ÇA DÉGÉNÈRE•Entre « milices loyalistes armées », « logique émeutière » et « pacification coloniale », la situation en Nouvelle-Calédonie inquiète. L’Etat pointe, lui, le rôle de la CCAT, qualifiée de « groupe mafieux », par Darmanin, et envoie.
L'état d'urgence entre en vigueur à partir de 20 heures, heure de Paris (05 heures à Nouméa) ce jeudi. - T. Rouby / AFP / AFP
Alexandre Vella
- e coordination des actions de terrain) qui est un regroupement de mouvements, syndicats et partis politiques kanaks, la qualifiant notamment de « groupe mafieux ».
- On vous explique ce qu’est la CCAT, visiblement débordée par sa base, analyse notamment le sociologue Thierry Dominici, spécialiste des mouvements nationalistes.
Au moins trois Kanaks et deux gendarmes sont morts ces dernières quarante-huit heures dans des pillages et affrontements entre habitants et forces de l’ordre, soutenus par des milices loyalistes en Nouvelle-Calédonie. Une situation qualifiée « d’insurrectionnelle » mercredi, par Louis Le Franc, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.
Celle-ci a commencé à dégénérer ce mardi, après des blocages à l’appel de la CCAT commencés il y a dix jours, un mois après une manifestation qui avait réuni, selon ses organisateurs, 50.000 personnes, soit près de quart de la population de l’île. La CCAT réclame l’abandon du projet de réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, qui verrait le poids des populations autochtones diminué dans les élections locales, et qui a été voté ce mardi soir par l’Assemblée nationale.
« Des voyous », a dit Louis Le Franc ; « un groupe mafieux » a pour sa part lancé Gérald Darmanin ministre de l’Intérieur et des Outre-mer qui considère la CCAT comme « le bras armé du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) ». La CCAT pour Cellule de coordination des actions de terrain, est un regroupement de mouvements, syndicats et partis politiques kanaks – un peu à l’image du FLNKS, créé en 1984, dont la CCAT est une émanation – né en novembre 2023 avec une première mobilisation contre cette réforme.
La CCAT débordée par sa base
Dans un communiqué publié ce mercredi, jour qui a vu le décès d’un premier gendarme, la Cellule a appelé « à l’apaisement et aux respects des consignes » tout en maintenant « les actions de terrains de manière pacifique ». « Il y a un contraste énorme entre les discours et les actes, bien sûr que les organisations, qui ne représentent pas tous les Kanaks sont débordés par les jeunes », observe Fabrice Riceputi, historien spécialiste des questions coloniales.
« Un peu à l’image de la Corse après l’assassinat d’Yvan Colonna, on est dans une logique émeutière, où la jeunesse kanake exprime d’abord un fort sentiment de mépris et de déclassement », analyse Thierry Dominici, spécialiste des mouvements nationalistes à l’université de Bordeaux-Montaigne. « En réduisant et en imputant ces actions à un “groupe mafieux”, l’Etat cherche à labelliser la violence. Comme lorsqu’il qualifie d’autres d’écoterrorisme, il cherche à les mettre hors champ, hors démocratie », complète Thierry Dominici. Et de là à préparer la répression.
« L’envoi de l’armée et la mise en place d’un couvre-feu, des mesures typiques de pacification coloniale, n’augurent rien de bon. A cela s’ajoute la constitution de milices loyalistes armées, qui ont semble-t-il tué un jeune Kanak pour lequel le gouvernement n’a pas eu un mot. Personne ne peut dire ce qui va se passer à présent », estime l’historien. Des milices qui inquiètent aussi le sociologue Thierry Dominici, qui rappelle que les populations autochtones sont devenues minoritaires dans leur pays (41,2 %) et pour qui « on se retrouve dans des scénarios que la France a connus pendant la guerre d’Algérie ». Scénario que visaient précisément à éviter les accords de Matignon de 1988 suivi des accords de Nouméa en 1998 et qui a été remis en question par cette réforme.
Alexandre Vella
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