«Libération» a eu accès aux échanges des membres du club d’influence qui travaille dans l’ombre à la victoire de l’extrême droite. Parmi eux, des hauts fonctionnaires, des anciens de cabinets ministériels et des cadres de grandes entreprises.
Marine Le Pen attend les résultats des élections européennes avec son équipe, à Paris, le 26 mai 2019. (Alain Robert/Sipa)
18 avril 2022. On est lundi. Marine Le Pen vient de se payer un bain de foule à Saint-Pierre-en-Auge, dans le Calvados. Le dernier avant son débat d’entre-deux-tours avec Macron. A la fin de la promenade, elle plante tout le monde, ses équipes, les journalistes, devant un portail bleu et un mur en vieilles pierres, feignant de rejoindre derrière une table amicale où becqueter. En fait, elle file à l’anglaise de l’autre côté de la propriété pour rejoindre un endroit plus somptueux et pourtant plus discret, à vingt minutes en voiture.
La voilà à Bellengreville, dans un manoir du XVIIe à la façade classée, dans le salon en lambris où elle a posé ses valises la veille et bûche son futur face-à-face avec le président sortant. Très peu de gens savent où elle se trouve. Autour d’elle, ne reste qu’un cercle très restreint : cinq personnes, dont les deux directeurs adjoints de la campagne, Renaud Labaye, un ancien de Bercy formé à Saint-Cyr et HEC, et Jean-Philippe Tanguy, passé par Sciences-Po et l’Essec.
Soudain, Le Pen oublie qui elle est et commence à s’imaginer présidente. Elle se voit former un gouvernement, cinq ans après son humiliation de 2017. Elle répète sa petite formule : «J’irai chercher partout, sans tenir compte des étiquettes, ceux qui me paraissent être les meilleurs.» En face de la candidate d’extrême droite, le propriétaire des lieux donne la réplique. Il s’est fardé en Macron et, quelque part, lui ressemble un peu, avec son air de bon gendre et son cheveu sur la langue. Mais l’accent est plus bourgeois et le sourire pincé. Il s’appelle François Durvye.
Pseudonymes et grande méfiance
Dans le jargon mariniste, il est ce que l’on appelle un Horace. Il est membre de ce très secret club d’influence, composé en majorité écrasante d’hommes (ils sont aujourd’hui 38), qui conseillent Marine Le Pen dans l’ombre depuis des années et l’alimentent en notes, documents, tribunes et propositions de lois. En 2018, ils sont à l’origine du «plan Le Pen pour les banlieues», un livret de 24 pages aux accents ultra-sécuritaires et transpirant de sous-entendus. Celui-ci a quand même été expurgé de quelques idées présentes dans la version de départ : «Faciliter l’armement des polices municipales», «hymne national tous les jours dans les écoles»… Autres productions des Horaces des dernières années : un «livre noir du coronavirus» en 2020, recueil de «on-dit» aux relents complotistes ; une «déclaration des peuples et des nations» (en 2023), objet pompeux mettant le droit au service d’obsessions extrême droitières.
Les Horaces fournissent aussi en éléments de langage, comme ces «angles d’attaques contre Mélenchon» proposés trois jours avant le premier tour de la présidentielle 2017 : «La stratégie face à [lui], en cas de duel au second tour, devrait être de gauchir, d’extrémiser son projet et son profil humain, le faire apparaître comme un bonimenteur qui, s’il est au pouvoir, conduira son peuple à la ruine par son extrémisme et son irresponsabilité.» Question économie : le niveau des notes laisse parfois à désirer, comme celle-ci, datée de 2020 qui fantasme des faillites «imminentes» de plusieurs grandes banques européennes et préconise de nationaliser les activités commerciales des établissements français, mais aussi de remplacer «les équipes dirigeantes» des institutions publiques, Caisse des dépôts, BPI et Banque de France par «des experts-comptables» à la place des «sciences-potards “stratèges”». Certains textes transmis à Marine Le Pen sont franchement xénophobes, comme celui-ci, rédigé en février 2019, au moment des manifestations en Algérie contre le président Bouteflika, qui imagine une «invasion» en France. «Il ne faut pas laisser l’idée germer que les Algériens n’auront bientôt plus qu’à se servir en France quand la population française aura disparu. Il faut affirmer haut et fort notre refus de nous laisser envahir», préconise l’auteur, un certain «Alain».
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