Joe Biden et d’autres dirigeants occidentaux se sont rendus en Israël après les attaques terroristes du Hamas. Si leur soutien est accompagné d’une mise en garde sur le respect du droit international, ils sont critiqués par le reste du monde pour le « deux poids, deux mesures » appliqué à leur politique au Moyen-Orient, notamment comparée à la stratégie ukrainienne.
23 octobre 2023 à 13h39
L’image – ou plutôt la mise en scène – est largement passée inaperçue en Occident, où les médias sont concentrés depuis plus de quinze jours sur les événements sanglants en Israël et à Gaza. Elle a eu lieu mardi dernier à Pékin, le 17 octobre, au Palais du peuple, et a été diffusée par la télévision officielle chinoise (à partir de 2 min 35 s dans cette vidéo).
Deux militaires ouvrent une porte dorée, laissant passer un groupe de dirigeant·es réuni·es dans la capitale chinoise pour un sommet destiné à fêter le dixième anniversaire des Nouvelles Routes de la soie (Belt and Road Initiative ou BRI, selon son acronyme en anglais), le « projet du siècle » du numéro un chinois Xi Jinping.
Côté européen, seul le premier ministre hongrois, Viktor Orbán, s’est déplacé, la France ayant envoyé un second couteau, l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, connu pour ses positions prochinoises – mais qui, le lendemain, est sorti de la salle peu avant le discours de Vladimir Poutine, en compagnie de délégués européens, selon l’agence Reuters.
Vladimir Poutine et Xi Jinping lors de la cérémonie de bienvenue du forum des Nouvelles Routes de la soie à Pékin le 17 octobre 2023.
Car ce soir du 17 octobre, pour le dîner d’accueil, les deux chefs d’État qui ont ouvert la marche sont l’hôte Xi Jinping et son ami Vladimir Poutine, devenu un paria en Occident depuis son agression de l’Ukraine il y a plus d’un an et demi. Et si le dirigeant russe a été mis en examen par la Cour pénale internationale (CPI) pour sa responsabilité dans des crimes de guerre perpétrés en Ukraine, Pékin n’en a cure. L’image n’a pas besoin de beaucoup plus d’explications. Les deux dirigeants chinois et russe donnent le tempo, les autres suivent.
Biden dans les pas de Roosevelt
Au même moment, Joe Biden se préparait pour une visite en Israël. Un déplacement avant tout destiné à afficher un soutien conditionnel à Israël après les attaques terroristes du Hamas, mais réduit à la portion congrue après l’annulation de l’étape jordanienne, où il devait rencontrer les dirigeants jordanien et égyptien et le chef de l’Autorité palestinienne. Une rencontre annulée par le drame de l’hôpital Ahli-Arab à Gaza, attribué à une frappe israélienne par le Hamas, mais qu’Israël et les États-Unis expliquent par un tir de roquette raté du Jihad islamique, un allié du mouvement islamiste palestinien.
De retour à Washington, le président états-unien s’est adressé aux Américain·es dans un discours à la nation. Il a évoqué un de ces moments historiques où les décisions à prendre sont déterminantes « pour les décennies à venir ». « Un point d’inflexion », a-t-il souligné. Il s’est dit ému par les atrocités commises par le Hamas, tout en mentionnant les victimes palestiniennes. Mais il a surtout rapproché la situation israélienne de la guerre en Ukraine.
« L’assaut contre Israël fait écho à près de vingt mois de guerre, de tragédie et de brutalité infligés au peuple ukrainien – un peuple qui a été très durement touché depuis que Poutine a lancé son invasion, a dit le président états-unien. Nous n’avons pas oublié les charniers, les corps portant des traces de torture, le viol utilisé comme arme par les Russes, et les milliers et milliers d’enfants ukrainiens emmenés de force en Russie, volés à leurs parents. Cela rend malade. Le Hamas et Poutine représentent des menaces différentes, mais ils ont ceci en commun : ils veulent tous deux anéantir complètement une démocratie voisine – l’anéantir complètement. »
Joe Biden et Benyamin Nétanyahou à Tel-Aviv, le 18 octobre 2023.
Si Joe Biden ne rejoint pas complètement le discours d’extrême droite du premier ministre Benyamin Nétanyahou sur la guerre des civilisations, il tente de réactiver un récit qu’il avait tenté de lancer au début de son mandat, sans succès : celui de l’opposition entre le camp des démocraties, emmenées par Washington, et celui des dictatures, où l’on retrouve le rival chinois et son supplétif russe.
Dans son discours à la nation, Biden a également annoncé vouloir demander plus d’argent pour l’Ukraine et pour Israël, afin de soutenir leurs efforts de guerre. Le tout en invoquant le souvenir de la mobilisation du « monde libre » sous le mandat de Franklin D. Roosevelt durant la Seconde Guerre mondiale : « Tout comme [à l’époque], les travailleurs américains patriotes construisent l’arsenal de la démocratie et servent la cause de la liberté. » « Dans des moments comme celui-ci, nous devons nous rappeler qui nous sommes. Nous sommes les États-Unis d’Amérique. Et rien n’est au-delà de notre capacité si nous agissons ensemble », a-t-il également lancé.
Mais, lors de sa visite en Israël, Joe Biden a également mis en garde ses interlocuteurs sur le danger de se laisser emporter par la vengeance. Il a évoqué publiquement les erreurs commises par son pays après le 11 septembre 2001 et le choc des attaques terroristes d’Al-Qaïda sur le sol américain. « La justice doit être rendue, a-t-il dit, mais je vous mets en garde : si vous ressentez cette rage, ne vous laissez pas envahir par elle. Après le 11-Septembre, nous étions enragés aux États-Unis. Nous avons cherché à obtenir justice et nous l’avons obtenue, mais nous avons aussi commis des erreurs. »
Et d’insister sur la mesure et la lucidité nécessaires à observer : « Je suis le premier président à me rendre en Israël en temps de guerre. J’ai pris des décisions en temps de guerre et je sais que les choix ne sont jamais clairs ou faciles. Il y a toujours des coûts qui doivent être examinés, qui nécessitent de poser des questions très difficiles, qui nécessitent de clarifier les objectifs et de se demander, honnêtement, si la voie que l’on suit permettra d’atteindre ces objectifs. La grande majorité des Palestiniens ne font pas partie du Hamas. Le Hamas ne représente pas le peuple palestinien. »
Selon le New York Times, Washington tente de persuader Israël de retarder l’offensive terrestre sur Gaza, pour permettre notamment de libérer les otages aux mains du Hamas et du Jihad islamique, tout en permettant aux civils palestiniens de bénéficier d’une aide humanitaire. Si les Occidentaux se retrouvent sur la même ligne que les États-Unis – Biden s’est entretenu dimanche avec plusieurs dirigeants européens, dont Emmanuel Macron, qui a prévu de se rendre en Israël mardi –, la division avec le reste du monde, déjà visible sur l’Ukraine, n’a fait que se renforcer.
Un cadeau pour Moscou et Pékin
Dans un éditorial publié le 20 octobre, le Financial Times a résumé la difficulté que doivent affronter Washington et ses alliés. « Un exercice d’équilibre complexe est nécessaire, juge le journal. L’Amérique et les démocraties occidentales doivent apporter leur soutien à un allié traumatisé, l’aider à renforcer ses défenses et dissuader d’autres ennemis de rejoindre le Hamas dans la guerre. Elles doivent également exhorter Israël à s’abstenir de toute action susceptible d’entraîner de nouvelles pertes civiles. »
Pour le Financial Times, « un mauvais équilibre peut exacerber les tensions non seulement au Moyen-Orient, mais aussi au sein des communautés locales ». Alors que les Occidentaux avaient enjoint au monde de rejoindre leur combat pour la défense de l’Ukraine, « la perception d’un double standard occidental qui s’installe déjà est un cadeau pour Moscou et Pékin ». « Le droit international ne peut pas être une marchandise que l’Occident soutient quand cela l’arrange, mais qu’il rejette quand cela ne l’arrange pas », conclut le texte.
L’illustration de cette division du monde a été donnée samedi, lors du sommet organisé par les Égyptiens, auquel ne participaient ni Israël ni les États-Unis. Il s’est achevé sans communiqué commun et sur un constat d’échec. L’un des plus virulents envers l’hypocrisie occidentale a été le roi de Jordanie, Abdallah II. « Partout ailleurs, le monde aurait condamné le ciblage des infrastructures civiles et la privation délibérée de la population de nourriture, d’eau, d’électricité et de ses besoins essentiels, et les auteurs de ces actes auraient certainement été tenus de rendre des comptes immédiatement », a-t-il lancé, ajoutant dans une référence à l’Ukraine que « cela a été le cas récemment dans un autre conflit, mais pas à Gaza ».
Dans un monde failli, cette absence de crédibilité et cette perception de dirigeants défaillants et dépourvus de toute vision ambitieuse – toujours aussi incapables de faire respecter le droit international ou de protéger les populations civiles – rendent difficiles dans l’immédiat de prévenir une extension du conflit et, à plus long terme, toute perspective pour l’après. Et ne peuvent que renforcer l’impression de désastre politique.
François Bougon
23 octobre 2023 à 13h39
https://www.mediapart.fr/journal/international/231023/guerre-israel-hamas-face-la-chine-et-la-russie-washington-et-ses-allies-sur-un-fil
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