Une conférence sur les crimes du colonisateur français contre les sites et monuments religieux algériens a été organisée mercredi dernier, au musée du Moudjahid d'Alger, à l'occasion de la commémoration du 191e anniversaire de la transformation de la mosquée «Ketchaoua» en cathédrale et de l'extermination de milliers d'Algériens. Lors de cette conférence, placée sous le thème «La France et la guerre des monuments, Ketchaoua, un symbole d'identité et de résistance», des chercheurs et des universitaires ont évoqué ce crime colonial en mettant en avant la politique de la France visant à détruire les sites et monuments religieux algériens, à l'instar des mosquées et des Zaouïas qui avaient pour missions, à l'époque, de préserver les préceptes de la religion islamique, la langue arabe et les composantes de l'identité algérienne. À ce propos, l'archéologue spécialiste de l'époque ottomane, Mohamed Tayeb Akab, a indiqué que la France «a transformé, au début de l'occupation, la mosquée Ketchaoua en écurie, puis en église sous le nom de Cathédrale Saint- Philippe, ce qui a poussé les Algériens à la révolte le 18 décembre 1832 en se rassemblant et en occupant les lieux du site, avant d'être exécutés.
Plus de 4.000 fidèles algériens sont tombés en martyrs, sur ordre du sanguinaire français Rovigo», a-t-il rappelé soulignant qu' «il s'agit d'un crime contre l'humanité qui s'inscrivait dans le cadre du plan colonial d'évangélisation en Algérie».
Le conférencier a indiqué dans son intervention intitulée «la mosquée de Ketchaoua dans la mémoire de l'histoire» que cette mosquée compte «parmi les monuments religieux les plus célèbres de la ville d'Alger et témoigne de l'attachement des Algériens à leur identité et de leurs sacrifices, sachant qu'elle a été bâtie durant l'ère ottomane en 1612 et reconstruite en 1794 par Hassan Pacha...», Mettant en avant «le cachet architectural de la mosquée qui a été complètement démolie par la France plus tard». De son côté, l'universitaire Youcef Benhlima a affirmé dans son intervention sous le thème «Résistance de la mosquée de Ketchaoua face au colonialisme», que le carnage de la place des Martyrs le 18 décembre 1832 est «un autre épisode sanglant des crimes coloniaux commis par la France en Algérie, pour affaiblir les Algériens et effacer leur identité, mais c'était sans compter, a-t-il dit,sur leur forte résilience et leur profond attachement à l'Islam et aux constantes nationales, confirmés par les révoltes populaires menées par de grands symboles tels que l'émir Abdelkader, Ahmed Bey et Lalla Fatma N'Soumer. De son côté, l'universitaire, Houcine Meghdouri, de l'université de Djelfa, a indiqué que la commémoration de ce douloureux anniversaire était une «occasion d'évoquer les sacrifices de nos prédécesseurs depuis le début de l'occupation et de renforcer l'appartenance à l'identité nationale chez la nouvelle génération», précisant que «la France a mené une politique de destruction des monuments religieux et historiques à cachet architectural islamique et encouragé en revanche la promotion de la recherche archéologique dans le domaine des ruines romaines en Algérie».
Le moudjahid, Abdellah Athamnia a évoqué pour sa part, la réhabilitation de la mosquée après l'indépendance et lu des extraits du premier prêche du vendredi prononcé par le cheikh Mohamed El Bachir El Ibrahimi le 2 novembre 1962. Il s'agissait de la première prière de vendredi accomplie dans cette mosquée historique après 124 ans de sa transformation en cathédrale.
Les États coloniaux ont une durée de vie limitée. Israël ne fait pas exception. Israël apparaîtra triomphant après avoir terminé sa campagne génocidaire à Gaza et en Cisjordanie. Soutenu par les États-Unis, il atteindra son objectif dément. Ses déchaînements meurtriers et sa violence génocidaire extermineront les Palestiniens ou les nettoieront sur le plan ethnique. Son rêve d’un État exclusivement juif, où tous les Palestiniens qui resteront seront privés de leurs droits fondamentaux, se réalisera. Il se délectera de sa victoire sanglante. Il célébrera ses criminels de guerre. Son génocide sera effacé de la conscience publique et jeté dans l’immense trou noir de l’amnésie historique d’Israël. Ceux qui ont une conscience en Israël seront réduits au silence et persécutés.
Mais le temps qu’Israël parvienne à décimer Gaza – Israël parle de plusieurs mois de guerre – il aura signé sa propre condamnation à mort. Sa façade de civilité, son prétendu respect de l’État de droit et de la démocratie, son histoire mythique du courage de l’armée israélienne et de la naissance miraculeuse de la nation juive seront réduits en cendres. Le capital social d’Israël sera épuisé. Il sera révélé comme un régime d’apartheid laid, répressif et rempli de haine, ce qui aliénera les jeunes générations de juifs américains. Son protecteur, les États-Unis, au fur et à mesure que de nouvelles générations arriveront au pouvoir, se distanceront d’Israël comme ils se distancient actuellement de l’Ukraine. Son soutien populaire, déjà érodé aux États-Unis, viendra des fascistes christianisés américains qui voient dans la domination d’Israël sur d’anciennes terres bibliques un signe avant-coureur du second avènement et qui voient dans l’assujettissement des Arabes une forme de racisme et de suprématie de la race blanche.
Le sang et la souffrance des Palestiniens – dix fois plus d’enfants ont été tués à Gaza qu’en deux ans de guerre en Ukraine – ouvriront la voie à l’oubli d’Israël. Les dizaines, voire les centaines de milliers de fantômes auront leur revanche. Israël deviendra synonyme de ses victimes comme les Turcs le sont des Arméniens, les Allemands des Namibiens et plus tard des Juifs, et les Serbes des Bosniaques. La vie culturelle, artistique, journalistique et intellectuelle d’Israël sera exterminée. Israël sera une nation stagnante où les fanatiques religieux, les bigots et les extrémistes juifs qui ont pris le pouvoir domineront le discours public. Il trouvera ses alliés parmi d’autres régimes despotiques. La répugnante suprématie raciale et religieuse d’Israël sera son attribut déterminant, ce qui explique pourquoi les suprématistes blancs les plus rétrogrades des États-Unis et d’Europe, y compris des philosémites tels que John Hagee, Paul Gosar et Marjorie Taylor Greene, soutiennent Israël avec ferveur. La prétendue lutte contre l’antisémitisme est une célébration à peine déguisée du pouvoir blanc.
Les despotismes peuvent exister longtemps après leur date de péremption. Mais ils sont en phase terminale. Il n’est pas nécessaire d’être un érudit biblique pour voir que la soif de sang d’Israël est contraire aux valeurs fondamentales du judaïsme. L’instrumentalisation cynique de l’Holocauste, notamment en faisant passer les Palestiniens pour des nazis, n’a que peu d’efficacité lorsqu’il s’agit de perpétrer un génocide en direct contre 2,3 millions de personnes enfermées dans un camp de concentration.
Les nations ont besoin de plus que de la force pour survivre. Elles ont besoin d’une mystique. Cette mystique donne un but, une civilité et même une noblesse qui incitent les citoyens à se sacrifier pour la nation. La mystique offre un espoir pour l’avenir. Elle donne un sens. Elle est source d’identité nationale.
Lorsque les mystiques implosent, lorsqu’elles sont révélées comme des mensonges, un fondement central du pouvoir de l’État s’effondre. J’ai rapporté la mort des mystiques communistes en 1989 lors des révolutions en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie et en Roumanie. La police et l’armée ont décidé qu’il n’y avait plus rien à défendre. La décadence d’Israël engendrera la même lassitude et la même apathie. Il ne sera pas en mesure de recruter des collaborateurs indigènes, tels que Mahmoud Abbas et l’Autorité palestinienne – honnie par la plupart des Palestiniens – pour faire le travail des colonisateurs. L’historien Ronald Robinson cite l’incapacité de l’Empire britannique à recruter des alliés indigènes comme le moment où la collaboration s’est transformée en non-coopération, un moment déterminant pour le début de la décolonisation. Une fois que la non-coopération des élites autochtones se transforme en opposition active, explique Robinson, le “retrait rapide” de l’Empire est assuré.
Il ne reste plus à Israël que l’escalade de la violence, y compris la torture, qui accélère le déclin. Cette violence généralisée fonctionne à court terme, comme ce fut le cas lors de la guerre menée par les Français en Algérie, de la “ sale guerre ” menée par la dictature militaire argentine et du conflit britannique en Irlande du Nord. Mais à long terme, elle est suicidaire.
“ On pourrait dire que la bataille d’Alger a été gagnée grâce à l’utilisation de la torture ”, a observé l’historien britannique Alistair Horne, “ mais que la guerre, la guerre d’Algérie, a été perdue ”.
Le génocide de Gaza a fait des combattants du Hamas des héros dans le monde musulman et dans le Sud. Israël peut anéantir les dirigeants du Hamas. Mais les assassinats passés – et actuels – d’un grand nombre de dirigeants palestiniens n’ont guère contribué à émousser la résistance. Le siège et le génocide à Gaza ont produit une nouvelle génération de jeunes hommes et femmes profondément traumatisés et enragés, dont les familles ont été tuées et les communautés anéanties. Ils sont prêts à prendre la place des dirigeants martyrs. Israël a fait grimper les actions de son adversaire dans la stratosphère.
Israël était en guerre contre lui-même avant le 7 octobre. Les Israéliens manifestaient pour empêcher le Premier ministre Benjamin Netanyahou d’abolir l’indépendance de la justice. Ses bigots et fanatiques religieux, actuellement au pouvoir, avaient monté une attaque déterminée contre la laïcité israélienne. L’unité d’Israël depuis les attentats est précaire. C’est une unité négative. Elle est maintenue par la haine. Et même cette haine ne suffit pas à empêcher les manifestants de dénoncer l’abandon par le gouvernement des otages israéliens à Gaza.
La haine est une denrée politique dangereuse. Une fois qu’ils en ont fini avec un ennemi, ceux qui attisent la haine en cherchent un autre. Les “animaux humains” palestiniens, une fois éradiqués ou soumis, seront remplacés par des apostats et des traîtres juifs. Le groupe diabolisé ne peut jamais être racheté ou guéri. Une politique de haine crée une instabilité permanente qui est exploitée par ceux qui cherchent à détruire la société civile.
Le 7 octobre, Israël s’est engagé dans cette voie en promulguant une série de lois discriminatoires à l’encontre des non-Juifs qui ressemblent aux lois racistes de Nuremberg qui privaient les Juifs de leurs droits dans l’Allemagne nazie. La loi sur l’acceptation des communautés permet aux colonies exclusivement juives d’exclure les candidats à la résidence sur la base de “l’adéquation avec la vision fondamentale de la communauté”.
Un grand nombre des jeunes Israéliens les mieux éduqués ont quitté le pays pour des pays comme le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni, et jusqu’à un million d’entre eux sont partis aux États-Unis. Même l’Allemagne a vu affluer quelque 20 000 Israéliens au cours des deux premières décennies de ce siècle. Environ 470 000 Israéliens ont quitté le pays depuis le 7 octobre. En Israël, les défenseurs des droits de l’homme, les intellectuels et les journalistes – israéliens et palestiniens – sont traités de traîtres dans le cadre de campagnes de diffamation parrainées par le gouvernement, placés sous la surveillance de l’État et soumis à des arrestations arbitraires. Le système éducatif israélien est une machine d’endoctrinement pour l’armée.
L’universitaire israélien Yeshayahu Leibowitz a prévenu que si Israël ne séparait pas l’Église et l’État et ne mettait pas fin à son occupation des Palestiniens, il donnerait naissance à un rabbinat corrompu qui transformerait le judaïsme en un culte fasciste. “Israël ne mériterait pas d’exister et il ne vaudrait pas la peine de le préserver.
La mystique mondiale des États-Unis, après deux décennies de guerres désastreuses au Moyen-Orient et l’assaut du Capitole le 6 janvier, est aussi contaminée que son allié israélien. L’administration Biden, dans sa ferveur à soutenir inconditionnellement Israël et à apaiser le puissant lobby israélien, a contourné le processus d’examen par le Congrès avec le Département d’État pour approuver le transfert de 14 000 cartouches de munitions de chars à Israël. Le secrétaire d’État Antony Blinken a fait valoir qu’”il existe une situation d’urgence qui exige la vente immédiate”. Dans le même temps, il a cyniquement appelé Israël à minimiser les pertes civiles.
Israël n’a aucunement l’intention de minimiser les pertes civiles. Il a déjà tué 18 800 Palestiniens, soit 0,82 % de la population de Gaza – l’équivalent d’environ 2,7 millions d’Étasuniens. 51 000 autres ont été blessés. La moitié de la population de Gaza est affamée, selon les Nations unies. Toutes les institutions et tous les services palestiniens nécessaires à la vie – hôpitaux (seuls 11 des 36 hôpitaux de Gaza fonctionnent encore “partiellement”), stations d’épuration, réseaux électriques, systèmes d’égouts, logements, écoles, bâtiments gouvernementaux, centres culturels, systèmes de télécommunications, mosquées, églises, points de distribution de nourriture des Nations Unies ont été détruits. Israël a assassiné au moins 80 journalistes palestiniens ainsi que des dizaines de membres de leurs familles et plus de 130 travailleurs humanitaires de l’ONU ainsi que des membres de leur famille. Les victimes civiles sont au cœur du problème. Il ne s’agit pas d’une guerre contre le Hamas. C’est une guerre contre les Palestiniens. L’objectif est de tuer ou d’expulser 2,3 millions de Palestiniens de Gaza.
La mort par balle de trois otages israéliens qui avaient apparemment échappé à leurs ravisseurs et se sont approchés des forces israéliennes, torse nu, en brandissant un drapeau blanc et en appelant à l’aide en hébreu, n’est pas seulement tragique, elle donne un aperçu des règles d’engagement d’Israël dans la bande de Gaza. Ces règles sont les suivantes : tuer tout ce qui bouge.
Comme l’a écrit le général de division israélien à la retraite Giora Eiland, qui a dirigé le Conseil national de sécurité israélien, dans Yedioth Ahronoth, “[L]’État d’Israël n’a pas d’autre choix que de transformer Gaza en un endroit où il est temporairement ou définitivement impossible de vivre… Créer une grave crise humanitaire à Gaza est un moyen nécessaire pour atteindre l’objectif”. “Gaza deviendra un endroit où aucun être humain ne peut exister”, a-t-il écrit. Le général de division Ghassan Alian a déclaré qu’à Gaza, “il n’y aura ni électricité ni eau, il n’y aura que de la destruction. Vous vouliez l’enfer, vous l’aurez”.
Les États coloniaux qui perdurent, dont les États-Unis, exterminent par les maladies et la violence la quasi-totalité de leurs populations indigènes. Les fléaux de l’Ancien Monde apportés par les colonisateurs aux Amériques, comme la variole, ont tué environ 56 millions d’indigènes en une centaine d’années en Amérique du Sud, en Amérique centrale et en Amérique du Nord. En 1600, il ne restait plus qu’un dixième de la population d’origine. Israël ne peut pas tuer à cette échelle, avec près de 5,5 millions de Palestiniens vivant sous occupation et 9 millions d’autres dans la diaspora.
La présidence Biden, qui, ironiquement, a peut-être signé son propre acte de décès politique, est liée au génocide israélien. Elle tentera de prendre ses distances sur le plan rhétorique, mais en même temps, elle acheminera les milliards de dollars d’armes demandés par Israël – y compris 14,3 milliards de dollars d’aide militaire supplémentaire pour compléter les 3,8 milliards de dollars d’aide annuelle – pour “ finir le travail ”. Elle est un partenaire à part entière du projet de génocide israélien.
Israël est un État paria. Cela s’est manifesté publiquement le 12 décembre lorsque 153 États membres de l’Assemblée générale des Nations unies ont voté en faveur d’un cessez-le-feu, seuls 10 États – dont les États-Unis et Israël – s’y étant opposés et 23 s’étant abstenus. La campagne de terre brûlée menée par Israël à Gaza signifie qu’il n’y aura pas de paix. Il n’y aura pas de solution à deux États. L’apartheid et le génocide définiront Israël. Cela présage un long, très long conflit, que l’État juif ne pourra pas gagner en fin de compte.
Des familles tunisiennes de disparus en exil mais aussi d’autres venues d’Algérie, du Maroc et du Sénégal se sont retrouvées à Zarzis, dans le sud-est de la Tunisie, début septembre 2022. Soutenues par des militants européens et africains, elles cherchent à obtenir la vérité sur le sort de leurs proches, migrants disparus en mer.
Devant la Maison des jeunes de Zarzis, en ce début de matinée du 6 septembre 2022, un cortège de plusieurs dizaines de manifestants se met en place. Sous un soleil de plomb, les premières banderoles sont déployées. Puis fuse un slogan : « Où sont nos enfants ? » Les manifestants sont en majorité des femmes, sœurs ou mères de disparus sur les routes de l’exil. La plupart portent une photo de leur proche dont elles n’ont plus de nouvelles depuis leur départ pour l’Europe, il y a parfois deux, cinq ou dix ans pour certaines. Elles viennent de Tunis, de Bizerte ou de Sfax, mais aussi d’Algérie, du Maroc ou encore du Sénégal. Épaulées par des militants actifs en Europe et sur le continent africain, ces femmes se sont réunies à Zarzis pendant plusieurs jours début septembre afin de commémorer leurs proches disparus et de demander des comptes aux États du nord et du sud de la Méditerranée.
Au premier rang du cortège, Samia Jabloun, chapeau de paille et pantalon à fleurs, porte un tee-shirt floqué du visage de son fils, Fedi, disparu en février 2021. Peu avant le départ du cortège, elle raconte qu’il est parti de Kelibia à bord d’un bateau de pêcheurs. L’embarcation et une partie de l’équipage sont rentrés au port plusieurs heures plus tard, mais Fedi n’est jamais revenu. « Un des pêcheurs m’a dit que, alors que le bateau s’approchait de l’île italienne de Pantelleria, Fedi et un autre homme auraient sauté à l’eau et nagé en direction du rivage », explique Samia.
Mais depuis ce jour, la professeure d’histoire-géographie n’a pas de nouvelles de son fils. « Je ne sais pas s’il est vivant, je ne sais pas s’il est mort », ajoute-t-elle dans un souffle. Elle raconte ensuite le parcours du combattant pour tenter d’obtenir des informations auprès des autorités tunisiennes, le temps passé à essayer de trouver des traces de vie de son fils, en frappant aux portes des ministères ou via les réseaux sociaux. En vain.
LE SILENCE DES AUTORITÉS
Au milieu du cortège, Rachida Ezzahdali, hijab rose tombant sur une robe mouchetée, tient fermement d’une main une banderole et de l’autre la photo de son père, dont elle n’a pas de nouvelles depuis deux ans. « Le 14 février 2020, mon père a pris un avion pour l’Algérie », se remémore la jeune étudiante de 22 ans, originaire d’Oujda, au Maroc. « On a échangé avec lui quelques jours plus tard, il était alors à Oran », ajoute-t-elle. Puis, plus rien, plus de nouvelles. « C’est une tragédie pour ma famille, dit Rachida, d’une voix calme. Je ne connaissais rien à la question des « harragas » »1, admet la jeune femme, « mais depuis que je me suis rapproché de l’association Aide aux migrants en situation vulnérable, je comprends que ça concerne des milliers de personnes au Maroc, en Algérie ou en Tunisie ». « C’est un vrai fléau », lâche-t-elle. Comme Samia en Tunisie, Rachida s’est heurtée au silence des autorités marocaines quand elle s’est mise à chercher des informations sur son père. « Malgré les protestations, malgré les manifestations, il n’y a aucune réponse de nos gouvernements », se lamente-t-elle.
Peu après le départ de la marche, les manifestants font une halte devant la mairie de Zarzis. Saliou Diouf, de l’organisation Alarm phone, un réseau qui vient en aide aux personnes migrantes en détresse en mer ou dans le désert, prend la parole : « Nous nous sommes réunis afin de tenir notre promesse : ne pas oublier toutes les personnes qui ont disparu aux frontières ». Latifa Ben Torkia, dont le frère Ramzi a disparu en 2011 et membre de l’Association des mères de migrants disparus, prend le relais et se lance dans un discours. Elle dénonce l’attitude des États tunisien et italien, ainsi que l’Union européenne (UE), qu’elle qualifie de « mafias », et déplore le traitement que la Tunisie réserve à ses propres enfants. Diori Traoré, de l’Association pour la défense des émigrés maliens, venue de Bamako pour cette rencontre, lance un appel aux autorités des rives nord et sud de la Méditerranée : « Arrêtez de tuer la jeunesse africaine ! Ouvrez les frontières ! »
VICTIMES DES POLITIQUES MIGRATOIRES EUROPÉENNES
Selon le Forum pour les droits économiques et sociaux (FTDES)2, au moins 507 personnes sont mortes ou portées disparues depuis début 2022 après avoir tenté de rallier l’Europe à partir des côtes tunisiennes. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé quant à elle plus de 17 000 personnes décédées ou disparues en Méditerranée centrale depuis 2014, faisant de cette zone la route migratoire la plus meurtrière au monde. Comment expliquer ce constat dramatique ? Dans un rapport publié en juin 20203, le réseau Migreurop, qui rassemble des chercheurs et des activistes d’Europe et d’Afrique, considère que « la Tunisie est devenue ces dernières années une cible privilégiée pour les politiques d’externalisation des frontières de l’Union européenne en Méditerranée ».
Déploiement de l’agence Frontex, « garde-côtes nationaux de mieux en mieux équipés et entraînés » et « système d’expulsion sans cadre juridique », l’organisation considère que « tous les ingrédients seront bientôt réunis pour faire de la Tunisie la parfaite garde-frontière de l’Union européenne ». Et le rapport de Migreurop conclut que « ces corps qui s’amoncellent » sur les plages ou dans les cimetières de Tunisie, « ce sont les victimes des politiques migratoires de l’Union européenne ».
Une fois les prises de parole terminées, le cortège reprend son chemin et s’approche du littoral. La date du 6 septembre a été choisie en mémoire du naufrage survenu le 6 septembre 2012 au large de Lampedusa. Ce jour-là, une embarcation partie de Sfax avec plus de 130 personnes à son bord a chaviré à proximité de l’îlot italien de Lampione. Seules 56 personnes ont pu être secourues. Mohamed Ben Smida, dont le fils était à bord, s’en souvient « comme si c’était hier ». Après le naufrage, « les autorités tunisiennes nous ont dit : "Vos enfants sont disparus" », raconte-t-il. Il hoche la tête : « "Disparus", mais qu’est-ce que ça veut dire ? Je ne sais pas. Pour moi, c’est soit "mort", soit "vivant". Soit "noir", soit "blanc". C’est tout ». Mohamed évoque les nombreuses manifestations devant les ministères, les demandes répétées auprès des institutions pour faire la lumière sur la disparition de son enfant. Sans que rien ne se passe. « Les gouvernements se succèdent depuis la révolution, à chaque fois, ils disent qu’ils vont s’occuper de cette question des disparus, mais au final, ils ne font rien », constate-t-il, amer. Il parle aussi des faux indicateurs ou pseudo-journalistes qui l’ont abordé en lui promettant des informations sur son fils. « Puis la personne revient quelques jours plus tard pour te dire : "Ton fils est mort", alors qu’il n’en sait rien. Et là, tu pleures de nouveau ».
LA SOLIDARITÉ DES PÊCHEURS
Les manifestants s’arrêtent sur une plage. Ils déploient une banderole avec la liste des 48 647 personnes mortes aux frontières de l’Europe recensées par l’organisation néerlandaise United for Intercultural Action. La liste s’étale sur plus de 20 mètres sur cette plage de Zarzis, dont le littoral est le point de départ de nombreuses tentatives de passage vers l’Europe. Samia Jabloun se recueille un instant face à la mer puis lit un poème en l’honneur de son fils Fedi. Plusieurs membres de l’Association des pêcheurs de Zarzis sont présents. « En mer, c’est très fréquent qu’on croise des Zodiac avec des Africains, des Algériens, des Tunisiens, des mineurs, des femmes et des enfants, partis des côtes libyennes ou tunisiennes », témoigne Lassad Ghorab, pêcheur depuis 22 ans. « Dans ce cas-là, on ne se pose pas de questions, on arrête le boulot et on leur porte secours si nécessaire », tranche-t-il. Lassad s’emporte contre les passeurs libyens : « Ils font monter dans des Zodiac jusqu’à 150 personnes, ils ne laissent pas le choix aux migrants et les menacent avec des armes : "Soit tu montes, soit t’es mort ! " »
Un autre pêcheur, Chamseddine Bourrassine raconte comment, en mer, les trafiquants libyens auraient menacé des pêcheurs de Zarzis : « Plusieurs fois, des miliciens nous ont pris pour cible et ils ont tiré dans notre direction ».« On a même eu des cas de pêcheurs pris en otage ! » s’indigne celui qui, en 2018, avait été placé en détention en Italie, accusé d’être un passeur après avoir porté secours et remorqué une embarcation en détresse. Criminalisés par les autorités italiennes d’un côté, pris pour cible par les trafiquants libyens de l’autre, les pêcheurs de Zarzis n’ont pourtant pas l’intention de renoncer à agir et porter secours : « On est face à des êtres humains, on est obligé de faire quelque chose », affirme avec conviction Lassad Ghorab.
Après cet arrêt sur la plage, le cortège repart en direction du port de Zarzis, dernière étape de cette « Commémor’action », à la fois marche en hommage aux morts et disparus aux frontières et moment de dénonciation des politiques migratoires. Les pêcheurs de Zarzis ont obtenu l’accord des garde-côtes pour que les manifestants puissent embarquer sur deux de leurs navires pour une sortie en mer. Mais, alors que les marcheurs se pressent pour accrocher leurs banderoles sur les flancs des bateaux, les garde-côtes changent d’avis. Prétextant des raisons de sécurité, ils refusent que les deux bateaux sortent du port en même temps. Les arguments des pêcheurs et des activistes n’y changeront rien. Et les roses, que les proches de disparus espéraient pouvoir disperser en pleine mer, seront finalement jetées dans le port de Zarzis, les bateaux étant restés à quai.
UN REPRÉSENTANT DU HCR CIBLE LES MÈRES DE DISPARUS
En réaction à la publication d’une photo de la marche, Vincent Cochetel, l’envoyé spécial du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) pour la situation en Méditerranée centrale et occidentale, poste le tweet suivant :
Nous pleurons leur perte. Mais ces mêmes mères n’ont eu aucun problème à encourager ou à financer leurs enfants pour qu’ils se lancent dans ces voyages périlleux. Comme au Sénégal, poursuivre symboliquement les parents pour avoir mis en danger leurs enfants pourrait entraîner de sérieux changements d’attitude envers ces voyages mortels.
Très critiquée sur le réseau social, la sortie du représentant du HCR, qui a toutefois tenté de s’excuser dans un second tweet, est également dénoncée par l’Association des mères de migrants disparus, jugeant « honteuse » la déclaration de Vincent Cochetel. Sœurs et mères condamnent à la fois « la politique des pays du Sud, en particulier la Tunisie, qui a détruit nos enfants et ne leur a pas fourni la vie qu’ils méritent » et « la politique de l’Union européenne, qui nous a imposé des visas et a resserré les frontières au visage de nos enfants, alors que ses citoyens se rendent dans nos pays sans problème ou sans files d’attente pour prendre des visas ».
« Comment un responsable d’une institution internationale peut-il s’exprimer ainsi ? » réagit Majdi Karbai, député des Tunisiens d’Italie au dernier parlement élu, qui suit de près la question des politiques migratoires entre l’Italie et la Tunisie. Le parlementaire constate que, chaque année, « des centaines de jeunes Italiens quittent leur pays pour aller trouver d’autres opportunités en Belgique, en Allemagne ou au Luxembourg ; eux peuvent voyager tranquillement ». En revanche, ajoute-t-il, « une partie de la jeunesse des États voisins de l’Europe est condamnée à rester dans son pays ». Majdi Karbai déplore que « les familles de disparus se heurtent, dans leurs recherches, à une absence totale de réponse des autorités tunisiennes ». Selon lui, si les autorités italiennes semblent disposées à s’engager dans un processus de recherche, « il n’existe aucune volonté de l’État tunisien de s’impliquer dans la mise en place d’une commission d’enquête sur les migrants disparus ».
Au port de Zarzis, Samia Jabloun, aidée par quelques marcheurs, plie une banderole. Sur celle-ci figure un portrait de son fils disparu, Fedi, accompagnée d’un message inscrit en anglais : « A family never forgets their warriors » (« Une famille n’oublie jamais ses combattants »). Si les autorités des pays de la rive sud de la Méditerranée ont fait le choix du silence et de l’oubli, la mémoire des disparus continue malgré tout de perdurer via la lutte de leurs familles et soutiens.
Le chef de l’État a défendu mercredi la loi qui fait triompher les idées de l’extrême droite. Faisant le lien entre immigration et insécurité, il n’a pas pris la peine de mentionner tous les obstacles que doivent affronter les étrangers, directement liés aux défaillances de nos politiques migratoires.
PartoutPartout depuis des mois, on entend dire que l’immigration est un « problème » ou qu’il y a un « problème migratoire » à régler. Emmanuel Macron a repris cette rhétorique mercredi 20 décembre, sur le plateau de C à vous, lors de sa première intervention médiatique suivant le vote de la loi sur l’immigration le 19 décembre.
« Il y a un problème d’immigration dans le pays, parce qu’il y a trop d’immigration clandestine et que ça crée des déséquilibres, des sujets, des pressions », a-t-il déclaré, ajoutant que cette situation « faisait pression sur notre système ». Le chef de l’État a également affirmé qu’il y avait « plus de pression migratoire » en France qu’il y a dix ans.
Personne sur le plateau ne l’a repris sur la réalité des chiffres : 16 % des personnes ayant demandé l’asile en Europe en 2022 l’ont fait en France (contre 25 % en Allemagne), et notre pays est celui qui bénéficie du taux de protection parmi les plus faibles d’Europe (70 % des demandes sont rejetées). Gérald Darmanin lui-même s’en est vanté lors des discussions entourant la loi immigration, lorsque celle-ci n’en était qu’au stade de projet.
Certes, l’Europe – et la France par voie de conséquence – a connu un afflux d’exilé·es, notamment de réfugié·es, en 2015 et au-delà, venus en partie de Syrie et d’autres pays ayant connu les printemps arabes. Là encore, la France ne figure pas parmi les pays qui ont le plus ouvert leurs portes. Alors que l’immigration a progressé de 60 % en Europe de l’Ouest entre 2000 et 2020, elle n’a augmenté que de 36 % en France. L’Allemagne d’Angela Merkel a accueilli plus d’un million de réfugiés, sous les critiques ou les congratulations de certains États parfois, faisant l’honneur de l’Europe en des temps particulièrement sombres.
Lorsqu’Emmanuel Macron affirme haut et fort, à une heure de grande écoute à la télévision, que l’immigration est un « problème » ou engendre des « pressions », il oublie donc de dire que, dans les faits, le nombre de personnes ayant rejoint le territoire français n’est pas suffisamment élevé pour chambouler nos politiques intérieures. Et il crache au passage à la figure de millions d’étrangers en France, qu’ils soient arrivés légalement ou non, qu’ils vivent aujourd’hui sur notre sol avec ou sans papiers, qu’ils travaillent ou non.
Politique de non-accueil
Le vrai problème, c’est la politique de non-accueil mise en place par l’État français, qui conduit de nombreux exilés à survivre dans la rue ou sur des campements indignes, alors que l’hébergement est un droit fondamental. Il faut se rendre sur le terrain pour constater que, dans les camps informelsqui se constituent en région parisienne, se trouvent des femmes, des enfants ou des bébés, des hommes, parmi lesquels des demandeurs d’asile, qui devraient pourtant avoir une place d’hébergement via le dispositif national d’accueil qui le prévoit.
On y trouve également des réfugié·es ayant obtenu la protection de la France, et qui devraient, en toute logique, obtenir un logement pour parvenir à s’intégrer correctement. Comment oublier Omar*, réfugié érythréen rescapé de l’attaque au sabre, sur un camp de Bercy, laissé sans prise en charge jusqu’à ce que les associations d’aide aux migrant·es ne se mobilisent pour lui offrir un semblant de stabilité ? Il aura fallu que Ian Brossat, alors élu à la Ville de Paris, se charge personnellement de son dossier afin qu’il obtienne un logement digne de ce nom.
Confrontés à des situations particulièrement difficiles, certains en perdent la raison et sont condamnés à errer dans les rues de la capitale ou d’ailleurs – on pense à l’assaillant de l’attaque au couteau d’Annecy en juin 2023. Ils doivent subir la précarité, le sans-abrisme, mais aussi le harcèlement policier quasi systématique, comme l’a démontré un récent rapport du Collectif accès au droit (CAD) ; lorsqu’il ne s’agit pas de violences policières, souvent passées sous silence ou ne donnant pas lieu à des poursuites judiciaires.
Belvédère. Roman de Aïcha Kassoul. Casbah Editions, Alger 2023, 142 pages, 900 dinars
Bien sûr, il y a un personnage central qui se raconte et raconte sa vie ainsi que celle de ses proches, surtout la maman et aussi, ce qui est désormais incontournable chez nos romanciers, l'entourage, social, politique et professionnel. Souvent frontalement, parfois en douceur. On n'est jamais assez prudent.
On a donc de tout un peu et un peu de tout, heureusement enveloppé dans une écriture libre et de très haute qualité... pas toujours accessible au lecteur lambda.
On a donc, au fil des pages, une sorte de confessions intimes sur moult sujets parfois se chevauchant. Il est vrai que le personnage central paraît avoir une âme bien tourmentée entre l'hier et l'aujourd'hui, dans une Algérie bousculée, tiraillée, parfois meurtrie, n'ayant pas totalement récupéré sa forme et son esprit, les épreuves du temps colonial puis celles de la décennie noire ayant laissé bien des blessures.
Au fil des pages et tout au long d'une vie, on voit donc défiler les études à Paris, un détournement d'avion par les terroristes islamistes («Airbus djihad») , l'assassinat d'un président, le hirak, le cinquième mandat présidentiel de l'innomé, les oligarques en prison, la succession de l'innomé, les mauvaises pratiques dans la gestion de l'Université, la «vie» au Club des pins, le pouvoir de destruction d'une carrière des réseaux sociaux sur la «Toile»...
L'Auteure : Née en 1944 à Blida, professeur de lettres (Université Alger 2), productrice et animatrice d'une émission littéraire (Radio Chaîne 3), ancienne consule d'Algérie en France (Besançon). De nombreux articles scientifiques et plusieurs ouvrages dont «Alger en toutes lettres» (2003), «L'Algérie en français dans le texte» (1990), «Chroniques de l'impure» (1998) et «Le pied de Hanane» (2009). Prix «Escale littéraire» en 2018 pour son roman «La colombe de Kant».
Extraits : «Les Algérois ont toujours aimé se mêler des affaires des autres» (p 12), «Doctorrr. Roulé dans le vide, le r le faisait doucement marrer» (p 16), «Le marché de la déconstruction reste permanent et juteux, les édiles plus malins que leurs administrés, vision basse et pied sans cesse aux aguets» (p 21), «Au Soudan, je ne sais pas, mais chez nous le chancre de la bondieuserie politique a tout rongé, lentement, avec une efficacité remarquable» (p 35), «C'est quoi ce pays, le sien, où la vie est si terrible que le naufrage par centaines lui est préférable, l'écume des mers aux lèvres, h'rag la vie, t'es déjà mort. Happé par le trou qui creuse derrière et bas l'absence d'un arrière-pays et d'un pays» (p 83), «L'Etat a de la ressource et même de l'humour. Quand ça parle trop de la corruption qui le fait vivre, il crée une commission pour qu'elle fasse taire tout le monde, et quand les disparus font du bruit, il les dissout avec celle qui était censée les retrouver «(p 127).
Avis : Beaucoup plus un exercice de style qu'une histoire. Ou, une autre manière de raconter une histoire. Et, une belle-lettrienne qui maîtrise son écriture.
Citations : «Dans la mécanique du chaos, ce n'est pas faire offense au bon sens que de ruiner ce qui existe, le français condamné à sa disparition et enfilé entre-temps en perles pas rares sur les enseignes des magasins, les menus des restaurants et des cafés. Délectables» (p 21), «(Démission présidentielle). De l'inédit. Dans un pays où mourir sur son fauteuil est, plus qu'un projet, un destin d'homme d'Etat» (p 27), «L'art sur commande ne rend pas service à l'art, aucun mystère là-dessus» (p 50), «La liberté s'apprivoise, mais encore fallait-il supporter ses chaînes, et savoir qu'elles durcissent et finissent par rompre» (p 109), «Un cran d'arrêt, quand s'ouvre le couteau, ça s'entend trop tard» (p 110), «Les histoires sont, comme l'herbe, plus belles chez le voisin» (p 118), «La vengeance, il n'y a que ça, elle est comme le feu, plus il dévore, plus il a faim» (p 123).
Juste une gifle. Roman de Nadjib Stambouli. Koukou Editions, Alger 2023, 133 pages, 1.000 dinars
Derrière un paravent avant et bienveillant se cache, bien souvent, un côté ignoble et odieux. Et, parfois, ça commence sans raison, et c'est le choc, surtout venant d'une personne qu'on n'imagine ni méchante ni brutale. Puis on prend le pli... et les coups deviennent la routine jusqu'à s'étonner quand ils ne pleuvent pas. A peine quelques mois de «lune de miel», après un mariage supposé d' «amour», un époux de niveau intellectuel pourtant supposé élevé (universitaire, pardi !) balance, à sa tendre moitié, elle aussi de niveau intellectuel élevé, non plus un gros bisou, mais une gifle. Sans aucune raison et même s'il y en avait une (un plat un peu trop salé ou un peu trop piquant à son goût ?) en avait-il le droit ? Ou, était-ce seulement l'excuse pour laisser libre cours à son moi profond. Avec le temps, les choses ne s'arrangent pas, le comportement du «bien-aimé» naviguant au gré du temps, de l'humeur et des «envies», entre le câlin, le ton mielleux et la violence. Le traumatisme physique et moral est immense. Il faut alors se confier à d'autres oreilles, ce qui n'est guère facile. D'autres femmes en détresse et en «lutte» contre les violences faites aux femmes. Malgré tout, l'espoir d'une amélioration demeure assez forte... jusqu'au jour où la violence se répète... jusqu'au jour où la violence se retrouve conjuguée à la tromperie. La goutte qui fait déborder le vase et la rupture. Une issue presque heureuse, la «malheureuse» héroïne n'ayant pas encore d'enfant, ayant un travail stable et aussi la maison familiale et une maman qui l'accueille avec joie. Mais toutes les autres ?
L'Auteur : Économiste de formation, journaliste. Il a été directeur de rédaction dans de nombreux journaux (hebdos et quotidiens). Déjà auteur de plusieurs ouvrages dont «Ma piste aux étoiles» (des portraits), «Le comédien», «Le fils à maman ou la voix du sang», «La rancune», «Le mauvais génie» (des romans)...
Extraits : «Il n'est de meilleur lieu qu'une fête familiale pour faire ses emplettes de critiques «(pp 6-7), «Avec tous les êtres chers, on partage les confidences, mais on ne partage pas toutes les confidences avec les êtres chers» (p 28), «Dans les escaliers, on passe devant la dame, pour ne pas la mettre dans la gêne en ayant sa croupe au centre du champ de vision» (p 43).
Avis : L'expérience du journaliste reporter et la sensibilité du commentateur. Claire comme écriture. Précis comme faits. Prenante comme «intrigue» (plutôt une mésaventure). Un livre à lire par toutes celles et tous ceux qui ne supportent pas les «machos», déclarés ou hypocrites.
Citations : «Rien ne raccourcit les distances autant que le vœu de fuir un endroit» (p19), «Une gifle, en soi, ce n'est rien du tout, on s'essuie la joue et c'est oublié. C'est la suite qui est le problème» (p57), «L'amour rend aveugle, peut-être, mais ce n'est pas un somnifère» (p 77), «Le travail est effort, physique ou mental, mais surtout atmosphère» (p77), «La belle vie, c'est être rassasié sans être glouton, c'est être serein pour apprécier le moindre plaisir des sens, offrande du jour ou de la nuit» (p 88).
Les vidéos filmées et diffusées par des soldats israéliens montrant des personnes arrêtées par l’armée israélienne dans le nord de la bande de Gaza suscitent l’indignation quant au traitement réservé aux prisonniers palestiniens. Des témoignages d’hommes libérés renforcent l’inquiétude.
UnUn soldat ne devrait pas filmer ça. Et encore moins le diffuser. Les téléphones portables alliés aux réseaux sociaux font plus de mal à une armée qu’un rapport d’une organisation de défense des droits humains. Parce qu’elles sont vues, postées et repostées.
Depuis le 7 décembre, des photos et des vidéos circulent sur la toile. On y voit des prisonniers palestiniens dans des postures humiliantes. Des files d’hommes menottés et aveuglés. Sur l’une d’elle, le premier, en tête de colonne, est affublé d’un drapeau israélien, une musique moqueuse accompagnant les images.
Dans une autre, des hommes marchent, vêtus uniquement de sous-vêtements, les mains entravées, des soldats autour et derrière eux, des ruines d’immeubles en arrière-plan. Un de ceux qui filment fredonne en hébreu quelques paroles d’un chant de la Pâque juive, célébrant la libération des esclaves juifs par Pharaon et leur départ d’Égypte. Un autre, plus prosaïque, lance en arabe « allez, allez », avant un « fils de pute » en hébreu.
Le droit international humanitaire, tel qu’écrit par les juristes du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), proscrit l’exposition à la curiosité publique et les traitements dégradants de ceux qui ne se battent pas et de ceux qui ont déposé les armes. Ces interdictions s’imposent aussi dans le cas de conflits non internationaux, comme celui de la bande de Gaza actuellement.
D’autres vidéos et photos ont été publiées par des journaux et télévisions israéliennes. Elles n’ont pas été fournies directement par l’armée israélienne. Mais la censure militaire s’imposant aux médias, il est difficile d’imaginer que les publications n’aient pas été approuvées par l’armée.
Elles montrent encore des prisonniers à genoux, têtes baissées, dans ce qui semble être une carrière de sable, alignés devant un fossé. Ou bien entassés à l’arrière d’un camion. Ou encore alignés en rang, assis par terre. La constante est l’absence de vêtements, hormis les slips, les mains attachées, les yeux bandés.
Sollicitée, l’armée israélienne répond qu’il est « souvent nécessaire que les personnes soupçonnées de terrorisme remettent leurs vêtements pour qu’ils puissent être fouillés et pour s’assurer qu’ils ne cachent pas de gilets explosifs ou d’autres armes ».
La méthode n’est pas nouvelle. Contraindre les hommes à se dévêtir est devenu habituel lors de la deuxième Intifada (2000-2005), non seulement pendant les arrestations, mais aux barrages militaires, par crainte d’attentats suicide. Les menottes, le bandeau sur les yeux, sont également dans la norme. Il est inédit, cependant, de voir la diffusion, à cette échelle, de tels clichés.
L’humiliation est une constante du sort des prisonniers palestiniens
« J’ai été arrêté cinq fois pendant la première Intifada [1987-1993 – ndlr], se souvient Raji Sourani, avocat, directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR) basé dans la bande de Gaza. À chaque fois j’ai été aveuglé par un bandeau, menotté, battu, humilié. En tant qu’avocat, je défends le droit des prisonniers depuis des décennies. Mais cette fois, même moi, avec mon expérience, je suis effaré. Jamais je n’aurais pensé que ça puisse prendre une telle ampleur. »
Plusieurs médias israéliens avancent que ces hommes sont des membres du Hamas qui se sont rendus dans des zones que l’armée israélienne décrit comme des places fortes du mouvement islamique, comme Jabalia ou Khan Younès.
Premières vérifications des activistes et des organisations de défense des droits humains, et premiers démentis : le travail de géolocalisation démontre que les vidéos dont il est question prouvent qu’elles ont été prises dans un autre quartier du nord de la bande de Gaza. « Dès que nous avons vu les vidéos, nous avons fait deux choses. Nous avons vérifié qu’elles montraient des événements qui s’étaient réellement produits et nous avons géolocalisé les lieux, près d’une école à Beit Lahia », raconte Budour Hassan, chercheuse à l’ONG Amnesty International.
Il s’agit d’un de ces établissements scolaires gérés par l’UNRWA, l’agence onusienne d’assistance aux réfugiés palestiniens, où des milliers de familles sont allées chercher un refuge précaire. Certains hommes ont été contraints, sous la menace, d’en sortir et ont été arrêtés.
Le droit des détenus à n’être pas torturés ou traités de manière inhumaine ou dégradante est absolu et s’applique à toutes les personnes, qu’elles participent ou non aux hostilités.
Amnesty International
Démentie aussi, l’allégation les présentant comme des membres du mouvement islamique. « Nous avons pu identifier certaines personnes et nous avons été également contactés par des gens nous disant : “Cette personne est un civil, cette personne est un journaliste, nous connaissons cette personne du quartier : et non seulement il n’est pas du Hamas, mais il critique le Hamas” », affirme Budour Hassan. « On ne peut pas vraiment identifier tous ceux qui sont sur les photos car l’image n’est pas très claire. Nous avons cependant identifié des personnes âgées et des enfants de moins de 16 ans », ajoute la chercheuse.
Très rapidement après l’apparition des images, un journal basé à Londres, Al-Araby Al-Jedid, reconnaît le chef de son bureau à Gaza, Dia al-Kahlout, et le fait savoir. Le PCHR de Raji Sourani identifie, lui, un de ses collaborateurs, avocat et chercheur.
Ce dernier a témoigné, une fois libéré, des circonstances de son arrestation : « L’armée israélienne a exigé par haut-parleur que les habitants sortent des immeubles et des écoles, femmes d’un côté et hommes de l’autre, relate Raji Sourani, qui a recueilli ses propos. Les femmes ont dû enlever leur voile, les hommes se déshabiller entièrement, à l’exception de leur sous-vêtement. Les soldats étaient très nerveux, ils les ont battus, leur ont craché dessus, puis les ont emmenés à un endroit où étaient déjà rassemblés des centaines de prisonniers. »
Dans un communiqué publié mercredi 20 décembre, Amnesty International rappelle ces faits et cingle : « Ces hommes ont été dépouillés de leur dignité et déshumanisés en violation du droit international. Rien ne peut justifier que l’on se moque des détenus ou qu’on les humilie délibérément. Le droit des détenus à n’être pas torturés ou traités de manière inhumaine ou dégradante est absolu et s’applique à toutes les personnes, qu’elles participent ou non aux hostilités. La torture, les traitements inhumains, les disparitions forcées et les atteintes à la dignité de la personne commis dans des situations de conflit armé et d’occupation sont des crimes de guerre ; lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque systématique ou généralisée contre des civils, ils constituent des crimes contre l’humanité. »
La méthode est donc de ratisser large, pour avoir la chance d’attraper quelques poissons. Le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari, l’assume en commentant les images apparues le 7 décembre : « Jabalia et Shejaia sont des centres de gravité, ce sont aussi des camps de réfugiés pour terroristes, et nous les combattons […] Quiconque reste dans ces zones, sort ou rentre de tunnels ou de maisons, nous enquêtons et vérifions qui, parmi eux, est connecté au Hamas, et qui ne l’est pas, en arrêtant tout le monde et en les interrogeant. »
L’armée ne communique pas sur les lieux de détention, ni sur les méthodes d’interrogatoire. Par e-mail, elle se contente de répondre : « Dans le cadre de l’activité des FDI [Forces de défense d’Israël – ndlr] dans la zone de combat, des individus soupçonnés d’être impliqués dans des activités terroristes sont détenus et interrogés. Les personnes dont il s’avère qu’elles ne participent pas à des activités terroristes sont libérées. Les personnes détenues sont traitées conformément au droit international. »
Des récits de torture sur des civils
Douter du storytelling de l’armée israélienne est légitime. Des témoignages des hommes libérés ainsi que des enquêtes publiées le 18 décembre par l’organisation basée à Genève Euro-Med Human Rights Monitor et le quotidien israélien Haaretz font état de mauvais traitements et tortures. Plusieurs sont morts en détention mais « les circonstances du décès ne sont pas claires », écrit Haaretz.
« Nous n’avons aucune idée du nombre de personnes arrêtées, ni de leur sort, hormis pour celles qui ont été libérées, reprend Raji Sourani. Notre avocat correspondant en Israël a contacté le service des prisons. Il lui a répondu qu’il n’avait rien à voir avec les prisonniers de Gaza. Ça signifie que ces prisonniers sont hors du circuit légal. » De fait, une loi permet de sortir les suspects considérés comme « combattants illégaux » du statut de prisonniers de guerre. Votée en 2002 et peu invoquée depuis, elle est susceptible de s’appliquer aux combattants de la bande de Gaza et du Liban.
Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, qui a tué environ 1 200 personnes, principalement des civils, d’autres mesures d’exception ont été adoptées, qui étendent la durée de détention sans présentation à un juge jusqu’à 45 jours, et sans pouvoir faire appel à un avocat jusqu’à 80 jours.
Tous les hommes relâchés par l’armée israélienne, et donc convaincus de n’avoir aucun lien avec le Hamas ou un autre groupe armé, font état de faim et de soif, de mauvais traitements et de tortures pendant des jours entiers. Les menottes très serrées portées pendant des jours leur ont laissé de profondes coupures au niveau des poignets.
« Ils [les soldats israéliens – ndlr] m’ont cassé des morceaux de verre sur la tête », dit l’un d’eux, interrogé par la télévision Al-Ghad dans la bande de Gaza. Le petit groupe dont il fait partie est visiblement éprouvé. « J’ai subi l’électricité », ajoute un deuxième. « Ils nous traitaient de terroristes, de Hamas », complète-t-il.
Des exécutions sommaires ?
Un groupe d’hommes et d’adolescents relâchés a été rencontré par l’agence de presse Sawa, qui dépend de Press House Palestine, organisation de défense de l’indépendance de la presse. Ossama Odeh, un habitant du quartier de Zeitoun dans la ville de Gaza, raconte qu’après avoir rassemblé les hommes, l’armée israélienne a emmené un petit groupe d’une vingtaine de jeunes gens : « L’armée a commencé de jeter les jeunes hommes dans les basses terres et le bulldozer a commencé de leur jeter du sable jusqu’à ce qu’ils soient enterrés vivants. »
S’il est un moment bien oublié de l’histoire de la guerre de Libération nationale, c’est assurément l’action menée par la cellule FLN d’Es-Sénia (Oran) contre un avion d’Air France qui effectuait la liaison entre Oran et Paris.
J’exprime ici toute ma reconnaissance à Mohamed Fréha qui, il y a quelques années déjà, avait attiré mon attention sur cet événement, alors hors champ historique, personne n’en avait fait mention. En effet, ni le récit national, ni les historiens, ni les journalistes n’ont évoqué «l’explosion en plein vol d’un avion commercial d’Air France !». Mohamed FREHA est bien le seul. Dans son ouvrage J’ai fait un choix, (Editions Dar el Gharb 2019, tome 2) il lui consacre sept pages. Ses principales sources étaient la mémoire des acteurs encore en vie, celle des parents des chouhada et la presse d’Oran de l’époque, (L’Echo d’Oran en particulier). Les archives du BEA (Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile), Fonds : Enquête sur les accidents et incidents aériens de 1931 à 1967 et plus précisément le dossier Accidents matériels de 1957 intitulé à proximité de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Armagnac (F-BAVH) 19 décembre 1957, conservées aux Archives nationales de France, ne sont pas encore consultables. Qu’en est-il des archives de la Gendarmerie française ? Qu’en est-il de celles de la Justice civile et militaire là-bas dont celles des Tribunaux permanents des forces armées (TFPA). Et ici ? Et chez nous ? Il reste à retrouver et travailler les minutes du procès.
C’est ainsi que le jeudi 19 décembre 1957, à 14 heures, affrété par Air France, un quadrimoteur « Armagnac SE » numéro 2010, immatriculé F-BAVH appartenant à la Société auxiliaire de gérance et transports aériens (SAGETA), avait quitté l’aéroport d’Oran-Es-Sénia pour Paris qu’il devait atteindre vers 20 heures. A 18 heures 15, il fut brusquement détourné vers Lyon alors qu’il survolait Clermont-Ferrand. Une déflagration venait de se produire à l’arrière de l’avion au niveau du compartiment toilettes. Selon le témoignage d’un passager, la vue des stewards et hôtesses de l’air, qui couraient dans l’allée centrale vers la queue de l’appareil avec des extincteurs à la main, inspira un moment d’inquiétude. Le vol se poursuivit normalement malgré une coupure d’électricité et la baisse soudaine de la température dans la cabine.
Un petit travail de recherches nous apprend que l’aéronef, l’Armagnac SE, avait une excellente réputation de robustesse. Il était le plus grand avion de transport français jamais construit à ce jour et avait la réputation d’avoir «servi à de très nombreux vols entre Paris et Saïgon (actuellement Ho-Chi-Minh-Ville) lors de la guerre d’Indochine, principalement dans le rapatriement des blessés et des prisonniers». A-t-il été repéré et choisi pour cela ?
Il n’en demeure pas moins que le commandant de bord décida alors de se poser à l’aéroport de Lyon-Bron, rapporte le journaliste du Monde (édition datée du 21 décembre 1957). Toujours selon le commandant de bord : «La robustesse légendaire de l’Armagnac nous a sauvés, car d’autres appareils dont la queue est plus fine auraient certainement souffert davantage ». Une photographie montre bien cette brèche de deux mètres carrés.
Débarqués, les passagers comprennent qu’ils ne sont pas à Orly et l’un d’entre eux remarque une « grande bâche qui recouvre le flanc droit du fuselage ». Ils apprennent qu’ils sont à Lyon et qu’il y avait eu une explosion dans l’arrière de l’avion. Ils sont tous interrogés par les enquêteurs de la police de l’Air. L’hypothèse d’un accident technique est écartée et celle d’une action (un attentat, disent-ils) du FLN s’impose, ce qui provoque l’intervention des agents du SDECE. Et pour cause, c’est bien une bombe qui avait explosé.
Mais il y avait aussi le fait que cet avion transportait 96 passagers et membres d’équipage parmi lesquels 67 étaient des militaires de tous grades, venus en France pour les fêtes de Noël. L’enquête reprend à l’aéroport d’Es-Sénia qui se trouvait, à cette époque encore, au sein d’une base de l’armée de l’Air. Elle est confiée dans un premier temps à la gendarmerie d’Es-Sénia et s’oriente vers le personnel civil algérien, femmes de ménage comprises. Mais les soupçons se portent vers les bagagistes qui étaient dans leur grande majorité des Algériens. Elle aboutit à la découverte d’une cellule FLN à Es-Sénia à laquelle appartenaient, entre autres, des bagagistes.
Dans son récit construit sur la base des témoignages, Mohamed Fréha nous donne des noms et un narratif assez détaillé de l’action de ces militants. Le chef de l’Organisation urbaine FLN d’Oran avait transmis à un membre de la cellule dormante d’Es-Sénia, un ordre du chef de Région. Ils devront exécuter «une action armée spectaculaire.» Lors d’une réunion, le 15 décembre, la décision fut prise de «détruire un avion de ligne en plein vol». Mais il fallait «trouver une personne insoupçonnable de préférence avec un faciès européen». Ce fut un Européen, Frédéric Ségura, militant du Parti communiste, bagagiste à l’aéroport. Mohamed Fréha nous donne six noms des membres de la cellule auxquels il ajoute un septième, Frédéric Ségura. Madame Kheira Saad Hachemi, fille d’Amar Saad Hachemi el Mhadji, condamné à mort et exécuté pour cette affaire, nous donne treize noms dont celui de F. Ségura et présente un autre comme étant le chef du réseau. Ce dernier n’est pas cité par Mohamed Fréha.
Lorsque les militants du réseau avaient été arrêtés l’un après l’autre suite à des dénonciations obtenues après de lourdes tortures, Frédéric Ségura, qui avait placé la bombe, est torturé et achevé dans les locaux de la gendarmerie. Selon un policier algérien présent lors de l’interrogatoire, Ségura n’avait donné aucun nom. «Je suis responsable de mes actes !» avait-il déclaré à ses tortionnaires du SDECE. Son corps n’a jamais été retrouvé. Après l’indépendance, le statut de martyr lui fut certes reconnu, mais son sacrifice n’est inscrit nulle part dans l’espace public d’Es-Sénia. Rien non plus sur cette action. La mémoire est impitoyable quand elle est courte et qu’elle laisse la place à l’oubli. Quant au chef de la cellule, Lakhdar Ould Abdelkader, il aurait trouvé la mort au maquis.
Lors du procès, fin mai 1958, Amar Saad Hachemi el Mhadji, gardien de nuit à l’aéroport, fut condamné à mort et guillotiné le 26 juin 1958. Il avait introduit la bombe, crime impardonnable. Dehiba Ghanem, l’artificier, qui avait fabriqué la bombe artisanale, fut condamné à la prison à perpétuité. Les quatre autres impliqués, Kermane Ali, Bahi Kouider, Zerga Hadj et Salah Mokneche, furent condamnés à de lourdes peines de prison. Quant aux quatre autres, la justice a condamné trois à des peines légères et en a acquitté un. Non seulement ils étaient dans l’ignorance de ce qui leur était demandé (transporter la bombe ou la cacher dans leur local) mais de plus ils n’étaient pas membres de la cellule FLN. Des questions restent en suspens faute d’avoir accès aux archives : l’avion a-t-il été choisi à dessein, à savoir le fait qu’il transportait des militaires ? L’objectif était-il vraiment de donner la mort aux passagers ? Sur cette question, Mohamed Fréha rapporte que, réprimandé par sa hiérarchie, l’artificier répondit : « Non seulement que le dosage n’était pas conforme à la formule, mais également la poudre utilisée était corrompue par l’humidité».
Pourtant, Le correspondant du Monde à Lyon avait alors écrit : «Des dernières portes de la cabine jusqu’à la cloison étanche, le parquet était éventré. Il s’en fallait d’une dizaine de centimètres que les gouvernes n’eussent été touchées, ce qui eut entraîné la perte du quadrimoteur». Enfin et curieusement, le passager avait conclu son témoignage en établissant un lien avec un autre événement survenu une année plus tôt: «Réagissant à la piraterie de la «France coloniale» le 22 octobre 1956, lorsqu’un avion civil qui conduisait Ahmed Ben Bella du Maroc à la Tunisie, en compagnie de Mohamed Boudiaf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf est détourné par les forces armées françaises, le FLN voulait une réciprocité spectaculaire».
Spectaculaire ? C’est bien ce qu’avait demandé le chef FLN de la Région. L’action le fut et à un point tel qu’aujourd’hui rares sont ceux qui croient qu’elle a vraiment eu lieu. Il est triste de constater que cette opération qui a causé la mort de deux militants : Frédéric Ségura et Amar Saad Hachemi, n’est inscrite ni dans notre récit national ni dans la mémoire locale. Il nous faut visiter le musée créé par Mohamed Fréha au boulevard Emir Abdelkader à Oran pour y trouver des traces. Ces martyrs et leurs frères du réseau d’Es-Sénia méritent la reconnaissance de la Nation. Peut-être alors que leurs frères d’Es-Sénia et d’Oran leur rendront hommage à leur tour. Inch’a Allah !
par Fouad Souf
*Sous-directeur à la DG des Archives Nationales à la retraite - Ancien chercheur associé au CRASC Oran
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