’armes utilisées par Israël à Gaza, et la fermeture de son campus ouvert à Tel-Aviv, en raison des liens avec la colonisation des territoires palestiniens.
Les références les plus souvent utilisées par les étudiants sont la ségrégation raciale aux États-Unis, abolie en 1965, la guerre du Vietnam, perdue en 1975, et l’apartheid sud-africain, aboli en 1990. Autant de situations où l’alliance du colonialisme et du suprémacisme racial a été vaincue. L’État d’Israël leur apparait comme une manifestation tardive, incongrue et inadmissible d’un suprémacisme ethnique là aussi ancré dans un colonialisme initial.
Ces manifestations s’insèrent dans un mouvement de distanciation de la jeunesse vis-à-vis de ce pays qui a commencé dès les années 2000, et dans lequel les jeunes juifs ont joué un rôle important. Cette distanciation n’a fait que croître, le long de deux grandes lignes de force. L’une, politique et minoritaire, est radicalement hostile au caractère colonial de l’État israélien. L’autre, plus communautaire, souligne la volonté de vivre en tant qu’« Américains juifs », sans interférence d’Israël ni soumission à son égard. Les deux apparaissaient aux dirigeants de Tel-Aviv comme une menace pour le sionisme, qui a toujours ambitionné d’être l’unique représentant de la totalité des juifs du monde.
Le phénomène le plus marquant chez les jeunes juifs américains est l’accroissement exponentiel du nombre des adhérents aux organisations antisionistes ou non sionistes qu’a suscité la guerre à Gaza. Une association comme Jewish Voice for Peace, fondée en 1966 et antisioniste assumée, n’avait que très peu d’adhérents et une audience très limitée. La moyenne d’âge de ses adhérents était élevée. Depuis quelques années, elle a vu poindre de jeunes adhérents, et des milliers depuis la guerre à Gaza.
Le cas de la revue Jewish Currents est encore plus spectaculaire. La lettre hebdomadaire de son journal en ligne dirigé par Peter Beinart, un universitaire issu du sionisme qui a publiquement rompu avec cette idéologie en juillet 2020, disposait de 34 000 abonnés à l’automne dernier. En sept mois, leur nombre est passé à 300 000
Beinart a publié le 28 avril un article en défense des étudiants américains. Son titre dit tout de son contenu : « Les manifestations sur les campus ne sont pas parfaites, mais nous en avons désespérément besoin »4. Il y déplore l’ignorance ou l’outrance de certains manifestants qui s’aventurent sur des terrains fleurant l’antisémitisme, mais il dénonce la menace, beaucoup plus grave à ses yeux, des tentatives permanentes de réduire toute critique de la guerre menée par Israël à une résurgence de l’antisémitisme. Il note en particulier qu’elles émanent souvent de cercles juifs qui, par ailleurs, n’ont aucune réticence à s’acoquiner avec des suprémacistes blancs affichés. Ainsi Beinart écrit :
Le cœur du mouvement en cours est l’exigence de mettre fin à la complicité de l’université et du gouvernement américain avec le système d’oppression d’Israël, qui aujourd’hui culmine dans cet effroyable carnage de la population de Gaza. Cette complicité doit cesser.
Dans la phase qui a suivi le massacre du 7 octobre 2023, la quasi-totalité des grands médias américains a basculé dans une rhétorique très favorable à la guerre. Pourtant depuis, certes à des degrés divers, leur regard a évolué au fil des crimes bien plus effroyables encore commis par l’armée israélienne. Lorsque le mouvement en défense des Palestiniens a pris son essor sur les campus, la réaction de ces mêmes médias, là encore, a été globalement très hostile. L’idée systématiquement promue par les partisans de Tel-Aviv selon laquelle les mobilisations étudiantes incarnent une poussée violente d’antisémitisme a été amplement relayée. Le simple usage du mot « intifada » en est devenu une preuve, par exemple.
Avec le temps, cet argumentaire s’est lentement désagrégé. Le vénérable magazine The New Republic (fondé en 1914) dénonçait récemment « une couverture honteuse par les médias des manifestations contre la guerre dans les universités »5.
La répression de toute activité en solidarité avec les Palestiniens a commencé dès les lendemains des bombardements de Gaza, rappellent huit étudiants de la faculté de droit de l’université Yale6 dans l’hebdomadaire The Nation. Ils affirment que plusieurs grands cabinets d’avocats américains ont exclu de leurs offres d’emploi les candidats ayant exprimé des vues pro-palestiniennes. À Berkeley, le recteur de la faculté de droit a voulu interdire tout débat public sur la question palestinienne tant que la totalité de son université n’aurait pas accepté la légitimité du projet politique sioniste. Dans des établissements de premier plan tels que Yale, Columbia, Brandeis, Rutgers ou Harvard, des mesures interdisant l’expression du soutien aux Palestiniens ont été imposées. À Columbia, le 9 novembre 2023, la participation de Jewish Voices for Peace et de l’association Students for Justice in Palestine a mené à l’annulation d’un débat. Ces interdits se sont multipliés. Les étudiants écrivent :
Si la liberté d’expression doit avoir un sens sur les campus, elle doit inévitablement englober ce qui est controversé, inconfortable et dérangeant. Mais nous assistons à une micro gestion administrative de la liberté d’expression.
Cependant, on assiste désormais à un net recul de la capacité des soutiens d’Israël à faire taire tout débat sur le sort de Gaza. L’argumentaire assimilant la défense de la cause palestinienne à une forme d’antisémitisme est de plus en plus inopérant, perçu comme une misérable feuille de vigne visant à masquer les crimes israéliens massifs en cours. D’ores et déjà, diverses universités ont passé des accords avec les manifestants afin d’autoriser leurs activités sur les campus.
Dans les années 2015-2019, Benyamin Nétanyahou avait créé un ministère des affaires stratégiques doté de moyens financiers conséquents, qui avait pour objectif quasi unique de combattre le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) sur les campus américains. Avec l’aide d’associations locales (souvent liées aux milieux coloniaux israéliens en Cisjordanie), ce ministère a mené la bataille. Elle s’est achevée par une débâcle. Au lieu de disparaître, BDS n’a fait que se renforcer. Aujourd’hui, son poids et celui d’une flopée d’associations estudiantines anticolonialistes — dont celles des étudiants juifs se réclamant de l’antisionisme, du post-sionisme ou de l’a-sionisme — ont crû de manière spectaculaire, tant en nombre d’adhérents que de campus touchés, passant en dix ans de quelques dizaines à plusieurs centaines actuellement.
Cette guerre contribue à accroitre fortement la critique et la prise de distance des milieux universitaires, tant à l’égard de la politique que du type d’État qu’Israël représente. Dernier exemple en date : le campement des scientifiques contre le génocide au Massachussetts Institute of Technology (MIT), le plus important institut de recherche scientifique des États-Unis, a demandé à son université de mettre un terme à l’investissement du ministère israélien de la défense (11 millions de dollars, soit 10,21 millions d’euros) dans ses « recherches liées à la guerre », arguant que l’institut « ne reçoit de financement d’aucune autre armée étrangère ». Le groupe rappelle que le MIT avait mis fin à sa collaboration universitaire avec un institut technologique russe juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.
Que fait Nétanyahou pour combattre ce qu’il considère comme des « manifestations d’antisémitisme » ? Il constitue une équipe de travail (task force) dirigée par le ministre des affaires étrangères Eli Cohen, elle aussi dotée de moyens conséquents, pour mener un « plan d’action » de « lutte contre l’antisémitisme » sur les campus américains. On y retrouve les mêmes partenaires locaux qu’il y a dix ans, notamment Israel on Campus Coalition, Amcha, Canary Mission, The David Project et d’autres.
Selon ynetnews, le site d’informations du quotidien Yedioth Ahronoth, le plus diffusé en Israël, il s’agit de mener des « opérations politiques et psychologiques » pour « infliger des conséquences économiques et professionnelles aux étudiants antisémites et obliger les universités à les éloigner des campus ». Par « étudiants antisémites », il faut évidemment entendre hostiles à la politique coloniale israélienne.
Un chapitre intitulé « L’axe économique » expose les pressions financières permettant d’amener les responsables universitaires à résipiscence et à briser la carrière des étudiants ou des enseignants récalcitrants. Ce « plan d’action » est très similaire à celui qui a échoué en 2015-2019. Son avenir n’apparait pas plus prometteur. D’après ynetnews, il serait spécifié qu’il « ne doit pas porter la signature d’Israël », et évoque la nécessité de « prendre des mesures légales en dehors de la loi contre les activités et les organisations qui représentent une menace pour les étudiants juifs et israéliens sur les campus ». Le sens de l’expression « mesures légales en dehors de la loi » n’est pas explicité.
Apparaissant de plus en plus comme une tentative d’éluder le débat sur l’avenir de la Palestine, la répression du mouvement estudiantin a causé plus de dégâts que de bénéfices aux soutiens israéliens. Un sondage de la chaîne CNN du 27 avril indiquait que 81 % des Américains de moins de 35 ans désapprouvent la manière dont Joe Biden a soutenu la guerre contre Gaza. L’image de l’État d’Israël se ternit un peu plus chaque jour, aux États-Unis comme ailleurs. Le 7 mai 2024, dans le quotidien El País, l’Espagnole Diana Morant déclarait : « En tant que ministre des universités, je ne peux qu’exprimer ma fierté de voir les étudiants manifester leur pensée critique, l’exercer et la transmettre à la société . »
La journaliste israélienne Dahlia Scheindlin pose la question suivante en titre de son article dans le quotidien Haaretz, le 2 mai : « Israël devient désormais un État paria international. Les Israéliens s’en préoccupent-ils ? ».
SYLVAIN CYPEL
A été membre de la rédaction en chef du Monde, et auparavant directeur de la rédaction du Courrier international. Il
https://orientxxi.info/magazine/etats-unis-les-etudiants-bousculent-la-complicite-des-universites-avec-israel,7319
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Rédigé le 13/05/2024 à 10:49 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.
Benjamin Miloux
Mercredi 8 mai 2024.
La nuit de mardi à mercredi a été une nuit d’applaudissements. Walid n’a pas arrêté d’applaudir comme je le lui ai appris, pour exorciser la peur. Les bombardements, étaient proches de là où nous étions, intensifs, le bruit était très fort. Walid n’a presque pas pu dormir, ses frères non plus. J’ai essayé d’applaudir avec lui toute la nuit, je lui ai mis les dessins animés qu’il aime sur le téléphone portable. D’habitude je ne le fais pas. Comme il n’y a pas souvent d’électricité, on a besoin que le téléphone soit toujours chargé, surtout alors qu’on peut être obligé d’ évacuer à tout moment, où on peut être touché par un bombardement, où on peut avoir besoin d’appeler un ami ou quelqu’un qui peut apporter de l’aide, ou une ambulance. Mais là, j’étais obligé de mettre un peu de divertissement pour mon fils. C’est vrai que ça me rassure un peu quand il applaudit, parce que pour lui c’est presque comme si tout était « normal ». Quand il entend un bombardement, il tressaute, je vois qu’il a peur. Mais quand il applaudit et que j’applaudis avec lui, même s’il sait qu’il y a un danger, ça reste un danger maîtrisable.
Toute la nuit, Sabah ma femme a préparé nos affaires pour que la famille puisse partir rapidement. A Rafah, on avait acheté quelques vêtements d’hiver pour les enfants, surtout les enfants de Sabah. On les a rangés dans un petit sac qu’on laissera pour les gens d’ici, ou pour qu’ils les distribuent à qui en a besoin. Nous, on va juste prendre deux sacs : le sac à dos avec lequel j’étais sorti de Gaza-ville, et un autre pour les enfants de Sabah qui nous avaient rejoints deux semaines après notre arrivée à Rafah.
Pendant cette nuit terrible où on n’a pas dormi, Moaz qui aura bientôt quatorze ans et qui a toujours peur, le pauvre, n’a pas arrêté de me poser des questions :
Où on en est des négociations ? Tu crois qu’il va y avoir une trêve d’ici demain matin ? Est-ce qu’on va se réveiller avec les chars devant la porte, comme ça s’est passé à Gaza ? Est-ce qu’ils vont nous avertir avant d’entrer ?
Il fallait que je lui réponde, pour transformer sa peur en quelque chose de positif. Je lui ai dit :
-Ne t’inquiète pas. Les Israéliens ont une nouvelle tactique. Tu as vu comment ils ont envoyé les tracts avant de pénétrer dans la partie Est de Rafah. Ils vont faire la même chose pour nous, et on ne va pas faire la même erreur qu’à Gaza. On va partir tout de suite.
-Oui, mais on sait très bien que les Israéliens utilisent aussi l’effet de surprise. Regarde ce qu’ils ont fait à l’hôpital Al-Shifa. Ils ont prévenu cinq minutes avant l’assaut.
Il avait beaucoup d’infos ! Pourtant, quand je rentre chez moi et que je discute avec Sabah, on essaye de faire en sorte que les enfants n’écoutent pas.
Malgré cela, Moaz est au courant de presque tout. Et il commence à être assez grand pour tout comprendre. C’était donc difficile de lui mentir : chaque fois que je le faisais, il me démontrait le contraire. À propos de l’hôpital Al-Shifa par exemple, je lui ai dit qu’on ne pouvait pas comparer, qu’il y avait eu là-bas beaucoup moins de monde qu’ici à Rafah où nous sommes plus d’un million et demi à nous entasser. Mais il a rétorqué : « Est-ce qu’ils vont faire comme à Gaza-ville ? Est-ce qu’il y aura des bombardements partout, des bâtiments qui vont sauter, y compris notre maison ? » J’ai dit pour le rassurer : « Mais ils n’ont aucune raison de nous viser, ni les gens chez qui on habite. On n’a rien à voir avec le Hamas, ni avec le Djihad islamique. » Il m’a alors parlé de ses amis qui n’avaient rien à voir avec tout ça, dont les parents étaient des hommes d’affaires ou des commerçants, mais qui ont été bombardés… et qui sont morts.
A chaque fois que j’essaye de le calmer, il trouve des exemples que je ne peux pas réfuter. J’ai alors abattu ma dernière carte :
Dieu est avec nous. Il nous a fait sortir vivants de Gaza, et il va nous faire sortir vivants de Rafah. Et puis, il ne faut pas oublier la pression internationale sur Israël. Tu parles comme les grands, mais on compte sur Dieu et Dieu a préservé notre vie. Je te promets que tout va s’arrêter bientôt, et que nous allons tous partir en voyage à l’étranger pour changer d’air.
Et là, l’ambiance a changé, et Moaz a commencé à me poser des questions sur « l’étranger » :
Est-ce qu’en Égypte il y a un zoo ? Et c’est comment d’ailleurs, les zoos ? Il y a tous les animaux dedans ? On peut les voir ? Les toucher ? Est-ce qu’il y a un grand manège, est-ce qu’il y a des fêtes foraines ? Est ce qu’il y a des parcs ? Est ce qu’il y a des restos ?
Et il a continué à me poser 36 000 questions : « J’ai vu sur Internet qu’il y avait un resto en Égypte qui fait des pommes de terre cuites avec de la viande. »
Et puis :
-Tu as beaucoup d’amis en France ? Pourquoi tu ne m’emmènes pas en France ?
-Si on s’en sort, et si on en a les moyens, je te promets qu’on partira en voyage en France.
-Mais est ce que la France nous donnera un visa ?
-Normalement oui, vu que je l’ai déjà eu.
-Mais pour nous, mes frères et moi, est-ce qu’on l’aura ?
-Mais oui, bien sûr que vous aurez un visa.
-Alors je veux qu’on monte sur la tour Eiffel !
-Mais comment tu connais la tour Eiffel ?
-Tout le monde la connaît ! La France, c’est la tour Eiffel ! Il paraît qu’il y a un restaurant tout en haut mais je ne vois que de l’acier.
-Pas de problème, je t’y emmènerai !
Moaz voulait aussi savoir s’il y avait des parcs d’attraction en France. Je lui ai alors parlé du parc Astérix, de Disneyland, qu’on pourrait même y passer une semaine, parce qu’il y a des hôtels à côté. Il a demandé : « Promis, tu nous emmèneras là-bas ? » Et j’ai promis. J’ai promis parce que j’étais content ; parce que grâce à cette conversation sous les bombes sur la France et les parcs d’attraction, pour nous qui sommes coincés dans un espace aussi réduit, cette discussion sur les restaurants de Paris, pour nous qui ne mangeons pas à notre faim, Moaz a oublié sa peur et a pu rêver un peu. Il commençait même à se projeter : « C’est quoi un avion ? Comment on monte dedans ? Est-ce que ça fait peur ? C’est comment le décollage ? Et l’atterrissage ? Est-ce qu’on peut regarder par la fenêtre ? Quand on est dedans, est-ce qu’on entend le même bruit que celui des F-16 ? » Je lui ai dit que non, qu’on n’entendait rien et que c’était agréable.
Les questions de Moaz portaient la vision du monde d’un jeune Palestinien qui n’est jamais sorti de la bande de Gaza :
-Quand on arrivera en France, est-ce qu’on sera fouillés, comme, paraît-il, le font les Égyptiens et les Israéliens ? Est-ce qu’ils vont nous déshabiller ? Est-ce qu’ils vont nous demander de sortir toutes nos affaires ? Est ce qu’il y a des trucs interdits ? Est-ce qu’on sera humiliés ?
-Non, tu ne seras pas humilié. Si tes papiers et ton visa sont en règle, il n’y aura aucun problème, et on te souhaitera la bienvenue.
Alors que les bombardements continuaient, Moaz a continué de rêver. Il voulait aller aussi en Espagne, parce qu’il est fan du Real Madrid. Là encore, il a été étonné quand je lui ai dit qu’il n’y avait pas besoin de visa supplémentaire, qu’on pouvait y aller en voiture depuis la France. « Il n’y a pas de frontière, il n’y a pas de fouille ? » Et là j’ai ri, parce que j’avais eu les mêmes réflexes quand j’avais débarqué à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle en 1997, avec un sac à dos et une petite valise. Arrivé à la douane, j’ai mis mon sac et ma valise sur la table et j’ai commencé à les ouvrir. Les douaniers, étonnés m’ont dit : « Euh bonjour monsieur, vous avez quelque chose à déclarer ? » Pour moi ça avait été un choc, parce que j’étais sorti de la bande de Gaza par le terminal tenu par les Israéliens à l’époque, et ils m’avaient fait subir une fouille complète, et posé trente-six mille questions.
À Roissy, j’ai refermé ma valise en disant : « Excusez-moi, je viens de Palestine, je n’ai pas l’habitude. » Les douaniers ont ri et m’ont dit : « Ici vous êtes en France, bienvenue. » Je m’en souviens comme si c’était hier, c’est quelque chose que je n’oublierai jamais. J’espère que c’est toujours comme ça aujourd’hui.
A l’époque, quand j’avais rejoint des amis à Barcelone par le train, j’avais pris avec moi tous mes papiers, mon passeport, ma carte de résident, ma carte d’étudiant, mon attestation de bourse. Je m’attendais à des checkpoints, à des vérifications tout le long du chemin. Quand les annonces dans le train ont été diffusées en espagnol, j’ai compris que j’avais franchi la frontière. À la gare de Barcelone, toujours pas de checkpoint ! Les Européens ne se rendent pas compte de ce privilège de liberté, de mobilité, pour eux c’est quelque chose de normal. Alors que les Israéliens ont introduit dans nos cerveaux, depuis notre plus jeune âge, le barrage, la sécurité, les fouilles, etc. Jusqu’à présent, c’est toujours les mêmes barrages, la même « sécurité » — bitakhon comme ils disent. Ce mot est omniprésent. Alors qu’en Europe, la liberté de circulation est un droit.
Cette nuit, j’ai vu que Moaz avait oublié tout cela pour rêver qu’il était en train de partir en France, en Espagne, ces pays qu’il ne connaît que par Internet. Il me dit qu’en France, il saura se débrouiller, parce qu’il apprend beaucoup de mots en m’écoutant parler français à Walid.
Moaz c’est juste un exemple parmi d’autres des enfants de Gaza : 95 % d’entre eux ne sont jamais sortis de l’enclave. Ils connaissent le monde extérieur par les réseaux sociaux, ils n’ont jamais fréquenté « l’Autre », ne lui ont jamais parlé, ne l’ont jamais vu. Alors, ils projettent la réalité de Gaza sur les sociétés du monde entier. J’espère que tout ça va finir et que les enfants de Gaza pourront sortir et découvrir le monde, qu’ils auront le droit de circuler librement, d’aller où ils veulent quand ils le veulent, et que le mot « Palestinien » ou « Gazaoui » ne sera plus un obstacle pour franchir les barrages et les frontières.
Journaliste palestinien à Gaza.
10 MAI 2024
https://orientxxi.info/dossiers-et-series/si-on-s-en-sort-on-partira-en-voyage-en-france,7318
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Les
Rédigé le 12/05/2024 à 02:45 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Onze personnes ont reçu des distinctions lors de la cérémonie commémorative du 8 mai 2024. Élus, Conseil municipal des enfants (CME), écoliers, enseignants, ont accompagné les anciens combattants dont Yvon Pétuya et Louis Martinez, médaillés du Djebel. L’un d’eux raconte la guerre d’Algérie.
À droite, Yvon Pétuya accompagné de Louis Martinez. Tous deux ont reçu la médaille du Djebel, lors de la cérémonie du 8 mai 2024. | OUEST-FRANCE
Yvon Pétuya a reçu, ce mercredi 8 mai 2024, la médaille du Djebel. Il revient sur ses 28 mois passés sous les drapeaux, pendant la guerre d’Algérie.
Pourquoi cette distinction vous est-elle décernée ?
Je suis parti pour le service militaire en 1960, pour un retour à la vie civile le 26 juin 1962, soit 28 mois sous les drapeaux… Dont huit mois à Mostaganen, ville portuaire de la Méditerranée positionnée au cœur des conflits : d’abord avec les populations autochtones qui refusaient la présence des militaires français sur leur territoire, c’était parfois très violent. Le 18 mars 1962, signature des accords d’Evian. Les fellagas (combattants algériens, marocains et tunisiens) ont respecté le cessez- le- feu, c’était pour eux la délivrance après 130 années de domination française.
Pour les militaires ce n’était pas fini pour autant puisque l’OAS (Organisation de l’armée secrète) refusait la fin de la lutte armée, l’OAS était déterminé à continuer de se battre pour préserver l’Algérie Française en utilisant des procédés barbares à l’encontre des forces militaires composées principalement d’appelés du contingent.
La médaille que vous avez reçue peut-elle servir à quelque chose ?
J’aimerais qu’elle soit une marque de reconnaissance mais aussi qu’elle soit la mémoire d’un temps que j’espère révolu. Que les générations qui suivent sachent se prémunir d’épisodes de guerre, la France est en paix… Mais quand on regarde nos voisins dans le monde on comprend la précarité de cette paix.
Êtes-vous nombreux au sein de la s ection d’anciens combattants à défendre cette liberté ?
Lors de la cérémonie, le président Guy Loué a remis neuf insignes aux nouveaux soldats de France, neuf personnes qui ont fait leur service national et qui viennent adhérer à nos messages de paix, ils veulent aussi être des exemples pour les jeunes générations.
Deux médailles du Djebel ont été remises à Louis Martinez et Yvon Pétuya ; neuf insignes de soldats de France à Michel Auteffe, Pierre Berthomé, Eric Gaudin, Christian Giraudeau, Michel Gréau, Rémi Guillet, Patrick Jathan, Yannick Roux et Robert Vincent. Un insigne d’honneur a été remis à Roger Grelier en reconnaissance de 31 années de fidélité au poste de porte-drapeau.
Ouest-FrancePublié le
https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/mouilleron-le-captif-85000/mouilleron-le-captif-yvon-petuya-mobilise-28-mois-durant-la-guerre-dalgerie-8ac33bb6-0d49-11ef-a10a-8d6450bd9eac
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Rédigé le 11/05/2024 à 21:51 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
poème d’Olivia Elias
Je suis un enfant de Gaza
Un enfant des tunnels
Pas un enfant de la lumière
J'ai du plomb durci dans les oreilles
Pas le droit d'avoir un cahier
Pas le droit d'avoir un crayon
Des fois je regarde la télé
Fêtes foraines chevaux de bois
Enfants glissant dans les toboggans
Moi je ne connais pas c'est pas grave à Gaza
La science-fiction c'est pas du cinéma
En mer les rodéos des navires de guerre
Equipages prêts à l'abordage
Les monstres d'acier chenilles géantes
Font auto-tamponneuse au milieu des vergers
Les tanks écrabouillent les maisons
Projettent en l'air divans et petits lits d'enfant
A l'affût de leurs proies les drones visent et piquent
Juchés dans leurs tourelles les chevaliers du nouvel âge
Mitraillent mitraillent tout sur leur passage
C'est la nuit en plein jour
Les explosions des feux d'artifice meurtriers
Tout au long de la nuit
Le vivant et le non vivant
Les hommes les plantes
Les bêtes les oiseaux et les cailloux
Rien ne bouge mille lieux à la ronde
Pluie de bombes, bombes au phosphore
Bombes à fragmentation
Cela a commencé le 27 décembre 2008
A onze heures trente du matin
Cela s'est terminé le 18 janvier 2009
A 19 heures trente du soir
Des vagues de 14 mètres l'une après l'autre
L'une après l'autre
Un tremblement de terre magnitude neuf
Nuit et jour par terre, mer et ciel
Par terre, mer et ciel
Nuit et jour nuit et jour
Les bombes déchirent le ciel
Déchirent les corps
Bombes à fragmentation qui explosent
En milliers de fragments de quelques millimètres
Bombes au phosphore qui brûlent
Comme une mèche de saindoux
La flamme fait Pischt et laisse des moignons
Des moignons jamais vus
Comme les chevaliers du nouvel âge
La vie de l'un d'entre eux dit-on
Vaut plus que la vie de cent enfants de Gaza
Cela a commencé le 27 décembre 2008
11 heures trente du matin
Cela s'est terminé le 18 janvier 2009
19 heures trente du soir
Fukushima à Gaza
L'enfer sur terre
Pas de secours pas de télé
Celui-là qui se pavane sur toutes les tribunes du monde
Est venu caché dans la tourelle
Il a tout vu et il a dit
Comme ils sont bons comme ils sont gentils
Les Martiens des temps nouveaux
Je suis un enfant de Gaza
Jadis terre de haute civilisation
Jadis avant que la beauté du monde
Ne meure à Gaza
Avant le temps des Martiens
Aujourd'hui une planète hors orbite
Une planète sans nom
Car l'enfer sur terre n'a pas de nom
Un million six cent mille
Hommes femmes et enfants
Pris au piège comme des rats
Obligés de passer par les tunnels
Pour accéder à la vie belle
La vie qui vaut la peine d'être vécue
La vie sans barbelés et navires de guerre
Sans drones et sans Martiens
Gaza une bande de sable brûlée par le soleil
Dix kilomètres sur quarante
Quelques centimètres au-dessus de la mer
Comme il faisait bon autrefois
Se baigner manger des pastèques et se promener
Avant de partir ils ont tout cassé
Les bêtes même ne peuvent plus boire l'eau des puits
Pas de cave pas de colline
Pas de pont d'aéroport
Juste des tunnels et le « Couloir de Philadelphie »
Quatorze kilomètres au sud de Gaza
Désolation extrême
Là-bas aux Etats-Unis dans les prisons
A très haute sécurité les condamnés à mort
Empruntent le couloir du même nom
Après avoir fumé leur dernière cigarette
Reçu la bénédiction du prêtre
Pour aller s'asseoir sur la chaise électrique
Et dire bye bye à cette terre
Je suis un enfant de Gaza
Pas un enfant de la lumière
Des fois je m'assieds au bord de lamer
Et je m'envole vers Fukushima
J'ai fait un dessin pour les enfants de Fukushima
Je leur dis vous n'êtes pas seuls
Je sais je sais tout
Je sais l'horreur le cataclysme
Les camps ensevelis sous les décombres
Le plomb durci dans les oreilles
Les cris les hurlements les bombes les sirènes
La dévastation la terre polluée l'eau contaminée
Pour des milliards d'années
Je sais tout j'ai tout vu
Je vous embrasse
Moi enfant de Gaza
Dédié aux enfants de Gaza
Olivia Elias, 26 février 2013.
https://m.uneseuleplanete.org/IMG/pdf/poeme-olivia-elias.pdf
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Rédigé le 11/05/2024 à 20:40 | Lien permanent | Commentaires (0)
Le 11 mai 2022, la journaliste d’Al-Jazira Shirin Abou Akleh était tuée alors qu’elle couvrait un assaut sur Jénine. L’affaire aurait pu être enterrée, elle n’était ni la première ni la dernière journaliste palestinienne tuée par les forces israéliennes sans que jamais aucun militaire n’ait été poursuivi1. D’ailleurs dans un premier temps, Israël accusa des groupes armés palestiniens, avant finalement de reconnaitre qu’il y avait une « forte possibilité » que son armée soit responsable, mais sans prendre la moindre mesure contre les responsables de ce crime, une impunité qui est la règle dans ce pays.
La popularité régionale et internationale de Shirin, sa double nationalité palestinienne et américaine, ont rendu un peu plus difficile l’enterrement de ce forfait. D’autant qu’une enquête de CNN concluait, avec de nouvelles images, qu’il s’agissait d’une attaque délibérée. En novembre 2022, le FBI ouvrait une enquête, dénoncée par Tel-Aviv, mais elle est au point mort. Pourtant, un nouveau rapport du coordinateur américain pour Israël et l’autorité palestinienne semble confirmer le caractère délibéré de l’assassinat de Shireen ; pour l’instant, l’administration Biden refuse de le transmettre au Congrès avant de l’avoir « édité »2.
Nous republions ci-dessous notre éditorial du 16 mai 2022 « Obscénités israéliennes, complicités occidentales et arabes » sur ce crime et sur l’impunité d’Israël rendue possible par la complicité américaine, européenne — notamment française —, et arabe.
***
C’est le premier qualificatif qui vient à l’esprit avec les images des funérailles de la journaliste palestinienne Shirin Abou Akleh assassinée le mercredi 11 mai 2022 par l’armée israélienne. Des policiers prennent d’assaut son cercueil qui manque d’être renversé, matraquent les manifestants, lancent des grenades assourdissantes et arrachent des drapeaux palestiniens. Cette action, au-delà même de tout jugement politique, porte atteinte au plus profond de la dignité humaine, viole un principe sacré qui remonte à la nuit des temps : le droit d’être enterré dans la dignité, que résume le mythe d’Antigone. Celle-ci lance au roi Créon, qui refuse une sépulture à son frère et dont elle a violé les ordres :
Je ne croyais pas tes proclamations assez fortes pour que les lois des dieux, non écrites et toujours sûres, puissent être surpassées par un simple mortel3.
Israël ne tente nullement de cacher ses actions, car il ne les considère pas comme obscènes. Il agit au grand jour, avec cette chutzpah, cette arrogance, ce sentiment colonial de supériorité qui caractérise non seulement la majorité de la classe politique israélienne, mais aussi une grande partie des médias, alignés sur le récit que propagent les porte-paroles de l’armée. Itamar Ben-Gvir a beau être un député fasciste — comme le sont, certes avec des nuances différentes, bien des membres du gouvernement actuel ou de l’opposition —, il exprime un sentiment partagé en Israël en écrivant :
Quand les terroristes tirent sur nos soldats à Jénine, ils doivent riposter avec toute la force nécessaire, même quand des “journalistes” d’Al-Jazira sont présents dans la zone au milieu de la bataille pour perturber nos soldats.
Sa phrase confirme que l’assassinat de Shirin Abou Akleh n’est pas un accident, mais le résultat d’une politique délibérée, systématique, réfléchie. Sinon, comment expliquer que jamais aucun des journalistes israéliens qui couvrent les mêmes événements n’a été tué, alors que, selon Reporters sans frontières (RSF), 35 de leurs confrères palestiniens ont été éliminés depuis 2001, la plupart du temps des photographes et des cameramen4 — les plus « dangereux » puisqu’ils racontent en images ce qui se passe sur le terrain ? Cette asymétrie n’est qu’une des multiples facettes de l’apartheid à l’œuvre en Israël-Palestine si bien décrit par Amnesty International : selon que vous serez occupant ou occupé, les « jugements » israéliens vous rendront blanc ou noir pour paraphraser La Fontaine, la sentence étant le plus souvent la peine de mort pour le plus faible.
Pour une fois, le meurtre de Shirin Abou Akleh a suscité un peu plus de réactions internationales officielles que d’habitude. Sa notoriété, le fait qu’elle soit citoyenne américaine et de confession chrétienne y ont contribué. Le Conseil de sécurité des Nations unies a même adopté une résolution condamnant le crime et demandant une enquête « immédiate, approfondie, transparente et impartiale », sans toutefois aller jusqu’à exiger qu’elle soit internationale, ce à quoi Israël se refuse toujours. Or, peut-on associer ceux qui sont responsables du crime à la conduite des investigations ? Depuis des années, les organisations de défense des droits humains israéliennes comme B’Tselem, ou internationales comme Amnesty International ou Human Rights Watch (HWR) ont documenté la manière dont les « enquêtes » de l’armée n’aboutissent pratiquement jamais.
Ces protestations officielles seront-elles suivies d’effet ? On peut déjà répondre par la négative. Il n’y aura pas d’enquête internationale, car ni l’Occident ni les pays arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël ne sont prêts à aller au-delà des dénonciations verbales qui n’égratignent personne. Ni de reconnaitre ce que l’histoire récente pourtant confirme, à savoir que chaque concession faite à Israël, loin de susciter la « modération » de Tel-Aviv, encourage colonisation et répression. Qui se souvient que les Émirats arabes unis (EAU) affirmaient que l’ouverture d’une ambassade de Tel-Aviv à Abou Dhabi permettrait d’infléchir la politique israélienne ? Et la complaisance de Washington ou de l’Union européenne (UE) pour le gouvernement israélien, « notre allié dans la guerre contre le terrorisme » a-t-elle amené ne serait-ce qu’un ralentissement de la colonisation des territoires occupés que pourtant ils font mine de condamner ?
Deux faits récents viennent de confirmer l’indifférence totale du pouvoir israélien aux « remontrances » de ses amis. La Cour suprême israélienne a validé le plus grand déplacement de population depuis 1967, l’expulsion de plus de 1 000 Palestiniens vivant dans huit villages au sud d’Hébron, écrivant, toute honte bue, que la loi israélienne est au-dessus du droit international. Trop occupés à punir la Russie, les Occidentaux n’ont pas réagi. Et le jour même des obsèques de Shirin Abou Akleh, le gouvernement israélien a annoncé la construction de 4 400 nouveaux logements dans les colonies de Cisjordanie. Pourquoi se restreindrait-il alors qu’il sait qu’il ne risque aucune sanction, les condamnations, quand elles ont lieu, finissant dans les poubelles du ministère israélien des affaires étrangères, et étant compensées par le rappel permanent au soutien à Israël. Un soutien réitéré en mai 20225 par Emmanuel Macron qui s’est engagé à renforcer avec ce pays « la coopération sur tous les plans, y compris au niveau européen […]. La sécurité d’Israël est au cœur de notre partenariat. » Il a même loué les efforts d’Israël « pour éviter une escalade » à Jérusalem.
Ce qui se déroule en Terre sainte depuis des décennies n’est ni un épisode de « la guerre contre le terrorisme » ni un « affrontement » entre deux parties égales comme le laissent entendre certains titres des médias, et certains commentateurs. Les Palestiniens ne sont pas attaqués par des extraterrestres comme pourrait le faire croire la réaction du ministre des affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian Sur son compte officiel twitter : « Je suis profondément choqué et consterné face aux violences inacceptables qui ont empêché le cortège funéraire de Mme Shireen Abou Akleh de se dérouler dans la paix et la dignité. »
Quant à tous les donneurs de leçons qui reprochent aux Palestiniens l’usage de la violence, bien plus limité pourtant que celui des Israéliens, rappelons ce qu’écrivait Nelson Mandela, devenu une icône embaumée pour nombre de commentateurs alors qu’il était un révolutionnaire menant la lutte armée pour la fin du régime de l’apartheid dont Israël est resté jusqu’au bout l’un des plus fidèles alliés :
C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé qui détermine la forme de la lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense.
On ne connaitra sans doute jamais l’identité du soldat israélien qui a appuyé sur la gâchette et tué la journaliste palestinienne. Mais ce que l’on sait déjà, c’est que la chaine des complicités est longue. Si elle prend sa source à Tel-Aviv, elle s’étire à Washington, se faufile à Abou Dhabi et à Rabat, se glisse à Paris et à Bruxelles. Le meurtre de Shirin Abou Akleh n’est pas un acte isolé, mais un crime collectif.
ALAIN GRESH
Spécialiste du Proche-Orient, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont De quoi la Palestine est-elle le nom ?
https://orientxxi.info/magazine/un-an-apres-l-impunite-pour-le-crime-delibere-de-shirin-abou-akleh,5610
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Rédigé le 11/05/2024 à 09:20 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Alors que la France a célébré mercredi l'anniversaire de la victoire sur les nazis, l'Algérie a commémoré un anniversaire plus sombre : la répression par les forces coloniales françaises des indépendantistes algériens, le même jour, il y a 79 ans.
**Alors que la France a célébré mercredi l'anniversaire de la victoire sur les nazis, l'Algérie a commémoré un anniversaire plus sombre : la répression par les forces coloniales françaises des indépendantistes algériens, le même jour, il y a 79 ans.**Les deux événements ont eu lieu le 8 mai 1945.
À Paris, le président français Emmanuel Macron a déposé une gerbe mercredi à la flamme éternelle située sous l'Arc de triomphe de l'époque napoléonienne, en hommage aux personnes tuées en combattant les nazis et en marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe.
À l'époque de la guerre, l'Algérie était le joyau de la couronne de l'empire colonial français et les soldats algériens faisaient partie de ceux qui étaient envoyés combattre pour la France en Europe. La fin de la Seconde Guerre mondiale a déclenché des mouvements d'indépendance dans les anciens empires français et britannique.
Mercredi, à Alger, des cérémonies ont été organisées en l'honneur des manifestants qui étaient descendus dans les rues des villes de Guelma, Sétif et Kherrata pour réclamer la liberté face à la domination française.
"En ce jour, nous nous souvenons des massacres du 8 mai 1945, commis par le colonisateur avec une brutalité et une cruauté extrêmes, pour réprimer un mouvement militant national grandissant qui s'était traduit par des manifestations massives exprimant la révolte du peuple algérien et son aspiration à la liberté et à l'émancipation", a déclaré le président algérien Abdelmadjid Tebboune dans un communiqué.
Vidéo associée: La bataille d'Alger (Télé7 Jours)
Il s'agissait de remarques inhabituellement fortes de la part du dirigeant algérien et d'un rappel des tensions persistantes avec la France, plus de 60 ans après que l'Algérie a obtenu son indépendance à l'issue d'une guerre douloureuse entre 1954 et 1962.
Aujourd'hui, l'Algérie et la France entretiennent des liens étroits en matière d'économie, de sécurité et d'énergie, mais la question de la justice historique reste un point sensible.
M. Tebboune devrait la soulever lors d'un voyage en France dans le courant de l'année. La question de la mémoire historique "restera au centre de nos préoccupations jusqu'à ce qu'elle bénéficie d'un traitement objectif qui rende justice à la vérité historique", a déclaré M. Tebboune dans sa déclaration de cette semaine.
Lors d'une visite en Algérie en 2022, M. Macron a établi un rapport amical avec M. Tebboune et a accepté de créer une commission d'historiens des deux pays pour faire des propositions de réconciliation. La commission a publié des propositions cette année, notamment la restitution à l'Algérie de documents et d'objets provenant des archives françaises.
Les responsables politiques algériens ont également demandé des réparations financières pour les essais nucléaires français dans le Sahara et, surtout, des excuses officielles de la part de la France pour les crimes commis à l'époque coloniale.
En tant que premier dirigeant français né après cette époque, M. Macron a cherché à confronter les actes répréhensibles commis par son pays tout en s'orientant vers une nouvelle ère de relations avec les anciennes colonies. Mais il a dû faire face à des critiques dans son pays, alors que le public soutient de plus en plus les nationalistes d'extrême droite qui défendent les griefs de certains Français descendants des colonisateurs.
https://www.msn.com/fr-xl/actualite/afrique/l-alg%C3%A9rie-comm%C3%A9more-les-massacres-du-8-mai-1945-par-l-arm%C3%A9e-fran%C3%A7aise/ar-BB1m5KMG
Rédigé le 10/05/2024 à 23:16 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Lancé le 30 novembre dernier, le titre Telk Qadeya se fait l’écho d’une génération déplorant l’indignation sélective de l’Occident, tout en exprimant un sentiment de culpabilité. Il approche des 2 millions de vues sur YouTube.
Sur fond rouge, une statue de la Liberté aux deux visages occupe la pochette du single. Voilà en une image tout le sens de Telk Qadeya (« Ça, c’est un cas », en arabe), chanson désenchantée à trois temps du groupe égyptien Cairokee. Sans jamais prononcer les mots Gaza, Israël ou États-Unis, le morceau reproche le deux poids deux mesures du « monde libre » à propos des atrocités commises dans la guerre déclenchée depuis l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre 2023.
Le titre, diffusé sur les grandes plateformes musicales en ligne depuis le 30 novembre, atteint 1,8 million de vues sur le seul réseau YouTube. Repris en décembre sur la chaîne libanaise Al-Mayadeen, il reflète en Égypte et bien au-delà l’état d’esprit d’une génération entière. Celle, notamment, qui a exprimé sa hardiesse place Tahrir, au Caire, durant les révolutions arabes de 2011, lorsque cette formation rock devenue mythique faisait sonner la protestation.
« Depuis cette époque, Cairokee évoque toujours les problèmes et sait traduire nos sentiments comme personne », remercie un fan égyptien de la première heure, parmi les 4 300 commentaires du réseau social associé à la chanson. Le tube circule également sur les comptes de Palestiniens de Gaza. « Nous aimons ta voix qui atteint le monde, nous aimons l’humanité, nous aimons toute l’Égypte », déclame l’un d’entre eux coincé dans le sud de l’enclave.
Le texte pointe du doigt un Occident aux valeurs universelles, mais dont l’indignation serait sélective face aux plus grandes injustices. « Comment devenir un ange blanc ? /Ayez une demi-conscience/Lutter pour les mouvements de liberté/Anéantir les mouvements de libération/Distribuez votre compassion et votre tendresse/Les tués sont plus nombreux selon la nationalité/Mais ça c’est un cas, et ça c’en est un autre », commence le premier couplet.
Les messages affluent d’Égypte mais aussi d’Algérie, de Turquie, de France et même d’Inde, sans cibler particulièrement États-Unis ou Occident. Domine plutôt un sentiment d’impuissance, chacun depuis son pays d’origine. « Nous aimerions bien faire plus (…) Nous préparons le jour où nous serons tous tenus responsables de cette horreur », réagit un internaute turc.
Cairokee, qui n’échappe pas à la censure du régime autoritaire d’Abdel Fattah Al Sissi, n’avait pas pu sortir en 2017 son album No’ta Beeda (« Point blanc »). Il était donc exclu, cette fois-ci, d’interroger en chanson les ambiguïtés de l’Égypte et celles des autres États signataires des accords d’Abraham qui ont normalisé leur relation avec Israël. Mais le message bien compris des paroles fait apparaître un sentiment de culpabilité, y compris dans le monde musulman. « Pardonnez-nous, Palestiniens, nous avons honte, et nous connaissons la déception que vous ressentez, pardonnez-nous », supplie un fan algérien.
Ce thème de l’indignation sélective des États trouve une audience qui déborde largement les frontières du monde arabe. Dans son rapport mondial pour l’année 2023, paru le 11 janvier, l’ONG Human Rights Watch a passé en revue les pratiques en matière de droits humains dans près de 100 pays, dénonçant les contradictions des dirigeants mondiaux sur le sujet, notamment à propos de Gaza. La chanson Telk Qadeya, qui commence à être traduite dans d’autres langues, dont l’anglais et le français, fait écho à cette thématique, et suscite des réactions toujours plus loin.
https://www.la-croix.com/international/guerre-israel-hamas-en-egypte-une-chanson-devient-l-hymne-pro-gaza-20240122
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Rédigé le 10/05/2024 à 21:07 dans Gaza, Israël, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
Gaza existe toujours. Mais à Gaza on n’a plus le droit à l’existence.
Il n’y aura plus guère qu’un seul survivant : la mort
. Et là-bas elle n’est pas prête de mourir. Plus de 40 000 victimes et un seul présumé coupable : le sort.
L’ironie du sort. Et comment réagit le plus commun des mortels ?
Il cherche les torts au lieu de compter les morts ! 15 000 enfants assassinés et personne à incriminer.
Les damnés de la terre sont désormais passés de l’autre côté. Pour ne plus être victimes,
ils font des victimes : ils sont devenus : bourreaux.
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Rédigé le 10/05/2024 à 16:13 dans Gaza, Israël, Lejournal Depersonne, Palestine, Paléstine | Lien permanent | Commentaires (0)
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