La boisson pour oublier la guerre
25 décembre 1958
« Noël. L'après-midi, avec toute la classe, on boit, on boit encore. Toujours. On en a marre, la boisson permet d'oublier. On va chez L., notre lieutenant. On fait de la casse. Avec lui arrive un officier parachutiste. Nous nous faisons "engueuler" mais nous évitons la punition de huit jours. Devant la maison du commandant, nous chantons L'Internationale. On termine au foyer, rentrons complètement "bourrés" à 2 heures du matin en hurlant : "La quille, bon Dieu !" »
> Lettre d'Albert Nallet. Affecté en Kabylie (1957-1959), ce soldat vit de multiples horreurs qu'il relate dans son journal intime. Il forme un groupe avec certains de ses camarades pour s'opposer à sa hiérarchie. L'alcool est là pour oublier les difficultés. Il a publié son témoignage aux éditions Aléas en 2009.
Le transistor et les amis
« En fait, j'étais trop nerveux pour aller bien sagement au lit, car je me retrouvai dans une chambre où, en compagnie de quelques gars, je semai la pagaille... On peut rigoler un peu. Il faut dire que j'étais déchaîné. Mais la fatigue vint et vers minuit on se couchait. Réveil à 7 heures et quart alors que partaient quelques gars pour une patrouille à la ferme d'El Djelida. Je restai ensuite debout, mais la matinée fut bien calme. Aucun fait important. Ce soir longue sieste jusqu'à 5 heures, sans doute étais-je un peu fatigué. Rien d'autre à signaler sûrement ce soir. La soirée se termine par mon quart de garde (il est près de minuit). J'ai écrit mes deux lettres habituelles et terminé en écoutant le bal à Luxembourg. Ce soir il est particulièrement bien. »
> Lettre de Pierre Genty. Parfois, batailles de polochon, jeux ou tout simplement parties de fous rires permettent de rompre le quotidien en laissant des souvenirs d'amitié indélébiles. Progressivement, grâce au transistor, la musique et les informations parviennent aux appelés, ce qui leur permet de conserver un lien avec la métropole.
Peu de livres et beaucoup d’ennui
« Bien chère maman, [...] Ce qui va me manquer, c'est de la lecture ; si tu pouvais m'abonner pour six mois à Historia, Sciences et Avenir et Le Figaro, cela me passerait le temps, car aucune distraction ici, vu qu'il n'y a pas de courant. Pas de cinéma, pas de lecture, il n'y a que deux postes de TSF à piles, pour tout le monde. Je me demande même ce que je vais pouvoir filmer, à part moi, le sable et les djebels, puis quelques nomades. [...] Je suis en train de me demander si je vais bronzer un peu, car si dans la journée il fait chaud, la nuit dernière j'avais froid, avec quatre couvertures, un tricot, mon pyjama et ma capote. J'espère pouvoir m'habituer au climat et au manque de distraction. Je souhaite que ta santé et celle de Bichou soient bonnes, et en attendant, reçois mes plus affectueux baisers. »
> Lettre de Bernard Henry, Aïn el Orak, le 13 octobre 1958.
Pourquoi moi, pourquoi pas eux ?
« Chers parents, je ne pars pas. Je ne serai pas demain chez nous à Saint-Étienne. Je suis né sous une mauvaise étoile, le destin est impitoyable [...]. Pourquoi moi et pourquoi pas eux ? J'ai vraiment pas de chance. Non seulement je suis incorporé direct en Algérie, mais je suis catapulté direct sur le plus haut, le plus froid la nuit, le plus bouillant le jour, le plus inhabitable des djebels algériens. Mais qu'est-ce que j'ai fait ? [...] Je sais bien que j'étais fiché. Quand j'ai passé le conseil de révision avant de partir [...], nu parmi d'autres hommes nus également, le colonel-médecin me regardant droit dans les yeux, alors que je n'osais regarder rien d'autre que le lustre en cristal accroché au plafond, m'a dit : "Oui, oui, on vous connaît, vous êtes un dissident socialiste avec Rocard et Savary, oui, oui, vous êtes pour la paix en Algérie." Et c'est pour ça qu'il m'a envoyé là-haut. Pour ça ! Ils me poursuivent encore ! Je ne vois pas d'autres raisons sinon il y a bien longtemps qu'ils m'auraient renvoyé à la maison. Papa, y a pas de justice. Le commandant a beau me dire : "Égalité, Fraternité, tous dans le même bain", c'est pas vrai. Denis, un copain, en dix mois, est parti quatre fois en permission de huit jours chacune. Pourquoi ? On se le demande. La permission, ici, c'est exceptionnel. On ne peut partir en permission qu'en cas de décès d'un très proche parent. »
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