La commission d’historiens français et algériens s’est réunie la semaine dernière pour la première fois à Constantine en Algérie. Cette commission, créée en août 2022 par les présidents Tebboune et Macron, a pour but de faire la lumière sur le passé commun des deux pays, du début de la colonisation à la fin de la guerre d’indépendance. À l’occasion de cette réunion, les dix historiens ont notamment proposé la restitution à l’Algérie des biens de l’émir Abdelkader, héros de la résistance à la colonisation française. Entretien avec Benjamin Stora, co-président de cette commission. L’historien vient de publier L’Arrivée. De Constantine à Paris, 1962-1972, chez Tallandier.
Le président français Emmanuel Macron et l’historien Benjamin Stora échangent avec l’ancien ministre algérien Ramtane Lamamra à Alger, le 25 août 2022. © AFP/Ludovic Marin
RFI : La commission s’est donc réunie mercredi 22 novembre, à Constantine. Les débats se sont focalisés sur plusieurs points. Premier objectif qui ressort de vos travaux, l’élaboration d’une chronologie et d’une bibliographie communes. Est-ce que l’idée derrière ça, c’est d’élaborer un récit commun entre la France et l’Algérie ?
Benjamin Stora : Je ne pense pas qu’on puisse parvenir à un récit commun. Vous savez les souvenirs, les récits d’histoire ne sont pas les mêmes de part et d’autre de la Méditerranée. Donc, il ne s’agit pas d’écrire un récit commun, ce qui n’a jamais été le propos. Mais simplement de faire des partages, des échanges d’informations, de travailler ensemble sur cette histoire qui a duré près d’un siècle et demi entre la France et l’Algérie avec un objectif qui est celui de comprendre l’origine par l’intermédiaire de la pénétration coloniale, en fait fondamentalement c’est-à-dire le XIXe siècle. Donc, il s’agit non pas d’écrire une histoire commune, mais de mettre à jour un certain nombre de faits, de documents et de dates bien sûr de ce qui s’est passé pendant cette période du XIXe siècle.
Autre grand thème abordé à Constantine, celui des restitutions. L’un des projets est notamment de rendre à l’Algérie l’épée, le burnous et un exemplaire du Coran ayant appartenu à l’émir Abdelkader, émir qui lutta contre la conquête de l’Algérie par la France au milieu du XIXe siècle. Ce serait là un premier geste symbolique ?
Moi, j’ai toujours plaidé effectivement pour des gestes à caractère pratique, concret, symbolique. Evidemment, l’émir Abdelkader bien sûr est un personnage essentiel dans cette histoire et c’était une vieille revendication algérienne. Moi, je crois que c’est nécessaire d’accomplir ces gestes. On se heurte à une difficulté, c’est que par exemple, le burnous appartient à une famille privée, il n’appartient pas à l’État français. Donc, il va falloir effectivement voir avec la famille qui a acheté, je crois, cette pièce importante, de voir s’il était possible de reposséder à nouveau ces pièces et documents pour la restitution. C’est compliqué les histoires de restitution. Puis, il y a aussi la loi en France sur la restitution dont une partie a déjà été adoptée, je crois par le Sénat. Cette loi doit continuer d’être discutée sur la restitution des œuvres culturelles, matérielles ou immatérielles. Donc normalement, il devrait y avoir dans le cadre de cette loi la restitution à l’Algérie d’un certain nombre d’objets dont ceux-là, c’est-à-dire ayant appartenu à l’émir Abdelkader.
La prochaine réunion prévue à Paris en janvier doit traiter une des questions les plus épineuses, celle des archives. Vous avez bon espoir de pouvoir accéder aux archives algériennes et que les historiens algériens puissent eux consulter les archives françaises ?
Oui ! Vous savez, les archives, on en parle beaucoup depuis de nombreuses années. Mais il y a déjà énormément d’archives qui sont ouvertes. On a beaucoup discuté de cette question lors de la réunion à Constantine. Et il y a déjà beaucoup d’archives qui sont ouvertes en France. En Algérie, il y a aussi beaucoup d’archives que la France a laissées. Donc, il y a par conséquent des archives qui ne demandent dans le fond qu’à être consultées. La question, c’est le nombre de chercheurs, la volonté, les moyens qui sont donnés aux chercheurs et aux historiens en particulier pour pouvoir accéder à ces archives. Je crois qu’il y a une volonté très grande de vouloir dépassionner ce débat. Et par parenthèse, on peut aussi faire une rencontre entre historiens qui ne soient pas obligatoirement à Paris, mais peut-être aussi, comme l’ont proposé les Algériens, dans une ville de province. Par exemple, à Marseille ou à Aix-en-Provence où il y a énormément d’archives de l’Algérie bien entendu. Donc, cette question des archives, on en parle beaucoup, mais en fait il faut y aller et voir ce qu’il y a dedans. Et il y a beaucoup de choses qui sont d’ores et déjà consultables.
Il y a 6 mois, vous aviez dénoncé le manque de moyens dévolus à la partie française de cette commission. Avez-vous le sentiment d’avoir été entendu sur ce point par les autorités françaises ?
Cela a été en grande partie satisfait parce qu’il y a une personne qui est maintenant chargée directement de s’occuper du fonctionnement de la commission, ce qui n’était pas le cas. Une personne vient d’être nommée, monsieur Tramor Quemeneur, historien, et qui va être en charge de la coordination. Moi, je ne pouvais pas m’occuper personnellement de tous ces éléments. Donc, il y a un secrétariat qui va commencer à se mettre en place. Il faut effectivement davantage encore de moyens, notamment au niveau des bourses de recherche pour les jeunes chercheurs, pour les jeunes doctorants en particulier qui travaillent sur cette histoire en France. Parce que n’oublions pas qu’à l’échelle internationale, l’histoire coloniale et en particulier celle de l’Algérie coloniale passionne beaucoup. Et la France ne doit pas - et ce serait un paradoxe -, enregistrer de retards sur cette recherche et donc, donner davantage de moyens.
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/le-grand-invit%C3%A9-afrique/20231129-commission-mixte-sur-la-colonisation-il-faut-davantage-de-moyens-pour-les-historiens-fran%C3%A7ais-et-alg%C3%A9riens
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