« Si je dois mourir/tu dois vivre/pour raconter mon histoire (…) Si je dois mourir/que cela amène l’espoir/qu’il en naisse un récit. »
Les intellectuels gazaouis pleurent la mort de Refaat Alareer, professeur de littérature anglaise et voix emblématique de l’enclave, tué le 6 décembre au cours d’un bombardement israélien.
Un portrait de Refaat Alareer exhibé lors d’une manifestation propalestinienne à Cologne, en Allemagne, le 9 décembre.
Son poème a été traduit dans des dizaines de langues, du japonais au swahili, et partagé par des internautes partout dans le monde. « Si je dois mourir/tu dois vivre/pour raconter mon histoire (…) Si je dois mourir/que cela amène l’espoir/qu’il en naisse un récit. » Dans Gaza ravagée par les bombes israéliennes, l’écrivain Refaat Alareer avait partagé, début novembre, ce poème en anglais sur son compte X, épitaphe et rempart contre l’ombre permanente de la mort dans l’enclave. Le 6 décembre, en fin d’après-midi, il a été tué dans un bombardement israélien sur la ville de Gaza. Il avait 44 ans. Son frère, sa sœur et quatre de leurs enfants ont été emportés avec lui. Leurs corps sont toujours sous les décombres.
Sa mort a secoué une large partie de l’élite intellectuelle gazaouie, dont Refaat Alareer était l’une des voix emblématiques. Toute une génération d’auteurs anglophones s’est formée dans les cours de littérature anglaise qu’il prodiguait avec passion depuis plus de seize ans à l’Université islamique de Gaza. « Plus qu’un professeur, il était un mentor, un ami, et il se souciait réellement de ses étudiants », écrivait, le 8 décembre sur X, l’un de ses anciens élèves, l’universitaire et écrivain Jehad Abusalim. Ce dernier, qui avait publié l’un de ses textes dans le recueil Light in Gaza : Writings Born of Fire (« lumière à Gaza : écrits nés du feu », Haymarket Books, 2022, non traduit) ajoutait alors : « Pour Refaat, l’anglais était un outil de libération, un moyen de se libérer du siège prolongé à Gaza, un instrument de téléportation qui défiait les barrières d’Israël et le blocus intellectuel, académique et culturel de Gaza. »
Poète et écrivain, il avait publié deux ouvrages, dont Gaza Writes Back (« Gaza répond par la plume », non traduit, 2014), un recueil de nouvelles écrites par des jeunes auteurs gazaouis. « Il était plein d’énergie, de vie et d’humour. Il aimait la pizza de Chicago, les chats, l’histoire, la musique classique, le théâtre, la poésie et Harry Potter », tweetait, le 7 décembre, l’écrivain gazaoui Muhammad Shehada, responsable de la communication de l’ONG Euro-Med Human Rights Monitor.
Des réactions brutales
« Il était plus qu’un universitaire, il était un activiste », affirme à M Le magazine du Monde l’ex-journaliste américaine Pam Bailey, qui a vécu plusieurs années à Gaza. En 2015, elle fonde le projet We Are Not Numbers (« nous ne sommes pas des numéros ») afin de publier des textes de jeunes Gazaouis. Elle cherche quelqu’un pour les entraîner à écrire en anglais. Tout le monde lui recommande Refaat Alareer, qui portera le projet avec elle. Ils sont devenus amis. « Quand je l’ai rencontré à Washington, le seul endroit où il voulait aller était la bibliothèque de Shakespeare », se souvient-elle. Elle le savait dévasté par l’actuel soutien américain à la destruction de Gaza, où plus de dix-huit mille Palestiniens ont perdu la vie ces deux derniers mois, selon les chiffres du Hamas.
Depuis le 7 octobre et le massacre du Hamas en Israël qui a tué mille deux cents Israéliens et étrangers, Refaat Alareer multipliait les interviews de son enclave et publiait avec frénésie sur son compte X, suivi par plus de cent mille abonnés. A la BBC, il avait qualifié l’attaque du Hamas de « légitime et morale », alors que les détails n’étaient pas encore connus précisément. Certaines de ses réactions étaient brutales : il avait ainsi répondu à un tweet mentionnant un bébé qui aurait été tué dans un four par le Hamas (une enquête du journal israélien Haaretz a démontré, le 4 décembre, que l’information était fausse) en demandant « avec ou sans levure ? ». « Il ne croyait pas à cette affirmation et voulait le souligner. Comment pouvait-il y répondre, si ce n’est avec de l’humour morbide ? C’est une manière de survivre », défend Pam Bailey.
Sa famille, comme beaucoup à Gaza, avait payé un lourd tribut à la guerre. En 2014, il avait perdu son frère et une trentaine de ses proches dans des bombardements israéliens sur leur quartier de Chadjaya. Quand l’armée israélienne a ordonné, le 13 octobre, l’évacuation du nord de la bande de Gaza, le poète, son épouse et ses six enfants ont décidé de rester dans la ville de Gaza. « Nous ne partons pas parce que nous ne voulons pas une autre Nakba », avait-il déclaré sur le site Electronic Intifada, dont il était un contributeur régulier, en référence à l’exode forcé de plus de sept cent mille Palestiniens lors de la création d’Israël, en 1948.
Une enquête demandée
Après avoir été déplacé plusieurs fois au sein de la ville de Gaza, il s’était installé avec sa famille dans une école de l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens. L’étau s’était resserré. « Les débris et les éclats frappent les murs et volent dans les rues. Israël n’a cessé de bombarder, de pilonner et de tirer. Nous sommes enveloppés dans d’épaisses couches de poudre à canon et de ciment », tweetait-il début décembre. L’un de ses amis a confié à plusieurs personnes, dont Pam Bailey, qu’il avait reçu un avertissement de l’armée israélienne : elle avait identifié où il se trouvait. Le professeur s’était alors réfugié non loin, chez sa sœur.
L’ONG Euro-Med Human Rights Monitor demande une enquête, accusant Israël de l’avoir visé. « La frappe aérienne ciblait avec une précision chirurgicale le deuxième étage où se trouvait Refaat dans un immeuble de trois étages, et non le bâtiment en entier, indiquant que l’appartement était la cible et non pas un possible dommage collatéral, a indiqué l’ONG dans un communiqué publié le 8 décembre. Cela est survenu après des semaines de menaces de mort que Refaat recevait en ligne et par téléphone de la part de comptes israéliens. » Pam Bailey ne décolère pas : « Israël ne cible pas seulement le Hamas, mais poursuit ceux qui pourraient construire le futur de Gaza. » Refaat Alareer, dit-elle, avait promis de lancer son stylo à la figure des soldats israéliens s’ils étaient venus le chercher chez lui.
Par Clothilde Mraffko
Publié le 13 décembre 2023
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/12/13/les-derniers-vers-du-poete-de-gaza_6205601_4500055.html
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