Le conflit au Proche-Orient a révélé les fractures profondes déchirant la prestigieuse université américaine, fragilisant dramatiquement la position de sa nouvelle présidente, Claudine Gay, icône des milieux progressistes.
Claudine Gay, présidente de l’université de Harvard, témoigne devant la commission de l’éducation et de la main-d’œuvre de la Chambre des représentants, à Washington, DC, le 5 décembre 2023.
Elle était une femme, noire, fille d’immigrés haïtiens et spécialiste des études afro-américaines. Lorsque Claudine Gay est choisie pour présider Harvard à compter du 1er juillet 2023, c’est une petite révolution, un nouveau saut progressiste pour la plus ancienne université américaine qui compte 25 000 étudiants et 2 450 professeurs enseignants. Une affirmation politique, alors que la Cour suprême, tous les observateurs l’ont compris, s’apprête à déclarer inconstitutionnelle la discrimination positive pour sélectionner les étudiants.
Las, son mandat àpeine commencé se fracasse, à partir de l’attaque terroriste du 7 octobre, sur le conflit israélo-palestinien. Interrogée le 5 décembre sur les débordements antisémites sur les campus, avec ses collègues de Penn University, Elizabeth Magill, et du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Sally Kornbluth, Claudine Gay, 53 ans, est incapable de répondre clairement à la question posée par la représentante au Congrès, la républicaine Elise Stefanik. « Est-ce que l’appel au génocide des juifs viole le code de conduite » des universités en matière de harcèlement et d’intimidation ? « Cela peut être le cas, selon le contexte, comme cibler un individu », répond Claudine Gay, à l’instar de ses deux collègues.
Obsédées par la défense de leur règlement intérieur sur la liberté d’expression, les trois présidentes restent rivées aux éléments de langage préparés par les juristes. « Cela ne dépend pas du contexte. La réponse est oui, et c’est pourquoi vous devriez démissionner », lance Elise Stefanik. Précision notable : cette représentante trumpiste avait démarré l’audition en assimilant le fait d’appeler à l’Intifada (« soulèvement » en arabe) à celui de « commettre un génocide contre les juifs en Israël et au niveau mondial ». Cette définition toute personnelle, non contestée en séance, a fait basculer le débat du soutien à l’Intifada à la question du génocide.
L’audition a, depuis, été regardée des centaines de millions de fois, suscitant la consternation. Soixante et onze représentants républicains, rejoints par trois démocrates, ont demandé dans une lettre la démission des trois présidentes, tandis que la Maison Blanche se désolidarisait d’elles. « Il est incroyable de devoir dire cela : les appels au génocide sont monstrueux et contraires à tout ce que nous représentons en tant que pays », a déclaré le porte-parole Andrew Bates. Toutefois, Joe Biden se garde de prendre la parole sur l’affaire.
Les enseignants noirs montent au créneau
Samedi 9 décembre, la présidente de Penn, Elizabeth Magill, est acculée à la démission. « Une est tombée, il en reste deux, écrit Elise Stefanik sur X. Harvard et MIT, faites ce que vous devez faire, le monde regarde. » En réalité, au MIT, Sally Kornbluth, qui est de confession juive et qui s’est moins empêtrée lors de l’audition que ses collègues, a déjà reçu le soutien de son conseil d’administration, tandis qu’à Harvard s’organise la résistance de l’intérieur, pour sauver l’icône en devenir Claudine Gay.
Dans une lettre, les enseignants noirs de Harvard, parmi lesquels l’historienne Annette Gordon-Reed, dénoncent les « insinuations » « spécieuses et motivées politiquement » selon lesquelles le processus de sélection de la présidente de l’université aurait conduit à choisir « une personne non qualifiée sur la base de considérations de race et de sexe ». « C’était un superbe choix et elle devrait avoir la chance d’accomplir son mandat afin de démontrer sa vision pour Harvard », assure le corps professoral noir.
Les commentaires récents