Lundi 2 octobre 2023
L'auteur Olivier Gloag publie aux éditions La Fabrique un essai au titre provocateur, "Oublier Camus", qui suscite de nombreuses réactions. Pourtant cette idée n'est pas neuve, et sans doute pas tout à fait renouvelée par le livre.
Oublier Camus, ce n’est pas un ordre, quoique. En tous cas c’est un titre, celui d’un essai paru il y a quelques jours aux éditions La Fabrique, signé Olivier Gloag, professeur aux Etats-Unis qui travaille sur les représentations coloniales dans la littérature française. Il s’attaque donc à Albert Camus, moins à l’écrivain qu’à l’intellectuel utile, dont il fait je cite “le parangon d’un humanisme abstrait qui a ceci de commode - et de suspect - qu’il plaît à droite comme à gauche”. Le livre revient sur l'ambiguïté de l’homme, de l’écrivain et du philosophe, né en Algérie alors française, face au mouvement d’indépendance et à l’anticolonialisme, décrivant une stature molle, parfois irresponsable, en tout cas bien moins ferme et engagée que celle de Jean-Paul Sartre, éternel ami-ennemi, largement convoqué dans le livre.
Il y a un peu de provocation, le livre est court, bon peut-être un peu trop pour examiner à la fois une figure et une œuvre et les remettre vraiment efficacement sur le métier critique, en tous cas, ça n’a pas manqué, le livre fait parler de lui dans les chapelles, au Monde on regrette le défaut de nuances et de tenue, remarquant que l’auteur oublie bien vite le contexte politique et personnel dans lequel Camus écrivit son œuvre. Au Figaro l’éditorialiste Eugénie Bastié, championne de la conservation patrimoniale, s’exclame en tête d’article “Et maintenant, ils veulent déboulonner Albert Camus”, faisant de cet essai le parangon de la bêtise “wokiste”, celle qui n’en finit plus d’attaquer injustement et sans rigueur les grands hommes et la patrie reconnaissante.
Alors on a envie de rassurer le Figaro, je doute que l’essai d’Olivier Gloag ne pousse tous les profs de français à brûler leur Quarto Camus, étant donné sa place au panthéon littéraire, et dans la littérature scolaire, pas de panique.
Où est le style?
Oui, et que cette idée de Camus en “icône utile”, je reprends un des termes du livre, parcourt toute la pensée de la gauche de la gauche à peu près depuis toujours, tapez Camus dans le moteur de recherche du Monde Diplomatique par exemple, vous verrez que le propos est sensiblement le même, et que le combat Sartre/Camus est un moule commode également lui aussi depuis fort longtemps, certainement pas l’apanage de nouveaux wokistes déboulonneurs.
On est donc pas sur du follement neuf, d’autant que Gloag partage avec ses petits camarades de la gauche de la gauche, une autre caractéristique majeure, qui je trouve c’est dommage, empêche le déploiement de son propos: la difficulté à penser le style - probablement parce que le style on s’en fout; Gloag essaie un peu, convoque des citations de romans, fait des liens, analyse une ou deux structures de la langue de Camus mais rapidement, principalement il résume, s'appuyant principalement sur le récit, ce qui est lacunaire et pas très puissant du point de vue de l’analyse. Or c’est ça que je voulais lire moi, qui ai toujours soupçonné une mollesse dans l’écriture d’Albert Camus: un essai qui articulerait à l’analyse littéraire de l'œuvre, un réquisitoire intellectuel arrimé et ainsi justifié. La préface parle par exemple de la “mauvaise foi linguistique” de Camus, tronquant dans l’écriture des morceaux de réel, effaçant opportunément les Arabes ou les problèmes. Gloag effleure cette analyse là, mais c’est trop peu, on est frustré de ne pas lire quelque chose qui montrerait comment, dans la langue, Camus est devenu, comme une marque, comme un réflexe, une mythologie au sens au Barthes l’entendait, c’est-à-dire, quelque chose de profondément idéologique qui se cacherait sous l’apparence du naturel. N’en déplaise à Eugénie Bastié, pour qui apparemment le patrimoine n’est jamais idéologue.
Lundi 2 octobre 2023
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