Dans son nouvel ouvrage, l’historien ravive sa mémoire pour raconter une décennie qui fait du jeune juif déraciné un militant engagé dans les combats de l’ère pompidolienne.
De livre en livre, Benjamin Stora s’attache à partager une vision scrupuleuse de l’aventure qui lie la France et l’Algérie, de la colonisation à la rupture dont le solde ne semble jamais acquis. En marge d’ouvrages savants et décisifs, il a toutefois entrepris une plongée dans son propre parcours, jalons d’une sorte d’ego-histoire qu’il livre sans plan particulier.
Ainsi, après les trois volets parus chez Stock, La Dernière Génération d’octobre (2003), sur son militantisme trotskiste, puis Les Trois Exils. Juifs d’Algérie (2006) et Les Clés retrouvées. Une enfance juive à Constantine (2015), Benjamin Stora livre le chaînon médian, L’Arrivée. De Constantine à Paris, 1962-1972 (Tallandier, 240 pages, 19,90 euros). Du brusque départ de la terre des ancêtres vers cette « métropole », qui confond sans scrupule les juifs indigènes avec les rapatriés, à son engagement d’adulte dans les champs politique comme historique, une décennie fait du jeune juif déraciné un militant engagé dans les combats de l’ère pompidolienne.
Tandis que ses parents, désormais ouvrière et employé, peinent à surmonter le déclassement, minés par la tristesse de la perte et la douleur de l’absence d’horizon, Benjamin Stora affronte un monde nouveau qui le fascine, mais le malmène.
Il y découvre les codes de l’assimilation réussie des lycées Janson-de-Sailly à Marcel-Roby, retrouve au pied des HLM la franche solidarité connue avant l’exil. Jusqu’à ce que Mai 68 le propulse dans d’autres sphères. Là, il lui faut cumuler les tâches pour tracer sa voie de militant et bientôt de chercheur, et s’affranchir de ses racines sans les renier.
La littérature comme boussole intime
Assurant son équilibre entre la cité de Sartrouville et le lycée Marcel-Roby de Saint-Germain-en-Laye, il mène une « double vie » sensible, terrible aussi. Avec le sentiment d’appartenance d’un côté, puissant, et la perspective d’un avenir que de solides études rendent possibles. La littérature lui sert de boussole intime, Le Rouge et le Noir en tête : « Les héros stendhaliens m’aidaient d’une certaine façon à me repérer dans mes tourments. »
La vocation d’historien viendra plus tard. Après la tentation de l’engagement politique qui permet de s’inscrire dans un mouvement lu dans le temps long. Connaître les références, les dates-clés et les biographies nécessaires pour savoir où se situer, de qui se réclamer. En soif de repères, le jeune homme n’opte pas pour l’histoire par vocation, mais par nécessité. Ce sera à Nanterre avec les meilleurs maîtres : Robert Mandrou, René Rémond, Jacques Ozouf, Jean-Pierre Rioux…
Le résultat est probant. Devenu historien, Benjamin Stora va s’attacher à transmettre les récits, sans exclusive, à en souligner les singularités, à répondre au désir d’origine et au besoin d’identité. Mieux : à prohiber par cette histoire au territoire strictement balisé la guerre des mémoires singulières, où s’opposent les douleurs initiales et leurs conséquences sans cesse réactivées.
« L’Arrivée. De Constantine à Paris, 1962-1972 », de Benjamin Stora, Tallandier, 240 p., 19,90 €.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/14/l-arrivee-de-constantine-a-paris-1962-1972-benjamin-stora-s-affranchir-de-ses-racines-sans-les-renier_6205747_3232.html
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