La rupture de tous les liens avec Israël est l’une des mesures que les régimes totalitaires devraient prendre pour s’opposer à Israël et rétablir leur légitimité auprès des peuples qu’ils gouvernent.
Des citoyens bahreïnis manifestent en soutien aux Palestiniens, le 20 octobre 2023 à Manama (AFP)
Les mots ne suffisent pas. Les résolutions de l’ONU ne suffisent pas. Les condamnations officielles ne suffisent pas. Le mince filet d’aide humanitaire ne suffit pas. Ce ne sont que des mots et des actes vides de sens.
Alors que les Palestiniens sont confrontés à un génocide et qu’Israël les tue sans discernement, les déplace et détruit leurs villes, les États arabes doivent agir de manière significative. Il est temps que le monde arabe, y compris l’Autorité palestinienne, rompe sans équivoque les liens diplomatiques et économiques avec l’État israélien.
Les régimes arabes considèrent actuellement que leur intérêt propre est lié au statu quo dans lequel Israël poursuit son projet de colonisation tandis que les États arabes ignorent la cause palestinienne
Tous les États, de par leur conception même, ne répondent qu’à leur intérêt propre, et non à des appels d’ordre moral. Même si je resterai toujours déterminé à défendre une cause fondée sur la justice, je souhaite me concentrer ici sur les raisons pour lesquelles il est dans l’intérêt des États arabes de rompre immédiatement leurs liens avec Israël.
Pour deux raisons principales, les régimes arabes considèrent actuellement que leur intérêt propre est lié au statu quo dans lequel Israël poursuit son projet de colonisation tandis que les États arabes ignorent la cause palestinienne.
Premièrement et avant toute chose, ils craignent la puissance militaire israélienne, notamment son statut de puissance nucléaire. Les États arabes ne pensent pas qu’une confrontation avec Israël soit dans leur intérêt, car Israël et ses alliés occidentaux pourraient détruire les armées arabes.
Deuxièmement, ces régimes ne veulent pas se confronter aux puissances occidentales. Ils comprennent tous qu’Israël est un avant-poste impérial de l’Occident et puisqu’ils estiment qu’ils ne peuvent pas s’opposer à la puissance américaine, ils ont décidé d’œuvrer dans ces limites, ce qui leur apporte également des avantages économiques.
L’esprit révolutionnaire n’a pas été vaincu
En réalité, les avantages économiques découlant de cette approche sont largement concentrés entre les mains d’une minorité d’élites politiques et économiques. Une partie peut se répercuter sur les classes moyennes, mais dans l’ensemble, la majorité des populations de la région ne bénéficie pas de cet arrangement et considère à juste titre que les élites dirigeantes sont corrompues. C’est la raison d’être des soulèvements arabes de 2011.
Bien que les régimes arabes aient réussi à vaincre les soulèvements et à se maintenir au pouvoir par la violence d’État – emprisonnement, torture, assassinats, censure et surveillance totale –, l’esprit révolutionnaire n’a pas été vaincu. Il se réveillera inévitablement et exigera la chute de ces régimes.
Si les élites politiques et économiques considèrent qu’il s’agit d’un problème gérable qu’elles peuvent régler par des « mesures de sécurité », comme elles l’ont fait dans les années 2010, j’émettrais une mise en garde contre l’idée de confondre résultats à court terme et stabilité à long terme – et par-dessus tout de confondre richesse et dignité, liberté véritable et souveraineté.
Les habitants de la région soutiennent massivement la Palestine pour diverses raisons, notamment parce qu’ils considèrent la lutte des Palestiniens comme le reflet de leur propre situation et de leur désir de dignité et de liberté. Ils sont encouragés par le fait que le peuple palestinien, qui dispose de peu de ressources et n’a pas d’État officiel, résiste à la puissance militaire des États-Unis et d’Israël.
Les habitants de la région soutiennent massivement la Palestine pour diverses raisons, notamment parce qu’ils considèrent la lutte des Palestiniens comme le reflet de leur propre situation et de leur désir de dignité et de liberté
Ces pensées se retournent rapidement contre les régimes qui prétendent les représenter. Ils commencent à se demander pourquoi les régimes égyptien et jordanien n’ont pas agi pour soulager les souffrances des Palestiniens de Gaza, ou pourquoi l’Arabie saoudite n’a pas usé de son influence en matière d’approvisionnement en pétrole pour faire pression sur les États-Unis afin qu’ils mettent un terme à leur soutien à la guerre d’Israël.
Bien que ces régimes puissent être en mesure d’empêcher leur population d’exprimer collectivement ces questions en tant que revendications populaires qui leur sont adressées, ces questions restent dans le cœur et l’esprit des gens et font l’objet de discussions dans les communautés aux quatre coins du monde arabe.
Légitimité
Quel est donc l’intérêt de ces régimes à changer de cap maintenant ? Pour résumer, la réponse est la légitimité.
Les régimes totalitaires ne jouissent pas d’un lien naturel avec le peuple qu’ils gouvernent, mais plutôt d’un lien fondé sur la peur. Bien que la légitimité d’un régime en place puisse être maintenue par la force pendant de longues périodes, il s’agit d’une forme de légitimité très inefficace et instable.
Le moyen le plus rapide pour ces régimes de développer un lien naturel avec leur population serait de prendre des mesures concrètes pour s’opposer à Israël et aux États-Unis.
En effet, la lutte palestinienne peut offrir à ces États une légitimité naturelle auprès des masses. Ce n’est qu’alors qu’ils pourront devenir véritablement libérés et souverains.
Il y a une place spéciale dans l’histoire qui attend d’être occupée, pour de véritables dirigeants qui émergeront et reprendront le flambeau de la libération palestinienne.
L’approche actuelle des États arabes fera d’eux de simples notes de bas de page dans l’histoire, une pensée secondaire, parce que leurs paroles et leurs actes ne sont que l’expression de leur incapacité à s’opposer aux diktats de l’empire américain. Pour intégrer le corps du texte, ils doivent transformer radicalement leur façon de penser et adopter une position plus audacieuse à l’égard d’Israël et de la puissance impériale américaine.
Cela ne signifie pas nécessairement une guerre avec les États-Unis ou Israël. Une pression économique et politique peut se révéler très efficace, peut-être plus que jamais.
Les États arabes disposent d’un pouvoir de pression économique considérable et bien que cette voie soit longue et difficile, ils ne s’y engageront pas seuls. Bahreïn et la Bolivie ont déjà rompu leurs liens officiels avec Israël, tandis que le Chili et la Colombie ont rappelé leurs ambassadeurs. De nombreux autres pays soutiendraient cette approche consistant à accroître la pression politique et économique sur les États-Unis et Israël.
De nombreux autres pays soutiendraient cette approche consistant à accroître la pression politique et économique sur les États-Unis et Israël
Une coalition mondiale de nations peut devenir une force puissante si elle affronte collectivement, ouvertement et directement la puissance impériale américaine dans le but de l’évincer de la région. De la même manière, Israël peut être poussé à renoncer à son projet de colonisation.
Si de telles mesures sont prises, les États arabes pourront s’extirper des notes de bas de page de l’histoire et entamer l’écriture d’un tout nouveau livre. Les conditions sont déjà réunies : les populations du monde entier – en particulier dans le Sud, mais aussi en Amérique du Nord et en Europe – sont de plus en plus lassées de l’impérialisme euro-américain.
Les dirigeants du monde arabe sont-ils prêts à s’engager et à tenir la promesse d’une véritable décolonisation ? Les peuples sont prêts. Ils ont juste besoin de leurs dirigeants élus, de dirigeants qui ne se mettront pas en travers de leur chemin, mais qui contribueront plutôt à la lutte de libération du peuple palestinien. Le moment est venu, et cela peut commencer par une rupture des liens entre tous les États arabes et Israël.
- Muhannad Ayyash, analyste politique pour Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network, est l’auteur de A Hermeneutics of Violence (UTP, 2019). Il est né et a grandi à Silwan (Jérusalem) avant d’émigrer au Canada, où il est aujourd’hui professeur de sociologie à l’université Mount Royal.
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