n livre sur à la guerre d'Algérie fait écho à la mort d'un appelé de Loudéac (Côtes-d'Armor) en 1961. Son régiment avait été le fer de lance du putsch des généraux d'Alger.
André Dupland, appelé du contingent, mort au combat le 2 avril 1961. ©Archives famille Dupland.
Vers 14 h ce 2 avril 1961, dimanche de Pâques, André Dupland, jeune « para » natif de Loudéac (Côtes-d’Armor), est frappé d’une balle en pleine poitrine. Pris avec ses camarades dans une violente embuscade. C’était en Algérie, dans le djebel.
Il succombe quelques instants plus tard.
Son corps ne pourra être récupéré qu’à la tombée de la nuit, tant le feu de la poignée de moudjahidines qui les a accrochés – des hommes aguerris pour avoir servi en Indochine et pendant la Seconde Guerre mondiale – était nourri. Non loin de lui, un soldat est retrouvé « complètement hagard » mais toujours vivant, prostré des heures durant derrière un maigre caillou, seul rempart contre la mitraille.
« Il est mort comme un héros »
Dans la lettre qu’il adresse à ses parents pour leur annoncer la mort de leur fils, le commandant du régiment d’André Dupland, le 14e régiment de Chasseurs Parachutistes (RCP), dépeint le défunt comme « un combattant d’élite », un « exemple de courage et de sang froid ».
André Dupland avait 22 ans. C’était un simple appelé du contingent ; le fils de Gaston Dupland, né en 1892, retraité de l’armée, ancien combattant de 14-18, et de Germaine Férère. Ils habitaient à Très-le-Bois, à Loudéac.
« Il est mort comme un héros, face au danger, sans une plainte, sans un mot ». Et son sacrifice, selon la formule consacrée, n’avait pas été inutile. « Sur son cercueil, j’ai épinglé la Médaille militaire et la Croix de la Valeur militaire », écrit le commandant du 14e RCP, bien conscient que « ces distinctions ne pourront certes pas atténuer votre peine immense. »
Le ministre des Armées dissout son régiment
Dans un livre paru en juin 2023, Patrick-Charles Renaud retrace les « dernières heures » de ce Loudéacien « mort pour la France » en Algérie. Tombé cejour-là comme beaucoup d’autres camarades, dont des légionnaires venus à leur rescousse. Et aujourd’hui encore, on se demande bien pourquoi.
Jamais je ne pourrai admettre que mes gosses soient morts pour rien !
L’auteur de ce livre, lauréat de plusieurs prix, l’a rencontré, ce Pierre Lecomte. Bien longtemps après que celui-ci a épinglé, amer, les médailles sur les sept bérets posés sur les les sept cercueils de ceux qu’il appelait ses « gosses ».
Il avait bien averti l’aumônier de sa division, à l’époque : « Jamais je ne pourrai admettre que mes gosses soient morts pour rien ! »
De fait, il n’a pas admis.
Pourquoi, en effet, « la France » a-t-elle ordonné de telles opérations, inutilement risquées, « alors même que le général De Gaulle avait engagé le processus qui allait conduire à l’Indépendance de l’Algérie ? », se demande Patrick-Charles Renaud.
Deux semaines après la tragique vadrouille de ses « gosses » en territoire rebelle, le lieutenant-colonel Lecomte prenait part à la célèbre tentative de coup d’Etat d’avril 1961, dite « Putsch des Généraux d’Alger« . Le régiment de feu André Dupland en fut même « l’un des fers de lance« .
Huit ans de réclusion criminelle
A telle enseigne qu’après l’échec du putsch, le Ministre des Armées Pierre Messmer fit dissoudre le 14e RCP (ainsi que deux autres régiments impliqués). Quant à Pierre Lecomte, il fut condamné à huit ans de réclusion criminelle pour avoir « dirigé et organisé un mouvement insurrectionnel« .
Pour autant, Patrick-Charles Renaud souligne que « au sein de cette unité – et contrairement à tout ce qui a parfois été affirmé – plus de la moitié des cadres étaient contre le putsch ainsi que la grande majorité des appelés« , dont le 14e RCP était composé « à plus de 90 %« .
Des anonymes plongés dans une guerre qui, elle-même, depuis le début, refusait de dire son nom. « Outre des combats rudes et meurtriers livrés en Kabylie et dans les Aurès à la demande la France, les militaires du 14e RCP avaient été conduits à assurer, à trois reprises, le maintien de l’ordre en ville, à Alger. Une mission ingrate pour laquelle ils n’étaient pas préparés et qui a profondément marqué les esprits », indique Patrick-Charles Renaud.
« La complexité de donner un sens au combat »
L’auteur a lui-même perdu un oncle en Algérie, un parachutiste du 14e RCP également tué au combat. Son livre est le fruit de nombreuses années de recherches, émaillées de nombreuses interviews.
Il relate les derniers mois du régiment, de septembre 1959 à avril 1961 et détaille le déroulement d’un putsch très mal préparé.
« Ce n’est pas seulement un récit de guerre au sens strict. Il décrit aussi des situations ubuesques, tragiques, révoltantes parfois. Il s’efforce de démontrer la complexité à donner du sens à un combat ; le cheminement intellectuel et les événements qui ont mené des officiers disciplinés et brillants à se dresser contre l’autorité de l’État ».
Le cinquième et dernier Loudéacien tué en Algérie
Cinq Loudéaciens sont morts pour la France pendant la guerre d’Algérie. Chaque année, lors des commémorations du 5-décembre ou du 19-mars, leurs noms sont cités devant le monument de l’avenue des Combattants : Louis Collin, André Mahé, René Rouxel, Jean-Claude Le Denmat et donc, André Dupland.
Sur la plaque commémorative des soldats tombés en Algérie figurent les noms de cinq Loudéaciens. ©Le Courrier Indépendant
Les parents d’André louaient, à Très-le-Bois, une maison où vit d’ailleurs actuellement Alphonsine Collin, la vaillante doyenne des Loudéaciens, qui aura bientôt 104 ans.
Ils ont eu neuf enfants dont deux sont encore vivants aujourd’hui.
L’une des sœurs d’André Dupland, Marcelle Corbel, a vécu à Loudéac jusqu’à son décès en février 2023. Elle avait pu communiquer, il y a quelques années de cela, des documents à l’auteur lorrain de Parachutistes du 14e RCP en Algérie, Patrick-Charles Renaud, dont la lettre du lieutenant-colonel Lecomte adressée aux parents pour annoncer la disparition de leur fils. La famille a conservé l’originale
Bernadette et Michel, réunis vendredi 6 octobre 2023 à La Motte, en mémoire de leur frère. ©Le Courrier Indépendant
Monique, la fille de Marcelle Corbel qui vit au Sourn (Morbihan), n’avait que six ans et demi lorsqu’on a rapatrié le corps de son oncle à Loudéac. Mais elle n’a jamais oublié « le grand choc que cela a été pour toute la famille ».
L’arrivée du cercueil d’André Dupland à la mairie de Loudéac. ©Archives familiales
Michel, son frère qui vit aujourd’hui à La Motte, avait 14 ans lorsque le cercueil, drapé de tricolore, a été déposé par le camion du centre de dispersion de Nantes devant la mairie de Loudéac, le 10 mai 1961. « On a vécu des choses assez dures, raconte-t-il. Mes parents ont porté le deuil pendant presque deux ans« .
« Il faisait très froid »
Une chapelle ardente avait été dressée à l’étage de l’hôtel de ville et un autre frère d’André, Bernard, engagé dans l’armée comme son père Gaston, avait obtenu une permission pour venir saluer la dépouille mortelle d’André Dupland. Le maire de l’époque, le Dr Pierre Etienne, était présent parmi les nombreuses personnalités locales.
André a été enterré le 12 mai : la date est restée à jamais gravée dans la mémoire de Bernadette, 18 ans à l’époque, mais l’émotion est toujours palpable. En réprimant une larme, elle souffle : « Il faisait très froid… »
Par Yann ScavardaPublié le
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