DE GAZA À LA FRANCE, RÉCITS D’EXIL (1/3). Ils ont quitté la bande de Gaza, bombardée depuis bientôt cinq mois par l’armée israélienne, et ont trouvé refuge en France. Ces rescapés, franco-palestiniens ou anciens employés d’organisations françaises, racontent à « l’Obs » leur exil et leur vie brisée. Voici le témoignage de Manar.
Manar (le prénom a été modifié), docteure en cancérologie de 36 ans, a quitté la bande de Gaza avec ses trois enfants (âgés de 3, 10 et 12 ans) le 5 décembre 2023. Après avoir subi deux mois de guerre dans l’enclave, la jeune femme a été accueillie près du Mans, où un appartement a été mis à sa disposition. De Gaza, la Palestinienne n’a emporté que des bijoux, dont le collier de son mariage − un pendentif « Allah » en perles d’argent −, et ses diplômes universitaires.
Son mari, resté à Rafah – localité de l’extrême sud de la bande de Gaza –, a finalement été autorisé à quitter l’enclave en février et a pu la rejoindre la semaine dernière. La famille a déposé une demande d’asile à l’Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra) et va être relogée à La Roche-sur-Yon, en Vendée.
A Gaza, nous avions un grand appartement : quatre chambres, une bibliothèque, des tapis au sol, des rideaux aux fenêtres… Le grand luxe. La vie était bien sûr difficile dans l’enclave, mais nous étions privilégiés. Avec mon mari, on venait de finir de rembourser le crédit immobilier. Désormais, l’appartement a été détruit. Tout comme mes livres, les photos de mes enfants le jour du carnaval, ma ville… La guerre a tout balayé. Quand je regarde les clichés de mon appartement − j’ai un album « Maison » dans mon téléphone −, je ne peux retenir mes larmes. Tout ce qu’on a gagné dans la vie est parti. Mais, pour d’autres, c’est bien pire, ils ont disparu ou ont perdu un enfant.
J’ai vécu huit ans en France, j’étudiais la cancérologie à l’université d’Aix-Marseille. J’ai toujours voulu être médecin, sauver des vies menacées par la maladie. Dans le sud de la France, je vivais avec mes trois enfants dans un appartement du Crous familial. Mon mari − lui aussi un temps étudiant à Marseille − était retourné en 2018 travailler dans son université d’origine à Gaza, à la faculté de pharmacie. En août dernier, après avoir passé ma soutenance de thèse, je l’ai rejoint. J’envisageais de devenir professeure à l’université Al-Azhar de Gaza. L’université a été rasée de la carte par l’armée israélienne.
Lorsque les premières frappes israéliennes sont tombées, la maison des voisins a été touchée. Je les ai vus soulever des pierres et des gravats. Ils espéraient trouver encore un souffle, un cœur qui bat encore. Quand un corps sans vie, blanchi par la poussière, était extrait, les sauveteurs l’érigeaient en « martyr ».
Nous sommes partis le lendemain vers Khan Younès, où nous avons trouvé refuge dans un appartement. Nous étions cinquante dans 200 mètres carrés, à partager la salle de bains, la cuisine, l’eau, la nourriture… Chaque nuit, je me demandais si j’allais avoir le temps de prendre mes enfants dans mes bras avant qu’une bombe nous tombe sur la tête.
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https://www.nouvelobs.com/monde/20240302.OBS85181/de-gaza-a-la-france-ici-personne-ne-sait-qu-on-vient-de-la-mort.html
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