C’est en soufflant sur les cimes du mont Halhoul, dans la vallée du Jourdain, que le Grand-Horloger, Maître du Temps et de l’Infini, a dit "ainsi soit-il", et tout fut selon Sa volonté. Il a fait des mirages de Sinaï des oasis où l’on pouvait boire et manger et des rochers de Jéricho des temples sacrés où l’on pouvait prier pour les vivants et pour ceux qui ne sont plus. Emu par tant de miséricorde, le commun des mortels a levé les yeux au ciel et a répondu "Qu’il en soit ainsi, Seigneur, Toi qui sais ce que le destin ignore et qui jalonnes de mille saluts et les chemins de croix et la Vallée des ténèbres". Il n’est de chemins de croix que pour les égarés, ô mortel, et de vallées de ténèbres que dans les desseins inavoués. Car Dieu est lumière. Celui qui veut marcher dans Ses pas trouvera la voie qui mène à la terre que voici ; que l’on soit riches ou pauvres, souverains ou sujets, sourciers ou puisatiers, cette terre est le bercail des quêteurs de paix, sans distinction aucune. Dans chaque grotte officie un prophète et à l’ombre de chaque arbre éclos un poète afin que la beauté des êtres et des choses s’inspire du voeu des vierges au soir de leurs noces. "Le monde sera meilleur quand les Hommes le seront", Dieu a dit.
Lorsque les dattiers ont poussé sur le sable et les oiseaux ont chanté les louanges de Sa grâce, Dieu a posé un baiser sur chaque pierre et a béni toutes les fontaines et tous les vergers. Puis, Il a demandé le silence afin que l’univers entier l’entende et Il a dit "Ô terre des enfants-rois, Palestine sera ton nom jusqu’à la fin des temps".
Ainsi est née la Palestine que le Seigneur a aimée avec une force telle que, de jalousie, une mer en est morte.
… C’était il y a très longtemps, bien avant que les damnés ne se noient dans leurs sueurs, bien avant que les larmes des veuves ne salent les océans, bien avant que le sang des innocents n’enivre les tyrans. Cette terre, que Dieu déclara sainte, connut le glaive et de fouet, le carcan et la crucifixion, le fracas des anathèmes et des abjurations. Le chemin des poètes fut tapissé de braises, la grotte des ascètes s’était remplie de pestiférés, et ce qui n’était que chants et prières se perdit dans le vacarme des diatribes et des abjurations. On a expulsé des familles de leurs maisons et de leur Histoire, coulé du béton sur leurs jardins potagers et sur les tombes de leur mémoire, et on a surpeuplé les geôles de leurs fantômes. Les charniers ont contaminé les prés, les champs de blé ont disparu sous les champs de mines et les barbelés ont pris en otages les rêves et les horizons, jusqu’aux esprits. Depuis que les Justes ont tourné le dos à la Vérité, le Mensonge n’a de cesse de s’inviter à la table des apôtres. Il mange la chair du Christ en buvant son sang tandis que se taisent les saints comme des morts. Désormais, la raison et le tort s’équivalent puisque aucune injustice n’émeut personne et aucun sacrilège ne fait craindre le pire ; les Narcisse d’aujourd’hui ne voient en leur reflet sur l’eau bénite qu’une image à défigurer. Le brave s’est ouvert les veines, le troubadour s’est coupé la langue, le juge s’est crevé les yeux. Tout ce qui faisait rêver l’Homme l’éveille à son inconsistance et jamais hymne n’aura été aussi atone depuis que, dans le ciel de Palestine, le ballet des missiles fascine autant que les feux d’artifices et les drones meurtriers se substituent aux colombes.
YASMINA KHADRA
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