La députée d’extrême droite a dressé mercredi 21 février un parallèle entre l’engagement de son père dans la Légion étrangère pour maintenir l’oppression coloniale, et celui du résistant arménien. Des propos obscènes qui interrogent sur le bienfondé de sa présence à l’hommage.
La député d'extrême droite Marine Le Pen lors de la cérémonie de panthéonisation du résistant Missak Manouchian, mercredi 21 février. (Christophe Petit-Tesson/AFP)
Marine Le Pen n’avait rien à faire à la panthéonisation de Missak Manouchian, étranger, communiste, internationaliste et résistant. Elle l’a prouvé, une fois de plus, si besoin était, en se félicitant, mercredi 21 février dans la soirée, de l’engagement actif de son père contre les mouvements de libération des peuples vietnamien et algérien, au milieu des années 50. «Vous savez j’ai évidemment quelques liens familiaux avec la Légion étrangère, donc que des étrangers soient venus tout au long de notre histoire se battre pour défendre notre pays est une évidence», a osé la leader de l’extrême droite au micro de France Info. Comme si la moindre ébauche de parallèle pouvait être tracée entre le résistant Manouchian et Jean-Marie Le Pen, député d’un mouvement poujadiste suintant l’antisémitisme, engagé dans la Légion étrangère entre 1953 et 1957, à l’époque où celle-ci était farcie d’anciens nazis recyclés dans la défense des colonies.
1953. Le jeune Le Pen s’engage au premier régiment étranger de parachutistes. Non pour défendre la liberté face au totalitarisme nazi, mais pour aider la France à reconquérir ses colonies, en Indochine. Il y croise alors un paquet d’étrangers. Pas exactement les mêmes que les camarades de Manouchian aux FTP-MOI. Sur un contingent de 70 000 engagés dans la Légion, fer de lance de la lutte contre les indépendantistes, entre 20 000 et 30 000 soldats étaient allemands. Parmi eux, un nombre non négligeable d’anciens Waffen-SS. C’est sans doute l’une de ces recrues qui a offert au lieutenant Le Pen le fameux poignard des Jeunesses hitlériennes, gravé à son nom, qui sera retrouvé chez l’une des victimes algériennes du fondateur du FN, en Algérie.
Répression de l’insurrection algérienne
Oui, car, arrivé trop tard en Indochine, Le Pen s’est empressé de rempiler sur un autre font colonial : l’Algérie. Entre-temps, il s’est fait élire député avec les partisans de Pierre Poujade, qui estimait que Pierre Mendès-France, juif, n’avait «de français que le mot ajouté à son nom». Arrivé en Algérie à la fin de l’année 1956, le député-légionnaire participe à la bataille d’Alger, vaste opération de répression de l’insurrection algérienne. Rappelons en passant que les Algériens «musulmans», c’est-à-dire arabes, ne disposaient pas des mêmes droits que les «Européens» d’Algérie, et subissaient depuis le massacre de Sétif, le 8 mai 1945, la répression féroce du pouvoir colonial.
On imagine mal Missak Manouchian s’engager dans la Légion étrangère pour perpétuer cette oppression. Au cours de la bataille d’Alger, l’armée française a recours systématiquement à la torture, justifiée par la guerre contre le «terrorisme» des «poseurs de bombe» du FLN, mais destinée en réalité à terroriser les populations civiles afin de leur passer l’envie de s’insurger. Au nom des idéaux de la Résistance, plusieurs voix s’élèvent, dès les années 50, pour dénoncer des pratiques qui assimilaient l’armée française à l’occupant nazi, pendant la Seconde Guerre mondiale. On pense à Paul Teitgen, résistant déporté à Dachau, ou à Pierre Vidal-Naquet, dont les parents ont été assassinés à Auschwitz.
«J’ai torturé parce qu’il fallait le faire»
Jean-Marie Le Pen, lui, s’en est non seulement vanté, mais a été accusé par une quinzaine d’Algériens de l’avoir pratiquée. «Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire», revendiquait-il dans Combat, en 1962. Il a depuis nié son implication personnelle, mais toujours justifié le principe. Pendant la bataille d’Alger, l’un des principaux bourreaux de la tristement célèbre villa Sésini, un dénommé Feldmayer, était… un légionnaire, ancien de la Waffen SS. Ceux-là même que Marine Le Pen compare aux étrangers du FTP-MOI. Toute cette partie de la vie de Le Pen est racontée dans un ouvrage récemment paru de Fabrice Riceputi, Le Pen et la torture (éd. Le Passager clandestin). Les héritiers de Manouchian, eux, étaient en face : que ce soit Maurice Audin, militant du parti communiste algérien, torturé à mort par les parachutistes du général Massu, ou tous les «porteurs de valises» que le FN, puis le RN, insulte depuis cinquante ans.
Car le FN-RN ne change pas. En 2014, encore, Marine Le Pen justifiait l’usage de la torture, estimant que dans certains cas «il est utile de faire parler la personne». La semaine dernière, Jordan Bardella a réclamé l’interdiction d’une manifestation en l’honneur des morts pour l’indépendance algérienne, estimant que «la “journée du chahid”, rendant hommage aux terroristes du FLN algérien, est une insulte à notre pays». Qu’aurait pensé Manouchian de cette extrême droite fière d’avoir combattu le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes aux côtés d’anciens nazis ? Il n’y avait pas que des communistes parmi les résistants. Il n’y avait pas que des gens d’extrême droite parmi les collabos. Mais les déclarations de Marine Le Pen, en 2024, prouvent qu’elle n’a décidément rien à voir avec les raisons qui ont poussé Manouchian à donner sa vie. Non, décidément, la députée du Pas-de-Calais n’avait rien à faire à la panthéonisation des héros de l’Affiche rouge.
par Nicolas Massol
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