La guerre Israël-Hamas affecte très durement les établissements de santé dans le territoire palestinien. Louise Bichet, responsable du pôle Moyen-Orient chez Médecins du Monde, est en lien avec les équipes de l’association présentes sur le terrain et s’inquiète de la « situation effroyable » des soignants et des civils gazaouis.
Un Palestinien soigné à l’hôpital Nasser de Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, le 13 novembre 2023. (ABED ZAGOUT / ANADOLU VIA AFP)
La guerre Israël-Hamas affecte très durement les établissements de santé dans le territoire palestinien. Louise Bichet, responsable du pôle Moyen-Orient chez Médecins du Monde, est en lien avec les équipes de l’association présentes sur le terrain et s’inquiète de la « situation effroyable » des soignants et des civils gazaouis.
Depuis une semaine, les hôpitaux du nord de la bande de Gaza sont au milieu des combats entre le Hamas et l’armée israélienne. L’Etat hébreu est accusé par plusieurs associations et organisations internationales de cibler les infrastructures médicales au motif que des terroristes palestiniens s’y cacheraient. Ce mardi 14 novembre, des milliers de personnes sont toujours prises au piège dans l’hôpital al-Chifa, le plus grand de Gaza-ville, encerclé par Tsahal.
Louise Bichet, responsable du pôle Moyen-Orient chez Médecins du Monde, alerte sur la situation sanitaire et médicale désastreuse dans le territoire palestinien assiégé par Israël qui connaît une pénurie de médicaments et voit ses hôpitaux débordés et attaqués.
Les soignants gazaouis sont-ils en capacité de faire leur travail ?
Louise Bichet Sur les 20 personnes de notre équipe sur place, il n’y en a plus qu’une qui est mobilisée dans un des hôpitaux de Gaza. Les autres sont déjà dans l’impossibilité de travailler. Une partie des hôpitaux ne fonctionnent déjà plus faute d’électricité. Les opérations peuvent avoir lieu à même le sol, sans anesthésie puisqu’il n’y a plus les molécules nécessaires sur place. Un certain nombre de blessés ne pourront pas se remettre de leurs blessures.
Les soignants avec qui on est en contact nous décrivent une situation effroyable. Il est même difficile de trouver les bons qualificatifs pour expliquer ce qui se passe. Les équipes de soin sont elles-mêmes exposées aux frappes aériennes et aux attaques. Nous avons perdu un médecin urgentiste dont l’immeuble a été bombardé.
Quels sont les médicaments qui manquent sur place ?
A ce stade, la pénurie est générale. Les soignants n’ont plus les molécules nécessaires pour opérer. Je parlais du manque d’anesthésiant mais il n’y a pas non plus de désinfectant ou d’antibiotiques. Les Gazaouis n’ont même plus de médicaments pour traiter leurs maladies chroniques. Les personnes mortes de cette pénurie devront aussi être comptabilisées dans les victimes de guerre.
Impossible de faire des dialyses sans carburant pour faire tourner les machines, impossible de traiter les diabétiques sans insuline ou les malades du cancer sans chimiothérapie. A partir du moment où tous les produits nécessaires ne sont pas entrés dans la zone depuis un mois, ça ne peut que tourner à la catastrophe. Des personnes qui n’étaient pas en urgence vitale début octobre le sont aujourd’hui.
Il faut que les points de passage s’ouvrent plus largement pour les convois humanitaires. A côté des 2 millions de personnes qui vivent dans la bande de Gaza, une dizaine de camions qui entrent par jour, c’est anecdotique.
Arrivez-vous à estimer le nombre de patients touchés ?
Sans surprise, il est difficile d’avoir des données fines et chiffrées pour le moment puisque la communication avec les gens sur place est extrêmement compliquée. Mais compte tenu des éléments dont nous disposons sur l’intensité des frappes, le type de bâtiments touchés, les convois humanitaires qui peinent à arriver, on se doute que les conséquences sont très graves et forcément sous-évaluées.
Par ailleurs, nous recevons beaucoup de témoignages qui en disent long sur la situation effroyable des civils à Gaza. Il faut se rendre compte de ce que ça veut dire pour un soignant d’amputer un enfant sans anesthésie. La souffrance est évidemment inimaginable pour les patients, mais la situation est aussi intenable pour les médecins, infirmiers, aides-soignants, etc. Les impacts en termes de santé mentale vont être immenses et extrêmement difficiles à évaluer.
Que vous disent les soignants que vous avez au téléphone ?
Certains sont clairement persuadés qu’ils vont mourir, tout en gardant espoir et en faisant tout leur possible pour survivre. Beaucoup ont perdu leur maison ou ont des appartements extrêmement endommagés. Comme énormément de Gazaouis, ils font des choix qui leur semblent inimaginables : partir de chez soi pour suivre une route non sécurisée, le tout pour rejoindre des abris qui n’en sont pas vraiment.
Pour ceux arrivés dans le sud de la bande, les conditions de vie sont insupportables. Les déplacés n’ont pas accès à l’eau potable, à la nourriture et doivent parfois se contenter d’un W.-C. pour une centaine de personnes. Des collègues me disent qu’ils ne prennent plus qu’un repas par jour, d’autres qu’ils ont vu des amis mourir sous une bombe. On parle d’« évacuations », mais il n’y a pas de réelle protection des vies civiles. Les soignants de nos équipes ont peur et sont en danger de mort, comme tout le reste de la population gazaouie.
Quel soutien la communauté internationale peut-elle apporter ?
Il faut très clairement demander un cessez-le-feu et que l’ensemble des pays et des Etats qui peuvent faire pression sur Israël le fassent. Les vies civiles doivent être sauvées, sur la totalité des morts annoncés, entre un tiers et la moitié sont des enfants. Il faut que tout cela cesse et c’est une urgence absolue. Ce n’est pas qu’une demande des associations, mais aussi d’une partie de la société civile, que ce soit en France ou ailleurs.
Le droit humanitaire n’est pas une option, il ne dépend pas de l’intensité de la vengeance qu’un belligérant voudrait mettre dans une réponse militaire. Il n’y a aucune raison valable de ne pas respecter les règles internationales pour la protection des civils, des soignants et des structures médicales. Le principe de précaution doit être prioritaire.
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https://www.nouvelobs.com/monde/20231114.OBS80831/la-souffrance-est-inimaginable-une-responsable-de-medecins-du-monde-evoque-la-situation-dans-les-hopitaux-gazaouis.html
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