INTERVIEW. Dans « Le Petit Blond de la Casbah », le cinéaste de 76 ans évoque sa famille qui vivait en Algérie dans le bonheur et l’insouciance jusqu’à la guerre d’indépendance.
Alexandre Arcady sur le tournage du Petit blond de la Casbah, à Alger. © Alexandre Films
ingt ans après la publication de son livre, Le Petit Blond de la Casbah, dans lequel il évoquait son enfance à Alger, dans les années 1950, et sa passion pour le cinéma, Alexandre Arcady l'adapte au grand écran. Émouvant et nostalgique, c'est un film en famille, tourné avec ses deux frères et son fils Alexandre Aja. C'est également un film de famille puisqu'il met en scène sa mère, la douce Driffa (jouée par Marie Gillain), son père, ancien légionnaire (Christian Berkel), ses quatre frères, son double enfant dans la peau d'Antoine (le jeune Léo Campion) son oncle Coco, le souteneur gominé (Dany Brillant), Tonton Jacob, le génial inventeur (Pascal Elbé) et sa femme Blanche, la coquette (Judith El Zein), sa grand-mère, l'énorme Lisa (jouée par Jean Benguigui), sa voisine Josette (Iman Perez et Valérie Kaprisky) et sa mère cartomancienne (Rona Hartner). Une joyeuse troupe qui vit dans l'insouciance jusqu'au chaos de la guerre d'indépendance.
Comédie dramatique qui évoque en filigrane la diversité et l'harmonie entre juifs, musulmans et catholiques, Le Petit Blond de la Casbah prend une dimension particulière au moment de la guerre tragique entre Israël et le Hamas, et relève pour son auteur d'un paradis perdu.
Le Point : Pourquoi avez-vous décidé d'adapter votre livre au cinéma ?
Alexandre Arcady : J'ai écrit ce livre il y a vingt ans, après avoir présenté, à Alger, Là-bas mon pays, film qui racontait le retour d'un journaliste pied-noir trente ans après l'indépendance du pays. Je suis rentré à Paris très ému par ce voyage, et l'éditeur Olivier Orban m'a dit : « Pourquoi ne racontes-tu pas ton enfance là-bas pour expliquer l'homme que tu es devenu ? » Il m'a convaincu et je me suis lancé alors dans l'écriture sans penser qu'un jour, j'en ferai un film parce qu'il me semblait inimaginable de ressusciter toute ma famille, mes parents, mes oncles, mes proches. Tout est resté en plan jusqu'au confinement où me sont revenus les bruits et les souvenirs de mon enfance dans l'appartement de mes parents. Je me suis mis à écrire le scénario en reprenant le thème du livre qui suit un cinéaste retournant à Alger présenter son film et qui y retrouve ce petit blond de la Casbah qu'il était.
Il y a beaucoup de nostalgie, d'émotion dans votre film. Comme l'impression d'un paradis perdu ?
Oui, parce que j'ai eu une enfance merveilleuse, ensoleillée. Comment ne pas être heureux dans un pays comme celui-là où tout nous était donné à profusion, comme disait Camus. Même si la guerre était à la porte de mon immeuble, il y avait ce qu'on appelle communément un « vivre-ensemble » qui nous semblait si naturel.
En gardez-vous des souvenirs douloureux ?
Non, j'ai tourné ce film dans l'émotion et le bonheur, pas la tristesse. Vous savez, ce n'est pas donné à beaucoup de monde de retrouver son enfance, son passé grâce à des acteurs magnifiques, à des décors et des costumes d'époque. C'est beau et compliqué. Il y a beaucoup de scènes fortes, notamment lorsqu'Antoine, le petit blond [joué par Léo Campion, découvert dans Le Temps des secrets de Christophe Barratier, NDLR], offre un portefeuille à son père ou lors du départ de toute la famille, en 1962, dans le port d'Alger. Réaliser un film sur son enfance est une expérience unique. Beaucoup de réalisateurs le font : Alfonso Cuaron avec le magnifique Roma ou encore Steven Spielberg avec The Fabelmans. Moi, je me sens plus proche de Cinema Paradiso, qui raconte la passion d'un petit garçon pour le cinéma de son village sicilien.
Comment se passait à l'époque la cohabitation entre juifs et musulmans ?
Chez nous, il y avait quelque chose de très important, c'est que les portes des appartements étaient ouvertes tout le temps. Les gamins, musulmans, juifs, cathos allaient et venaient en toute liberté et les adultes suivaient. Il y avait à la fois du respect et de la connivence. Et quand j'ai présenté Là-bas mon pays en Algérie, je me souviens qu'un Algérien m'a dit : « En 1962, vous pleuriez sur le bateau qui quittait le port d'Alger et nous pleurions aussi le départ de nos amis, de nos voisins, de nos compagnons de travail. » Cela voulait dire que la rupture était des deux côtés.
Où avez-vous trouvé ce petit immeuble où cohabitent les familles ?
En Tunisie, où j'ai eu la chance de trouver le décor extraordinaire d'un immeuble qui ressemblait à s'y méprendre au mien, celui du 7, rue du Lézard, avec ses coursives, ses ouvertures, son escalier, ses paliers ouverts sur une cour. À Alger, j'ai tourné les extérieurs parce qu'il me semblait important de montrer la ville aujourd'hui.
Justement, quel est votre sentiment sur l'Algérie qui traverse une grave crise économique et connaît le chômage de masse ?
Ce qui me frappe, c'est le grand décalage entre le pouvoir et la population. D'un côté, une jeunesse avide de vivre, de s'en sortir, et de l'autre un pouvoir assez figé. Mon film, Ce que le jour doit à la nuit, adapté du roman de Yasmina Khadra, qui évoque la douleur d'un peuple, ses idéaux, ses espoirs, a été téléchargé cinq millions de fois. Je crois – et beaucoup de Franco-Algériens me l'ont dit – qu'ils avaient besoin d'apercevoir et de comprendre une page d'histoire qu'ils ne connaissaient pas parce qu'elle avait été effacée. Ce film-là et Le Petit Blond de la Casbah parlent au fond de la même chose : la coexistence. Et il est bon de restituer cette époque assez étonnante par le cinéma et par la littérature.
Avez-vous l'impression aujourd'hui d'avoir bouclé la boucle avec l'Algérie ?
Oui, même si Le Petit Blond de la Casbah aurait dû être mon premier film et pas Le Coup de sirocco. Mais j'étais jeune, à peine 33 ans, et pas encore assez mûr pour raconter mon enfance et ma famille. Je n'ai pas voulu trop m'exposer.
Pourtant, vous préparez un film surL'Étranger d'Albert Camus qui se déroule à Alger…
Le scénario est déjà bouclé et adapté du livre passionnant d'une universitaire américaine, Alice Kaplan, En quête de L'Étranger (Gallimard), qui suit l'écrivain dans la conception de son livre à partir de ses propres expériences.
Peut-on dire que votre film est une sorte d'appel à la coexistence, au vivre-ensemble ?
À chacun de l'interpréter. En tout cas, c'était ma réalité quand j'étais enfant en Algérie. Aujourd'hui, c'est une forme d'utopie alors que la guerre fait rage au Proche-Orient et en Ukraine. Dans mon film, je ne fais que décrire ce que j'ai vécu, sans enjoliver les choses. Et voilà, on a perdu cette innocence, malheureusement.
Le Petit Blond de la Casbah, en salle le 18 novembre.
https://www.lepoint.fr/culture/alexandre-arcady-ce-n-est-pas-donne-a-beaucoup-de-monde-de-faire-un-film-sur-son-enfance-15-11-2023-2543206_3.php
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