Pour un huitième samedi d’affilée, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté le 25 février à Tel-Aviv et dans d’autres villes israéliennes, brandissant des slogans alarmants : « Non au fascisme religieux ! » et « Nous ne deviendrons pas l’Iran ! ».
Sur une immense pancarte, des manifestants avaient juxtaposé les visages de cinq « ennemis de la démocratie » : l’ayatollah Khomeiny, le Turc Erdogan, l’Israélien Benjamin Nétanyahou (en plein milieu), puis Vladimir Poutine et enfin Viktor Orbán, le premier ministre hongrois.
Une belle galerie qui résume les périls autoritaires et guerriers de notre époque.
L’évolution d’Israël vers le « fascisme » n’est plus une figure de rhétorique outrancière, dans la bouche de quelques ennemis jurés et éternels de l’État juif. Elle est aujourd’hui une possibilité concrète, un cauchemar qui hante une bonne partie des Israéliens restés démocrates malgré le spectaculaire basculement à droite, depuis le début du XXIe siècle, d’une part majoritaire de l’électorat.
En jeu ici : non pas le traitement de la minorité arabe israélienne, ou de « l’ennemi terroriste » en Cisjordanie (sur ces points, la société israélienne est plutôt unie et intransigeante… pour le plus grand malheur des Palestiniens). Mais bien plutôt la « réforme de la justice » avancée par l’alliance droite-extrême droite autour de Nétanyahou, dont les principaux textes viennent d’être adoptés en première lecture à la Knesset.
Même si le consensus populaire en Israël s’est déplacé vers la droite et que les formations de gauche ont quasiment disparu du paysage, il y a aujourd’hui, sur la question de la gouverne intérieure, un affrontement réel.
L’évolution d’Israël vers le « fascisme » n’est plus une figure de rhétorique outrancière, dans la bouche de quelques ennemis jurés et éternels de l’État juif.
Face à face : des conservateurs qui veulent encore croire à la division des pouvoirs, et une extrême droite religieuse et radicale qui n’en veut plus.
Ces extrémistes au pouvoir, qui contrôlent des ministères clés, réclament : un État intégriste, une annexion totale des territoires occupés au nom du droit divin, la négation des droits des Arabes (20 % de la population d’Israël) et — objet spécifique du débat actuel — une soumission de la justice au politique.
En somme, un régime « illibéral » inspiré de Viktor Orbán, où le gouvernement met sous son contrôle tous les corps de l’État, y compris l’instance judiciaire. Doublé — pour citer Charles Enderlin dans Le Monde diplomatique (février 2023) — d’un « coup d’État identitaire », fondé sur « un nationalisme juif autoritaire, religieux, en rupture avec la vision de la démocratie qu’avaient les pères fondateurs du sionisme ».
La nouvelle loi a été présentée par le ministre de la Justice, Yariv Levin. Si elle passe — et la coalition Nétanyahou semble solide, avec 64 députés sur 120 —, les décisions de la Cour suprême pourront être invalidées par un simple vote à la Knesset… la Cour suprême devenant une instance consultative !
Autre élément de cette loi : le pouvoir accru du gouvernement sur les nominations de juges, sous le prétexte que l’instance judiciaire a trop d’influence et que les tribunaux pencheraient systématiquement à gauche.
Nétanyahou est actuellement l’objet de procès pour corruption : ces nouvelles dispositions seraient aussi, pour lui, une façon de se libérer des poursuites. L’opposition l’accuse de vouloir des juges « à sa main », pour être exonéré des accusations qui l’accablent dans trois procès en cours.
Il y a aussi le cas d’Aryé Déry, ministre de la Justice, bien qu’il ait été reconnu coupable de fraude fiscale en 2022. Le nouveau gouvernement a voté une dérogation pour le nommer quand même.
Ajoutons la question des droits des minorités (hormis ceux des Palestiniens et des Arabes israéliens)… En Israël, avec l’arrivée au pouvoir des ultrareligieux, des ministres affirment ouvertement vouloir en finir avec tous ces droits, comme ceux des homosexuels, qui s’appuient sur des lois libérales et des décisions de justice.
Un exemple, pour finir, tiré en janvier du quotidien Haaretz. Citation en manchette de Bezalel Smotrich, nouveau ministre des Finances : « Je suis un fasciste homophobe, mais je ne lapiderai pas les gais. »
Ce sont des gens comme ça qui dirigent aujourd’hui Israël.
François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada. [email protected]
Ce texte fait partie de notre section Opinion, qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.
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