Frédéric Petit (MoDem), député des Français établis hors de France, rapporteur du budget de la diplomatie culturelle ou d’influence, souhaite que le gouvernement s’appuie davantage sur la société civile algérienne.
Emmanuel Macron, au cimetière Saint-Eugène, à Alger, le 26 aout 2022.
C’est un constat implacable qui risque de refroidir un peu plus les relations déjà polaires entre la France et l’Algérie. Mercredi 18 octobre, Frédéric Petit (MoDem), député de la 7e circonscription des Français établis hors de France, et rapporteur pour avis du budget de la diplomatie culturelle ou d’influence, a présenté, devant ses collègues de la commission des affaires étrangères, ses observations sur les crédits alloués à l’action extérieure de l’Etat.
Comme chaque année depuis qu’il est à la tête de cette mission, il choisit un pays pour y décrire le fonctionnement de la coopération culturelle publique et formuler des propositions pour l’améliorer. Après le Liban, la Géorgie, Israël, la Palestine ou encore l’Egypte, M. Petit a souhaité se pencher sur le cas de l’Algérie. Son rapport de près de soixante-dix pages, que Le Monde a pu consulter, apporte un éclairage sans filtre sur les relations entre ces deux pays.
Lors d’un déplacement à Alger et à Oran, du 18 au 20 septembre, durant lequel le parlementaire a pu rencontrer les diplomates français et des membres de la société civile algérienne, celui-ci a pu, en effet, constater « la permanence des blocages de la relation bilatérale ». Ainsi, relève-t-il, « toute approche strictement institutionnelle semble en effet buter irrémédiablement, en Algérie, sur des obstacles sans cesse renouvelés qui trouvent leur origine dans l’organisation même de l’Etat algérien ». Dans son rapport, le député n’épargne en rien l’Algérie, avec qui la France entretient une relation « qui paraît toute aussi foisonnante au plan humain que dysfonctionnelle au plan politique ».
Les raisons des « blocages »
En clair, d’après plusieurs de ses interlocuteurs, toutes les initiatives de Paris sont vouées à l’échec « de façon structurelle » et les accords signés « n’engagent pas le partenaire algérien ». Seule, selon lui, une « diplomatie non gouvernementale » peut permettre à la France de continuer à avoir une influence en Algérie. La commission des affaires étrangères a choisi, le 18 octobre, de suivre l’avis du rapporteur, qui préconise de favoriser cette forme de diplomatie. A charge au gouvernement français de suivre cet avis. Avant d’expliquer en quoi la « diplomatie non gouvernementale » consiste, le député décrypte – sans langue de bois – les raisons des « blocages ».
Il pointe d’abord « l’instabilité, l’illisibilité et la précarité de l’administration [algérienne], y compris aux plus hauts niveaux hiérarchiques », qui a comme conséquence de mal identifier les interlocuteurs. Les ministres ou autres responsables hésiteraient par ailleurs à prendre des décisions par « crainte de règlements de comptes ». La justice étant l’instrument le plus souvent utilisé à cette fin.
Puis, il existe en Algérie, selon Frédéric Petit, un « point d’accord dans le refus de coopérer avec notre pays », alimenté par « des élites en rivalité constante » et dont le seul élément fédérateur serait « l’hostilité à la France ». Celle-ci nourrit « la légitimité » du pouvoir algérien en place depuis la guerre d’indépendance (1954-1962). D’autant que la « position privilégiée » dans la société d’« au moins 12 millions d’Algériens » (sur 44 millions d’habitants), descendants « réels ou supposés » des combattants de l’indépendance – l’Etat leur offre des avantages importants – reste « tributaire de la perpétuation d’un discours antifrançais ».
Enfin, le député souligne l’« agression » du français en Algérie – mot prononcé lors de son audition en commission –, que le régime souhaite faire « reculer » au bénéfice d’« une arabisation à forte teneur politique et religieuse » et de l’anglais. Il rappelle plusieurs épisodes, dont le plus récent où vingt-deux écoles privées (« scolarisant plus de 10 000 élèves ») labellisées par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), ont été sommées de se… délabelliser. Le parlementaire s’étonne, par ailleurs, qu’il n’existe qu’un lycée français en Algérie – contre dix-sept au Maroc –, saturé de demandes.
Impossibilité de relations politiques apaisées
Sur la question mémorielle, il note les gestes concédés par Emmanuel Macron. Il a, entre autres, reconnu la responsabilité de l’Etat dans la mort d’Ali Boumendjel, avocat nationaliste algérien « torturé puis assassiné » par les militaires, en pleine bataille d’Alger, en 1957, mais doute de la sincérité des historiens algériens à « l’approche la plus dure ». Ces derniers ont été désignés par le régime pour siéger dans une commission avec leurs homologues français qui devront « réconcilier les mémoires blessées » autour de la colonisation et de la guerre d’Algérie. « Une coopération bilatérale très institutionnelle paraît condamnée à une impasse », écrit-il.
Si ce rapport acte l’impossibilité de relations politiques apaisées entre les deux nations, tout n’est pas perdu cependant. Selon le parlementaire, les représentants français en Algérie disposent de leviers – « loin des faux-semblants politiques ou de l’instrumentalisation du passé » – pour contourner ces « blocages », en particulier la jeunesse algérienne, les entrepreneurs et la diaspora. C’est ce que Frédéric Petit appelle « la diplomatie non gouvernementale » ou « des sociétés civiles ». A Alger ou à Oran, il a pu, ainsi, voir toutes une série d’actions menées par les services français qui passent « sous les radars ». Celles notamment menées par l’Institut français qui soutient des artistes, des écrivains et des programmes d’échanges culturels et scientifiques.
Afin de favoriser les échanges économiques entre les deux pays, le député de la majorité insiste sur « les difficultés que pose l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 [qui régit l’entrée, le séjour et l’emploi des Algériens en France] » dont les règles ne sont pas « adaptées aux mobilités des entrepreneurs ». En outre, M. Petit dit avoir constaté que des projets de coopérations impulsés par la France refusés par l’Algérie, ne l’étaient plus lorsque ces partenariats sont « formellement initiés par l’Union européenne ». Le député recommande que l’ambassadeur de France à Alger ait pour mission de « mobiliser prioritairement les processus de coopération européenne ». En clair, que la France soit sous couverture de l’UE pour continuer à « déployer ses outils ».
Ce rapport « sensible » et « instructif », comme l’a décrit le président de la commission des affaires étrangères, Jean-Louis Bourlanges (MoDem), fait écho aux déclarations d’Emmanuel Macron en septembre 2021. Devant des « petits-enfants » de la guerre d’Algérie, dont les grands-parents ont intimement vécu ce conflit, le chef de l’Etat avait décrit, à l’Elysée, un « système politico-militaire » algérien qui se serait « construit sur la haine de la France » et la « rente mémorielle ». Des propos qui avaient conduit à une crise diplomatique entre les deux pays.
Les autorités algériennes, extrêmement sensibles aux critiques sur la nature du régime algérien provenant de l’ancienne puissance coloniale, risquent fort de ne pas apprécier le rapport de Frédéric Petit et de le considérer comme une forme d’ingérence
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/18/un-depute-preconise-une-diplomatie-non-gouvernementale-pour-contourner-les-blocages-entre-la-france-et-l-algerie_6195240_3212.html
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