Alors que le chiffre des personnes détenues par le Hamas a été réévalué à 199 et que ce dernier vient de poster une première vidéo d’une Franco-Israélienne prisonnière, les familles font tout pour mettre au centre le sort des leurs, que beaucoup jugent négligé par le gouvernement israélien.
17 octobre 2023 à 08h21
Tel-Aviv, mer Morte (Israël).– « Allô, Maman » sont les derniers mots que Meirav Leishem Gonen a entendus de la bouche de sa fille, samedi 7 octobre, vers 10 h 30 du matin, après plusieurs heures passées à parler au téléphone avec elle. Romi Gonen, 23 ans, se trouvait au festival de musique électronique Supernova, à côté de Gaza, qui s’est fini en bain de sang après l’attaque du Hamas.
« Ma fille habite à Tel-Aviv, où elle fait des petits boulots de serveuse et autres. D’après les données de son téléphone, on sait qu’elle est arrivée à la fête à seulement 4 heures du matin. De 6 h 30 à 10 h 30, j’ai été en contact avec elle tout le temps au téléphone, et puis on l’a perdue. Je ne sais pas si elle est à Gaza, vivante ou morte, puisque tous les corps n’ont pas encore été identifiés. » Notamment ceux qui sont trop calcinés pour que le relevé d’ADN puisse rapidement confirmer une identité.
Meirav veut rester confiante, même si le récit que fait cette habitante de Kfar Vradim, dans le nord d’Israël, des derniers moments passés au téléphone avec la troisième de ses cinq enfants laisse craindre le pire. « J’ai élevé mes enfants pour qu’ils soient le plus indépendants possible, mais j’ai toujours été une “maman solution”, poursuit-elle en souriant et pleurant tout à la fois. Quand elle m’a appelée à 6 h 30 du matin pour me demander de l’aide, me dire que les terroristes se rapprochaient d’elle, qu’elle ne voulait pas mourir, pour la première fois de ma vie, je n’avais aucune solution. »
Meirav Leishem Gonen est restée à chuchoter avec sa fille au téléphone pendant près de quatre heures. « Elle était dans une voiture, on entendait des coups de feu au loin, mais on entendait aussi qu’ils se rapprochaient. Vers 10 h 30, Romi m’a dit qu’elle avait été blessée par une balle, que sa main saignait, qu’elle allait mourir. Puis la liaison a été coupée. » Depuis, on sait « que son téléphone est à Gaza, mais pour elle on ne sait rien ».
Meirav continue : « Mon corps fonctionne, mais mon cœur est arrêté à Gaza. » Si elle tient toujours debout, c’est grâce à l’endroit où on la rencontre ce lundi 16 octobre, ajoute-t-elle. « Si vous me demandez comment l’appeler, le meilleur mot serait “amour”. Si vous me demandez ce qu’on y fait : on est soutenu, on s’organise pour avoir des informations, on se prend dans les bras, on agit pour ne pas tomber. »
L’endroit en question est le 7e étage d’un des nombreux buildings de Tel-Aviv qui bordent l’autoroute entre la ville et sa proche banlieue. Alors que la capitale économique, culturelle et festive d’Israël se vidait comme au temps du Covid après « ce qu’il ne faut pas appeler des assassinats mais des massacres », tient à préciser Meirav, une véritable ruche s’est organisée au 4 de la rue Berkowitz pour venir en aide aux familles de disparu·es et kidnappé·es.
Vidéo du Hamas
Accueillis dans les bureaux d’un avocat dont le fils a pu s’enfuir de la rave party mais dont la compagne est toujours sans nouvelles de son enfant, des bénévoles de toute sorte et de tout âge sont venus ici pallier les vides et les silences du gouvernement.
« Je ne sais pas comment on aurait fait sans tout ce soutien », dit Galit, qui vient tous les jours depuis que le centre a ouvert ses portes, la semaine dernière. Elle ne quitte pas une photo agrandie de sa nièce, Mia Schem, dont une vidéo a été postée sur Telegram par le Hamas lundi 16 octobre dans la soirée.
Sur celle-ci, la jeune femme, qui a aussi la nationalité française, explique face caméra qu’elle est grièvement blessée au bras et à la main, comme on peut le voir au début de la vidéo, mais qu’on s’occupe bien d’elle, qu’on lui a donné des médicaments. Elle demande qu’on la ramène au plus vite à la maison. C’est la première fois qu’une vidéo d’un·e otage est divulguée par le Hamas depuis le début de la guerre lancée le 7 octobre dernier.
« Mia a 21 ans, ses parents sont divorcés mais c’est elle le ciment entre ses parents ; elle a appris à faire des tatouages ; elle cuisine comme un chef ; elle a un grand frère de 23 ans, un petit frère de 17 ans et une petite sœur de 10 ans ; elle s’occupe souvent de ses grands-parents, raconte Galit d’un seul souffle.
Mia se trouvait aussi au festival Supernova où elle s’était rendue avec un ami après avoir passé le début de soirée avec sa famille, qui vit à Shoham, une petite ville située à proximité de l’aéroport Ben-Gourion. « Avec ma sœur, on s’est immédiatement rendues dans un institut médico-légal avec la brosse à cheveux de Mia. Ç’a été un choc de voir tous ces parents faire la queue avec des brosses à dents ou d’autres objets porteurs d’ADN pour les comparer aux corps retrouvés. Pendant sept jours, on a à la fois redouté et espéré un appel, sans rien recevoir. C’est seulement il y a deux jours qu’un officiel nous a contactés pour nous dire que Mia était à Gaza et qu’elle était vivante », sourit-elle sans vraiment oser se réjouir pour autant.
« Je n’ose pas imaginer ce qu’elle subit aujourd’hui. Je veux qu’elle revienne, je ne suis pas pour la loi du talion. Je suis consciente que la population de Gaza souffre. Pourquoi est-ce qu’on ne libère pas tous les prisonniers qu’ils exigent pour récupérer nos enfants ? Chaque heure compte. Pourquoi, alors qu’on a libéré mille Palestiniens pour sauver Gilad Shalit, ne fait-on pas la même chose aujourd’hui ? », implore-t-elle.
Les familles se sentent abandonnées
Une des raisons tient sans doute au nombre d’otages détenu·es par le Hamas, qui est monté à 199 selon une nouvelle estimation donnée par l’armée israélienne lundi, tandis que le Hamas a, ce même jour, estimé qu’ils étaient entre 200 et 250, tout en affirmant que ceux qui avaient un autre passeport que celui d’Israël étaient leurs « invités ».
Libérer ces otages dans les mêmes termes supposerait de vider entièrement les prisons israéliennes de ses détenus palestiniens, alors même que personne n’oublie ici que l’actuel chef politique du Hamas à Gaza, Yahya Sinouar, l’un des architectes des massacres du 7 octobre, avait été libéré lors de l’échange avec le soldat franco-israélien Gilad Shalit en 2011…
Cela n’empêche que beaucoup de familles de kidnappé·es et de disparu·es se sont senties abandonnées et négligées par le gouvernement dans la semaine qui a suivi l’attaque du Hamas, même quand elles mesurent la part de discrétion nécessaire à la situation actuelle.
« Je comprends qu’on ne soit pas mis au courant de tout minute par minute, poursuit Galit. Cependant, on ne s’est pas heurtés seulement à un mur de silence, mais à une absence totale d’empathie. Joe Biden, lui, a reçu les familles des otages pendant une heure et demie. Nétanyahou n’a fini par recevoir certains d’entre nous que dimanche, une semaine après ! Je sais que ce n’est pas le moment d’être en colère, parce que la priorité est de sauver nos enfants. Mais la colère viendra. »
Chez certain·es, la colère est déjà bien là. Samedi 14 octobre, plusieurs familles de disparu·es et de kidnappé·es se sont rassemblées devant différents lieux emblématiques du pouvoir à Tel-Aviv. Allant parfois jusqu’à rejoindre les manifestant·es anti-Nétanyahou qui se réunissent tous les jours depuis une semaine sur l’avenue Kaplan pour demander la démission du premier ministre, coupable à leurs yeux d’avoir abîmé d’abord la démocratie israélienne et désormais la sécurité de ses citoyen·nes.
Ce samedi 14 octobre au soir, Dalit Katzenellenbogen tient dans les bras un portrait de sa tante, Hanna Katzir, et sa fille, un de son cousin, Elad Katzir. Tous deux ont été enlevés dans le kibboutz de Nir Oz, où leur père et mari, Rami Katzir, a été assassiné par le Hamas.
« Cela fait huit jours que nous sommes sans aucune nouvelle d’eux, et nous n’avons pas reçu un appel officiel, pas un, s’étrangle de rage et d’émotion Dalit. J’en veux sans retenue à ce premier ministre qui ne prend aucune responsabilité pour ce qu’il s’est passé. Il protégera toujours davantage sa vie et son confort que nos familles. Il préfère les voir mourir que de démissionner comme il le devrait et d’aller alors en prison parce qu’il n’aurait plus d’immunité. »
« Vous savez, ajoute-t-elle, beaucoup des gens qui ont été enlevés par le Hamas sont des kibboutzniks. Les gens des kibboutz ne votent pas pour Nétanyahou, et c’est aussi pour cela qu’il n’en a rien à faire de leur sort », en référence au fait que, historiquement, les kibboutz ont été des places fortes de la gauche israélienne, avant que celle-ci ne soit réduite à peau de chagrin.
Pressé par les familles qui se sont manifestées le samedi 14 octobre, en même temps que le pays se recueillait en allumant des bougies une semaine après les massacres du Hamas, le premier ministre a enfin reçu, dimanche 15 octobre, quelques-unes d’entre elles.
« Ma femme faisait partie de la délégation des familles, raconte Malki Shemtov, dont le fils Omer, 21 ans, DJ et amateur de musique électronique, a été enlevé alors qu’il participait à la rave party organisée à proximité de Gaza. Mais alors qu’on se connaît toutes et tous désormais, elle a été surprise de voir qu’il y avait aussi un parent de kidnappé dont nous n’avions jamais entendu parler et qui n’était pas sur la même longueur d’ondes que nous. Je ne mets pas en doute le fait qu’il ait de la famille à Gaza, mais il approuvait tout ce que disait Nétanyahou et répétait sans arrêt qu’il avait toute sa confiance. »
Malki Shemtov tient cependant à « laisser la politique en dehors de tout ça pour le moment » : « Notre seul but doit être de ramener nos proches, et pour cela il est logique qu’il y ait de la discrétion. Ce n’est pas le temps de la colère. C’est le temps de la mission. Pour le reste, on verra après. »
Son fils a été reconnu, ligoté mais vivant, sur une vidéo postée par le Hamas le 7 octobre dernier. « Je m’accroche à ça, même si j’ai vécu ce jour-là la journée la plus noire de ma vie. J’ai l'impression que mon cœur va s’arrêter chaque fois que je reçois un appel d’un numéro inconnu dont je crains qu’il ne m’annonce le pire », ajoute-t-il.
Meirav Leishem Gonen, qui a aussi assisté à la rencontre avec le premier ministre israélien, se situe sur la même longueur d’ondes. « Nétanyahou m’a fait la promesse qu’il allait retrouver ma fille, je veux le croire. »
Redonner un visage à leurs proches
Quels que soient leurs sentiments vis-à-vis du gouvernement israélien, la plupart des familles d’otages ont décidé de ne plus se taire. A minima pour redonner un visage à leurs proches enlevés le samedi 7 octobre. Pour qu’elle ou il ne soit pas qu’un numéro. Galit est franco-israélienne : cinq membres de sa famille, dont sa fille de 13 ans et sa mère de 80 ans, ont été enlevés par le Hamas.
« On attend que le monde nous aide. C’est pour cela que je vous parle. » La mère de famille marque une pause. « Attendez. » Galit retient ses larmes et reprend : « Je n’ai aucune nouvelle de ma fille, de ma mère, de mon neveu, de ma nièce et de mon beau-frère. On ne sait rien. Je perds mes mots tellement c’est impensable. »
Galit se définit comme une pacifiste, comme beaucoup de familles qui vivaient dans les kibboutz pris pour cible. Samedi matin, sa fille Noya, âgée de 13 ans, était chez sa grand-mère dans le kibboutz de Nir Oz. 80 personnes y ont été enlevées et 25 autres tuées.
« J’ai reçu un coup sur la tête, je ne sais pas comment je vais m’en remettre. Je dois retrouver ma confiance en l’être humain et en sa bonté. Et je fais surtout confiance au bon Dieu. Je suis certaine qu’il prend soin de ma fille et de ma mère. »
Galit se trouvait dans un autre kibboutz, lui aussi attaqué, et a pu échanger par téléphone avec sa fille quelques minutes avant son enlèvement. « Aujourd’hui, je n’ai pas envie d’imaginer où se trouve ma fille Noya. J’ai peur de l’imaginer, parce que des images me viennent. J’essaie de ne pas y penser parce que cela me briserait. Au contraire, j’imagine des femmes autour d’elle. Une Palestinienne qui vient et lui donne de l’eau, du pain. »
Comme toutes les familles des kibboutz attaqués, Galit est aujourd’hui hébergée dans un hôtel de la mer Morte avec sa fille de 9 ans. Épuisée physiquement et émotionnellement, elle lance un dernier appel aux responsables du Hamas, mais aussi au gouvernement israélien : « Une guerre, c’est soldat contre soldat. Ce n’est pas avec des bébés, des femmes, des vieux. Laissez-les partir. Je veux voir ma fille, s’il vous plaît. C’est trop compliqué de rentrer militairement à Gaza dans cet endroit où il y a aussi des femmes et des enfants. »
Joseph Confavreux et Céline Martelet
17 octobre 2023 à 08h21
https://www.mediapart.fr/journal/international/171023/crise-des-otages-en-israel-son-telephone-est-gaza-mais-pour-ma-fille-ne-sait-rien
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