Dans la principale ville du nord du Niger, Agadez, échouent un nombre important de migrants subsahariens expulsés d’Algérie. Parmi eux, raconte “Aïr Info”, beaucoup de mineurs.
Des tentes de fortune abritant des migrants sont vues à Assamaka, au Niger, le 29 mars 2023 (Image d'illustration). Crédit : Stanislas Poyet/AFP
Les autorités algériennes expulsent régulièrement vers le Niger des milliers de migrants qu’elles déversent au “point zéro”, localité située à 15 kilomètres d’Assamaka, la première ville nigérienne à la frontière algérienne.
Parmi les vagues de refoulés, plusieurs centaines d’enfants qui, par la suite, sont transférés à Agadez en vue de leur renvoi vers leur pays d’origine. Avant Agadez, ces migrants passent des jours, voire des semaines, à Arlit.
Tout un parcours qui se passe dans des conditions de prise en charge le plus souvent assez difficiles, malgré les efforts de l’État et de ses partenaires. Pour arriver à Assamaka à partir du “point zéro”, c’est tout un parcours du combattant qui demande beaucoup de courage et d’énergie avant de pouvoir affronter d’autres difficultés à Arlit et à Agadez.
Des rêves d’Italie
Assamaka est une petite ville à environ 212 kilomètres d’Arlit. Koné A., 15 ans, vient de Côte d’Ivoire. Il retrace son parcours du “point zéro” à Agadez : “On nous a refoulés d’Algérie. On nous a laissés à 15 kilomètres d’Assamaka. On a marché jusqu’à Assamaka. Arrivé à Assamaka, on a fait un mois deux semaines et trois jours là-bas dans le camp de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations). On nous a mis dans [un] gros camion pour venir à Arlit. Arrivé à Arlit, on a fait un mois là-bas. Ils nous ont mis dans le bus encore pour venir à Agadez aujourd’hui.”
Koné déplore les conditions de vie à Assamaka. Il dit être content d’arriver à Agadez. “Ici, c’est une grande ville. On mange comme on veut et on dort comme on veut. Et puis, il y a l’eau ici et tout, tout”, se réjouit-il.
Le jeune Ivoirien, qui a abandonné l’école en classe de CE1, voulait rejoindre son grand frère en Italie. C’est d’ailleurs ce dernier qui lui avait envoyé de l’argent pour pouvoir le rejoindre, nous a confiés Koné, qui projetait de s’inscrire dans une école italienne avant de pouvoir travailler. Il a dû passer par plusieurs villes, notamment de Côte d’Ivoire et du Mali, pour se retrouver en Algérie, puis à Agadez, au Niger.
Konaté I., un autre Ivoirien de 17 ans, est aussi l’un des migrants refoulés d’Algérie. Il voulait aussi aller en Italie. Mais, contrairement à Koné, lui n’a pas de frère ni de connaissances en Italie. Son séjour à Assamaka ne lui évoque pas un bon souvenir.
“À Assamaka, il n’y a pas à manger, il n’y a pas d’eau, on ne se lave pas. Tu peux même faire deux semaines [pendant lesquelles] tu ne te laves pas.” Il avait le même projet que Koné. C’est-à-dire, une fois en Italie, il espérait s’inscrire dans une école et, après, travailler.
Konaté I. estime par ailleurs que l’Algérie n’a pas le droit de les refouler, car ils y étaient juste de passage. “On passe seulement. C’est pas pour rester (en Algérie)”, explique-t-il. À présent, selon ses dires, il souhaite rentrer en Côte d’Ivoire pour reprendre l’école. En même temps, il ne pense pas abandonner de sitôt l’aventure de la migration.
Abandonnés au “point zéro”
Limamo, un jeune Sénégalais, nous a raconté qu’ils ont fait trois semaines à Assamaka avant d’être acheminés à Arlit, puis à Agadez. Il affirme avoir vu des migrants qui sont morts à Assamaka à cause de la fatigue. Abandonnés au “point zéro”, Limamo et ses camarades ont parcouru à pied les 15 kilomètres pour se rendre à Assamaka, où les conditions de vie lui semblent difficiles. Heurté par ces tristes conditions, Limamo appelle les autorités de les faire rentrer, lui et les autres migrants, dans leurs pays respectifs.
Souleymane, gambien, fait aussi partie des migrants rapatriés d’Algérie et fraîchement arrivés à Agadez. Le Gambien était en Algérie pour travailler dans les chantiers de construction. Lors de leur rapatriement, Souleymane et ses camarades ont été frappés et dépouillés de leurs biens (argent, téléphone, etc.) en Algérie, nous dit-il. Ils sont arrivés au Niger avec “rien”, regrette-t-il. Il témoigne qu’ils sont plus de 1 000 [à être arrivés] à Assamaka, où ils ont passé trois semaines.
Mamadou M. D., un jeune Guinéen, nous a confié avoir passé un mois, deux semaines et trois jours à Assamaka. Une seule phrase pour résumer la vie là-bas : “C’était difficile.” Par ailleurs, il se sent un peu soulagé de se retrouver à Agadez.
“J’ai été attrapé en Algérie. C’est l’OIM qui nous a amenés ici (à Agadez). Les Algériens nous ont déposés à 15 kilomètres d’Assamaka. On a marché pour rentrer à Assamaka. L’OIM nous a pris là-bas. Ils nous ont embarqués dans un camion, on est venu jusqu’à Arlit. À Arlit, on nous a embarqués dans un bus qui nous a amenés jusqu’ici, à Agadez”, a retracé Mamadou. Il souhaite par ailleurs retourner dans son pays, la Guinée.
Une prise en charge humanitaire
Parmi les acteurs humanitaires rencontrés, Souleymane Issaka, divisionnaire chargé de la protection de l’enfant à la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant d’Agadez.
À Agadez, tous ces migrants sont hébergés et pris en charge dans les centres de transit de différents organismes humanitaires ou au niveau de la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant.
Selon le chargé du bureau de l’UNHCR-Agadez, M. Mahamat Nour Abdoulaye, les enfants bénéficient d’une attention particulière dans le cadre de la fourniture des besoins.
“Au niveau de notre bureau, nous avons des enfants non accompagnés et des enfants séparés, ce qu’on appelle, en sigles, les ENA et les ES. Nous mettons un accent tout particulier sur ces enfants qui sont environ 19 ici, au niveau de la région d’Agadez, sous notre protection”, nous a expliqué le chargé du bureau de l’UNHCR-Agadez.
Ce sont les enfants de 8 à 17 ans qui sont [pris en charge par] le bureau de l’UNHCR-Agadez – pour la plupart des enfants soudanais, étant donné que les réfugiés soudanais sont en nombre élevé à Agadez, selon Mahamat Nour Abdoulaye. En dehors des enfants soudanais, il y a cependant une minorité d’autres enfants qui proviennent d’autres pays, précise-t-il.
À Agadez, la direction de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant intervient dans les questions migratoires depuis 2014 à travers le Centre de transit et d’orientation (CTO), créé en 2014 avec les premières opérations de refoulement des migrants nigériens vivant en situation irrégulière en Algérie, nous a fait savoir Souleymane Issaka.
C’est à partir de cette même année que “nous avons commencé aussi à prendre les enfants non accompagnés, les enfants seuls et les enfants victimes de traite”, souligne-t-il. Ce sont principalement les enfants nigériens en situation de migration, qu’elle soit interne ou transfrontalière, qui sont pris en charge par la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant.
“On leur offre un certain nombre de services. Et le premier de ces services, c’est l’hébergement au niveau de notre centre, qui a une capacité d’accueil de 50 lits qu’on peut étendre à plus en cas de nécessité. À part ça, il y a aussi ce que l’on appelle le ‘screening médical’, c’est-à-dire que tous les enfants que nous accueillons bénéficient de l’assistance sanitaire. S’il y a nécessité même d’hospitaliser ou de référer vers un centre de santé plus spécialisé pour la prise en charge, nous le faisons”, énumère Souleymane Issaka.
Traites de mineurs
Selon lui, tous ces enfants qui sont sur la route migratoire et qui sont aussi victimes de traite ont un vécu, que ce soit dans leurs villages d’origine ou bien à travers toute la route migratoire. “Donc, il y a un certain vécu que nous essayons de retracer à travers ce que nous appelons des histoires de vie. Et ces histoires de vie se font à travers des entretiens spécialisés. Et toutes ces informations se retrouvent en fin de compte dans ce que nous appelons des dossiers de protection”, explique le divisionnaire chargé de la protection de l’enfant.
“C’est pour que nos collègues vers qui nous référons ou bien nous transférons ces dossiers puissent continuer la prise en charge. Et ces dossiers concernent spécifiquement les enfants non accompagnés et les enfants seuls”, précise-t-il.
Malgré les efforts que déploie la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant d’Agadez pour apporter assistance aux enfants, plusieurs difficultés entravent le processus de prise en charge des enfants migrants.
Un autre problème, c’est le nombre élevé des enfants en situation de migration dans la commune d’Agadez. “Tous ces enfants-là, peut-être qu’ils sont dans la perspective de continuer sur l’Algérie, mais c’est par milliers qu’on les dénombre au niveau de la commune d’Agadez. Et malheureusement, ces enfants sont aussi dans une situation qui les expose à beaucoup de dangers”, alerte le divisionnaire Souleymane Issaka.
“Et il n’y a pas beaucoup de réponses précises par rapport à la prise en charge de ces enfants-là, qui sont en situation de migration interne”, s’inquiète-t-il.
Le refoulement des migrants vers Agadez reste une préoccupation majeure pour la région en particulier et pour le Niger en général, qui récolte les conséquences de la politique européenne d’externalisation des frontières et de tous les mécanismes mis en place pour stopper le phénomène de la migration irrégulière.
Tous ces mécanismes mettent à mal le respect des droits des enfants du fait de l’incapacité de l’État et de ses partenaires à leur assurer une prise en charge effective.
(rfi.fr)
Publié hier à 08h12
https://airinfoagadez.com/2023/09/27/migration-irreguliere-dassamaka-a-agadez-dans-la-foulee-de-la-difficile-prise-en-charge-des-enfants-refoules-dalgerie/
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