Martin Scorsese : « En Amérique, on ne peut même plus ouvrir une porte sans prendre une balle mortelle »
Dans « Killers of the Flower Moon », son nouveau film en salle le 18 octobre, le cinéaste raconte le massacre, dans les années 1920, des Indiens Osage et dénonce, en creux, l’Amérique de Trump. Entretien.
Dans « Killers of the Flower Moon », son nouveau film en salle le 18 octobre, le cinéaste raconte le massacre, dans les années 1920, des Indiens Osage et dénonce, en creux, l’Amérique de Trump. Entretien.
Martin Scorsese rit souvent. C’est un rire éclatant, brusque, qui claque quand on évoque l’absurdité du monde, les erreurs de tournage, les conneries de certains producteurs. Il y passe un dédain absolu du bon ton, et aussi un désespoir devant l’inanité d’un monde où toutes les valeurs de pureté sont souillées. Dans « Killers of the Flower Moon », saga sombre de trois heures et vingt-sept minutes, le cinéaste le plus célèbre du monde plonge dans l’univers du racisme meurtrier de l’Amérique, histoire de l’assassinat de la nation Osage dans les années 1920.
Adapté du livre de David Grann, le film se concentre sur une histoire d’amour entre un vétéran de la Grande Guerre, Ernest Burkhart, et une Indienne, Mollie. Mariage toxique car les Indiens Osage bénéficient, à l’époque, des droits d’exploitation de leur terre, l’Oklahoma, riche en pétrole. Peu à peu, les Osage meurent, empoisonnés. Y compris Mollie, pourtant aimée par son mari qui se transforme lentement en assassin, alors que le FBI naissant peine à enquêter sur la série de meurtres programmés. Récit poignant d’une corruption de l’âme, d’une certitude de la royauté des Blancs sur les autres couleurs de peau. Martin Scorsese, en fait, donne un portrait en creux de l’Amérique d’aujourd’hui, gangrenée par Trump et ses sbires, ravagée par un héritage génocidaire mal accepté.
A 80 ans, Martin Scorsese boucle une œuvre impressionnante, où Dieu, le capitalisme et la crapulerie se côtoient pour inventer un pays d’Etats désunis. L’Amérique, dans le cinéma de Scorsese, est l’antichambre de l’enfer : les anges et les démons ont partie liée dans un lieu où, selon la Bible, il n’y a « ni raison, ni sagesse, ni science ». Les tueurs de la lune des fleurs y prospèrent encore, qu’on se le dise.
Comment définir « Killers of the Flower Moon », votre 27e film ? Ce n’est ni un western, ni un polar, ni un drame historique, mais c’est tout ça en même temps…
Martin Scorsese C’est un regard sur notre identité américaine. C’est ce que nous sommes.
Comment l’idée d’adapter cette saga vous est-elle venue ?
J’étais en train de travailler sur « The Irishman », en ayant l’idée d’adapter ensuite « l’Hiver de Frankie Machine », le livre de Don Winslow, sur un tueur qui reprend du service. Mais, pour ce dernier projet, je n’ai jamais trouvé l’angle. Du coup, Rick Yorn, le manager de Leonardo DiCaprio et le mien, m’a fait parvenir le roman de David Grann. Rien que le titre, déjà, m’a accroché : « Killers of the Flower Moon » [« la Note américaine » pour la traduction française, NDLR].
Je lis le scénario d’Eric Roth, et bien qu’il ne s’agisse pas d’un western à proprement dit, il y est question du Far West, mais avec des voitures, puisque tout se passe dans les années 1920. J’ai toujours été fasciné par les cultures indigènes en Amérique, celles des Premières Nations, celles des Inuits, des Chinook, des Iroquois. J’ai essayé de me frotter à ce sujet dans les années 1970, mais rien n’en est sorti, avec un projet sur le massacre de Wounded Knee survenu dans le Dakota en 1890, où plusieurs centaines de femmes, d’enfants et de guerriers Sioux ont été fauchés par les mitrailleuses de l’armée américaine. Mais je n’étais pas prêt pour un tel projet. A vrai dire, je n’étais pas prêt pour grand-chose, alors !
Donc, « Killers of the Flower Moon »… ?
En lisant ce scénario, je me suis dit : mon Dieu, c’est donc ça que nous sommes, les héritiers de ces assassins ? Toutes ces ethnies ont été décrites, au cinéma, de façon biaisée, on le sait. Il a fallu attendre les années 1950 pour que Hollywood, enfin, fasse des films pro-Indiens. Il y a eu « la Flèche brisée », de Delmer Daves, avec James Stewart et Jeff Chandler, qui a été une révélation. Puis il y a eu « la Porte du diable », d’Anthony Mann, avec Robert Taylor, film qui est carrément la description d’un génocide. N’oublions pas « le Jugement des flèches », de Samuel Fuller, avec Rod Steiger et Charles Bronson, ni, surtout, « Bronco Apache », de Robert Aldrich, en 1954. Hélas, les Indiens, dans tous ces films, étaient toujours joués par des acteurs blancs !
Dans ce nouveau film, vous abandonnez l’idée de rédemption, qui est essentielle dans votre œuvre. Que s’est-il passé ?
Je me suis aventuré dans cette histoire en essayant de trouver une rédemption. Le seul endroit où elle se trouve, c’est dans le lien qui unit Mollie et Ernest, entre le mari et la femme, entre le meurtrier et sa victime. L’amour vrai, mais corrompu… L’amour est étrange : comment reste-t-on soi-même en participant à la vie de l’autre ? Peut-être que la grâce divine intervient là-dedans.
Martin Scorsese rit souvent. C’est un rire éclatant, brusque, qui claque quand on évoque l’absurdité du monde, les erreurs de tournage, les conneries de certains producteurs. Il y passe un dédain absolu du bon ton, et aussi un désespoir devant l’inanité d’un monde où toutes les valeurs de pureté sont souillées. Dans « Killers of the Flower Moon », saga sombre de trois heures et vingt-sept minutes, le cinéaste le plus célèbre du monde plonge dans l’univers du racisme meurtrier de l’Amérique, histoire de l’assassinat de la nation Osage dans les années 1920.
Adapté du livre de David Grann, le film se concentre sur une histoire d’amour entre un vétéran de la Grande Guerre, Ernest Burkhart, et une Indienne, Mollie. Mariage toxique car les Indiens Osage bénéficient, à l’époque, des droits d’exploitation de leur terre, l’Oklahoma, riche en pétrole. Peu à peu, les Osage meurent, empoisonnés. Y compris Mollie, pourtant aimée par son mari qui se transforme lentement en assassin, alors que le FBI naissant peine à enquêter sur la série de meurtres programmés. Récit poignant d’une corruption de l’âme, d’une certitude de la royauté des Blancs sur les autres couleurs de peau. Martin Scorsese, en fait, donne un portrait en creux de l’Amérique d’aujourd’hui, gangrenée par Trump et ses sbires, ravagée par un héritage génocidaire mal accepté.
A 80 ans, Martin Scorsese boucle une œuvre impressionnante, où Dieu, le capitalisme et la crapulerie se côtoient pour inventer un pays d’Etats désunis. L’Amérique, dans le cinéma de Scorsese, est l’antichambre de l’enfer : les anges et les démons ont partie liée dans un lieu où, selon la Bible, il n’y a « ni raison, ni sagesse, ni science ». Les tueurs de la lune des fleurs y prospèrent encore, qu’on se le dise.
Comment définir « Killers of the Flower Moon », votre 27e film ? Ce n’est ni un western, ni un polar, ni un drame historique, mais c’est tout ça en même temps…
Martin Scorsese C’est un regard sur notre identité américaine. C’est ce que nous sommes.
Comment l’idée d’adapter cette saga vous est-elle venue ?
J’étais en train de travailler sur « The Irishman », en ayant l’idée d’adapter ensuite « l’Hiver de Frankie Machine », le livre de Don Winslow, sur un tueur qui reprend du service. Mais, pour ce dernier projet, je n’ai jamais trouvé l’angle. Du coup, Rick Yorn, le manager de Leonardo DiCaprio et le mien, m’a fait parvenir le roman de David Grann. Rien que le titre, déjà, m’a accroché : « Killers of the Flower Moon » [« la Note américaine » pour la traduction française, NDLR].
Je lis le scénario d’Eric Roth, et bien qu’il ne s’agisse pas d’un western à proprement dit, il y est question du Far West, mais avec des voitures, puisque tout se passe dans les années 1920. J’ai toujours été fasciné par les cultures indigènes en Amérique, celles des Premières Nations, celles des Inuits, des Chinook, des Iroquois. J’ai essayé de me frotter à ce sujet dans les années 1970, mais rien n’en est sorti, avec un projet sur le massacre de Wounded Knee survenu dans le Dakota en 1890, où plusieurs centaines de femmes, d’enfants et de guerriers Sioux ont été fauchés par les mitrailleuses de l’armée américaine. Mais je n’étais pas prêt pour un tel projet. A vrai dire, je n’étais pas prêt pour grand-chose, alors !
En lisant ce scénario, je me suis dit : mon Dieu, c’est donc ça que nous sommes, les héritiers de ces assassins ? Toutes ces ethnies ont été décrites, au cinéma, de façon biaisée, on le sait. Il a fallu attendre les années 1950 pour que Hollywood, enfin, fasse des films pro-Indiens. Il y a eu « la Flèche brisée », de Delmer Daves, avec James Stewart et Jeff Chandler, qui a été une révélation. Puis il y a eu « la Porte du diable », d’Anthony Mann, avec Robert Taylor, film qui est carrément la description d’un génocide. N’oublions pas « le Jugement des flèches », de Samuel Fuller, avec Rod Steiger et Charles Bronson, ni, surtout, « Bronco Apache », de Robert Aldrich, en 1954. Hélas, les Indiens, dans tous ces films, étaient toujours joués par des acteurs blancs !
Dans ce nouveau film, vous abandonnez l’idée de rédemption, qui est essentielle dans votre œuvre. Que s’est-il passé ?
Je me suis aventuré dans cette histoire en essayant de trouver une rédemption. Le seul endroit où elle se trouve, c’est dans le lien qui unit Mollie et Ernest, entre le mari et la femme, entre le meurtrier et sa victime. L’amour vrai, mais corrompu… L’amour est étrange : comment reste-t-on soi-même en participant à la vie de l’autre ? Peut-être que la grâce divine intervient là-dedans.C’est un film très politique, aussi.
Oui, mais ce n’est pas un film à thèse. J’ai abordé des aspects politiques de l’Amérique dans « le Loup de Wall Street », dans « Casino », dans « Boardwalk Empire ». Mais avec « Killers of the Flower Moon », j’essaie de comprendre. Pourquoi sommes-nous devenus ce que nous sommes devenus ? La nature même du sentiment de supériorité des Blancs, d’où vient-elle ? Dans les années 1960, il y a eu la bataille des droits civiques, mais j’étais trop jeune et, à l’époque de Martin Luther King, de Malcolm X, c’est James Baldwin qui a commencé à m’ouvrir les yeux. Puis il y a eu le film de Shirley Clarke, « Portrait of Jason », en 1967, qui était le portrait incroyable d’un prostitué afro-américain…
Ces œuvres-là m’ont fait prendre conscience d’une réalité que j’ignorais. Et j’ai voulu comprendre pourquoi j’éprouvais ce sentiment de supériorité qui m’a été communiqué par l’environnement dans lequel je vivais. La religion nous enseigne que nous sommes tous égaux, pourtant. J’en ai parlé avec le chef Geoffrey Standing Bear, qui représente la tribu des Osage. Comment a-t-on pu nier l’existence de gens différents de nous ? Sa femme, Julie Standing Bear, m’a donné la raison : « La rapacité. »
C’était le sujet du « Loup de Wall Street », aussi.
Martin Scorsese : « En Amérique, on ne peut même plus ouvrir une porte sans prendre une balle mortelle »
Dans « Killers of the Flower Moon », son nouveau film en salle le 18 octobre, le cinéaste raconte le massacre, dans les années 1920, des Indiens Osage et dénonce, en creux, l’Amérique de Trump. Entretien.
Dans « Killers of the Flower Moon », son nouveau film en salle le 18 octobre, le cinéaste raconte le massacre, dans les années 1920, des Indiens Osage et dénonce, en creux, l’Amérique de Trump. Entretien.
Martin Scorsese rit souvent. C’est un rire éclatant, brusque, qui claque quand on évoque l’absurdité du monde, les erreurs de tournage, les conneries de certains producteurs. Il y passe un dédain absolu du bon ton, et aussi un désespoir devant l’inanité d’un monde où toutes les valeurs de pureté sont souillées. Dans « Killers of the Flower Moon », saga sombre de trois heures et vingt-sept minutes, le cinéaste le plus célèbre du monde plonge dans l’univers du racisme meurtrier de l’Amérique, histoire de l’assassinat de la nation Osage dans les années 1920.
Adapté du livre de David Grann, le film se concentre sur une histoire d’amour entre un vétéran de la Grande Guerre, Ernest Burkhart, et une Indienne, Mollie. Mariage toxique car les Indiens Osage bénéficient, à l’époque, des droits d’exploitation de leur terre, l’Oklahoma, riche en pétrole. Peu à peu, les Osage meurent, empoisonnés. Y compris Mollie, pourtant aimée par son mari qui se transforme lentement en assassin, alors que le FBI naissant peine à enquêter sur la série de meurtres programmés. Récit poignant d’une corruption de l’âme, d’une certitude de la royauté des Blancs sur les autres couleurs de peau. Martin Scorsese, en fait, donne un portrait en creux de l’Amérique d’aujourd’hui, gangrenée par Trump et ses sbires, ravagée par un héritage génocidaire mal accepté.
A 80 ans, Martin Scorsese boucle une œuvre impressionnante, où Dieu, le capitalisme et la crapulerie se côtoient pour inventer un pays d’Etats désunis. L’Amérique, dans le cinéma de Scorsese, est l’antichambre de l’enfer : les anges et les démons ont partie liée dans un lieu où, selon la Bible, il n’y a « ni raison, ni sagesse, ni science ». Les tueurs de la lune des fleurs y prospèrent encore, qu’on se le dise.
Comment définir « Killers of the Flower Moon », votre 27e film ? Ce n’est ni un western, ni un polar, ni un drame historique, mais c’est tout ça en même temps…
Martin Scorsese C’est un regard sur notre identité américaine. C’est ce que nous sommes.
Comment l’idée d’adapter cette saga vous est-elle venue ?
J’étais en train de travailler sur « The Irishman », en ayant l’idée d’adapter ensuite « l’Hiver de Frankie Machine », le livre de Don Winslow, sur un tueur qui reprend du service. Mais, pour ce dernier projet, je n’ai jamais trouvé l’angle. Du coup, Rick Yorn, le manager de Leonardo DiCaprio et le mien, m’a fait parvenir le roman de David Grann. Rien que le titre, déjà, m’a accroché : « Killers of the Flower Moon » [« la Note américaine » pour la traduction française, NDLR].
Je lis le scénario d’Eric Roth, et bien qu’il ne s’agisse pas d’un western à proprement dit, il y est question du Far West, mais avec des voitures, puisque tout se passe dans les années 1920. J’ai toujours été fasciné par les cultures indigènes en Amérique, celles des Premières Nations, celles des Inuits, des Chinook, des Iroquois. J’ai essayé de me frotter à ce sujet dans les années 1970, mais rien n’en est sorti, avec un projet sur le massacre de Wounded Knee survenu dans le Dakota en 1890, où plusieurs centaines de femmes, d’enfants et de guerriers Sioux ont été fauchés par les mitrailleuses de l’armée américaine. Mais je n’étais pas prêt pour un tel projet. A vrai dire, je n’étais pas prêt pour grand-chose, alors !
Donc, « Killers of the Flower Moon »… ?
En lisant ce scénario, je me suis dit : mon Dieu, c’est donc ça que nous sommes, les héritiers de ces assassins ? Toutes ces ethnies ont été décrites, au cinéma, de façon biaisée, on le sait. Il a fallu attendre les années 1950 pour que Hollywood, enfin, fasse des films pro-Indiens. Il y a eu « la Flèche brisée », de Delmer Daves, avec James Stewart et Jeff Chandler, qui a été une révélation. Puis il y a eu « la Porte du diable », d’Anthony Mann, avec Robert Taylor, film qui est carrément la description d’un génocide. N’oublions pas « le Jugement des flèches », de Samuel Fuller, avec Rod Steiger et Charles Bronson, ni, surtout, « Bronco Apache », de Robert Aldrich, en 1954. Hélas, les Indiens, dans tous ces films, étaient toujours joués par des acteurs blancs !
Dans ce nouveau film, vous abandonnez l’idée de rédemption, qui est essentielle dans votre œuvre. Que s’est-il passé ?
Je me suis aventuré dans cette histoire en essayant de trouver une rédemption. Le seul endroit où elle se trouve, c’est dans le lien qui unit Mollie et Ernest, entre le mari et la femme, entre le meurtrier et sa victime. L’amour vrai, mais corrompu… L’amour est étrange : comment reste-t-on soi-même en participant à la vie de l’autre ? Peut-être que la grâce divine intervient là-dedans.
Martin Scorsese rit souvent. C’est un rire éclatant, brusque, qui claque quand on évoque l’absurdité du monde, les erreurs de tournage, les conneries de certains producteurs. Il y passe un dédain absolu du bon ton, et aussi un désespoir devant l’inanité d’un monde où toutes les valeurs de pureté sont souillées. Dans « Killers of the Flower Moon », saga sombre de trois heures et vingt-sept minutes, le cinéaste le plus célèbre du monde plonge dans l’univers du racisme meurtrier de l’Amérique, histoire de l’assassinat de la nation Osage dans les années 1920.
Adapté du livre de David Grann, le film se concentre sur une histoire d’amour entre un vétéran de la Grande Guerre, Ernest Burkhart, et une Indienne, Mollie. Mariage toxique car les Indiens Osage bénéficient, à l’époque, des droits d’exploitation de leur terre, l’Oklahoma, riche en pétrole. Peu à peu, les Osage meurent, empoisonnés. Y compris Mollie, pourtant aimée par son mari qui se transforme lentement en assassin, alors que le FBI naissant peine à enquêter sur la série de meurtres programmés. Récit poignant d’une corruption de l’âme, d’une certitude de la royauté des Blancs sur les autres couleurs de peau. Martin Scorsese, en fait, donne un portrait en creux de l’Amérique d’aujourd’hui, gangrenée par Trump et ses sbires, ravagée par un héritage génocidaire mal accepté.
A 80 ans, Martin Scorsese boucle une œuvre impressionnante, où Dieu, le capitalisme et la crapulerie se côtoient pour inventer un pays d’Etats désunis. L’Amérique, dans le cinéma de Scorsese, est l’antichambre de l’enfer : les anges et les démons ont partie liée dans un lieu où, selon la Bible, il n’y a « ni raison, ni sagesse, ni science ». Les tueurs de la lune des fleurs y prospèrent encore, qu’on se le dise.
Comment définir « Killers of the Flower Moon », votre 27e film ? Ce n’est ni un western, ni un polar, ni un drame historique, mais c’est tout ça en même temps…
Martin Scorsese C’est un regard sur notre identité américaine. C’est ce que nous sommes.
Comment l’idée d’adapter cette saga vous est-elle venue ?
J’étais en train de travailler sur « The Irishman », en ayant l’idée d’adapter ensuite « l’Hiver de Frankie Machine », le livre de Don Winslow, sur un tueur qui reprend du service. Mais, pour ce dernier projet, je n’ai jamais trouvé l’angle. Du coup, Rick Yorn, le manager de Leonardo DiCaprio et le mien, m’a fait parvenir le roman de David Grann. Rien que le titre, déjà, m’a accroché : « Killers of the Flower Moon » [« la Note américaine » pour la traduction française, NDLR].
Je lis le scénario d’Eric Roth, et bien qu’il ne s’agisse pas d’un western à proprement dit, il y est question du Far West, mais avec des voitures, puisque tout se passe dans les années 1920. J’ai toujours été fasciné par les cultures indigènes en Amérique, celles des Premières Nations, celles des Inuits, des Chinook, des Iroquois. J’ai essayé de me frotter à ce sujet dans les années 1970, mais rien n’en est sorti, avec un projet sur le massacre de Wounded Knee survenu dans le Dakota en 1890, où plusieurs centaines de femmes, d’enfants et de guerriers Sioux ont été fauchés par les mitrailleuses de l’armée américaine. Mais je n’étais pas prêt pour un tel projet. A vrai dire, je n’étais pas prêt pour grand-chose, alors !
En lisant ce scénario, je me suis dit : mon Dieu, c’est donc ça que nous sommes, les héritiers de ces assassins ? Toutes ces ethnies ont été décrites, au cinéma, de façon biaisée, on le sait. Il a fallu attendre les années 1950 pour que Hollywood, enfin, fasse des films pro-Indiens. Il y a eu « la Flèche brisée », de Delmer Daves, avec James Stewart et Jeff Chandler, qui a été une révélation. Puis il y a eu « la Porte du diable », d’Anthony Mann, avec Robert Taylor, film qui est carrément la description d’un génocide. N’oublions pas « le Jugement des flèches », de Samuel Fuller, avec Rod Steiger et Charles Bronson, ni, surtout, « Bronco Apache », de Robert Aldrich, en 1954. Hélas, les Indiens, dans tous ces films, étaient toujours joués par des acteurs blancs !
Dans ce nouveau film, vous abandonnez l’idée de rédemption, qui est essentielle dans votre œuvre. Que s’est-il passé ?
Je me suis aventuré dans cette histoire en essayant de trouver une rédemption. Le seul endroit où elle se trouve, c’est dans le lien qui unit Mollie et Ernest, entre le mari et la femme, entre le meurtrier et sa victime. L’amour vrai, mais corrompu… L’amour est étrange : comment reste-t-on soi-même en participant à la vie de l’autre ? Peut-être que la grâce divine intervient là-dedans.C’est un film très politique, aussi.
Oui, mais ce n’est pas un film à thèse. J’ai abordé des aspects politiques de l’Amérique dans « le Loup de Wall Street », dans « Casino », dans « Boardwalk Empire ». Mais avec « Killers of the Flower Moon », j’essaie de comprendre. Pourquoi sommes-nous devenus ce que nous sommes devenus ? La nature même du sentiment de supériorité des Blancs, d’où vient-elle ? Dans les années 1960, il y a eu la bataille des droits civiques, mais j’étais trop jeune et, à l’époque de Martin Luther King, de Malcolm X, c’est James Baldwin qui a commencé à m’ouvrir les yeux. Puis il y a eu le film de Shirley Clarke, « Portrait of Jason », en 1967, qui était le portrait incroyable d’un prostitué afro-américain…
Ces œuvres-là m’ont fait prendre conscience d’une réalité que j’ignorais. Et j’ai voulu comprendre pourquoi j’éprouvais ce sentiment de supériorité qui m’a été communiqué par l’environnement dans lequel je vivais. La religion nous enseigne que nous sommes tous égaux, pourtant. J’en ai parlé avec le chef Geoffrey Standing Bear, qui représente la tribu des Osage. Comment a-t-on pu nier l’existence de gens différents de nous ? Sa femme, Julie Standing Bear, m’a donné la raison : « La rapacité. »
C’était le sujet du « Loup de Wall Street », aussi.
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