Alors que le président états-unien s’envolait mardi soir pour Israël, une attaque sanglante contre un hôpital, dont le Hamas et l’État hébreu se rejettent la responsabilité, a suscité la colère des pays arabes. La Jordanie a annulé le sommet qu’elle prévoyait d’organiser mercredi avec les États-Unis, l’Égypte et l’Autorité palestinienne.
18 octobre 2023 à 10h57
En février dernier, le président états-unien effectuait une visite surprise à Kyiv pour y rencontrer son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky. Près de huit mois plus tard, mercredi, Joe Biden se retrouve de nouveau dans un pays en guerre : en Israël, où un autre front s’est ouvert il y a onze jours avec les attaques terroristes menées par le Hamas qui ont fait 1 300 morts, suivies des représailles menées par l’armée israélienne et l’annonce d’une invasion terrestre pour éradiquer le mouvement islamiste.
En pleine année pré-électorale, le voilà obligé de s’intéresser à nouveau à un dossier que Washington pensait régler grâce au rapprochement, opéré sous son prédécesseur Donald Trump, entre une partie des pays arabes et Israël. Cette croyance qu’une solution économique viendrait à bout d’un problème politique hante la communauté internationale depuis la fondation de l’État hébreu en 1948.
Mais, à peine s’envolait-il mardi soir de Washington, que son voyage dans la région était déjà écourté : l’étape qu’il devait effectuer ensuite en Jordanie pour un sommet entre les dirigeants jordanien, égyptien et le chef de l’Autorité palestinienne a été annulée après la frappe sanglante au bilan effroyable – au moins 500 morts – contre un hôpital de Gaza. Si le Hamas accuse Israël, l’armée israélienne a de nouveau affirmé mercredi matin qu’une roquette tirée par le Jihad islamique, allié du Hamas, était à l’origine du drame.
Lors d’une conférence de presse, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a souligné qu’aucun dommage structurel n’avait été détecté sur les bâtiments voisins et qu’aucun cratère correspondant à une frappe aérienne n’avait été détecté. « Selon nos renseignements, le Hamas a vérifié les informations et a compris qu’il s’agissait d’une erreur de tir du Jihad islamique palestinien, puis a lancé une campagne médiatique mondiale en exagérant le nombre de victimes », a-t-il affirmé.
À son arrivée à Tel-Aviv, Joe Biden a soutenu la version des autorités israéliennes. « J’ai été profondément attristé et choqué par l’explosion dans l’hôpital à Gaza hier [mardi]. Et sur la base de ce que j’ai vu, il apparait que cela a été mené par la partie adverse, pas par vous », a déclaré le président américain, aux côtés du premier ministre Benyamin Nétanyahou. « Nous devons aussi garder en tête que le Hamas ne représente pas tout le peuple palestinien et ne leur a apporté que souffrance », a-t-il ajouté.
Le président palestinien, Mahmoud Abbas, a condamné un « massacre » et décrété un deuil de trois jours dans les territoires palestiniens. Il a par ailleurs annulé sa rencontre avec le président Joe Biden, qui devait avoir lieu mercredi en Jordanie, et est rentré à Ramallah. Dans la nuit de mardi à mercredi, la Jordanie a annoncé renoncer au sommet prévu entre Biden et les dirigeants égyptien et palestinien.
Tenter d’éviter un conflit régional
Joe Biden – qui a fait part « de ses plus profondes condoléances pour les vies innocentes perdues dans l’explosion d’un hôpital à Gaza » et souhaite « un prompt rétablissement aux blessés » – a décidé de « reporter » une étape prévue mercredi en Jordanie, selon la Maison Blanche. Le président américain a promis d’être en contact « dans les prochains jours » avec les trois dirigeants arabes qu’il devait y rencontrer : le roi de Jordanie Abdallah II, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et Mahmoud Abbas.
L’une des missions qu’il a fixée à sa visite – tenter d’éviter un conflit régional – s’avère compliquée. Mercredi, Le Hezbollah, allié du Hamas, a appelé à faire de mercredi au Liban « une journée de colère sans précédent » contre Israël et la visite de Joe Biden. Les États-Unis ont autorisé mardi le départ de leur personnel non essentiel, ainsi que leurs familles, de leur ambassade à Beyrouth face à la dégradation des conditions de sécurité au Liban dans le sillage de la guerre entre Israël et le Hamas.
Dans le même temps, les États-Unis ont relevé de 3 à 4 (le plus élevé) le niveau d’alerte de leur avis aux voyageurs, déconseillant à tout ressortissant américain de se rendre au Liban.
Mardi soir, des manifestations ont éclaté au Liban, à Ramallah et en Jordanie, ainsi qu’en Tunisie. À New York, les ambassadeurs des pays arabes auprès des Nations unies se sont retrouvés pour une déclaration commune devant les médias, exigeant un cessez-le-feu immédiat à Gaza.
Dès samedi, Washington, suivi par les pays occidentaux, a soutenu Israël, un pays traumatisé par les atrocités commises par le mouvement islamiste du Hamas et la faillite sécuritaire et militaire. Trois jours après, à la Maison Blanche, alors que l’ampleur des massacres était révélé, Joe Biden prononçait un discours marquant et remarqué, où il réaffirmait son soutien sans équivoque à l’allié israélien.
Il y vilipendait la « soif de sang » du Hamas, qui rappelait « les pires déchaînements de l’État islamique ». « C’est du terrorisme », a-t-il lancé, ajoutant : « Mais malheureusement, pour le peuple juif, ce n’est pas nouveau. Cet attentat a fait remonter à la surface des souvenirs douloureux et les cicatrices laissées par des millénaires d’antisémitisme et de génocide du peuple juif. »
Joe Biden a marqué des points, son possible rival à la présidentielle de 2024 Donald Trump se discréditant par des remarques déplacées – « Le Hezbollah est très intelligent, ils sont tous très intelligents », a dit ce dernier.
Alors que les appels à une désescalade des plus progressistes au sein du Parti démocrate se sont attirés les foudres de la porte-parole de la Maison Blanche – « Répugnant », a lâché Karine Jean-Pierre –, Joe Biden a annoncé une aide militaire à Israël et l’envoi d’un porte-avions américain en Méditerranée orientale — suivi d’un autre quelques jours plus tard alors que les tensions s’accroissaient à la frontière entre le Liban et Israël.
Il a également dépêché son chef de la diplomatie Antony Blinken dans la région. Depuis, alors qu’Israël annonçait une invasion terrestre prochaine de Gaza - malgré près de 200 otages, dont des Américains –, le secrétaire d’État a multiplié les rencontres avec les dirigeants du Proche-Orient, avec plusieurs objectifs. Tenter de trouver une solution pour les otages. Éviter une catastrophe humanitaire à Gaza, où les civils sont soumis à un blocus et à des bombardements effroyables. Et surtout éviter que la guerre ne s’étende à toute la zone. Une tâche qui apparaît bien difficile depuis mardi soir.
La politique de « hug them close » (« serrez-les fort »)
Joe Biden inscrit son déplacement dans ce déploiement diplomatique. Selon les médias états-uniens, lundi soir, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, a expliqué que Joe Biden se concentrerait sur le « besoin critique qu’une aide humanitaire entre à Gaza, ainsi que la possibilité pour les personnes innocentes de sortir ».
Interrogé par la chaîne de télévision CBS mardi, John Kirby a affirmé que les États-Unis voulaient s’assurer que tous ceux qui vivent à Gaza « et qui doivent ou veulent partir puissent absolument rentrer chez eux ». « Il s’agit de civils innocents. Ils sont victimes de cette situation au même titre que les personnes en Israël qui ont été blessées ou tuées par le Hamas, et nous voulons donc nous assurer qu’ils peuvent rentrer chez eux. »
Pour le chroniqueur de politique internationale du Financial Times Gideon Rachman, les dirigeants occidentaux, américains en tête, « affirment que la meilleure chance d’éviter une catastrophe humanitaire à Gaza est de soutenir Israël ». C’est ce que, selon Gideon Rachman, un haut responsable américain appelle « hug them close » (« serrez-les fort »). Selon cette logique, si Joe Biden multiplie les marques de soutien en public et les appels à respecter le droit international, alors il sera possible de faire pression sur Israël pour que puissent être réglés les urgences humanitaires, telles que restaurer l’accès à l’électricité et à l’eau.
Cette politique de « hug them close » a été suivie mardi par l’un des premiers responsables européens à s’être rendu en Israël depuis l’attaque du Hamas, le chancelier allemand Olaf Scholz. « Contrairement au Hamas, qui veut se servir des citoyens de Gaza comme des boucliers humains, notre préoccupation s’étend à eux également », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à Tel-Aviv avec Benyamin Nétanyahou.
Ce dernier a appelé « le monde à se tenir uni aux côtés d’Israël pour vaincre le Hamas ». « De la même manière que le monde s’est uni pour vaincre les nazis (...), le monde doit se tenir uni aux côtés d’Israël pour vaincre le Hamas », a-t-il dit. « La barbarie dont nous avons été témoins, perpétrée par les meurtriers du Hamas sortant de Gaza est le pire crime commis contre les juifs depuis l’Holocauste », a-t-il encore affirmé.
Le gouvernement allemand « poursuivra ses efforts humanitaires pour atténuer la souffrance de la population civile », a souligné Olaf Scholz, précisant avoir évoqué avec Benyamin Nétanyahou la possibilité d’un « meilleur accès de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza ».
François Bougon
18 octobre 2023 à 10h57
https://www.mediapart.fr/journal/international/181023/peine-commencee-et-deja-ecourtee-la-visite-de-joe-biden-en-israel-s-annonce-delicate
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