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Comment se concilier les populations algériennes? Comment motiver des troupes de conscrits peu enclins à se battre? Voilà autant de questions auxquelles l’armée tente de répondre.
PAS SEULEMENT SOLDATS Les hommes des sections administratives spécialisées (SAS) – créées en 1955 – parcourent les campagnes afn de prodiguer des soins dans toutes les régions, même les plus reculées.
Dès 1955, le général Parlange, ancien o f f i c i e r d e s Affaires indigènes, cherche à rétablir la confance de la population algérienne dans les autorités françaises. Afn d’endiguer l’insurrection, il faut agir sur ses causes, à savoir la sousadministration de l’Algérie et la misère dans laquelle se trouve la population. C’est également le constat que dresse Jacques Soustelle lorsqu’il est nommé, en 1955, gouverneur général de l’Algérie. Lui-même prend comme chargés de mission Vincent Monteil, offcier des Affaires indigènes et arabisant, et l’ethnologue Germaine Tillion, qui a créé les centres sociaux éducatifs. L’expérience du général Parlange a été offcialisée en septembre 1955, avec les sections administratives spécialisées (SAS). Celles-ci, dirigées par un offcier au képi bleu, pouvaient avoir une action en matière éducative. Certains appelés ont dans ce cadre enseigné à des classes – à l’air libre, sous tente ou dans des bâtiments – comprenant parfois jusqu’à 80 élèves sur une demi-journée !
Une assistance médicale et scolaire bienvenue
L’effort de scolarisation a permis que 50 % des jeunes Algériens soient scolarisés à la fn de la guerre, alors qu’ils n’étaient que de 15 % en 1954 (soit un taux d’analphabétisme de 90 %). Les SAS avaient également une action sanitaire: des appelés ont ainsi été employés comme médecins s’ils avaient les diplômes nécessaires, et plus fréquemment comme infirmiers, même s’ils n’avaient aucune connaissance préalable en la matière. Les SAS avaient également une action socio-économique de développement des villages, d’aide aux plus démunis, etc. La population algérienne considérait les SAS de manière ambivalente. D’un côté, celles-ci menaient une action dont elle n’avait pas ou peu bénéfcié aupa
« PACIFICATION » Le gouvernement reconnaît ses manquements en matière sociale en Algérie et utilise ses appelés médecins et infrmiers pour améliorer le sort des « indigènes » et les détourner du FLN.
ravant, particulièrement en matière médicale : médecins et infrmiers soignaient ainsi des maladies qui avaient complètement disparu ailleurs. De l’autre, la population algérienne était aussi sous la pression du FLN, qui imposait progressivement son organisation politico-administrative. Les militants nationalistes ont beaucoup plus accepté la présence des équipes médico-sociales et des instituteurs lorsqu’ils ont compris que le personnel des SAS n’était pas forcément favorable à l’«Algérie f r a n ç a i s e » , q u e l’indépendance était en bonne marche et que la formation et la santé des Algériens ne pouvaient qu’être utiles au pays lorsqu’il accéderait à l’indépendance. Néanmoins, les SAS servaient aussi à contrôler la population en participant aux campagnes de propagande orchestrées par le 5e Bureau (chargé de l’« action psychologique »). De plus, elles avaient aussi pour mission d’éta-
blir les pièces d’identité pour la population algérienne, ce qui passait par la prise de photographies, dont les plus connues sont celles de Marc Garanger (voir illustr. page suivante). Les pièces d’identité permettaient ainsi de mieux contrôler les déplacements de la population. Les visites de l’offcier de la SAS avaient également pour but d’obtenir des renseignements sur les allées et venues des troupes de l’ALN. La torture était même pratiquée ENTRE DEUX dans certaines SAS. FEUX Il n’en reste pas moins
Les centres sociaux éducatifs de- que le fait de servir vaient pallier le défcit d’écoles, d’établissements de soins et de formation professionnelle en Algérie. En 1959, on en dans une SAS était prisé par les appelés compte 65. Le 15 mars 1962, du fait de d u c o n t i n g e n t , leur rôle dans le rapprochement des notamment ceux qui communautés, un commando de l’OAS a v a i e n t s u i v i d e s tue six inspecteurs des Centres sociaux, dont l’écrivain Mouloud Feraoun. T. Q. études leur permettant de devenir instituteurs ou infrmiers. Cette volonté s’est accrue au fur et à mesure de la guerre, les appelés devenant de plus en plus rétifs à participer à une guerre qu’ils réprouvaient. Mais cette participation pouvait être sujette à un temps préalable dans un service armé. C’est ce qui a conduit
le souslieutenant Jean Le Meur à refuser de participer à la guerre d’Algérie, ce qui lui a valu d’être condamné à deux ans de prison. Le fait de devenir infrmier parachutiste permettait aussi d’éviter de porter les armes et était une forme d’objection de conscience acceptée par l’armée: les objecteurs n’étaient ainsi pas condamnés et l’armée n’avait pas à reconnaître cette forme de refus du service militaire. De même, d’autres services non armés ont existé: certains ont ainsi intégré le Service cinématographique des armées (SCA), ancêtre de l’actuel ECPAD, pour servir comme journalistes, photographes ou cinéastes, sans avoir besoin de porter une arme. D’autres enfin ont bénéficié de la compréhension d’un commandant d’unité pour servir, par exemple, au mess ou ailleurs.
L’espoir de se faire réformer ou d’une «planque»
C e s s e r v i c e s n o n a r m é s e t c e s «planques» étaient rares, d’autant plus en temps de guerre. Nombreux sont ceux qui ont essayé de faire jouer des « pistons » ; bien peu ceux qui ont réussi… Pour tenter de retarder le moment où ils devaient faire leur service et surtout participer à cette guerre que de plus en plus de jeunes réprouvaient, ceux qui faisaient des études avaient tendance à les prolonger… Certains avaient tendance à les considérer comme les « embusqués » de la guerre d’Algérie, des « planqués » qui voulaient « tirer au fanc ». La question des sursis est, en tout état de cause, devenue épineuse: le nombre de sursitaire augmentait et, à partir de 1960, les centres de mobilisation sont entrés dans les « classes creuses » : le nombre de jeunes gens en âge de faire leur service militaire devenait de moins en moins important, ce qui posait des problèmes pour le maintien des effectifs en Algérie. C’est pourquoi le Premier ministre Michel Debré a décidé, en 1959, de supprimer les sursis, ce qui a occasionné une levée de boucliers de l’Unef,
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le syndicat étudiant qui devenait le fer de lance de l’opposition de la jeunesse étudiante à la guerre. Finalement, les sursis ont été conservés, et leur proportion a continué à s’accroître. Pour tenter d’échapper au service militaire, certains appelés ont également tenté de se faire réformer. D’aucuns arguaient de problèmes physiques, mais les refus étaient nombreux, même dans le cas de maladies réelles. D’autres encore, à l’instar du chanteur Jacques Higelin, ont cherché à se faire passer pour fous. Mais le risque de répression pouvait être dangereux et conduire à être « maté » dans des unités disciplinaires. Les unités disciplinaires avaient une existence ancienne et connue. En Algérie évoluaient notamment les « bat’d’Af’» – bataillons d’infanterie légère d’Afrique. Par ailleurs, héritages des bagnes coloniaux, comme le légendaire Biribi, il existait aussi des compagnies disciplinaires. La plus connue est le bagne de Tinfouchy, PHOTO-MATON Photographiés par Marc Garanger, alors e n p l e i n c œ u r d u Sahara, où des soldats étaient mis au régime conscrit au sein disciplinaire le plus dur. d’une SAS, Algériens et Algériennes sont soumis à la Sur son écusson était ainsi écrit en arabe : détention d’une « Adieu la vie. » Son pièce d’identité: un moyen légal de contrôler les allers existence a été dénoncée en 1959. Mais certaiet venues… nes unités disciplinaires n’avaient même pas d’existence légale; il ne s’agissait que de simples unités au sein d’un régiment, dans lesquelles les soldats étaient à la merci de leur encadrement. La très grande majorité des appelés du contingent était destinée à participer à la guerre d’Algérie, et bien rares sont ceux qui ont pu y échapper. De 1954 à 1962, toute une génération de jeunes de 20 ans a été enrôlée dans la guerre, mais pas forcément de gaieté de cœur ni en déconsidérant les combattants algériens. Certains assuraient un peu d’aide aux prisonniers, leur donnaient à boire ou à manger en cachette. D’autres les soignaient, voire les pro
tégeaient contre les tortures et les mauvais traitements, parfois en s’opposant ouvertement à leur commandement. Cela pouvait conduire à des situations très tendues dans les unités. Parfois, cette aide a pu aller jusqu’à une sorte de modus vivendi entre les combattants des deux camps, surtout à la fn de la guerre, pour éviter des affrontements inutiles et meurtriers. D’autres fois, les soldats français, voyant les combattants algériens faisaient semblant de ne pas les avoir aperçus…
Risquer le choix de la désobéissance
Les appelés français estimaient être là contre leur gré, dans une guerre inutile, «imbécile et sans issue», avait naguère proféré Guy Mollet, le leader socialiste… Certains appelés français ont même préféré désobéir en s’insoumettant, en désertant ou en refusant d’obéir plutôt que de participer à la répression contre les Algériens : on compte ainsi 11 000 insoumis, environ 1 000 déserteurs (sans compter ceux qui ont déserté avant de partir en Algérie) et 400 objecteurs de conscience (en ne comptabilisant pas tous ceux qui ont refusé d’obéir à un ordre particulier). Parmi les cas les plus connus, il y a celui d’Henri Maillot, un communiste européen d’Algérie qui a déserté avec un camion d’armes pour venir en aide
La très grande majorité des appelés du contingent était destinée à participer à la guerre d’Algérie, et bien rares sont ceux qui ont pu y échapper
aux maquis indépendantistes qu’il a rejoints (c’est le fameux « maquis rouge », basé dans l’Ouarsenis). Le cas de Noël Favrelière, qui a déserté avec un prisonnier algérien promis à une exécution sommaire, est lui aussi emblématique (lire sa lettre d’explication et la demande de grâce écrite par sa mère, p. 41 et 42). Au cours de sa fuite pendant une semaine dans le désert, il a été aidé et protégé par des Bédouins. Les deux hommes sont arrivés sains et saufs en Tunisie. Alban Liechti a quant à lui passé quatre ans en prison pour avoir refusé de participer à la guerre d’Algérie (lire sa lettre adressée à René Coty, p. 40). Lorsqu’en 1961, sentant la fn de la guerre approcher, il a accepté de rejoindre son unité, il a refusé de mettre des munitions dans son arme pour ne pas avoir à tirer sur des Algériens… Plus rarement, certains soldats français ont été jusqu’à aider les combattants de l’ALN, sans qu’ils aient forcément fait partie de réseaux d’aide au FLN. Certains d’entre eux ont par exemple donné des informations au FLN et à l’ALN, d’autres encore ont aidé des soldats algériens de l’armée française à déserter. À la fn de la guerre, œuvrant dans le camp opposé, les désobéissances en faveur de l’OAS avaient avant tout pour but de poursuivre la guerre pour conserver, coûte que coûte, l’«Algérie française ». Le sens de ces désobéissances est donc différent. Au sein de l’armée française, certains offciers ont désobéi en refusant d’abandonner les harkis et en organisant clandestinement leur exil en France. Que ce soit dans un cadre légal ou de manière clandestine, des soldats français ne sont donc pas allés dans le sens de la répression en Algérie. Tous n’étaient pas mus par des motifs anticolonialistes, certains tout simplement par humanisme et d’autres enfn pour échapper à une situation qu’ils réprouvaient. Des phénomènes de désobéissance, moins connus, se sont également produits du côté algérien. u
Des femmes volontaires
Des femmes françaises se sont engagées pendant la guerre d’Algérie auprès des populations algériennes, essentiellement en faveur des femmes et des enfants. Les équipes médicosociales itinérantes (EMSI) sont créées au printemps 1957 et comprennent des membres du personnel féminin de l’armée de terre et des adjointes sanitaires et sociales rurales auxiliaires (ASSRA). Au nombre de 300 en 1959, les équipes coopèrent avec les sections administratives spécialisées et viennent en aide aux femmes et aux enfants algériens d’un point de vue sanitaire et social. De nombreuses femmes se sont aussi engagées bénévolement au sein d’associations, en particulier dans le Mouvement de solidarité féminine. Cette instance, fondée par l’épouse du général Massu au moment du mouvement de « fraternisation » en mai 1958 et présidé par Nafssa Sid Cara, regroupera plusieurs dizaines de milliers de femmes. T. Q.
by alain benezra
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