Mahmoud Darwich
« Alors, inscris en tête de première page / Moi je ne hais pas mes semblables / et je n’agresse personne. » Devenu un réel hymne en Palestine, ce poème publié en 1964 crie une réalité toujours actuelle. Un texte si fort que jusqu’à sa mort, les Palestiniens demandaient sans cesse au poète de le réciter... Ce qu’il refusait, préférant lire ses nouveaux écrits.
Il ajoutera plus tard à ce sujet : « Je n’ai nullement cherché à devenir, ou à rester, un symbole de quoi que ce soit. J’aimerais au contraire qu’on me libère de cette charge très lourde. »
Carte d’identité
Inscris
je suis arabe
le numéro de ma carte est cinquante mille
j’ai huit enfants
et le neuvième viendra… après l’été
Te mettras-tu en colère?
Inscris
je suis arabe
je travaille avec mes camarades de peine
dans une carrière
j’ai huit enfants
pour eux j’arrache du roc
la galette de pain
les habits et les cahiers
et je ne viens pas mendier à ta porte
je ne me rabaisse pas
devant les dalles de ton seuil
Te mettras-tu en colère?
Inscris
je suis arabe
Mon nom est commun
je suis patient dans un pays
bouillonnant de colère
Mes racines
fixées avant la naissance du temps
avant l’éclosion des siècles
avant les cyprès et les oliviers
avant la croissance végétale
Mon père…
de la famille de l’araire
et non des seigneurs de Nojoub
Mon grand-père, un paysan
sans arbre généalogique
il m’a appris les mouvements du soleil
avant la lecture
Ma maison
une hutte de gardien
faite de roseaux et branchages
Es-tu satisfait de ma condition?
Mon nom est commun.
Inscris
je suis arabe
cheveux… noirs
yeux… marron
signes distinctifs
sur la tête une keffiah tenue par une cordelette
ma paume, rugueuse comme le roc
écorche la main qu’elle empoigne
mon adresse :
je suis d’un village perdu, sans défense
et tous ses hommes sont au champ ou à la carrière
Te mettras-tu en colère?
Inscris
je suis arabe
Tu m’as spolié des vignes de mes ancêtres
et de la terre que je cultivais
avec tous mes enfants
et tu ne nous a laissé
ainsi qu’à notre descendance
que ces cailloux
votre gouvernement les prendra-t-il aussi
comme on le dit?
Alors
inscris
en tête de première page
Moi je ne hais pas mes semblables
et je n’agresse personne
Mais… si jamais on m’affame
je mange la chair de mon spoliateur
Prends garde… prends garde
à ma faim
et à ma colère!
Mahmoud Darwich
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