Si, sur la nappe, les couverts se comptent sur les doigts d’une main, derrière les fourneaux, une grande variété d’instruments sert à préparer les aliments. Découvrez leurs origines, parfois oubliées, et la meilleure façon de les utiliser.
Le tajine algérien, une grande poêle ronde en fonte avec deux anses, qui sert à la cuisson de pains traditionnels et autres galettes. PATRICK PLEUTIN POUR M LE MAGAZINE DU MONDE
Son histoire
D’un point de vue étymologique, le nom « tajine » vient du mot arabe « ţāğīn » – lui-même dérivé du grec « têganon » –, qui se traduit en français par « plat en terre », « poêle à frire » ou « terrine ». Au Maghreb, le terme culinaire renvoie à plusieurs usages et significations. Au Maroc, par exemple, il désigne un récipient de cuisson en terre cuite, composé d’un socle et d’un couvercle de forme conique, qui sert à la préparation de la délicieuse spécialité du même nom, faite de légumes et de viande longuement mijotée.
En Tunisie, c’est un plat à part entière : une préparation épicée à base d’œufs, de poulet (ou de thon), de pommes de terre, de fromage râpé et d’herbes que l’on cuit au four avant de la détailler en carrés. En Algérie, enfin, il renvoie à un ustensile panaire que l’on utilise au quotidien, dans presque tous les foyers. C’est une grande poêle ronde en fonte, munie de deux anses, que l’on pose sur le feu pour cuire le khobz, ce pain maison typique, généralement préparé avec de la semoule fine de blé, de l’huile d’olive, de l’eau et du sel.
Son usage
Dans sa petite cuisine de poche, nichée sous les toits d’un immeuble haussmannien, dans le 18e arrondissement de Paris, Farah Keram fouille dans ses placards à la recherche de son tajine. Dans le fracas des casseroles et des assiettes, elle extirpe sa relique : une vieille poêle d’environ 25 centimètres de diamètre, aux bords cabossés et à la patine noire, un brin défraîchie. L’ustensile paraît vétuste, on pourrait le croire obsolète, mais, aux yeux de l’autrice culinaire, c’est la chose la plus précieuse qu’elle possède.
« Si mon appartement devait prendre feu, c’est l’objet que j’emporterais en premier, explique – en touchant du bois – la journaliste culinaire, autrice de Faire son pain, un ouvrage récemment paru aux éditions Ulmer. Il appartenait à ma grand-mère et c’est la seule richesse qu’ont emportée ma mère et sa sœur lorsqu’elles ont émigré clandestinement de l’Algérie vers la France, dans les années 1980. Je m’en sers presque tous les jours pour cuisiner la kesra, une galette de pain traditionnelle originaire de l’est du pays – une manière pour moi de cultiver mon héritage culturel et familial. »
Le documentaire de Roland Nurier Yallah Gaza est dans les salles françaises depuis le 8 novembre 2023. Sa sortie a été accompagnée d’annulations de projections, y compris à l’Assemblée nationale, et d’appels à la censure. S’y mêlent analyses et témoignages, entre la France et Gaza, pour un film engagé qui s’assume comme tel.
Une question vient à l’esprit, lancinante, tout au long des 100 minutes que dure Yallah Gaza, le documentaire de Roland Nurier tourné en 2022 dans l’enclave palestinienne : combien, parmi les Gazaoui·es filmé·es et interviewé·es dans ce film, sont encore vivants ? Comment vivent-ils, ou survivent-ils, dans cette tourmente sanglante qui emporte leurs existences depuis le 7 octobre et les attaques meurtrières du Hamas en Israël ? Combien sont morts dans les bombardements israéliens ? Quel futur pour ces enfants qui participent à des thérapies de groupe qui leur rendent le sourire, si tant est que cette nouvelle guerre, plus violente encore que celles qu’ils ont déjà subies, les épargne ?
Là n’est pas la moindre qualité de ce film foisonnant et engagé : donner vie aux habitants de la bande de Gaza. Une autre vie que celle, tronquée, montrée habituellement sur nos écrans, faite de bombardements, de poussière, de cris et de sang. Tout est là, bien sûr, dans les images d’archives, dans celles des bâtiments aplatis par les missiles et pas encore dégagés, dans les paroles et dans les corps meurtris. Mais ce que saisissent et portent Roland Nurier et l’équipe palestinienne qui a filmé à Gaza — le réalisateur n’ayant pas eu l’autorisation de s’y rendre lui-même — c’est la résilience de cette population, la détermination des adultes, l’exubérance des adolescent·es et des enfants. Et sans qu’il ne soit prononcé dans le film, c’est bien le mot soumoud qui vient à l’esprit, cet
te persévérance mêlée de détermination qui est érigée en valeur culturelle par les Palestiniens.
Photo : attaque israélienne dans un quartier de Gaza à 5h45 du matin le vendredi 24 novembre 2023. Crédit : Motaz Azaiza.
L’Association France Palestine Solidarité espère que l’accord passé entre le gouvernement israélien et le Hamas, dont la mise en œuvre doit commencer ce 24 novembre, va se réaliser pleinement.
Des dizaines de femmes et d’enfants israéliens otages des groupes armés palestiniens devraient pouvoir rentrer chez eux et des dizaines de femmes et de jeunes palestiniens emprisonnés par Israël également. Ce sont des vies qui vont pouvoir commencer à se reconstruire auprès de leurs familles, et c’est évidemment positif.
Ces libérations sont une lueur d’espoir, mais ne soyons pas dupes, ce qui reste vital pour la population de Gaza, c’est l’urgence d’un cessez-le-feu total et permanent associé à la libération de tous les otages israéliens et de tous les prisonniers palestiniens.
Qu’un moment de répit soit enfin accordé aux centaines de milliers de personnes qui, à Gaza, se trouvent affamées, sans eau, sans médicament, dans une détresse absolue était une question de survie. Mais il faut que la levée du blocus soit complète et sans restriction, que les secours, l’eau, l’essence, la nourriture, les médicaments, puissent entrer de toute urgence par plusieurs voies d’accès, au nord comme au sud de la Bande de Gaza.
Les dernières informations publiées montrent qu’on en est encore loin et jusqu’au dernier moment avant l’heure fixée pour la trêve, Israël a continué de bombarder massivement la bande de Gaza, ajoutant des dizaines de victimes aux 14.000 déjà recensés.
C’est pourquoi l’Association France Palestine Solidarité continue d’exiger du gouvernement français qu’il fasse pression sur Israël pour que cette trêve se transforme en cessez-le-feu permanent.
L’arrêt de l’agression d’Israël contre le peuple palestinien doit aussi concerner la Cisjordanie, soumise de manière toujours plus importante et brutale à la violence conjuguée des colons et de l’armée d’occupation.
La liste des 300 noms de prisonniers politiques libérables est un début certes positif, mais elle est bien peu de chose au regard des 3000 arrestations dont 200 mineurs depuis le 7 octobre en Cisjordanie ; sans compter les milliers de travailleurs palestiniens de Gaza qui ont été arrêtés, maltraités, humiliés, torturés pour certains et maintenant les rafles dans la Bande de Gaza : des médecins et soignants arrêtés, des milliers de Palestiniens aux mains de l’occupation dans une zone de non-droit total ! Cette vague massive d’arrestations des Palestiniens doit cesser !
La volonté proclamée par le gouvernement israélien "d’éradiquer" le Hamas, alors qu’il en a favorisé le développement, ne mènera qu’à toujours plus de malheurs pour les peuples palestinien et israélien. Le véritable objectif de la guerre atroce menée par Israël contre le peuple palestinien reste le nettoyage ethnique et la dépossession de sa terre : c’est le but à peine masqué de la destruction en cours de la Bande de Gaza ; c’est aussi l’objectif qui est visé par le vol méthodique de la terre et le déplacement forcé d’un maximum de communautés en Cisjordanie. C’est cette entreprise criminelle qu’il faut stopper.
La mobilisation internationale pour un cessez-le-feu immédiat commence à porter ses fruits. Amplifions-la pour que la trêve devienne un véritable cessez-le-feu, total et durable, accompagné de la libération de toutes les personnes emprisonnées de part et d’autre.
L’accord très partiel dont la mise en œuvre commence ce 24 novembre montre que cette voie est possible. Il n’y a pas de solution militaire. Seule une solution politique passant par la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien permettra d’assurer la sécurité de tous sur cette terre.
Le Bureau National de
l’AFPS, 24 novembre 2023
SOURCE : Une trêve bienvenue, mais l’urgence demeure d’un cessez-le-feu total et permanent -
Association France Palestine Solidarité (france-palestine.org)
Par micheldandelot1 dans Accueil le 25 Novembre 2023 à 06:28
Madeleine Riffaud en juillet 2021 - Christophe Archambault - AFP
Connue pour son combat de résistante, ancienne journaliste à l’Humanité, la poète aujourd’hui âgée de 99 ans, victime d’un abus de confiance, vient de rendre publique une lettre intitulée « Les héros meurent seuls ». Son appel au secours a été entendu puisqu’une cagnotte a été ouverte pour la soutenir.
La résistante a connu l’horreur du nazisme, la grande reportère de guerre a connu le combat et la mort dans les guerres anticoloniales en Algérie, en Indochine puis au Viet Nam, le pire de ce que l’humanité ait pu produire mais aussi le goût de la lutte collective pour la dignité humaine et la libération nationale. Madeleine Riffaud, « Rainer » la combattante FTP, qui a tué un sous-officier nazi de deux balles dans la tête en plein cœur de Paris, mène aujourd’hui à 99 ans une bataille pour faire respecter ses droits. Depuis des années souffrant de cécité, elle est aidée dans son quotidien. Son aide à domicile aurait abusé de sa confiance en la dépouillant d’une somme importante. Un procès doit avoir lieu prochainement. Mais en attendant la situation financière de Madeleine Riffaud se dégrade. Amie de Paul Eluard, Pablo Picasso et Louis Aragon, la poète et journaliste prend la plume et écrit une lettre « Les héros meurent seuls » qu’elle publie sur son compte Facebook le 23 novembre. C’est un véritable appel au secours (à lire ci-après). À sa lecture, des amis parmi lesquels Jean-David Morvan et Dominique Bertail les coauteurs de la bande dessinéeMadeleine et de nombreux camarades et lecteurs de l’Humanité s’alertent alors immédiatement et décident d’ouvrir une cagnotte en ligne pour la soutenir. Vous pouvez apporter votre soutien en versant ici à cette cagnotte.
« Les héros meurent seuls »
« Loin de moi l’idée de me qualifier d’héroïne. Dans la résistance, comme en tant que reporter de guerre, je considère n’avoir fait que ce que je devais faire. Pour moi, ce sont mes camarades, les vrais héros. Mais on me qualifie souvent ainsi, ces derniers temps. Nombre de » gens de pouvoir « me font des honneurs sur les réseaux sociaux ou dans la presse… Et le jour où je fermerai les yeux, on me parera sans doute de toutes les vertus. »
« Oui, mais aujourd’hui, qu’en est-il des actes ? »
« Si j’écris cette lettre, c’est que la justice a médiatisé l’affaire d’abus de confiance qui me concerne. Beaucoup de gens me posent des questions, je vais donc y répondre collectivement. »
« Ceux qui me connaissent savent que mon leitmotiv est « Je ne suis pas une victime, je suis un résistant ». Alors certes, je vais résister, mais je dois bien m’avouer que pour la première fois, je suis une victime. »
« La raison est hélas simple : Je suis devenue aveugle à la suite d’un attentat que j’ai subi à Oran en 1962 (je vois parfois des formes, pas plus). Ne pouvant plus lire mes relevés, j’avais confié la gestion de mes comptes à la directrice de l’entreprise de maintien à domicile qui s’occupait de moi depuis 2011. Je n’entre pas dans les détails de ce que la banque postale a laissé faire – sans jamais me prévenir et sans procuration valable – mais le préjudice retenu par la police après une longue enquête, est de plus de 140 000 euros. Je ne vous dis pas non plus la teneur de certains objets qui ont été achetés avec mon argent, vous rougiriez… »
« Le procès va avoir lieu le 19 décembre, c’est rapide et c’est bien sauf que… je n’ai plus d’argent ! »
« Il ne me reste que quelques mois de réserves pour payer les personnes qui s’occupent de moi quotidiennement, car suite à mon passage aux urgences de septembre 2022, je suis devenue plus dépendante. Je dois notamment faire appel à une personne qui reste auprès de moi chaque nuit. Ça coûte fort cher et figurez-vous que l’URSSAF a un fonctionnement pour le moins surprenant : une personne dépendante n’est exonérée de charges pour les auxiliaires qu’elle emploie que jusqu’à un certain nombre d’heures de travail. Une personne très dépendante n’y a plus droit et doit donc payer cher. Très cher. Sachez-le : Plus vous perdez votre autonomie, plus on vous taxe. »
« Moi qui croyais que la « double peine » était proscrite en France… »
« Bref, j’en suis arrivée à me demander si je ne devrais pas vendre mon appartement, dans lequel j’avais envisagé de faire une fondation. Cette triste affaire pourrait donc aussi voler une partie de la mémoire de la Résistance. »
« Tout ça pour dire que je n’ai plus non plus d’argent pour payer un avocat ! »
« Drôle de monde dans lequel la présumée coupable a de quoi se payer un ténor du barreau, et la victime n’a même pas droit à un commis d’office car, paradoxe de l’administration, mes allocations de Résistante, de victime de guerre, de journaliste et d’invalidité mises bout à bout dépassent le plafond requis. »
« Tout ça est tellement absurde que mon penchant pour l’autodérision pourrait me faire en rire… »
« Sauf que ce qui n’est pas amusant – et c’est la raison pour laquelle j’ai porté plainte – c’est que si cela m’arrive à moi, c’est que ça arrive aussi à beaucoup d’autres personnes ! Et toutes n’ont pas ma voix ! »
« J’ai la chance d’avoir des amis fidèles, qui sont toujours prêts à monter au créneau pour moi. Non pas pour me faire plaindre, mais pour continuer à mener le combat en faveur d’une société plus juste ! »
« Ainsi, suite au scandale des Ehpad, les autorités demandent de privilégier le maintien à domicile. C’était déjà mon choix, mais il faut aussi poser des garde-fous dans ce domaine, renforcer les contrôles, punir ceux qui abusent pour dissuader ceux qui seraient tentés de le faire. »
« Demandez autour de vous, vous serez surpris du nombre de personnes qui disent « Ah oui, c’est arrivé à ma grand-mère », « à mon oncle », « à mon père », etc. »
« Heureusement, l’Onacvg (Office national des combattants et des victimes de guerre) est à mes côtés, mais les aides exceptionnelles qu’ils parviennent à me faire verser aux prix de grands efforts sont avalées immédiatement par l’Urssaf. »
« J’ai écrit à l’État Français via le site internet de l’Élysée, comme chaque citoyen peut le faire, mais aucune réponse encore après trois semaines. Je suis toujours l’actualité de près et je sais qu’ils ont beaucoup à faire… J’ai moi-même risqué ma vie pour tenter de rendre ce monde plus vivable, en premier lieu de 1942 à 1944, dans l’espoir de rétablir ce même État Français. »
« Par cette tribune, j’ai encore l’espoir de faire passer ce message de société qui me semble vital : Ne laissez pas les personnes âgées, héroïques ou pas, finir seules face à des escrocs. »
« Merci à tous ceux qui m’ont aidée, m’aident et voudront bien m’aider. »
Madeleine Riffaud en juillet 2021 - Christophe Archambault - AFP
Connue pour son combat de résistante, ancienne journaliste à l’Humanité, la poète aujourd’hui âgée de 99 ans, victime d’un abus de confiance, vient de rendre publique une lettre intitulée « Les héros meurent seuls ». Son appel au secours a été entendu puisqu’une cagnotte a été ouverte pour la soutenir.
La résistante a connu l’horreur du nazisme, la grande reportère de guerre a connu le combat et la mort dans les guerres anticoloniales en Algérie, en Indochine puis au Viet Nam, le pire de ce que l’humanité ait pu produire mais aussi le goût de la lutte collective pour la dignité humaine et la libération nationale. Madeleine Riffaud, « Rainer » la combattante FTP, qui a tué un sous-officier nazi de deux balles dans la tête en plein cœur de Paris, mène aujourd’hui à 99 ans une bataille pour faire respecter ses droits. Depuis des années souffrant de cécité, elle est aidée dans son quotidien. Son aide à domicile aurait abusé de sa confiance en la dépouillant d’une somme importante. Un procès doit avoir lieu prochainement. Mais en attendant la situation financière de Madeleine Riffaud se dégrade. Amie de Paul Eluard, Pablo Picasso et Louis Aragon, la poète et journaliste prend la plume et écrit une lettre « Les héros meurent seuls » qu’elle publie sur son compte Facebook le 23 novembre. C’est un véritable appel au secours (à lire ci-après). À sa lecture, des amis parmi lesquels Jean-David Morvan et Dominique Bertail les coauteurs de la bande dessinéeMadeleine et de nombreux camarades et lecteurs de l’Humanité s’alertent alors immédiatement et décident d’ouvrir une cagnotte en ligne pour la soutenir. Vous pouvez apporter votre soutien en versant ici à cette cagnotte.
« Les héros meurent seuls »
« Loin de moi l’idée de me qualifier d’héroïne. Dans la résistance, comme en tant que reporter de guerre, je considère n’avoir fait que ce que je devais faire. Pour moi, ce sont mes camarades, les vrais héros. Mais on me qualifie souvent ainsi, ces derniers temps. Nombre de » gens de pouvoir « me font des honneurs sur les réseaux sociaux ou dans la presse… Et le jour où je fermerai les yeux, on me parera sans doute de toutes les vertus. »
« Oui, mais aujourd’hui, qu’en est-il des actes ? »
« Si j’écris cette lettre, c’est que la justice a médiatisé l’affaire d’abus de confiance qui me concerne. Beaucoup de gens me posent des questions, je vais donc y répondre collectivement. »
« Ceux qui me connaissent savent que mon leitmotiv est « Je ne suis pas une victime, je suis un résistant ». Alors certes, je vais résister, mais je dois bien m’avouer que pour la première fois, je suis une victime. »
« La raison est hélas simple : Je suis devenue aveugle à la suite d’un attentat que j’ai subi à Oran en 1962 (je vois parfois des formes, pas plus). Ne pouvant plus lire mes relevés, j’avais confié la gestion de mes comptes à la directrice de l’entreprise de maintien à domicile qui s’occupait de moi depuis 2011. Je n’entre pas dans les détails de ce que la banque postale a laissé faire – sans jamais me prévenir et sans procuration valable – mais le préjudice retenu par la police après une longue enquête, est de plus de 140 000 euros. Je ne vous dis pas non plus la teneur de certains objets qui ont été achetés avec mon argent, vous rougiriez… »
« Le procès va avoir lieu le 19 décembre, c’est rapide et c’est bien sauf que… je n’ai plus d’argent ! »
« Il ne me reste que quelques mois de réserves pour payer les personnes qui s’occupent de moi quotidiennement, car suite à mon passage aux urgences de septembre 2022, je suis devenue plus dépendante. Je dois notamment faire appel à une personne qui reste auprès de moi chaque nuit. Ça coûte fort cher et figurez-vous que l’URSSAF a un fonctionnement pour le moins surprenant : une personne dépendante n’est exonérée de charges pour les auxiliaires qu’elle emploie que jusqu’à un certain nombre d’heures de travail. Une personne très dépendante n’y a plus droit et doit donc payer cher. Très cher. Sachez-le : Plus vous perdez votre autonomie, plus on vous taxe. »
« Moi qui croyais que la « double peine » était proscrite en France… »
« Bref, j’en suis arrivée à me demander si je ne devrais pas vendre mon appartement, dans lequel j’avais envisagé de faire une fondation. Cette triste affaire pourrait donc aussi voler une partie de la mémoire de la Résistance. »
« Tout ça pour dire que je n’ai plus non plus d’argent pour payer un avocat ! »
« Drôle de monde dans lequel la présumée coupable a de quoi se payer un ténor du barreau, et la victime n’a même pas droit à un commis d’office car, paradoxe de l’administration, mes allocations de Résistante, de victime de guerre, de journaliste et d’invalidité mises bout à bout dépassent le plafond requis. »
« Tout ça est tellement absurde que mon penchant pour l’autodérision pourrait me faire en rire… »
« Sauf que ce qui n’est pas amusant – et c’est la raison pour laquelle j’ai porté plainte – c’est que si cela m’arrive à moi, c’est que ça arrive aussi à beaucoup d’autres personnes ! Et toutes n’ont pas ma voix ! »
« J’ai la chance d’avoir des amis fidèles, qui sont toujours prêts à monter au créneau pour moi. Non pas pour me faire plaindre, mais pour continuer à mener le combat en faveur d’une société plus juste ! »
« Ainsi, suite au scandale des Ehpad, les autorités demandent de privilégier le maintien à domicile. C’était déjà mon choix, mais il faut aussi poser des garde-fous dans ce domaine, renforcer les contrôles, punir ceux qui abusent pour dissuader ceux qui seraient tentés de le faire. »
« Demandez autour de vous, vous serez surpris du nombre de personnes qui disent « Ah oui, c’est arrivé à ma grand-mère », « à mon oncle », « à mon père », etc. »
« Heureusement, l’Onacvg (Office national des combattants et des victimes de guerre) est à mes côtés, mais les aides exceptionnelles qu’ils parviennent à me faire verser aux prix de grands efforts sont avalées immédiatement par l’Urssaf. »
« J’ai écrit à l’État Français via le site internet de l’Élysée, comme chaque citoyen peut le faire, mais aucune réponse encore après trois semaines. Je suis toujours l’actualité de près et je sais qu’ils ont beaucoup à faire… J’ai moi-même risqué ma vie pour tenter de rendre ce monde plus vivable, en premier lieu de 1942 à 1944, dans l’espoir de rétablir ce même État Français. »
« Par cette tribune, j’ai encore l’espoir de faire passer ce message de société qui me semble vital : Ne laissez pas les personnes âgées, héroïques ou pas, finir seules face à des escrocs. »
« Merci à tous ceux qui m’ont aidée, m’aident et voudront bien m’aider. »
La femme algérienne, le soldat inconnu, un nouvel ouvrage sur le rôle majeur de la femme dans la résistance et la lutte contre le colonisateur français.
Un nouvel ouvrage La femme algérienne, le soldat inconnu, publication récente du Centre national de documentation, de presse, d’images et d’information (CNDPI), met en lumière le rôle majeur de la femme algérienne à travers l’histoire, notamment dans la résistance et la lutte contre le colonisateur français.
A travers des images d’archives et des textes, le livre retrace la lutte de la femme algérienne à travers l’histoire, notamment contre le colonisateur français, mettant en exergue son rôle primordial dans la préservation des traditions et coutumes ainsi que de l’identité nationale musulmane.
L’ouvrage évoque principalement le rôle pionnier des femmes algériennes dans la résistance face au colonialisme français durant la guerre de Libération, devenues symbole de la femme libre et fière. Ces moudjahidate, fidaiyate, moussabilat et militantes qui ont fait entendre leur voix au monde entier s’érigeant en modèle pour toutes les femmes du monde.
Le livre s’intéresse également à la participation de la femme combattante aux côtés de l’homme à la lutte contre le colonisateur, son apport et sa contribution à la guerre de Libération nationale, notamment à travers la collecte de fonds et d’informations, l’assistance des malades et des blessés de guerre, la participation à la lutte armée et sa résistance dans les geôles et prisons coloniales face à toutes formes de torture et aux sévices endurés.
Djamila Boupacha, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouhired, Zohra Drif, Djamila Bouaza, Meriem Bouatoura pour ne citer que celles-ci parmi les héroïnes de notre patrie connues pour leur parcours militant exceptionnel en Algérie comme à l’étranger et leur exploit inégalé qui restera gravé en lettre d’or dans la mémoire collective de la nation.
Le livre, qui renferme des biographies express de ces héroïnes, accompagnées de leurs photos et témoignages, revient sur les sacrifices de combattantes étrangères d’origine européenne qui ont voué leur vie à la cause algérienne, à l’image de Jacqueline Guerroudj et Annie Steiner.
Il s’agit, en fait, d’un document historique vivant sur lequel l’on peut se référer dans l’écriture de l’histoire de l’Algérie, d’autant plus que la majorité des femmes combattantes n’avaient pas eu l’occasion de livrer leurs témoignages. Ce livre se veut un hommage à ces femmes et une reconnaissance à leur juste valeur.
L’ouvrage met en lumière ces Algériennes qui ont consacré leur vie à préserver l’identité nationale et à perpétuer les valeurs et les traditions des Algériens, ces Algériennes qui ont su maintenir vivace le sentiment d’appartenance à la patrie et le transmettre aux autres générations.
La femme algérienne, le soldat inconnu, cette publication de 159 pages, a été réalisée à partir d’une collection de documents et de photos en noir et blanc, extraits des archives du Centre national de documentation, de presse, d’images et d’information, à l’occasion du soixantième anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale.
Mon âme respire une terre gorgée de sang Mes mots ne disent plus rien Et mon corps rieur s'envole sur la voie lactée
Mon Algérie est mon berceau couvert de satin Elle est mon écrin quand je cherche la perle Je suis son grain jamais perdu sur les dunes
Je ne connais pas la gloire des survivants Je ne parle pas aux rochers dépulpés Mes dents ne mordent plus rien
Mon Algérie, te suffiras-tu de pieds épars Sur les routes goudronnées qui perdent le nord Quand les scarabées indiquent aux boussoles Ton sud oublié ?
Je n'aime pas les morts que la mer a noyés Je n'aime pas les vivants qui mâchent leurs mots Je n'aime pas la vie qui se croit éternelle Je n'aime pas la haine qui n'a pas de prix
Je ne sais pas passer par quatre chemins Je ne peux pas écrire le testament des autres Je ne veux pas être la risée de mes enfants Je n'aime pas les routes barrées
Je n'ai pas la mémoire des éléphants Je n'ai pas la force des hommes Je n'ai pas l'audace des tyrans Je n'ai pas la ruse des femmes
Je suis devant un bol de soupe Quelques grains de blé timides et muets Dansent sur ma cuillère rouillée Plus rien ne bouge quand je remue le courage Autour des pavés de la vérité.
Amina Mekahli
Au sujet de Amina Mekahli
A Propos
Ambassadrice du prix international de poésie Léopold-Sédar-Senghor, dont elle est lauréate en 2017 pour son poème "Je suis de Vous" et en 2020, Amina Mekahli est une poétesse, romancière et traductrice algérienne. Elle est née en 1967 à Mostaganem. Elle a publié son premier Roman "Le Secret de la Girelle" en 2016 et "Nomade Brulant" en 2017, premier roman traitant des camps de regroupement durant la colonisation algérienne suivi de "Les éléphants ne meurent pas d'oubli", un recueil de 7 nouvelles, publié en 2018. Beaucoup de ses poèmes sont également traduits en plusieures langues et inclus dans différentes anthologies dont la dernière en date "De l'Humain pour les
JE SUIS DE VOUS
PAR AMINA MEKAHLI
Ne me regardez pas comme la grêle après la neige Je suis de vous Une infime vous Et nulle part où aller sans vous emporter En moi autour de mes peurs Par delà mes souvenirs broyés entre vos dents Ne me regardez pas comme la pluie sur le désert Larme du ciel supplié Ma chair a le goût de vos lois Mes yeux ressemblent à votre horizon Et je suis de vous pareille En mille morceaux comme vous Éparpillée sur la route du talion Regardez moi cueillir les épines de l’amer De mes mains nouées aux vôtres Par le sceau des secrets Mon dos sous vos jougs lacéré Se lapide lui-même du péché Et nulle part où aller sans vous emporter En moi autour de mon cœur Par delà mes espoirs De balbutiements en finitude Je suis de vous Rien que de vous Aimez ce qui est vous Étrange et étranger Qui sent l’odeur des vents millénaires et d’autrui Emportez moi chez vous Ce sera toujours chez moi Ouvrez moi Ouvrez vos yeux à ma nuit fatiguée A mes jours sans raison A mes heures sacrifiées Égrenez les prénoms Vous reconnaîtrez le mien Parmi les livres empilés Le livre de l’arbre vous le dira Je suis de vous Une infime vous Et nulle part où aller sans vous pleurer De toute mon absence Mon bâton et ma boussole Pleureront sur vos tombes Quand ils trouveront mon nom Sous les vôtres Ouvrez moi Ouvrez vos mains au retour des vagues Qui vous confieront tous les exils De vous Ouvrez le vent et les nuages Aux étoiles brisées Contre vos remparts obscurs Laissez passer la brume de l’instant Laisser passer la rosée de demain Ouvrez moi.
Ce poème est finaliste et lauréat du prix de la 3ème édition du Prix International de Poésie Léopold S.Senghor 2017
La pluie de New York est une pluie d’exil. Abondante, visqueuse et compacte, elle coule inlassablement entre les hauts cubes de ciment, sur les avenues soudain assombries comme des fonds de puits. Réfugié dans un taxi, arrêté aux feux rouges, relancé aux feux verts, on se sent tout à coup pris au piège, derrière les essuie-glaces monotones et rapides, qui balaient une eau sans cesse renaissante. On s’assure qu’on pourrait ainsi rouler pendant des heures, sans jamais se délivrer de ces prisons carrées, de ces citernes où l’on patauge, sans l’espoir d’une colline ou d’un arbre vrai. Dans la brume grise, les gratte-ciel devenus blanchâtres se dressent comme les gigantesques sépulcres d’une ville de morts, et semblent vaciller un peu sur leurs bases. Ce sont alors les heures de l’abandon. Huit millions d’hommes, l’odeur de fer et de ciment, la folie des constructeurs, et cependant l’extrême pointe de la solitude. « Quand même je serrerais contre moi tous les êtres du monde, je ne serais défendu contre rien. »
C’est peut-être que New York n’est plus rien sans son ciel. Tendu aux quatre coins de l’horizon, nu et démesuré, il donne à la ville sa gloire matinale et la grandeur de ses soirs, à l’heure où un couchant enflammé s’abat sur la VIIIème Avenue et sur le peuple immense qui roule entre ses devantures, illuminées bien avant la nuit. Il y a aussi certains crépuscules sur le Riverside, quand on regarde l’autostrade qui remonte la ville, en contrebas, le long de l’Hudson, devant les eaux rougies par le couchant ; et la file ininterrompue des autos au roulement doux et bien huilé laisse soudain monter un chant alterné qui rappelle le bruit des vagues. je pense à d’autres soirs enfin, doux et rapides à vous serrer le coeur, qui empourprent les vastes pelouses de Central Park à hauteur de Harlem. Des nuées de négrillons s’y renvoient une balle avec une batte de bois, au milieu de cris joyeux, pendant que de vieux Américains, en chemise à carreaux, affalés sur des bancs, sucent avec un reste d’énergie des glaces moulées dans du carton pasteurisé, des écureuils à leurs pieds fouissant la terre à la recherche de friandises inconnues. Dans les arbres du parc, un jazz d’oiseaux salue l’apparition de la première étoile au-dessus de l’Impérial State et des créatures aux longues jambes arpentent les chemins d’herbe dans l’encadrement des grands buildings, offrant au ciel un moment détendu leur visage splendide et leur regard sans amour. Mais que ce ciel se ternisse, ou que le jour s’éteigne, et New York redevient la grande ville, prison le jour, bûcher la nuit. Prodigieux bûcher en effet, à minuit, avec ses millions de fenêtres éclairées au milieu d’immenses pans de murs noircis qui portent ce fourmillement de lumières à mi-hauteur du ciel comme si tous les soirs sur Manhattan, l’île aux trois rivières, un gigantesque incendie s’achevait qui dresserait sur tous les horizons d’immenses carcasses enfumées, farcies encore par des points de combustion.
Entre 1958 et 1962, le GPRA et l’UGTA créent des « maisons d’enfants » en Tunisie et au Maroc pour accueillir des enfants algériens réfugiés, souvent orphelins ou séparés de leur famille en raison de la guerre. Dans le mouvement nationaliste algérien, l’initiative vise à la fois à améliorer les conditions de vie des enfants et à former une nouvelle génération, éduquée et responsable, pour la future nation algérienne.
En 1961, quand est publiée une petite brochure sous le titre de Printemps aux frontières, la guerre continue en Algérie, mais des espoirs naissent aux frontières. Ravivant l’expression de « printemps des peuples » et la symbolique de la renaissance, le texte fait la part belle à une réalisation humanitaire et pédagogique en Tunisie et au Maroc : des « maisons d’enfants » — il en existait également en Libye, mais on en sait encore peu de choses faute de documents —, dans lesquelles sont placés des enfants algériens réfugiés, le plus souvent orphelins, dans tous les cas séparés de leur famille. À la veille de l’indépendance, on en compte une dizaine, dans lesquelles plus d’un millier d’enfants a grandi et été éduqué en quelques années.
Si elles ont pour but d’éloigner certains enfants de la misère des conditions matérielles des regroupements de réfugiés, ces maisons sont également dédiées à leur éducation et plus profondément à la construction de petits citoyens pour préparer l’Algérie libre et indépendante, participant de la sortie de guerre. Si l’histoire des réfugiés commence à être mieux documentée1, celle des maisons d’enfants reste largement méconnue. Entreprise de secours et d’éducation, cette expérience fait partie intégrante du projet nationaliste algérien, mené depuis l’hinterland des pays frontaliers. Elle débute en septembre 1958, quand s’ouvre la première d’entre elles, en Tunisie, sous l’égide du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) fraîchement constitué et surtout de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), jeune organisation syndicale lancée par le FLN en 1956, et s’achève en 1962 avec le rapatriement des réfugiés, non sans trouver certains prolongements dans l’Algérie indépendante.
Il est temps de restituer le paysage de ces maisons d’enfants, de les inscrire dans une généalogie, et d’en scruter les ressorts pédagogiques et politiques. S’y intéresser engage également à redonner place à ceux et celles qui les ont peuplés pendant quelques années : à la fois les enfants et adolescents eux-mêmes et les adultes qui les ont accompagnés dans cette expérience juvénile. Ces professionnel·les et humanitaires semblent en effet souvent réduit·es au silence par un afflux mémoriel héroïque, écrasé·es par certaines figures ou par la présence d’Européens, donnant l’impression que la majorité des acteurs algériens sont en fait absents de leur propre histoire.
DES ENFANTS DANS UNE « TROUPE DE FANTÔMES »
La guerre en Algérie engendre d’importants déplacements de population qui s’accélèrent à partir de 1956, quand se déploie la politique française répressive de « pacification » et que le Maroc et la Tunisie acquièrent leur indépendance. En décembre 1958, d’après un rapport du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies, le nombre des réfugiés dans les deux pays se serait établi à 180 000 ; à la fin de la guerre, on estimera que la population de réfugiés algériens s’élève globalement à 300 000. Ces chiffres et le retentissement du bombardement de Sakhiet Sidi Youssef contribueront à faire sortir le HCR de la gestion de populations jusque-là exclusivement européennes et à réajuster le statut international des réfugiés. Le phénomène est en effet si massif qu’il soulève un élan de soutien humanitaire international et que l’agence onusienne ouvre la voie aux organisations humanitaires, notamment au Croissant rouge algérien, fondé en 1957.
Les tableaux de la situation recensent une population composée de vieillards, de femmes et surtout d’enfants, le plus souvent jeunes. Dans la masse des réfugiés aux frontières, le sort des enfants constitue un problème en soi. Ils vivent et grandissent au cœur de cette « troupe de fantômes » ainsi que les désigne une brochure de 1961 du Croissant rouge algérien, en haillons, logeant dans des gourbis ou abris de fortune, parfois dans la terre même, ou s’entassant dans des camps. La photographie joue un grand rôle pour interpeller l’opinion publique internationale, particulièrement sous l’objectif de Mohamed Kouaci, alternant gros plans et portraits de groupes d’enfants pour mettre en relief leur sort et leur nombre. Le Croissant rouge prend en charge les soins et plus largement le travail auprès des réfugiés tandis que les organisations humanitaires internationales sont cantonnées au-delà des frontières.
Peu ou prou, des soins s’organisent, de même que des pratiques scolaires se mettent en place dans les camps, sous la forme de cours de fortune, tandis que certains enfants sont envoyés dans des écoles au Maroc et en Tunisie. C’est dans le but d’éloigner certains enfants des zones de réfugiés et de mettre en place éducation et réadaptation dans un milieu jugé plus sain pour assurer leur développement normal qu’est conçu le projet de maisons d’enfants. La prise en charge vise les enfants livrés à eux-mêmes, notamment ceux arrivés sans famille aux frontières, considérés parfois comme oisifs et menaçants parce qu’ils errent en bandes dans les camps, éveillés dans un univers de violence qui aurait mis fin à leurs jeux d’enfants. Les maisons d’enfants font désormais partie du programme social et éducatif mis en place dans le cadre de la lutte pour l’indépendance algérienne, portées plus concrètement par l’UGTA.
S’ÉLOIGNER DE LA GUERRE
La première maison d’enfants est ouverte en Tunisie, en septembre 1958, dans la ville côtière de La Marsa, près de Tunis, dans une maison mise à disposition par un résident algérien. Il s’agit de la villa Ramsès, vaste bâtisse avec un étage, entourée d’un jardin. En mars 1959, une seconde maison ouvre en Tunisie, toujours à La Marsa, dans une villa de bord de mer, la villa Sourour, destinée à une centaine de jeunes garçons âgés de 5 à 12 ans. Peu de temps après, une troisième est ouverte, dans un secteur proche, mais cette fois un peu hors de La Marsa et au milieu des champs. Ce sera la maison d’enfants Yasmina, destinée également à des garçons âgés de 8 à 14 ans. Elle est sans doute la plus connue des maisons d’enfants, parce qu’elle a fait l’objet d’un récit aux allures de poème pédagogique par celui qui l’a dirigée, l’éducateur algérien Abderrahmane Naceur2.
Au Maroc, la première maison est ouverte en janvier 1959 dans un immeuble de la médina de Casablanca, pour une soixantaine de garçons de 6 à 10 ans, avant qu’une seconde ouvre ses portes à la fin du même mois, la maison d’enfants Souk-El-Jemaa, à Khémisset, dans la campagne, à vingt kilomètres de Rabat, dans une ancienne villa caïdale désaffectée qui avait servi de prison au FLN, pour un peu moins d’une centaine de garçons de 9 à 14 ans.
Ce premier contingent est placé sous la tutelle de l’UGTA, qui obtient le concours de diverses organisations : Union marocaine du travail (UMT), Comités d’aide aux enfants réfugiés algériens, organisations humanitaires plus aguerries qui trouvent dans le secours aux enfants un espace d’intervention dépolitisé, y compris en dérogeant à leur cœur d’activités, telles Oxfam, le Service civil international (SCI), le Rädda Barnen, l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO). Ces maisons sont toutes faites d’un seul tenant, d’où leur appellation, et toujours doivent être reconfigurées et réparées, souvent avec l’aide de volontaires internationaux pour y bâtir un réfectoire, installer des baraques pour la classe, aménager des dortoirs… Mais ces contingences matérielles, les conditions précaires de l’installation et plus largement le manque de subsides sont transformés en outils pédagogiques, forgeant un esprit communautaire. À partir de 1960, d’autres maisons sont même ouvertes, à Douar-Chott et Sidi-Bou-Saïd en Tunisie, ainsi qu’à Rabat et Ifrane au Maroc. Celles qui abritent des enfants d’âge scolaire passent alors sous le contrôle du Croissant rouge algérien. L’une des grandes nouveautés à ce moment-là est l’ouverture de maisons pour filles, d’abord au Maroc, à Aïn-es-Sebaa, quartier périphérique de Casablanca où la maison d’enfants Dar Djamila accueille très rapidement près de 80 fillettes de 6 à 12 ans, recueillies dans la zone de réfugiés à la frontière. Une maison du même type est ouverte à peu près à la même période en Tunisie, à Sidi-Bou-Saïd, sur une colline près de La Marsa.
Si la recherche de maisons est parfois compliquée, leur topographie garantit l’éloignement des frontières et contraste avec la situation vécue au sein des camps de réfugiés. Les enfants peuvent s’ébattre, jouer en plein air, parfois atteindre la mer et la plage, renforçant l’idée que cet espace éducatif est également pensé pour offrir un autre cadre de vie : sain, éloigné de la guerre ainsi que de la promiscuité des camps. Dans les récits d’enfants, à la fois des témoignages et des dessins qui constituent des sources majeures pour saisir la perception sensible de ces moments, s’exprime ainsi la force de la vie collective, la liberté des activités de plein air et des jeux de groupe, le quotidien d’une vie ritualisée loin du front. La « cantine » est ainsi un lieu souvent évoqué, parce qu’« on y mange bien ». L’instruction et la classe sont également des temps importants pour garçons et filles, d’autant que beaucoup sont considérés comme analphabètes quand ils arrivent.
Ces enfants semblent exprimer un sentiment de privilège au regard de ceux qui sont restés dans les camps de réfugiés. Leur placement s’est fait du reste au prix d’un dilemme humanitaire, puisque des milliers d’enfants restent cantonnés aux zones des frontières. Ils sont en fait souvent sélectionnés, notamment par les services sociaux mis en place par le GPRA, quand ils ne sont pas simplement emmenés par les combattants de l’Armée de libération nationale (ALN) elle-même, qui fait office de convoyeuse et de protectrice, récupérés par exemple parce qu’ils étaient exploités aux frontières comme bergers ou domestiques. Le plus souvent, ils sont placés selon des critères tenant à leur « abandon moral », à leur situation familiale, à savoir l’absence de proches à leurs côtés. Certains sont néanmoins envoyés par leur propre famille, pour les protéger, parce que leur père est engagé dans les rangs de l’ALN.
DESSINER L’ALGÉRIE DE DEMAIN
Le premier travail est d’opérer une déprise de la guerre et de la violence : rompre avec le militarisme et l’encasernement, ne pas ressembler à un orphelinat ni à une maison de correction, d’autant que les sinistres souvenirs de la répressive maison de redressement de Birkadem ou de la Cité départementale de l’enfance, orphelinat algérois hors d’âge, sont encore vifs. Les premiers moniteurs chargés de l’encadrement, parfois d’anciens de l’armée française dont certains avaient fait la guerre d’Indochine, sont progressivement remplacés. En 1958, Abderrahmane Naceur est appelé pour prendre la direction de la maison d’enfants de la villa Ramsès. À 24 ans, cet Algérois de la Casbah a derrière lui tout un parcours éducatif, d’abord chez les scouts, puis à la Cité départementale de l’enfance et enfin à l’école d’éducateurs spécialisés d’Épinay-sur-Seine, où il a obtenu son diplôme avant de rejoindre la Tunisie en 1957. Mustapha Hemmam, qui sera directeur de la maison d’enfants de Douar-Chott, a connu une trajectoire similaire. Issu des milieux populaires d’Alger, il est passé par les Francs et Franches Camarades3, puis par ce réseau est recruté comme moniteur à l’aérium de la Croix-Rouge française à Chréa, avant de partir se former à l’école d’Épinay-sur-Seine. D’une manière générale, les moniteurs d’encadrement sont recrutés parmi les réfugiés algériens et reçoivent une formation pédagogique de deux semaines dans les centres de formation du Maroc et de Tunisie, tandis que le corps des instituteurs et institutrices est composé d’Algériens et d’Européens, aidés de jardinières d’enfants venues de France, de Belgique et de Suisse.
Face aux jeunes, dont beaucoup s’imaginent au départ apprendre à faire la guerre alors que d’autres s’avèrent traumatisés par l’expérience de la violence et de l’exil, toute une éducation par la confiance et la responsabilisation s’élabore, non sans difficulté. La classe se tient la journée, à l’exception du jeudi et du dimanche, en arabe et en français. Très rapidement, les méthodes « actives » y tiennent une place majeure, pour les garçons comme pour les filles, selon la méthode Freinet. Les jeunes font de la peinture sur verre, travaillent le plâtre, fabriquent un théâtre de marionnettes, jardinent, pratiquent le sport… Une imprimerie fait son arrivée et les jeunes fabriquent leur propre journal ; à la maison d’enfants Yasmina à La Marsa, ce sera L’enfant algérien, à celle de Douar Chott ce sera Premiers pas, Entre-nous puis L’Olivaie. La production de dessins, mise en évidence dans des productions militantes4, de même que celle de journaux scolaires, atteste que le dessin est une pratique largement employée dans les maisons d’enfants, au Maroc comme en Tunisie. Elle sert notamment à l’expurgation des souvenirs de guerre, avant que les enfants et adolescents ne s’ouvrent à d’autres horizons.
À Khémisset comme à la maison Yasmin
a, le devenir de l’Algérie se joue également sur le plan éducatif, par un apprentissage en actes de la démocratie. À l’instar de ce que l’on a pu observer à la fin de la seconde guerre mondiale5, des « républiques d’enfants » sont instituées au sein de ces maisons. À Yasmina, elle serait même née de la volonté des jeunes eux-mêmes, d’un désir ordre plus juste, d’une organisation plus stable et d’une autorégulation jouant sur la responsabilité, l’un d’entre eux l’exprimant ainsi : « Voilà, explique Sangala. On veut une république, c’est-à-dire, on veut diriger la Maison. Il y aura des chefs qui commanderont. Et le travail marchera bien. »6 Des ministères sont constitués : habillement, information, ravitaillement, hygiène et travail, une rotation des tâches en responsabilité est instituée, de même que des assemblées, également un tribunal tenu par les enfants eux-mêmes pour juger des camarades, notamment les vols de cigarettes et jets de mégots, car l’Algérie nouvelle doit être saine et morale.
Ce dessin de mai 1961 rend compte du départ des ministres algériens pour la première conférence d’Évian. L’objectif d’un État en gestation, vers la construction d’hommes nouveaux et productifs, se voit aussi dans les ateliers de mécanique et d’agriculture de la maison d’Aïssat Idir à la Marsa, comme dans ceux de la maison de Khémisset, qui traduisent la fierté de la mise au travail des jeunes et l’idéal de modernité devant structurer l’Algérie à venir. Au fil de l’année 1960, certaines maisons sont également rebaptisées de noms de héros et martyrs : Djamila Bouhired, dans deux maisons d’enfants, en Tunisie et en Libye ; Ben M’Hidi, assassiné à Alger en 1957, en passant par Aïssat Idir, fondateur de l’UGTA, mort en 1959… Le 1er novembre est commémoré et la maison Yasmina aura les honneurs de la visite de Ferhat Abbas et des membres du GPRA à cette occasion. De nouvelles solidarités internationales sont tissées à l’heure de la Guerre froide et de la décolonisation, dont les enfants eux-mêmes sont les acteurs, qui partent ainsi en colonies de vacances en Allemagne de l’Est ou en Tchécoslovaquie.
Mais alors que la fin de la guerre approche et que la frontière est mouvante, de nombreux combattants se trouvant repliés, il semble bien difficile de soustraire complètement les adolescents à la guerre. Beaucoup ne rêvent que d’approcher les combattants de l’ALN. Et puis, des maisons sont plus proches du front, quand Abderrahmane Naceur se voit contraint de mener ses plus grands à Thala, pour fonder La Source, dont l’effectif est également constitué de garçons du bataillon de cadets de Ghardimaou.
En 1962, les maisons sont fermées, les enfants ramenés à la frontière, rapatriés en Algérie. L’enfance devient une cause nationale et de nouvelles maisons sont édifiées sur son sol, destinées aux orphelins de combattants.
Illustration : Maison d’enfants de Sidi-Bou-Saïd, 1960-1961. Archives du Service civil international (SCI).
Les commentaires récents