Depuis février 2022 et l'entrée des troupes russes sur le territoire de l'Ukraine, une question lancinante accompagne le soutien occidental à ce pays et revient régulièrement dans les débats : Jusqu'où l'aide occidentale peut-elle aller sans que le conflit provoque une conflagration mondiale ?
Les Occidentaux affirment régulièrement qu'ils ne sont pas en guerre contre la Russie. Leur objectif est purement défensif. L'aide multiforme qu'ils apportent à l'Ukraine vise d'abord à empêcher la Russie d'occuper tout le territoire ukrainien et ensuite à permettre à Kiev de récupérer les territoires occupés et annexés par son voisin, à savoir la Crimée (février 2014) et les oblast du Dombass (2022), et cela conformément au droit international et à ce qui fut convenu au début des années 1990.
Le plan en dix points énoncé par le président ukrainien en novembre 2022, au cours du G20 à Bali (Indonésie) résume cette position. Cependant que la Russie s'en tient à la neutralisation géopolitique de l'Ukraine et refuse son intégration à l'OTAN et à l'arrêt de l'extension sans limite de l'Alliance vers l'est.
Les militaires russes et américains suivent attentivement les opérations et tentent à chaque fois que nécessaire de lever le doute sur les faits et les intentions des uns et des autres pour éviter... l'irréparable.
Toutefois, les politiques, eux, préoccupés par d'autres impératifs, sont infiniment plus ambiguës et aujourd'hui franchement bellicistes.
C'est ainsi que le président américain ne s'interdit aucune attaque ad hominem depuis le début du conflit et se permet d'insulter son homologue russe en termes crus1. Les présidents américains de R. Nixon à D. Trump en passant par R. Reagan se sont illustrés par leur vulgarité même s'ils évitaient de le manifester publiquement.
Il est vrai que J. Biden a une espérance de vie électorale très courte, même si D. Trump est juridiquement empêché de se présenter.
L'année 2024 est une année électorale cruciale dans de nombreux pays, de l'Union Européenne aux Etats-Unis en passant par l'Inde, le Brésil, le Mexique, le Pakistan, le Bangladesh, l'Indonésie, la Russie, huit des dix Etats les plus peuplés au monde, soit plus de la moitié de l'humanité en âge de voter est appelée aux urnes.
Certains scrutins sont plus cruciaux, plus critiques que d'autres.
Au reste, les buts de guerre occidentaux sont à géométrie variable et tournent tous autour de l'idée que désormais la Russie ne doit pas gagner, c'est-à-dire qu'il est impératif qu'elle doive perdre. Peu à peu, on passe de la défense de l'Ukraine à la défense de l'Occident.
«La défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe» déclare le président français. C'est ce qu'il ne cesse de répéter ces derniers mois après avoir à l'envi défendu l'idée que la Russie ne devait à aucun prix être humiliée. Ce qui lui a attiré les foudres des Ukrainiens et de nombreux pays appartenant à l'OTAN, résolus à en finir avec la Russie poutinienne.
C'est le même E. Macron, à l'issue d'une Conférence internationale pour le soutien à l'Ukraine organisée hâtivement à Paris qui se présente devant les caméras et annonce sa disposition à déployer des troupes en Ukraine.2
La co-belligérance, quelle limite ?
Une armée d'experts en chambres réunis régulièrement sur les plateaux de télévision d'information continue, s'épuisent à tenter de trouver une réponse à cette question.
La raison et le bon sens l'ont traditionnellement résumée en une formule simple : «l'ami de mon ennemi est mon ennemi». Avec une inférence logique : «l'ennemi de mon ami est mon ennemi» ou encore, «l'ennemi de mon ennemi est mon ami».
Les pays qui apportent leur soutien à l'Ukraine sont ipso facto des ennemis de la Russie.
Toutefois, la question est plus complexe qu'il n'y paraît. Elle ne renvoie pas à un état mais à une dynamique, un processus dont la qualification évolue selon les rapports de force sur le terrain.
En sorte que la question de savoir s'il y a ou non co-belligérance ne peut pas obtenir une réponse binaire. Elle est sans objet hors contexte.
Nous y reviendrons plus loin.
La Conférence de Paris qui s'est tenue ce 26 février s'est achevée dans la confusion.
Contrairement à l'habitude, E. Macron s'est présenté seul face aux journalistes.
La déclaration du président français va provoquer des remous auxquels personne ne s'attendait.
L'envoi de troupes occidentales au sol en Ukraine ne doit pas «être exclu» à l'avenir, affirme-t-il, reconnaissant néanmoins qu'«il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre».
E. Macron n'a pas souhaité apporter plus de précision, évoquant une «ambiguïté stratégique que j'assume». Mais «je n'ai absolument pas dit que la France n'y était pas favorable», a-t-il prévenu. «Je ne lèverai pas l'ambiguïté des débats de ce soir en donnant des noms. Je dis que ça a été évoqué parmi les options».
On ne sait pas au juste ce que recouvre cette «ambiguïté» («créatrice») dont s'était servi S. Perez naguère pour éluder les questions qui lui étaient posées au cours des négociations d'Oslo. Les Palestiniens de Ghaza en connaissent la signification aujourd'hui...
En revanche, on sait ce que pensent les homologues de E. Macron de son idée de déployer des troupes alliées en Ukraine. D'abord la parole à l'acteur principal.
«La Russie a adopté une agressivité non seulement contre l'Ukraine, mais contre nous en général», déclare le président français qui passe de «la Russie ne peut ni ne doit gagner» à (...) «nous avons la conviction que la défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe»
«Beaucoup de gens qui disent Jamais, jamais' aujourd'hui étaient les mêmes qui disaient Jamais des tanks, jamais des avions, jamais des missiles à longue portée' il y a deux ans». «Ayons l'humilité de constater qu'on a souvent eu six à douze mois de retard. C'était l'objectif de la discussion de ce soir : tout est possible si c'est utile pour atteindre notre objectif».
Le président français a néanmoins versé dans l'acrobatique tour de passe-passe que les alliés de l'Ukraine n'étaient «pas en guerre avec le peuple russe», mais qu'ils ne voulaient «simplement pas les laisser gagner en Ukraine».
E. Macron reconnaît cependant que qu'«il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol».
Et ce n'est pas peu dire.
Solitude française.
E. Macron semble avoir pris de court la plupart de ses homologues, chacun d'eux a aussitôt rétropédalé et pris distance avec les propos du président français, tenant compte sans doute de leurs opinions publiques. N'oublions pas que la conduite occidentale de la guerre en Ukraine est tenue médiatiquement à l'écart comme si elle se déroulait sur une autre planète. Un mur étanche est érigé entre les effets des décisions des pays coalisés (inflation, érosion des pouvoirs d'achat, chute de la croissance, manifestations des agriculteurs européens...) et les causes, notamment à travers la politique de sanctions infligées à la Russie.
- Suède. Le premier ministre suédois, Ulf Kristersson: «La question n'est pas d'actualité». «La tradition française n'est pas la tradition suédoise».
- Slovaquie. Pour le premier ministre slovaque Robert Fico, aucun soldat slovaque ne sera envoyé en Ukraine. Il a qualifié la rencontre de Paris de «réunion de combat», dénonçant l'absence de plan de paix. «Tout ce qu'ils veulent, c'est que la tuerie continue», a déclaré le populiste, élu en octobre 2023. «Comme nous l'avions supposé lors de plusieurs réunions ce matin à Bratislava, il régnait à Paris une atmosphère purement combative favorable à la guerre. Il n'y avait pas un mot sur la paix, ce que je regrette personnellement». «Je peux confirmer qu'il y a des pays qui sont prêts à envoyer leurs soldats en Ukraine, il y a des pays qui disent jamais, la Slovaquie en fait partie, et des pays pour lesquels cette proposition devrait être prise en considération».
Dans son discours à la conférence, il a répété les positions de son gouvernement. «Notre gouvernement rejette la poursuite de la guerre, nous n'enverrons pas d'armes en Ukraine, nous nous concentrons uniquement sur des projets civils, et le plus important est l'accord au sein de la coalition gouvernementale selon lequel nous n'accepterons jamais qu'un soldat slovaque parte en Ukraine pour cette guerre», a ajouté celui qui, par le passé a remis en question la souveraineté de l'Ukraine et s'oppose aux sanctions dirigées contre la Russie.
- Pologne. Donald Tusk n'envisage pas d'envoyer des troupes en Ukraine. «La Pologne n'envisage pas d'envoyer ses troupes en Ukraine. Nous avons ici une position commune [avec Robert Fico, le premier ministre slovaque]», a déclaré Donald Tusk, au sommet du Groupe de Visegrad, à Prague. «Je crois qu'il ne faut pas spéculer aujourd'hui sur l'avenir, ni sur la question de savoir s'il y aura des circonstances qui modifieront cette position. Aujourd'hui, nous devons soutenir autant que possible l'Ukraine dans son effort militaire. Si tous les pays de l'UE étaient autant impliqués dans l'aide que la Pologne et la République tchèque, il ne serait peut-être pas nécessaire de discuter d'autres formes de soutien à l'Ukraine».
- Croatie. Le président croate Zoran Milanovic a affirmé mardi que son pays ne commettrait pas «l'acte de folie» d'envoyer des soldats en Ukraine, au lendemain d'une déclaration du président français Emmanuel Macron qui a évoqué l'éventualité d'un tel scénario. Le chef de l'Etat croate, dont les pouvoirs sont limités mais qui est le commandant en chef de l'armée, a assuré qu'«aucun soldat croate n'(irait) faire la guerre en Ukraine» tant qu'il serait président. La Croatie est membre de l'Otan et de l'Union européenne. «La seule solution pour la guerre en Ukraine est de parvenir à un accord de paix qui va prévenir de nouvelles victimes et sauver des milliers de vies», a déclaré Zoran Milanovic dans un communiqué de presse. Selon lui, le déploiement de troupes croates en Ukraine serait un «acte de folie».
- Les États-Unis non plus «n'enverront pas de soldats combattre en Ukraine», affirme la Maison-Blanche. J. Biden sait que s'il soutenait une telle idée, il mettrait un point final à sa carrière politique.
Et par le chancelier allemand.
- Allemagne. Contrairement à la France et au Royaume Uni, l'Allemagne refuse d'être impliquée directement dans le conflit. C'est la raison pour laquelle après avoir cédé aux pressions américaines pour fournir des armes et des munitions et cela contrairement traditions de ce pays en vigueur depuis 1945, le chancelier Scholtz a refusé de fournir à l'Ukraine des missiles longue portée Taurus (500 km) qui l'y entraînerait.
«C'est une arme de très grande portée, et ce qui est fait en ciblage et en accompagnement du ciblage de la part des Britanniques et des Français ne peut pas être fait en Allemagne», a déclaré Olaf Scholz à l'agence de presse allemande DPA, dans un entretien diffusé ensuite par son service de presse à l'ensemble des médias, en réponse à la demande de l'Ukraine de lui livrer des missiles Taurus.
«De mon point de vue, ce serait quelque chose qui ne serait pas responsable si nous participions de la même manière à la gestion du ciblage» de ces missiles, a-t-il ajouté, en pointant le risque que l'Allemagne se retrouve «d'une certaine manière impliquée dans la guerre» directement. «Les soldats allemands ne doivent en aucun cas et en aucun endroit être reliés aux objectifs atteints par ces systèmes», a encore expliqué Olaf Scholz, en précisant que cela concernait aussi l'implication de militaires allemands restant sur leur territoire national.
«Ce que d'autres pays font, qui ont d'autres traditions et d'autres institutions constitutionnelles, est quelque chose que nous ne pouvons pas faire dans la même ampleur», a encore argué le chancelier social-démocrate. Et d'ajouter : «Ce qui manque à l'Ukraine, ce sont des munitions pour toutes les distances possibles» de tir, «mais pas de manière décisive, cette chose venant d'Allemagne». (Le Monde, L. 26 février 2024)
- Italie. L'aide à l'Ukraine «ne prévoit» pas l'envoi de troupes, déclare le gouvernement italien. Le gouvernement italien a rappelé que l'aide occidentale à l'Ukraine «ne prévoit» pas le déploiement de troupes européennes ou de l'Otan, évoqué la veille par le président français Emmanuel Macron. «Depuis le début de l'agression russe, il y a deux ans, il y a eu une pleine cohésion de tous les alliés concernant le soutien à offrir à Kiev. Ce soutien ne prévoit pas la présence sur le territoire ukrainien de troupes d'États européens ou de l'Otan», a souligné le gouvernement dans un communiqué. En visite à Zagreb, le chef de la diplomatie italienne Antonio Tajani a appelé à «être très prudent» sur ce sujet, car «nous ne devons pas apparaître comme étant en guerre avec la Russie». «Personnellement, je ne suis pas favorable à l'envoi de troupes italiennes au combat en Ukraine», a-t-il déclaré mardi à des médias italiens.
- Otan. L'Otan n'a «aucun projet» d'envoi de troupes de combat en Ukraine, a indiqué mardi en début d'après-midi à l'AFP un responsable de l'Alliance. «L'Otan et les Alliés apportent une aide militaire sans précédent à l'Ukraine. Nous l'avons fait depuis 2014 et nous sommes passés à la vitesse supérieure après l'invasion russe à grande échelle. Mais il n'y a aucun projet de troupes de combat de l'Otan sur le terrain en Ukraine», a souligné ce responsable de l'Alliance.
Or, dans l'OTAN, n'y a-t-il pas la France ?... O. Scholtz confirme. Comprenne qui pourra.
Le chancelier allemand affirme au lendemain des propos du président français n'excluant pas cette perspective, qu'«aucun soldat» ne serait envoyé en Ukraine par des pays d'Europe ou de l'Otan. Il juge lors d'une conférence de presse que «ce qui a été décidé entre nous dès le début continue à être valide pour l'avenir», à savoir «qu'il n'y aura aucune troupe au sol, aucun soldat envoyé ni par les Etats européens, ni par les Etats de l'Otan sur le sol ukrainien».
Un désaveu total des déclaration du président français. Ces réactions montrent à l'évidence plus qu'une divergence entre alliés. La Conférence et la déclaration de E. Macron ont donné l'occasion de constater à quel point la coalition anti-russe est profondément divisée. Et c'est la France qui semble en faire les frais.
Critiqué à l'étranger, le président français l'est aussi dans son pays.
- «L'envoi de troupes en Ukraine ferait de nous des belligérants (...) Cette escalade verbale belliqueuse d'une puissance nucléaire contre une autre puissance nucléaire majeure est déjà un acte irresponsable» Jean-Luc Mélenchon
- Marine Le Pen à l'Assemblée Nationale ne s'est pas retenue : «Le premier devoir d'un pays c'est de ne disposer de la vie de ses soldats que pour défendre son indépendance ou pour préserver son intégrité ou alors s'engager, si, dans le cadre d'une alliance des obligations ont été contractées. Mais là sur un terrain extérieur, il faudrait intervenir militairement avec nos soldats ?», a critiqué la chef de file des députés RN ajoutant : «En affirmant que l'envoi de troupes au sol n'était pas exclu, Emmanuel Macron a franchi une étape supplémentaire vers la cobelligérance, faisant planer un risque existentiel sur 70 millions de Français et plus particulièrement sur nos forces armées».
Il en est de même des autres représentants du paysage politique français : les socialistes, les Républicains... et une multitude d'«alliés» qui désapprouvent en silence.
Chacun sait combien la légalité du président ne coïncide plus depuis longtemps avec sa légitimité. E. Macron aurait été inspiré de la tester si l'esprit de la Constitution avait été respecté. Mais le suicide politique n'est pas dans les moeurs de la «classe politique» française. La France n'est plus en 1969. Mais cela est une autre affaire...
Un exemple suffit pour le montrer.
Quelques heures après une polémique suscitée par ses déclarations E. Macron a demandé au gouvernement de faire devant le Parlement une déclaration «relative à l'accord bilatéral de sécurité conclu avec l'Ukraine» le 16 février. Un débat avec vote au Parlement sur l'accord de sécurité avec l'Ukraine a été décidé, conformément à l'article 50-1 de la Constitution.
1.- Ce débat n'a rien à voir avec la cause qui l'a provoqué. Ce n'est pas l'accord de sécurité avec l'Ukraine qui fait débat, mais l'annonce de l'envoi de soldats français en Ukraine.
2.- Le président français décide, signe un accord et demande après coup un débat à une Assemblée qui aurait du être préalablement consultée, comme dans n'importe quelle «démocratie». N'est-ce pas à cette situation que se trouve confrontée la Maison Blanche face au Sénat ?
Rétrospectivement, cette conférence était plutôt mal partie, rien qu'à constater la qualité des participants.
La communication élyséenne se félicitait de l'accueil de dizaine de chefs d'Etat.
Mais, Ni V. Zelensky (occupé à préparer sa visite en Arabie Saoudite et dans les Balkans), ni J. Biden (tout à sa campagne électorale dans le Michigan), ni R. Sunak (en fin de cycle difficile)... en somme les principaux acteurs de l'Occident en guerre, n'étaient présents.
Washington a délégué un anonyme sous-secrétaire d'Etat chargé de l'Europe.
C'est dire à quel point cette rencontre était stratégique. E. Macron va lui donner une dimension médiatique de première grandeur. Cela ne signifie pas que les questions abordées par le président français étaient sans importance.
Un peu d'histoire.
Commençons par noter qu'en réalité, le pavé qu'il a lancé est sans objet.
Le président français «prévoit» le passé en regardant l'Ukraine dans le rétroviseur. En effet, les soldats occidentaux sont déjà en Ukraine et cela depuis bien avant le 22 février 2022.
Ils le sont dans le cadre stratégique général de l'extension de l'OTAN vers l'est et cela depuis les premières années 2000 lorsque Washington s'est aperçu que le remplaçant de B. Eltsine à la tête de la Russie ne «consentait» plus.
La confirmation est venue lors du discours de V. Poutine à la Conférence de Munich en février 2007.
A l'évidence, un partenariat d'égal à égal n'est plus d'actualité pour l'«hyperpuissance» américaine dès 1991. Le ver était dans le fruit et la crise actuelle en est l'aboutissement inévitable. Toutes les autres explications n'ont pus qu'une valeur polémique, par ailleurs parfaitement compréhensible : la communication est un autre espace de la guerre.
La présence militaire occidentale en Ukraine est un secret de Polichinelle. Et les soldats de Macron (qui en a une exacte connaissance) ont été précédés par des légions armées jusqu'aux dents.
Cela commence par le «coup d'Etat de Maïdan» auquel les services occidentaux ont apporté un concours décisif.3
Cela n'a pas cessé depuis.
La CIA est présente en Ukraine contre la Russie.
A la veille de la Conférence de Paris et du pavé dans la mare macronien, le NY Times en a jeté un autre.4
Un reportage qui a nécessité plus de 200 entretiens en Ukraine, en Europe et aux États-Unis. En quoi consistent les révélations croustillantes du NYT ?
La Centrale américaine possède 12 bases secrètes en Ukraine, au plus proche du front ainsi que deux bases spécialisées dans l'interception des communications russes. La CIA fournit des renseignements opérationnels et aide les Ukrainiens à identifier les cibles russes. Elle communique toutes données nécessaires au suivi des mouvements des troupes russes et contribue à la formation et au soutien d'espions.
Les journalistes du NYT ont visité «un centre nerveux secret de l'armée ukrainienne». Ils y ont été accueillis par l'un des principaux responsables des services de renseignement. Ce général ne s'en cache pas : «la base est presque entièrement financée, et en partie équipée, par la C.I.A». À «Cent dix pour cent» précise-t-il. Le New York Times souligne que «ce partenariat en matière de renseignement entre Washington et Kiev est l'un des piliers de la capacité de l'Ukraine à se défendre».
Selon un responsable européen (qui a gardé l'anonymat), il ne s'agissait pas seulement d'aider, mais de «contrôler» l'Ukraine. (LCI, L. 26 février 2024)
Deux personnages joueraient un rôle essentiel. William Burns et Kyrylo Budanov (RFI, L. 26/02/2024).
W. Burns (directeur de la CIA) qui en est, depuis 2022, à sa 10ème visite en Ukraine le J 22 février 2024. Diplomate, polyglotte, ancien ambassadeur en Russie et en Israël, W. Burns est un acteur majeur dans le conflit.
K. Budanov, le chef de renseignement militaire ukrainien. Le NY Times révèle qu'il a été formé par la CIA, membre de l'unité 2245 encadrée par l'Agence.
Les seules questions qui vaillent et sur laquelle le NYT, ni d'ailleurs les médias qui le relaient, ne s'attarde pas est celle-ci : sachant que les informations sensibles sur les opérations militaires en Ukraine sont frappées du secret le plus hermétique, qui a fait fuiter les informations sur la participation de la CIA au conflit ukrainien et quels sont les réels objectifs de cette publication ?
La présence en Ukraine de combattants étrangers n'est pas révélée officiellement mais elle n'est niée par personne.
La Légion internationale pour la défense territoriale de l'Ukraine est une unité militaire de la légion étrangère volontaire de la force de défense territoriale ukrainienne créée par Kiev à la demande du président Volodymyr Zelensky pour combattre lors de l'invasion russe de l'Ukraine.
Le 6 mars 2022, selon le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba, plus de 20 000 personnes de 52 pays se sont portés volontaires pour se battre pour l'Ukraine ; plusieurs milliers d'autres auraient rejoint les rangs après cette annonce. Il n'a pas mentionné le nom des pays d'origine des volontaires, affirmant que certains pays interdisent à leurs citoyens de se battre pour d'autres pays.
Conçue sur le modèle des «brigades internationales» qui avaient en 1936 combattues pour la République en Espagne, la formation de la Légion internationale prend racine sur les bataillons de volontaires ukrainiens utilisés au début de la guerre du Donbass en 2014.
Bien que ces unités aient été officiellement intégrées à l'Armée ukrainienne, certaines unités telles que la Légion géorgienne jouirent d'une certaine autonomie au sein des forces armées. Naturellement, aucun pays, ni la France, ni l'Allemagne, ne reconnaîtrait ces combattants comme missionnés par eux.
Londres vient de concéder que des opérateurs britanniques sont sur le terrain pour assister et non pour combattre.
On devine que les armements concédés à l'Ukraine sont suivis avec une attention particulière à la fois pour aider les Ukrainiens à bien s'en servir mais surtout pour éviter de voir des armements disparaître dans la nature, dans un pays connu pour sa corruption «exemplaire».5
Le contexte explique le texte.
Deux séries de raisons expliquent l'intervention du président français.
1.- La fin de la «contre-offensive» ukrainienne.
L'état des rapports de forces sur le terrain n'est pas favorable à l'Ukraine et à ses soutiens.
Cogitée à la fin de l'année 2022, elle devait bouter l'armée russe d'Ukraine et aboutir in fine à la chute du régime poutinien à Moscou.
Un armement considérable a été fourni à l'Ukraine. La réalisation devait débuter au printemps 2023 mais ne commencera réellement qu'au début de l'été. Mais, très vite, le constat de l'échec est avéré.
Le Sommet de Vilnius sera le théâtre de controverses violentes entre alliés. Les Ukrainiens accusent leurs alliés de leur avoir chichement comptés leur soutien.
Les Occidentaux accusent les Ukrainiens d'incompétence militaire et stratégique pour avoir dispersé leurs efforts et concentré leurs actions sur des cibles mineures loin de ce qui avait été convenu.
L'échec ne sera reconnu officiellement qu'à l'automne 2023.
Le président ukrainien explique benoîtement à ceux qui veulent bien écouter un homme qui tient la scène sans s'épuiser depuis deux ans, que la cause de l'échec vient de ce que les services secrets russes ont subtilisé les plans d'attaque avant le début des opérations.
La polémique est aujourd'hui atténuée par l'urgence.
Et l'urgence c'est l'endiguement de l'avancée irrésistible des armées russes sur tout le front, de Zaporijia à Kharkov.
Les petits hameaux, villages et petites villes, autant de fortins imprenables construits depuis 2014, tombent les uns après les autres.
1.1.- L'échec des opérations militaires occidentales en Ukraine est désormais reconnu de toutes les parties. La crise ukrainienne visait un échec militaire russe relativement rapide suivi d'une chute du régime à Moscou. Un collapsus envisagé similaire à celui qui entraîna la chute de l'Union Soviétique.
1.2.- Ni le soutien militaire multiforme intense, ni l'avalanche de sanctions qu'aucun pays dans l'histoire n'a subi n'ont produit d'effet.
1.3.- Mieux : en deux ans de ce traitement la Russie n'a subi que des effets mineurs. A l'évidence, ce pays s'était préparé aux réactions de ses ennemis : réorganisation de son commerce extérieur, réaffectation de ses ressources intérieures...
Le «poison long» régulièrement rappelé par les médias occidentaux, bien qu'il soit difficile d'anticiper l'état futur de l'économie et de la société russe, fait de plus en plus figure de mythe.
1.4.- Malgré les alertes sur l'état de la «démocratie» en Russie, tous les observateurs conviennent que la réélection de V. Poutine dans quelques semaines est chose acquise. Ses indices de popularité font pâlir de jalousie la plupart des chefs occidentaux aux affaires.
Les stocks occidentaux sont en voie d'épuisement. La production d'armes et de munitions est bloquée à la fois par des contraintes industrielles et logistiques mais aussi par des questions de financement. Les question demeurent les mêmes : qui va payer et comment payer ?
Le lancement d'une «économie de guerre» que des politiques superficiels appellent de leurs voeux, fait face à un endettement mondial considérable (déjà creusé par une financiarisation accrue d'une économie ultralibérale) et à des déficits publics aggravés à la fois par les normes des traités et des banques centrales et les hausses successives des taux d'intérêt. Tout cela, consécutivement à une crise pandémique qui a considérablement affaibli les ressources publiques et privées.
1.5.- Une enveloppe d'aide pour l'Ukraine de quelque 60 milliards de dollars est pour l'heure bloquée par des élus républicains de la Chambre des représentants dont le président Mike Johnson, s'est refusé à la soumettre au vote.
Les déboires de l'actuel locataire de la Maison Blanche expliquent que les Etats-Unis, paralysés politiquement, ne sont plus capables d'apporter leur aide à l'Ukraine.
1.6.- Ceci expliquerait la multiplication d'accords bilatéraux pour des partenariats de sécurité sur le long terme.
Ces accords font suite aux engagements qui avaient été pris en format G7 en marge du Sommet de l'OTAN à Vilnius en juillet 2023.
- Le Royaume-Uni a été le premier à conclure un tel accord lors d'une visite du premier ministre Rishi Sunak à Kiev le 12 janvier.
- Allemagne et France : vendredi 16 février 2024. Déplacement de V. Zelensky à Berlin puis à Paris.
- Canada : 24 février Premier ministre canadien Justin Trudeau, en visite à Kiev.
- Italie : 24 février Première ministre Giorgia Meloni est également en déplacement en Ukraine.
2.- La tactique du «chat mort».
Les professionnels de la diversion politico-médiatique s'en donnent à coeur joie.
On s'est beaucoup gaussé du comédien que l'Ukraine a élevé à la plus haute des fonctions. Pas un jour, depuis deux ans, ne passe sans que V. Zelensky n'escamote de ses apparitions médiatiques, de sa voix monocorde et nasillarde, la réalité des abominations que subissent son pays et ses habitants.
La dimension médiatique de l'action politique est un fait, surtout depuis l'intrusion de la technologie qui en démultiplie les effets. Mais, contrairement à ce qui en est attendu, la performation des discours est inversement proportionnelle à leur efficacité.
La parole ne porte plus l'action politique. Elle en révèle l'impuissance.
La France est en tête des pays qui parlent le plus, mais au premier rang de ceux qui aident le moins.
Rien de neuf depuis au moins trois législature. Avant E. Macron, Nicolas Sarkozy avait usé et abusé du «carpet bombing», multipliant ses apparitions pour cacher ce que les tribunaux révèleront des années après devant lesquels il a passé le plus clair de son temps. Cela ne l'a pas empêché de continuer dans les coulisses à agir sur la politique de son pays.
Face au naufrage médiatique de sa visite chaotique du samedi 25 février au Salon de l'agriculture, chahuté, sous les sifflets et les appels à la démission, E. Macron aurait-il cru opportun d'ouvrir un autre front lundi pour faire oublier celui du samedi ? A-t-il été bien conseillé ? Il lui est si souvent arriver de jouer la scène internationale (qui ne lui a pas toujours réussie) contre son impopularité chronique sur le plan national.
A ce jeu E. Macron a un autre prédécesseur, l'ancien premier ministre anglais.
L'inénarrable Boris Johnson, ancien premier ministre britannique a remis au goût du jour un vieux procédé à l'usage des politiques inutiles sous le sobriquet «dead cat strategy».6
Depuis des décennies, les Zelensky sont partout au pouvoir en Europe.7
Tout cela devrait rassurer les hommes politiques français alarmés des déclarations bruyantes de leur président.
E. Macron n'a aucunement l'intention d'envoyer qui que ce soit en Ukraine. Il n'en a ni les moyens ni la volonté. Certes, la Constitution de la Vème République lui confère un pouvoir virtuel qu'aucun chef d'Etat occidental ne possède, mais cela ne suffit pas à déclencher une guerre mondiale.
Ni la situation économique et sociale, budgétaire, financière française, ni même sa puissance militaire.
1.- La France n'a pas les moyens d'intervenir. Il en est des soldats français comme des obus qu'ils fabriquent pour l'Ukraine : autour de 3 000 obus de 155 mm par mois alors que les Ukrainiens en consomment 5 000 par jour et les Russes entre 10 000 et 20 000.
Fin 2024 «J'ai bon espoir qu'on soit capable de faire 4000 à 5000 par mois», a déclaré Sébastien Lecornu, le ministre français des Armées lors d'une audition devant l'Assemblée nationale. Il a rappelé qu'au début de la guerre en Ukraine, la France en produisait un millier par mois avant de passer à 2.000 l'an passé. «Depuis ce mois de février, nous en sommes à 3.000 par mois. La pente est bonne, mais objectivement, c'est encore trop faible», a-t-il reconnu, pointant du doigt le problème de la disponibilité de la poudre et l'organisation des lignes de production.
3 000 obus français par mois, quelques heures de combat, une peccadille.
Le vrai «patron» et ses vassaux.
Le conflit ukrainien est une propriété exclusive des Etats-Unis. Ils sont seuls aux commandes. Les dirigeants européens donnent le change à leurs citoyens en leur faisant croire qu'ils participent d'un forum qui n'existe pas. Même les Britanniques jouent à se croire proches de Dieu à rappeler depuis W. Churchill des «special relationship» imaginaires.
De la co-décision le général de Gaulle a fait son deuil très tôt, lorsque MacMillan lui a transmis les propositions de Kennedy à propos des missiles Polaris (décembre 1962) que les Etats-Unis se proposaient de céder comme une cage pour enfermer ses alliés et leur souveraineté.
La France n'a plus les moyens politique d'une décision de cette nature. A partir du moment où elle est entrée dans l'OTAN et placé ses forces armées sous commandement américain, la France a rejoint la situation de la Grande Bretagne de MacMillan dont le Général a tout fait pour l'en préserver.
Il s'ensuit que le pouvoir de décider de la guerre et de la paix n'est pas entre les mains de l'Elysée, ni d'ailleurs dans les mains d'aucun pays européen. le sort de l'Europe échappe aux Européens, sans volonté, ni moyens.
Le problème est que si demain le conflit ukrainien dégénérait, ils seraient aux premières loges.
Les atlantistes européens n'osent pas en débattre publiquement mais ils doutent tous secrètement du caractère automatique et protecteur de l'article V de l'Alliance.
Tous les Européens savent ce qu'il en est réellement des dispositions de sécurité collective inscrite dans leurs traités.
Leur subordination au Traité de l'Atlantique Nord les réduits à des formules rhétoriques sans portée ni protection réelle. Il est un fait que la défense européenne n'existe pas. Il est un fait que la protection de l'Europe est exclusivement et unilatéralement une affaire américaine.
Ces réflexions débouchent sur une question essentielle.
La «vraie» question et sa réponse.
Si les Etats-Unis domine sa «coalition», la Russie est seule maîtresse de la belligérance qui lui est opposée. Explications :
De notoriété publique, il y a bel et bien belligérance étrangère contre la Russie dans le conflit ukrainien et cela depuis bien avant le «coup d'Etat de Maidan».
La question cependant doit être approchée autrement. Ce ne sont pas les Etats-Unis, et encore moins les Européens, qui décideront de savoir s'il y a ou non ingérence mais bien la Russie qui agira en conséquence si la sécurité du régime est menacée.
Le «seuil de belligérance» avancé par le ministre français des affaires étrangère est artéfact lexicologique qui renvoie à un pouvoir de définition et de décision qui ne lui appartient pas.
C'est à cette question que faisait allusion avec légèreté le président français à l'issue de la Conférence de Paris.
«Beaucoup de gens qui disent Jamais, jamais' aujourd'hui étaient les mêmes qui disaient Jamais des tanks, jamais des avions, jamais des missiles à longue portée' il y a deux ans». «Ayons l'humilité de constater qu'on a souvent eu six à douze mois de retard. C'était l'objectif de la discussion de ce soir : tout est possible si c'est utile pour atteindre notre objectif».
C'est cela que redoutent les Etats-Unis qui avancent au coup par coup en mesurant le danger de ce que leurs interventions produisent chez l'ennemi et à partir de quand un seuil, une limite, un bord sera franchi et dont ils ne seront peut-être pas avertis...
Les Européens sont très intéressés par cette réponse. Ils le sont pour une raison très simple. Ils seront au premier rang des conséquences d'une décision qui ne leur appartient pas.
Encore des questions.
1.- L'Amérique prendrait-elle le risque d'attaquer la Russie si celle-ci décidait d'envoyer une bombe atomique sur Kiev ? Sur Varsovie ? Sur Paris ?...
A partir de quel moment, les Etats-Unis prendraient-ils le risque voir annihilé NY ou Washington ?
Le déchirement nationaliste entre Européens est notoire. La Russie le sait. Les Etats-Unis le savent. Les Européens le savent aussi.
2.- Qu'en serait-il de la Chine, de l'Inde, du Pakistan... et des autres pays du monde ?
C'est pourquoi toute cette affaire est une histoire de chat crevé.
Notes:
1- Cf. Abdelhak Benelhadj : « Tuer Poutine. » Le Quotidien d'Oran, 05 octobre 2023.
2- https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2024/02/27/conference-de-soutien-a-lukraine. La Conférence a réuni les représentants de 27 Etats avec 21 chefs d'Etat et de gouvernements.
3- O. Techynskyi, A. Solodounv et D. Stoykov ont consacré un documentaire instructif au coeur des événements en 2014. « Kiev en feu. Maïdan se soulève », 80 mn. Diffusé par ARTE le lundi 16 février 2015.
4- Adam Entous et Mickael Schwirtz : « La guerre des espions : comment la CIA aide secrètement l'Ukraine à combattre Poutine. » https://www.nytimes.com/2024/02/25/world/europe/cia-ukraine-intelligence-russia-war.html
5- En 2005, le film « Lord of war » dont l'action -ce qui n'est pas un hasard- se déroule en Ukraine, fait une description d'entomologiste d'une économie de la guerre et de la corruption qui n'est guère éloignée de la réalité. A recommander aux victimes des guerres médiatiques entreprises pour la défense de la « liberté », de la « démocratie » et des « valeurs morales ».
6- « BoJo » avait exposé cette stratégie dans une tribune publiée dans le Telegraph (D. 03 mars2013). Généralisée, « c'est une stratégie de communication qui a recours aux techniques d'indexation du SEO (Search engine optimization). De l'e-reputation », explique Théophile Ordinas, un expert consultant en SEO. « B. Johnson utilise la stratégie bien connue de l'enfouissement'. L'objectif est de faire désindexer certains résultats que l'on trouve en haut de page sur Google. Plus il y a de contenus sur un sujet, mieux on peut les ranker (positionner) ». https://www.20minutes.fr (V. 26 juillet 2019).
7- Cf. A. Benelhadj : « LA NATION INDISPENSABLE'. D. Trump rappelle aux vassaux de l'Amérique qui est le patron du monde libre' ». Le Quotidien d'Oran, 15 février 2023.
par Abdelhak Benelhadj
eudi 29 février 2024
https://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5328091
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