Le gouvernement israélien accepte le passage d’eau, de nourriture et de médicaments via l’Égypte « tant que ces fournitures n’atteignent pas le Hamas ». Israéliens et Palestiniens s’accusent mutuellement de la frappe sur l’hôpital de Gaza, mardi. Le président américain Joe Biden, en visite en Israël, soutient la version de l’État hébreu. Colère dans le monde arabo-musulman.
Au douzième jour du conflit, le bureau du premier ministre Benyamin Nétanyahou a publié mercredi 18 octobre une déclaration indiquant les dernières décisions du cabinet restreint de sécurité. Ces décisions, prises « à la lumière du soutien capital et vital apporté par les États-Unis à l’effort de guerre et de la demande d’aide humanitaire de base formulée par le président américain Joe Biden », sont au nombre de trois.
Le cabinet restreint indique qu’il n’autorisera « aucune aide humanitaire à partir de son territoire vers la bande de Gaza tant que les personnes enlevées ne lui sont pas rendues ». Il « exige » ensuite que « la Croix-Rouge se rende auprès des personnes enlevées et s’efforce de mobiliser un large soutien international en faveur de cette demande ».
Les camions chargés de fournitures d'aide humanitaire au terminal de Rafah côté égyptien le 17 octobre 2023.
Enfin, le gouvernement israélien indique qu’il « n’empêchera pas les fournitures humanitaires en provenance d’Égypte tant qu’il ne s’agit que de nourriture, d’eau et de médicaments destinés à la population civile située dans le sud de la bande de Gaza ou qui s’y est déplacée, et tant que ces fournitures n’atteignent pas le Hamas ». « Tout approvisionnement parvenant au Hamas sera contrecarré », ajoute le gouvernement israélien.
Le terminal de Rafah entre l’Égypte et Gaza est fermé en raison des bombardements israéliens. Depuis des jours, des centaines de camions sont bloqués dans le désert égyptien du Sinaï, faute d’un passage vers les 2,4 millions de Gazaoui·es alors que l’Organisation mondiale de la santé affirme désormais : « Chaque seconde où nous attendons l’aide médicale, nous perdons des vies. »
Bombardement de l’hôpital de Gaza : Israéliens et Palestiniens s’accusent mutuellement
Le Jihad islamique a qualifié mercredi matin de « mensonges » les accusations d’Israël, qui lui a attribué le tir contre un hôpital de Gaza, mardi, qui a fait 471 morts et 314 blessés selon un bilan actualisé du ministère de la santé gazaoui.
« Comme d’habitude, l’ennemi sioniste tente, par la fabrication de mensonges, de se soustraire à sa responsabilité dans le massacre brutal qu’il a commis en bombardant l’hôpital et en pointant le doigt vers le Jihad islamique », a déclaré dans un communiqué le mouvement islamiste palestinien. « Nous affirmons que ces accusations sont fausses et sans fondements », a-t-il ajouté.
Israël veut par « ces mensonges justifier ses attaques contre les hôpitaux » et « se dérober à la responsabilité de son crime », a encore affirmé le Jihad islamique. Selon ce mouvement, l’hôpital avait été sommé par Israël d’évacuer sous la menace d’un bombardement, et c’est une bombe larguée par un avion de l’armée israélienne qui a causé la tragédie.
L’armée israélienne a pour sa part affirmé que c’est une roquette du Jihad islamique qui est tombée sur l’hôpital à la suite d’un tir raté.
« D’après des informations que nous avons obtenues des services de renseignement, basées sur plusieurs sources, le Jihad islamique est responsable du tir de roquette raté qui a touché l’hôpital », a affirmé l’armée israélienne dans un communiqué.
Au moment du tir, « un barrage de roquettes a été tiré par des terroristes à Gaza, passant très près de l’hôpital Al-Ahli de Gaza », d’après l’armée, suggérant que l’une d’elles est tombée sur l’établissement.
Lors d’une conférence de presse mercredi matin, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a apporté ce qu’il juge être des preuves que l’explosion de l’hôpital n’était pas due à un tir de missile mais à une roquette palestinienne. Daniel Hagari en veut pour preuve l’absence de cratère sur les lieux de l’explosion. Par ailleurs, selon lui, l’armée a vérifié et elle n’a procédé à aucun tir depuis le sol, l’air ou la mer au moment de l’explosion.
Enfin, Daniel Hagari a rendu public un enregistrement où l’on peut entendre, selon lui, deux membres du Hamas constater que l’explosion est due à une roquette lancée depuis un cimetière qui jouxte l’hôpital :
« Que le monde entier le sache : les terroristes barbares à Gaza sont ceux qui ont attaqué l’hôpital à Gaza et pas l’armée israélienne », a réagi le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, d’après un communiqué de son bureau. « Ceux qui ont brutalement tué nos enfants tuent leurs propres enfants. »
« Des centaines de patients, de blessés et de déplacés » se trouvaient dans l’hôpital, a indiqué le bureau média du Hamas, le mouvement palestinien qui contrôle la bande de Gaza.
Depuis le 7 octobre, au moins 3 478 Palestiniens ont été tués et 12 000 blessés dans les frappes israéliennes à Gaza, selon un nouveau bilan annoncé mercredi par le ministère palestinien de la santé. Côté israélien, ce sont au moins 1 300 personnes qui ont été tuées.
Les Palestiniens demandent une enquête de la CPI
L’Autorité palestinienne veut une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur la frappe meurtrière sur un hôpital de Gaza. « L’État palestinien a déposé aujourd’hui [mercredi] un dossier devant la CPI pour avoir une enquête concernant ce crime. Il faut une enquête internationale », a indiqué mercredi sa représentante en France, Hala Abou Hassira, lors d’un point de presse à la Mission de Palestine en France.
« Israël est le seul responsable [...] Ce n’est pas la première fois qu’Israël cible des infrastructures civiles et plus particulièrement des hôpitaux », a-t-elle indiqué.
Biden soutient la version israélienne et s’en prend au Hamas
Le président américain Joe Biden, en visite en Israël mercredi, a soutenu la version des autorités israéliennes imputant à des combattants palestiniens la frappe qui a tué des centaines de personnes (471, selon un bilan donné par le Hamas). Il a précisé que cela était basé sur des données fournies par le département américain de la Défense.
« J’ai été profondément attristé et choqué par l’explosion dans l’hôpital à Gaza hier [mardi – ndlr]. Et sur la base de ce que j’ai vu, il apparaît que cela a été mené par la partie adverse, pas par vous », a déclaré le président américain, aux côtés de Benyamin Nétanyahou à Tel-Aviv. « Nous devons aussi garder en tête que le Hamas ne représente pas tout le peuple palestinien et ne leur a apporté que souffrance », a-t-il ajouté.
Le président américain, arrivé mercredi matin à l’aéroport de Tel-Aviv, a rencontré des familles de victimes de l’attaque sanglante de commandos du Hamas.
Jour de colère au Liban
Le Hezbollah libanais a appelé à observer une « journée de colère » mercredi pour condamner un tir meurtrier contre l’hôpital de Gaza, un « massacre » dont il accuse Israël. « Que demain, mercredi, soit un jour de colère contre l’ennemi », a appelé le Hezbollah, allié du Hamas palestinien, dans un communiqué, dénonçant un « massacre » et un « crime brutal ».
L’appel du Hezbollah a été lancé alors que des centaines de manifestants étaient rassemblés devant l’ambassade des États-Unis à Aoukar, dans la banlieue nord de la capitale, Beyrouth, où ils ont scandé « Mort à l’Amérique » et « Mort à Israël », selon des correspondants de l’AFP.
Les forces de sécurité libanaises ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants qui lançaient des pierres en direction de l’ambassade, nombre d’entre eux se couvrant le visage avec des keffiehs palestiniens, selon ces correspondants.
Des centaines de personnes se sont également rassemblées devant l’ambassade de France à Beyrouth, brandissant des drapeaux palestiniens et lançant également des pierres contre l’entrée principale de l’ambassade.
Des manifestations de colère ont également eu lieu dans les camps de réfugiés palestiniens des villes de Sidon et de Tyr, dans le sud du Liban. Les factions palestiniennes du Liban ont appelé à des rassemblements de masse mercredi pour condamner le tir contre l’hôpital.
Le premier ministre intérimaire libanais, Najib Mikati, a décrété une journée de deuil national mercredi.
Manifestations en Tunisie, en Jordanie ou en Cisjordanie
À Tunis, des milliers de manifestants se sont rassemblés de nouveau mercredi devant l’ambassade de France. « Le renvoi de l’ambassadeur [de France] est un devoir », « Les Français et les Américains sont des alliés des sionistes », ont notamment scandé les manifestants, selon des journalistes de l’AFP.
Une trentaine de personnes se sont aussi rassemblées près de l’ambassade américaine dans la banlieue nord de la capitale tunisienne. La police a empêché les manifestants d’accéder au bâtiment. D’autres manifestations ont eu lieu à Bizerte (nord), Sousse (est), Sfax (centre), Kairouan (centre) et Gabès (sud).
À Amman, environ 5 000 personnes ont manifesté près de l’ambassade d’Israël. Déployées en nombre sur les lieux selon un journaliste de l’AFP, les forces de sécurité ont empêché les manifestants de s’approcher du bâtiment dans le quartier de Rabieh, dans l’ouest de la capitale, et bloqué toutes les routes menant à l’ambassade.
La Jordanie, pays lié depuis 1994 par un traité de paix ayant mis fin à l’état de guerre avec le voisin israélien, a réagi à la frappe meurtrière en faisant porter à Israël « la responsabilité de ce grave incident ».
« Disons-le ouvertement, nous ne voulons pas d’ambassade », « Pas d’ambassade sioniste sur le sol jordanien » ou encore « Pas d’ambassade américaine sur le sol jordanien », scandent-ils. Ils ont également crié des slogans contre le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, le qualifiant de « traître », et appelé le roi Abdallah II de Jordanie à leur « ouvrir les deux ponts » reliant le pays à Israël.
En Cisjordanie, des centaines de Palestiniens ont de nouveau manifesté mercredi, au lendemain de rassemblements similaires ayant dégénéré en heurts avec les forces de sécurité palestiniennes. Plusieurs centaines de personnes ont afflué sur la place Al-Manara, dans le centre-ville de Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne. Des manifestants demandaient la fin de la « coopération sécuritaire » avec Israël.
À Naplouse, les manifestants ont également brandi des drapeaux palestiniens, quand d’autres affichaient des insignes du Hamas, et entonnaient des chants soutenant le mouvement islamiste au pouvoir dans la bande de Gaza. Si beaucoup reprenaient en chœur le slogan « Libérez la Palestine », d’autres tournaient en dérision Mahmoud Abbas, en chantant « À bas Abbas ».
Deuil en Turquie et en Iran
La Turquie va décréter trois jours de deuil national. Selon la vice-présidente du parti présidentiel AKP au parlement, Özlem Zengin, citée mercredi par la chaîne de télévision étatique turque TRT et la chaîne privée NTV, l’annonce va être officialisée par décret présidentiel.
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan avait appelé mardi soir à « mettre fin à cette brutalité sans précédent à Gaza », accusant Israël d’avoir « frappé un hôpital abritant des femmes, des enfants et des civils innocents ».
La frappe a suscité une très vive émotion en Turquie, où quelque 80 000 personnes ont manifesté mardi soir devant le consulat d’Israël à Istanbul, selon les autorités.
À Téhéran, des centaines de manifestants s’étaient rassemblés devant les ambassades de France et du Royaume-Uni à Téhéran dans la nuit de mardi à mercredi, selon un photographe de l’AFP sur place. « Mort à la France et à l’Angleterre ! », ont crié des manifestants, en lançant des œufs sur les murs de l’enceinte de l’ambassade de France.
Plusieurs milliers de personnes se sont également rassemblées sur la place de Palestine, dans le centre de la capitale iranienne, pour crier leur colère, selon un photographe de l’AFP.
Le président iranien, Ebrahim Raïssi, a décrété une journée de « deuil public » mercredi et a prédit que l’attaque contre l’hôpital allait se retourner contre Israël et son allié américain. « Les flammes des bombes américano-israéliennes, larguées ce soir sur les victimes palestiniennes blessées à l’hôpital Al-Mu’amdani à Gaza, vont bientôt dévorer les sionistes », a-t-il déclaré, cité par l’agence Irna. « L’Iran est en deuil », a-t-il ajouté.
Sommet annulé à Amman
La Jordanie a annulé le sommet quadripartite prévu mercredi entre le roi Abdallah II de Jordanie et les présidents américain, Joe Biden, égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, et palestinien, Mahmoud Abbas. L’annulation a été annoncée à la télévision publique jordanienne par le ministre des affaires étrangères jordanien, Ayman Safadi.
« La visite du président Biden et le sommet quadripartite qui devait se tenir à Amman n’auront pas lieu à ce stade », a dit le ministre. « Après avoir consulté nos frères palestiniens et nos frères égyptiens, et après avoir discuté avec les États-Unis, nous avons décidé de ne pas organiser ce sommet », a-t-il ajouté.
Pour le ministre, ce sommet doit déboucher « sur une seule et unique solution, à savoir l’arrêt de la guerre, la reconnaissance de l’humanité des Palestiniens et l’octroi de l’aide qu’ils méritent ». « Dans la mesure où cela s’avère irréalisable, nous avons décidé de ne pas tenir ce sommet, pour autant qu’il se tienne à un moment où il aura la possibilité d’arrêter la guerre, d’arrêter ces massacres, d’arrêter l’effusion de sang, et d’arrêter cette guerre et cette agression qui poussent toute la région vers l’abîme », a poursuivi Ayman Safadi.
L’ONU « horrifiée »
Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est dit « horrifié » par cette frappe contre des civils. Il a estimé mercredi que l’attaque du Hamas en Israël ne peut « justifier la punition collective des Palestiniens » de Gaza, territoire lourdement frappé par des bombardements de représailles israéliens.
« Je suis pleinement conscient des profonds griefs du peuple palestinien après cinquante-six ans d’occupation », a souligné António Guterres lors d’un discours à Pékin. « Mais si graves que soient ces griefs, ils ne peuvent justifier les actes terroristes commis par le Hamas le 7 octobre. Mais ces attaques ne peuvent justifier la punition collective des Palestiniens », a souligné le chef de l’ONU.
António Guterres a par ailleurs appelé à un « cessez-le-feu humanitaire immédiat » dans le conflit entre Israël et le Hamas. « J’appelle à un cessez-le-feu humanitaire immédiat pour [...] apaiser les terribles souffrances humaines auxquelles nous assistons », a-t-il déclaré face aux représentants de quelque 130 pays au forum des Nouvelles Routes de la Soie.
Pousser les Palestiniens à quitter leur terre est « une façon d’en finir avec la cause palestinienne aux dépens des pays voisins », estime Sissi
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a mis en garde mercredi contre un exode massif de Palestiniens de Gaza vers l’Égypte, y voyant le risque d’« un déplacement similaire de la Cisjordanie vers la Jordanie » et « la fin de la cause palestinienne ».
En recevant le chancelier allemand Olaf Scholz au Caire, le chef d’État égyptien a tenu son discours le plus complet et le plus virulent depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre. Pousser les Palestiniens à quitter leur terre est « une façon d’en finir avec la cause palestinienne aux dépens des pays voisins », a-t-il lancé.
« L’idée de forcer les Gazaouis à se déplacer vers l’Égypte mènera à un déplacement similaire des Palestiniens de Cisjordanie », territoire occupé par Israël, « et cela rendra impossible l’établissement d’un État de Palestine », a-t-il poursuivi.
Et « si je demande au peuple égyptien de sortir dans les rues, ils seront des millions pour soutenir la position de l’Égypte », a-t-il encore prévenu, évoquant également « l’opinion arabe » et « l’opinion musulmane » sensibles à « la cause palestinienne qui est la plus grande des causes ».
La rédaction de Mediapart
18 octobre 2023 à 10h35
https://www.mediapart.fr/journal/international/181023/le-fil-du-jour-israel-pret-laisser-entrer-de-l-aide-humanitaire-gaza-sous-condition
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