À l’occasion du centenaire de sa première publication, la mise en dessin du Prophète par Zeina Abirached renouvelle le regard sur un texte érigé en grand classique. L’approche graphique en noir et blanc caractéristique de l’autrice et illustratrice franco-libanaise accentue la dimension universelle du conte philosophique d’un poète intemporel.
Zeina Abirached/Seghers
Bien peu de textes publiés par un auteur arabe ont connu la fortune du Prophète depuis 1923, sa date de parution. Si Khalil Gibran était né en 1883 dans l’actuel Liban et avait une production littéraire en arabe, c’est en langue anglaise que sort son ouvrage le plus fameux, publié à New York. Depuis, il s’en est vendu des dizaines de millions d’exemplaires. Le court texte a été traduit dans une quarantaine de langues et, dit-on, les tirages actuels approcheraient ceux de la Bible dans nombre de pays.
Volontiers mobilisé lors des cérémonies religieuses pour son caractère œcuménique, la capacité de ce conte à évoquer les choses de la vie, de l’amour à l’éducation en des termes simples et à coup d’aphorismes poétiques sied bien à des sociétés touchées par la sécularisation et la mise à distance des Églises de toutes sortes. Le discours de Khalil Gibran est compatible avec la religion, fondé sur une forme de syncrétisme. Il est en même temps comme désincarné, indépendant des textes canoniques monothéistes ou des religions dites d’Asie orientale, et particulièrement accessible dans sa formulation. C’est pourquoi Le Prophète est fréquemment associé à la vague New Age, mais trouve aussi sa place dans les rayons de développement personnel des librairies.
INCARNER LE CONTE
L’un des attraits de la démarche illustrée de Zeina Abirached réside dans le rattachement du texte à une esthétique et à des images. De longue date, certaines éditions employaient des illustrations, enluminures ou peintures, en particulier réalisées par Gibran lui-même. Mais celles-ci renforçaient alors, par exemple à travers le recours à des pastels, la dimension éthérée du propos.
À bien des égards, le dessin d’une grande sobriété graphique de Zeina Abirached renvoie Le Prophète à un espace géographique, manifestement « oriental », toujours atemporel. Il valorise ainsi un récit dont la trame, certes extrêmement dépouillée, est ailleurs négligée. Certaines références architecturales yéménites, la quma omanaise sur la tête du Prophète, les dhow, navires du golfe Arabo-Persique, ou encore les turbans des clercs circonscrivent l’espace sans effacer la dimension imaginaire et universelle du texte. Les grands aplats de noirs, les pages sobrement illustrées tout comme le caractère répété de certains motifs de vagues, nuages ou ciels étoilés invitent à l’introspection, laissant le temps et l’espace pour apprécier la prose de Gibran.
UN PUBLIC EN QUÊTE D’OPTIMISME
Le héros Almustafa (soit « l’élu » en arabe, surnom utilisé pour désigner Mohammed en référence à la tradition islamique, par un auteur de culture chrétienne) est un étranger échoué sur une île pendant de longues années. Avant son départ définitif, il livre à ses habitants ses principes philosophiques empreints de nuance, de tolérance et de respect.
Horace Vernet (1789 – 1863) est le peintre favori de Louis-Philippe lors de la Monarchie de juillet (1830-1848). Avec la conquête de l’Algérie, il lui commande entre autres le tableau magistral « La prise de la smala d’Abdel Kader » et les Salles africaines du Château de Versailles. Artiste officiel, grand voyageur, il traverse le siècle, romantique à ses débuts puis peintre d’histoire avec un talent de narrateur. Certains le considéraient comme « l’Alexandre Dumas de la peinture ».
A découvrir dans une rétrospective de 200 œuvres exposé au Château de Versailles dans les Salles d’Afrique et d’Italie jusqu’au 17 mars 2024
Né au Louvre dans une famille de peintres de cour, son grand-père, Joseph Vernet est peintre de marine sous Louis XV connu pour ses ports de France, et Carl, son père chez qui il fait son apprentissage est peintre militaire sous l’Empire. Apprécié par Napoléon et sa famille, Horace devient romantique lors de la Restauration, très lié à Théodore Géricault et commence sa carrière comme directeur de l’Académie de France à Rome en 1829. Un poste très prestigieux où il peint Le Pape Pie VIII porté à la basilique Saint-Pierre, (1829, Château de Versailles) à l’origine destiné à Charles X. Lorsque Louis Philippe accède au pouvoir, il lui commande Louis Philippe quitte le Palais royal pour se rendre l’Hôtel de Ville, le 31 juillet 1830 (1832, musée national du château de Versailles et de Trianon). Il est dès lors son peintre officiel.
La conquête de l’Algérie au château de Versailles
En 1830, Vernet effectue son premier voyage en Algérie. A partir de 1832, à la demande de Louis-Philippe, il y retourne régulièrement et réalise en six ans les neuf grandes toiles des trois salles d’Afrique du château de Versailles. Neuf toiles qui documentent l’avancement des troupes françaises et leurs succès militaires sous les ordres des fils du Roi jusqu’à la conquête finale en 1848. Entre autres, la prise de la smala d’Abdel Kader par les troupes françaises conduite par le jeune Duc d’Aumale le 16 mai 1843 (1843-45) qui glorifie l’armée française dans une toile de 21 mètres de long et près de 5 mètres de haut.
En 1837, après leur présentation au Salon, les toiles sont installées définitivement dans les trois salles d’Afrique du Château de Versailles, celle de Constantine (photo), de la Smala et du Maroc qui sont exceptionnellement ouvertes. En effet les 3 salles africaines qui étaient jusqu’à présent occupées par les expositions temporaires, pourraient être désormais accessibles en permanence
Des écrans géants
Dans ces formats immenses, Vernet représente davantage la vie militaire et ses bivouacs que la bataille. Le pittoresque prend le pas sur le drame. La Prise de Tanger, restée inachevée du fait de la Révolution de 1848, est présentée pour la première fois au public. Elle est révélatrice de sa manière de travailler. Il commence par un point ou un côté puis continue jusqu’à couvrir la toile. « C’est sans doute cette totale présence de l’artiste dans son sujet qui lui permet d’y insuffler une telle vie, avec un instinct du décor et de la dynamique des figures qui anticipe véritablement le cinématographe. Les grandes toiles de la conquête de l’Algérie sont des écrans géants faits pour des travelings étourdissants » pour Laurent Salomé, Directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Sa manière deviendra plus dramatique pour les commandes de la guerre de Crimée en 1853 qui opposait la Russie à une coalition anglo-franco-ottomane.
Orientalisme et imaginaire colonial
Au-delà de ces grandes batailles, il alterne dans une veine orientaliste les sujets civils et religieux. Grand chasseur, avec La Chasse au lion au Sahara, 1836, (photo, Londres, Wallace collection), il associe dans un genre plus anecdotique l’exotisme et la violence du combat. Les hommes capturent les lionceaux avant de tuer la lionne. Avec Agar chassé par Abraham, 1837 (photo,Nantes, Musée des Arts), il reprend les vêtements des bédouins pour représenter des personnages bibliques et en fait dans un livre (Des rapports qui existent entre le costume des anciens hébreux et celui des arabes modernes, 1837) une théorie qui fit scandale à l’Académie des Beaux Arts. Dans Première messe en Kabylie, 1854, Lausanne, musée cantonal des Beaux Arts,il réunit l’armée française et les autochtones. Une messe qui aurait réveillée sa foi.
Ayant acheté des terres en Algérie, il y revient jusqu’en 1862 avec un long séjour de 2 ans en 1855. Il voyagera aussi en Angleterre, en Italie pour plusieurs séjours, en Russie en 1836 et 1843, à Berlin en 1838, à Malte, en Egypte en 1839 et en Crimée en 1854.
Roman royal et pillage de l’Algérie
Louis Philippe ouvre en 1837, dans une perspective de réconciliation nationale et voulant inscrire son règne dans l’histoire, la Galerie des Batailles, un musée de l’Histoire à « toutes les gloires de France » de Tolbiac en 496 à Wagram en 1809. Vernet y reçoit 3 commandes en plus de celle le représentant avec ses cinq fils sortant par la grille d’honneur de Versailles après avoir assisté à une revue militaire le 10 juin 1837. Lors des opérations militaires en Algérie, certains officiers polytechniciens font des recherches sur les ruines romaines. Une Commission scientifique créée en 1839, s’inspirant de l’expédition d’Egypte de Bonaparte, réunit des antiquités qui sont placées au Louvre à côté des antiquités égyptiennes dans le Musée algérien inauguré par le Roi Louis-Philippe en 1845. Le Duc d’Orléans, fils aîné de Louis Philippe, envisage de transporter l’arc de triomphe romain de Djemila érigé en 216 en l’honneur de Caracalla pour l’installer à Paris entre l’Arc du Carrousel et la place de la Concorde. Le projet fut abandonné à sa mort en 1842. Dès 1858, sont créés dans chaque ville, des musées municipaux et le musée algérien au Louvre sera fermé en 1895 après des débats houleux autour du dépouillement de l’Algérie, de la qualité des pièces et des difficultés de les entretenir dans des musées locaux.
Français par la langue, algérien par le coeur, Albert Camus n'a jamais cessé d'aimer le pays qui l'a vu naître. Nous explorons dans cette émission les liens qui unissaient l'écrivain avec l'Algérie, cette Algérie qui était, pour lui, une perpétuelle fête des sens, un perpétuel été.
Pour cette émission nous sommes en compagnie de Martine Mathieu-Job, professeure émérite à l’université de Bordeaux, auteure de nombreuses études sur Camus. Elle a écrit dans le « Dictionnaire Albert Camus », paru aux éditions Robert Laffont en 2009, où elle a signé notamment l'entrée « l’Algérie ».
Martine Mathieu-Job nous parle du lien très fort qui unit Albert Camus à sa terre natale, sensible dans des recueils de nouvelles comme Noces ou L'Été. Pour explicite qu'il fut, on n'a pas toujours bien mesuré la profondeur du sentiment algérien qui habitait Camus, visible dans ses carnets publiés après sa mort.
L'une des chances principales, l'une de celles que j'ai considérée comme étant la principale, est justement le fait d'être né en Algérie. J'ai eu l'occasion de dire que je n'avais rien écrit qui de près ou de loin ne se rattache à cette terre, en l'occurrence je n'ai exprimé qu'une chose que je sens profondément et depuis longtemps. Je dois à l'Algérie non seulement mes leçons de bonheur mais, et ce ne sont pas les moindres dans une vie d'homme, je lui dois mes leçons de de souffrance et de malheur. (Albert Camus)
Si Camus, à titre personnel, a toujours revendiqué une appartenance très fusionnelle à l'Algérie, la décolonisation va mettre en question cette relation. Camus, enfant du pays, ou enfant de la métropole colonisatrice ? Écrivain pied-noir, ou écrivain authentiquement algérien ? Lue au prisme des problématiques coloniales, l'œuvre d'Albert Camus révèle à la fois son progressisme à l'époque où toute une littérature s'emploie encore à justifier la domination française sur ses colonies, mais aussi ses manques, ses non-dits et ses doutes.
Comment l'écriture pourrait-elle retisser le lien entre des communautés que la colonisation a séparées ?
Il y a un monde cosmopolite qui est justement celui qui forme le tissu social que Camus aime et dont il se sent proche. Même parmi les Européens c'est fait de tissages, de brassages et ce qu'il aurait voulu, ce qu'il espérait, c'est une Algérie qui puisse justement conjuguer ces différences et les rendre compréhensives les unes envers les autres. (Martine Mathieu-Job)
A travers les failles de l'œuvre et de la pensée, dont l'écrivain avait conscience, se pose la question de leur réception d'un côté et d'autre de la Méditerranée, question à laquelle Martine Mathieu-Job nous aide à répondre.
Vous retrouverez en fin d'émission la chronique de Maialen Berasategui, journaliste littéraire (Lire le magazine littéraire). Elle nous présente Biribi, l’ouvrage que l’historien Dominique Kalifa a consacré aux bagnes militaires français et qui explore un autre versant, moins connu, de la présence française en Algérie.
MUSIQUE GÉNÉRIQUE (début) : Panama, de The Avener (Capitol) MUSIQUE GÉNÉRIQUE (fin) : Nuit noire, de Chloé (Lumière noire)
Mercredi 23 septembre 2020
Maialen Berasategui Journaliste littéraire
Martine Mathieu-Job Auteure, professeure de littératures francophones émérite à
Voilà plus de 30 ans que Nina Bouraoui construit une œuvre littéraire singulière, où les questions de l’exil et de l’identité côtoient celles du désir et la sexualité. Alors qu’elle publie un nouveau roman et que paraît un recueil de courts textes, elle revient sur une vie consacrée à l’écriture.
Aujourd’hui, nous partons à la rencontre de la romancière Nina Bouraoui. Ironie du sort, Bouraoui signifie "fils/fille d’un raconteur" ou encore "celui qui raconte" en arabe… Elle passe les quinze premières années de sa vie en Algérie, pays dont elle ne possède ni la langue ni la culture. À l'âge de quatorze ans, sa famille décide brutalement de ne plus retourner en Algérie, et s'installe à Zürich, puis à Abou Dhabi. Elle retourne régulièrement en Bretagne dans sa famille maternelle et s'installe à Paris après son baccalauréat pour étudier la philosophie et le droit. Prise entre deux pays, entre deux identités, enfant sauvage et peu loquace, elle trouve dans l'écriture le moyen de se délivrer des fantômes qui la hantent. Ses romans, depuis le premier La Voyeuse interdite (Nina Bouraoui a alors 24 ans !) - récompensé par le prix du Livre Inter en 1991 - jusqu'à Poupée bella en 2004, parlent de l'Algérie, de son enfance, de la violence, de la difficulté d'être une femme dans un pays de contrastes et de contraintes. Elle prend de l'assurance, épure son style à coup de phrases d'un seul mot, violentes, âpres et envoûtantes. Ce "langage du corps", Nina Bouraoui le construit par petites touches d'émotion brute, en véritable peintre des sensations. Le 3 novembre 2005, elle obtient le prix Renaudot pour son dernier roman Mes mauvaises pensées (Stock) dans lequel on retrouve ses auteurs préférés et admirés, comme Hervé Guibert, Annie Ernaux ou Violette Leduc. Dans Nos baisers sont des adieux (2010) elle dresse "la liste des hommes, des femmes, des images, des sensations, des œuvres d’art qui ont construit la personne que je suis." Nina Bouraoui publie Grand Seigneur (JC Lattès), un texte singulier, émouvant, qui est l'un des plus attendus de cette rentrée littéraire, sur comment son père l'a construite. Elle sort aussi un recueil de vos textes courts, de 1999 à 2022, sous le titre Le désir d’un roman sans fin. Elle sera aussi mercredi 31 janvier, à 19h, à la Maison de la Poésie, à Paris, pour une rencontre suivie d'une séance de dédicace. Enfin, Nina Bouraoui est la figure invitée de la B!ME, biennale des musiques exploratoires du GRAME, à Lyon, du 6 au 29 mars, dans ce cadre est créé l'opéra Otages, d'après son roman. Autant d'occasions pour recevoir Nina Bouraoui et voir comment elle explore la domination sous toutes ses formes.
"Je suis restée aveuglée par la beauté de l'Algérie"
Le nouveau livre de Nina Bouraoui s’intéresse aux derniers jours de son père, dans la Maison médicale Jeanne Garnier. Avant d’être le Grand Seigneur du titre, il a d’abord été "l’Oiseau Rare", premier de sa classe à Vannes, où sa famille l’avait exfiltré, depuis l’Algérie. Le proviseur de son lycée le recommande au doyen de la faculté de Rennes, il obtient la bourse des étudiants les plus méritants de France, travaille beaucoup, milite pour l'indépendance de l'Algérie, obtient un doctorat d'économie. En 1960, il rencontre celle qui deviendra la mère de Nina Bouraoui, étudiante en droit, fille de chirurgiens-dentistes, et c’est le début d’un grand amour. Son grand-père côté maternel n'acceptera jamais cette union, qu'il considère comme une trahison. Ses parents se marient à la mairie de Rennes, en 1962, entourés de quelques amis, avant de partir à Alger croisant, si l’on peut dire, les français qui quittent l’Algérie.
Nina Bouaraoui raconte : "Je suis issue d’un couple mixte qui s'est rencontré en pleine guerre d'Algérie. Mon père représente exactement ce que peut offrir la France à un étranger : l'enseignement, le savoir, la connaissance… Et je trouve que son parcours est très beau parce qu'en bon idéaliste, il est rentré dans son pays avec ses diplômes pour tenter de diffuser ses connaissances. Il a gravi les échelons jusqu’à devenir gouverneur de la banque centrale d'Algérie en 1982."
Elle ajoute : "Avec les fonctions qu’il occupait, on lui a souvent reproché d’avoir épousé une Française. Mais il a tenu bon. Et du côté de ma mère, mes grands-parents français ont eu, un mélange de fantasme, de peur, et de beaucoup d'ignorances… Ça a été une guerre terrible".
La mère de Nina Bouraoui avait une telle passion pour l'Algérie qu’elle n’avait de cesse de le faire sillonner à ses filles à bord de sa GS bleue . C'est ainsi que la route de la Corniche, les criques sauvages, l’Atlas, le désert vont marquer l'imaginaire de Nina Bouraoui :
Nina Bouraoui déclare : "Je crois que je suis restée éblouie par la beauté de l'Algérie. C'est une beauté qui est presque violente parce qu'elle est en désordre, il n'y a pas de construction, avec très peu de tourisme. Même si je parle d'un pays que je ne connais plus du tout, je l’ai quitté en 1981. Mais dans les années 70, c'était la beauté des falaises, de la mer et dudésert qui régnait."
L'écrivaine se souvient : "Avec ma mère, on faisait deux treks par an. J'étais assez petite, j'avais 7 ou 9 ans, ma sœur 5 de plus ! Même si mon père ne nous accompagnait pas, il pilotait tout d’Alger ou de Washington. Il nous dégotait les meilleurs guides. Et donc on marchait 25 km par jour pendant 15 jours. On dormait dehors, au creux des falaises, prêt des grottes où il y avait des peintures rupestres. C’est là-bas que j'ai fait ma première expérience avec l’art. Cet épisode m’a beaucoup marqué dans mon destin d’écrivain."
C’est grâce à la littérature que Nina Bouraoui trouve une forme de guide dans la découverte de son homosexualité. Elle lit les Colette. Découvre Le Puits de solitude, de Radclyffe Hall l'histoire d'une châtelaine qui tombe amoureuse d'une infirmière pendant la guerre. Puis, elle découvre Carol, de Patricia Highsmith, qui va devenir son livre de chevet. Ainsi, Nina Baraoui s'accorde avec les propos de Violette Leduc :
"L’autofiction, c'est pour aller vers les autres. Et bien sûr que le récit de soi, c'est un universel. Je trouve que dans la vie, nous sommes commandés par deux choses, par l’amour et la mort."
Elle ajoute encore : "Je n’ai jamais voulu exclure quelqu’un du club de mes livres. Lorsque je raconte l'homosexualité, je ne la raconte pas uniquement pour les jeunes gays ou les jeunes lesbiennes, au contraire ! Je la raconte aussi pour leurs parents et surtout pour les homophobes, pour ceux qui ne savent pas, qui ont peur, qui ne comprennent pas et pire : qui rejettent."
Nina Bouraoui conclut : "Quand on a la possibilité d’apporter de la visibilité à ses causes, c'est un devoir d'écrire dessus. Il y a encore beaucoup d’homophobie dans nos sociétés. Même en France, le nombre d’actes homophobes est exponentiel. Le combat n’est jamais fini. Il ne faut pas s’arrêter là. La littérature est un moyen d’éclairer et de combattre les esprits ignares."
La plus haute juridiction de l’ONU a rendu ce vendredi 26 janvier une première décision sur des mesures urgentes réclamées contre Israël par l’Afrique du Sud qui l’accuse de commettre un «génocide» à Gaza.
On l’aurait parié et gagné, notre Paris sera incessamment sous peu dans le caca de la tête aux pieds. Les agriculteurs en fureur vont tapisser les murs avec leur lisier et recouvrir le sol avec leur fumier.
En direct, colère des agriculteurs : le président de la FNSEA annonce la poursuite de la mobilisation.
Apanage de la diaspora ashkénaze, surtout en Amérique du Nord, les histoires faites d’autodérision que se racontent les juifs se sont évanouies. Serait-ce parce qu’Israël est une très mauvaise blague ? Avec un récit de vie traversé d’histoires savoureuses, Michel Wieviorka raconte « l’âge d’or et le déclin de l’humour juif ».
« Je tiens beaucoup à ma montre, c’est mon grand-père qui me l’a vendue sur son lit de mort » : la blague en exergue de la quatrième de couverture du nouveau livre de Michel Wieviorka La dernière histoire juive résume bien les origines patrimoniales de l’humour juif. Aujourd’hui, fini de rire, les blagues juives se font rares. Le sociologue Michel Wieviorka a jugé l’affaire suffisamment sérieuse pour en écrire un essai.
Quand je travaillais il y a quelques décennies pour un quotidien parisien, plusieurs amis étaient des as des histoires juives, qu’ils partageaient dans les couloirs du journal. La plupart du temps, ils tenaient les meilleures blagues de leurs pères. « Les mères », ces fameuses mères juives en étaient, avec les rabbins et les affaires d’argent, les moteurs comiques. Le livre fantaisiste de Paul Fuks Comment devenir une mère juive en dix leçons fut d’ailleurs un énorme succès à sa sortie en 1979. La farce avait bien pris, comme on dit.
ERNST LUBITSCH ET GÉRARD OURY
Il fut un temps où l’humour juif irradiait la culture mondiale depuis Hollywood avec Groucho Marx ou Ernst Lubitsch et tant d’autres génies comiques. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, à l’exception du film de Joel et Ethan Coen A serious man qui remonte à 2009, l’humour juif semble avoir déserté les écrans. Dans ce film, trois rabbins sont au cœur d’une comédie féroce. Ces personnages pourraient illustrer des préjugés antijuifs, si les réalisateurs n’étaient pas de confession juive. Le moteur de l’humour juif, c’est l’autodérision.
En France il faudra le talent de Gérard Oury et Popeck, tous deux d’origine juive, et bien sûr de Louis de Funès pour tourner en 1973 Les aventures de Rabbi Jacob un sommet de l’humour juif, qui dans d’autres mains aurait facilement pu tourner au pamphlet antisémite. De Funès reconnaitra d’ailleurs que ce tournage avait mis à bas ses préjugés contre les juifs.
Arrivées à Paris avec les juifs de l’est européen, les blagues juives ont connu un rebond dans les années 1950 avec l’arrivée en métropole de juifs sépharades. Oury sera suivi par La vérité si je mens, parfait exercice d’autodérision avec une flopée de comédiens surjouant les clichés. Élie Kakou, ou encore Michel Boujenah s’illustrent dans la même veine. Le quartier parisien du Sentier, rappelle Wieviorka, devient le théâtre principal des blagues juives. Les « ashkés » se moquent des « tunes », ces juifs tunisiens cibles de très nombreuses blagues.
Sociologue à l’esprit visiblement farceur, Michel Wieviorka s’est donc lancé dans l’amusante mission de raconter l’histoire des blagues juives, au moment où leur déclin semble patent pour des raisons qui tiennent surtout à l’évolution culturelle, sociologique et politique des États-Unis et de la France, historiquement foyers de l’humour juif, selon l’auteur. Mais aussi parce que l’État d’Israël, qui a pris une place centrale pour les juifs, n’a rien d’amusant. Les video gags immondes des soldats israéliens à Gaza, ces dernières semaines ne sont pas drôles du tout. Et les comiques troupiers se moquent des Palestiniens qu’ils tuent, par ailleurs.
ENTRE LE HASSIDISME ET LES LUMIÈRES
Né dans l’immédiat après-guerre, Michel Wieviorka appartient à ces familles françaises intellectuelles de gauche, assez peu préoccupées par la religion et indifférentes à l’égard du sionisme. Son parcours est marqué par « un humour vaguement nostalgique » autour de la Pologne, où la Shoah a décimé sa famille paternelle. Wieviorka raccroche son texte au destin du shtetl (le ghetto) tiraillé entre le hassidisme perpétuant la tradition et le désir de modernité venu des Lumières. Les histoires que lui racontait un père peu pratiquant viennent pour la plupart de la synagogue, un espace communautaire autant que religieux.
Un homme prie à haute voix et supplie Dieu, avec insistance, de façon répétitive.
— Dieu, fais-moi gagner à la loterie, fais-moi gagner, je n’arrive pas à m’en sortir.
Au bout d’un moment, Dieu, excédé, répond d’une voix haute qui résonne dans toute la synagogue :
— Pour cela, commence par acheter un billet !
Avec les rabbins, la diaspora va évoluer différemment des Israéliens juifs. En France, pour la majorité des juifs, le rabbin est un personnage folklorique sympathique que l’on croise pour les mariages et les enterrements. En Israël, nombre de rabbins sont des pousses-aux-crimes animés par des délires messianiques inspirant la politique des gouvernants. À cela s’ajoute la montée de l’antisémitisme dans de nombreux pays, tout aussi déprimante que la manipulation de l’antisémitisme par des gens sans humour. Voilà qui laisse peu de place aux mots d’esprit qui pourraient rendre les réponses amusantes.
Cela inspire à Wieviorka de belles pages sur le « changement de donne ». Outre sa méfiance quasi instinctive vis-à-vis de ceux qui assimilent antisionisme et antisémitisme, appauvrissant la scène intellectuelle avec leurs vociférations, il dénonce les « perversions républicanistes qui détruisent le débat public ». L’auteur raconte que dans un article à charge, le magazine de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) — en 2021 ce n’est pas vieux —, en principe vigie de l’antisémitisme, le compare à une « chauve-souris », cliché antisémite typique des années 1930. Non sans malice, il ajoute : « l’agrégée de philosophie – oui oui ! – qui me compare à une chauve-souris, Isabelle de Mecquenem, continue d’assurer diverses responsabilités dans les dispositifs officiels que le pouvoir d’Emmanuel Macron a mis en place pour promouvoir la laïcité ». Encore une farce qui n’est pas une blague...
Terminons plutôt avec une vraie blague, très célèbre dans diverses versions :
Deux hommes exposent leurs désaccords devant un rabbin. Après que le premier eut parlé, le rabbin dit :
— Tu as raison.
Après que le second s’est exprimé, le rabbin lui dit :
— Tu as raison.
Un de ses élèves s’exclame :
— Rabbi, il n’est pas possible que les deux aient raison !
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