Un seul héros, le peuple.
Dans son nouveau livre, Abdelkrim Tazaroute sollicite plusieurs cinéastes et réalisateurs algériens pour des questions autour du cinéma algérien : a-t-on produit assez de films autour de la guerre de Libération nationale ? Pourquoi les héros de ces films de guerre étaient-ils des anonymes ? A partir de quand et comment le cinéma algérien s’est-il intéressé aux biopics mettant en lumière les grands noms de la résistance algérienne ?
Le journaliste apporte des éléments de réponse et donne la parole à des professionnels du cinéma algériens : Ahmed Bedjaoui, Boukhalfa Amazit, Mohamed Foudil Hazourli, Saïd Mehdaoui, Saïd Ould Khelifa, Nasreddine Ghenifi, Mustapha Mangouchi, Ahmed Benkamla. Certains de ces cinéastes ont tiré leur révérence depuis l’écriture de ce livre.
Dans la dernière partie de son ouvrage, l’auteur évoque le parcours de ces hommes et femmes du 7e art qui nous ont quittés récemment (Yacef Saâdi, Cherif Aggoune, Saïd Hilmi, Ahmed Benaïssa, Nasreddine Guenifi...).
Le Centre national du cinéma algérien est créé en 1964. Une si jeune paix, une fiction de Jacques Charbi marque le début de la production cinématographique suivi par L’Aube des damnés, un long métrage documentaire d’Ahmed Rachedi et par La nuit a peur du soleil de Mustapha Badie. Abdelkrim Tazaroute constate qu’il y a eu peu de productions cinématographiques dédiées à la guerre de Libération nationale. «Le nombre de films ne dépasse pas la dizaine et pourtant des voix ont crié au scandale comme si c’était un crime que de mobiliser les moyens de production pour la réalisation de longs métrages qui retracent l’épopée algérienne et l’Algérie combattante.»
Les premiers films algériens portant sur la guerre de libération avaient tous pour héros le peuple. «Les héros n’avaient pas de nom. Ils étaient vaillants, courageux et n’avaient aucun défaut. Cette image a été tellement véhiculée dans la filmographie algérienne que la mémoire collective est incapable de citer un seul héros de la guerre de libération. On parlera volontiers de Ali Mout Waquef, héros du film L’Opium et le Bâton d’Ahmed Rachedi, sans savoir ce qu’il représente hors de cette fiction.»
Il aura donc fallu attendre 45 ans après l’indépendance, pour voir un film dédié à un chef historique de la guerre de libération : Ben Boulaïd d’Ahmed Rachedi sorti en 2008, suivi de Zabana de Saïd Ould Khalifa, en 2012. Dans un chapitre intitulé «L’humour pour dédramatiser», le journaliste aborde la question des films ayant inclus dans leur trame la dimension humoristique, tels que Omar Gatlato (Merzak Allouache), Hassan Terro (Mohamed Lakhdar Hamina), Le Clandestin (Benamar Bekhti), Les folles années du twist (Mahmoud Zemouri).
Pourquoi tant de films ayant traité de la guerre de libération ont porté à l’écran des héros anonymes ? Abdelkrim Tazaroute écrit : «La Bataille d’Alger est sans conteste le film le plus représentatif des productions que nous pouvons classer dans la catégorie un seul héros le peuple. Il s’agit d’un haut fait de la guerre de Libération nationale avec ses héros, son quartier mythique la Casbah, ses héros, Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane, Yacef Saâdi, Hassiba Ben Bouali, Ptit Omar, les poseuses de bombe. Pourtant, le film reste silencieux sur les noms de ces héros nationaux.»
Il a fallu attendre le début des années 2000, pour que les héros de la révolution sortent de l’anonymat à la faveur du tournage de biopics. «En effet, c’est en 2008 que le cinéaste Ahmed Rachedi réalisa Ben Boulaïd. Ce film sera suivi par Zabana de Saïd Ould Khaklifa, puis de Krim Belkacem et Lotfi d’Ahmed Rachedi.» D’autres cinéastes ont continué sur la lancée à l’instar de Djaffar Gacem avec Héliopolis, Bachir Derraïs Ben M’hidi...
Dans la deuxième partie de son livre, Abdelkrim Tazaroute présente aux lecteurs quelques films dédiés à la guerre de Libération nationale : La Bataille d’Alger, Hassen Terro, Patrouille à l’Est, Tahiaya Didou, Chroniques des années de braise, Ben Boulaïd... A propos du biopic Zabana de Saïd OuldKhelifa sorti en 2012, il note : «Le film se poursuit dans les geôles de Sarkadji avec notamment la rencontre de Zabana et de Ali Zamoum (...) des séquences de torture avant d’atteindre le pic, fort en intensité émotionnelle avec la séquence de l’exécution du héros Zabana, les scènes de la veuve, qui ne fonctionne pas à deux reprises, ce qui logiquement devait conduire automatiquement à une grâce et enfin la furtive rencontre de l’avocat de Zabana avec les responsables de la révolution qui promettent de venger la mort de leurs frères Zabana et Ferradj, guillotinés.»
La dernière partie de «L’image du héros» est un hommage aux acteurs, cinéastes et réalisateurs disparus : Keltoum, Chafia Boudraa, Yamina Bachir Chouikh, Brahim Tsaki, Rachid Fares, Rouiched, Sid-Ali Kouiret, Moussa Haddad, Hassan Hassani, Cherif Aggoune, Saïd Hilmi, Lyazid Khodja, Farouk Beloufa...
Ce livre est préfacé par Ahmed Bedjaoui. Il est illustré par de nombreuses photos de films, en noir et blanc.
Abdelkrim Tazaroute est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la musique et le cinéma. Il a également signé un roman, trois documentaires et un court métrage fiction.
Soraya Naili
Cinéma algérien et guerre de Libération nationale. L’image du héros. Abdelkrim Tazaroute. éditions Anep. 2023.129
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