La sélection d’un joueur condamné pour violences racistes entache le XV de France
Bastien Chalureau (au centre), vendredi 1er septembre à Rueil-Malmaison, lors de l'installation de l’équipe de France.
La convocation pour la Coupe du monde de rugby d’un joueur français condamné pour violences racistes ne choque pas l’exécutif. Amélie Oudéa-Castéra s’abrite derrière la présomption d’innocence. À cinq jours du Mondial en France, personne ne veut être accusé de gâcher la fête.
Emmanuel Macron et Amélie Oudéa-Castéra au stade de France, en juin 2023, pour la finale du Top 14.
Depuis sa nomination au gouvernement en mai 2022, Amélie Oudéa-Castéra a fait de la promotion de l’éthique le marqueur principal de son action. En mars, elle appelait à un « printemps du sport français », pour en « renforcer l’éthique » et en défendre les « valeurs ». Des discours qui ne sont pas restés sans lendemain : elle a par exemple obtenu que les fédérations françaises de football (FFF) et de rugby (FFR) changent de président, tout comme la ligue nationale de handball (LNH), au nom de l’exemplarité et de l’intégrité des figures du sport français.
Sur la convocation de Bastien Chalureau en équipe de France de rugby, en revanche, la ministre n’a pas eu grand-chose à dire. « Je ne demande pas [son] exclusion », a-t-elle dit sur Sud Radio, malgré la condamnation du joueur par le tribunal correctionnel de Toulouse (Haute-Garonne) en novembre 2020 pour des « faits de violence avec la circonstance que ces derniers ont été commis en raison de la race ou de l’ethnie de la victime ».
Interrogée à plusieurs reprises sur le sujet, Amélie Oudéa-Castéra a invoqué la présomption d’innocence pour justifier sa position. « Dans l’attente de la décision de justice définitive, chacun doit laisser la justice faire sereinement son travail, dans le respect de la présomption d’innocence », a-t-elle fait savoir dans un communiqué. « Il a fait appel » et « il nie les propos racistes » condamnés en première instance, a-t-elle souligné sur Sud Radio.
« Je ne suis pas raciste, a effectivement juré l’intéressé, lundi face aux journalistes. Depuis le premier jour, je le nie. J’ai réfuté ces accusations. Je suis un fédérateur. » Les deux anciens rugbymen agressés, Yannick Larguet et Nassim Arif, ont raconté à l’audience avoir entendu Bastien Chalureau leur lancer « Ça va les bougnoules ? » et d’autres « insultes racistes » avant de les agresser violemment. Le joueur de Toulouse a reconnu les violences, mais pas les propos tenus. Condamné à six mois de prison avec sursis, il a fait appel.
Suffisant, selon le gouvernement, pour mériter sa place au sein du XV de France. En visite au camp de base des Bleus, le président de la République s’est même fendu d’un conseil d’expert à Fabien Galthié, le sélectionneur national. « Il ne faut pas se laisser aller aux polémiques », a enjoint Emmanuel Macron, sur le ton d’une confidence toute relative puisqu’elle était filmée par plusieurs caméras et enregistrée par la presse.
Bernard Laporte aussi avait fait appel, et pourtant...
L’inertie des pouvoirs publics a de quoi surprendre, si on la compare à la célérité avec laquelle le gouvernement s’est positionné dans d’autres affaires. Le rugby français en sait quelque chose. Lorsque le président de la fédération, Bernard Laporte, a été condamné pour corruption fin 2022, la ministre a dégainé un communiqué cinglant pour l’appeler à se retirer. Malgré l’appel interjeté par le dirigeant de l’instance, Amélie Oudéa-Castéra a considéré à l’époque que « ce nouveau contexte [faisait] obstacle à ce que M. Laporte puisse, en l’état, poursuivre sa mission ».
L’avocat de Bernard Laporte avait dénoncé à l’époque une entorse grave à la présomption d’innocence. « Il [y] a le droit, mais d’un autre côté, l’extrême gravité des manquements retenus en première instance […] est incompatible avec la bonne gouvernance d’une fédération », assumait la ministre dans Ouest-France fin 2022. En janvier de l’année suivante, sur France Bleu, elle se vantait d’avoir « préservé l’éthique et l’intérêt supérieur du rugby » en poussant Bernard Laporte au départ, tout en essayant de « respecter la présomption d’innocence ».
Quelques mois plus tard, la gravité des manquements et l’éthique du rugby ne pèsent plus grand-chose face au caractère suspensif de l’appel, bien pratique pour évacuer le sujet. Cette fois, c’est « l’intérêt supérieur du rugby » qui compte, à savoir la nécessité de préserver l’équipe de France à quelques jours de « sa » Coupe du monde, organisée en France pour la deuxième fois de son histoire.
Philippe Saint-André, ancien sélectionneur du XV de France (2011-2015) et ancien entraîneur de Bastien Chalureau à Montpellier, a par exemple livré sur RMC un coup de gueule aux accents complotistes. « Ce qui m’énerve énormément, c’est le timing, a-t-il lancé. On essaie de déstabiliser l’équipe de France à cinq jours d’une Coupe du monde. On prend un coup de couteau de nos politiques à cinq jours d’une compétition. […] Là, on a besoin de faire bloc derrière l’équipe de France. »
Au milieu de ces accusations, la ministre des sports peine à cacher son embarras lorsqu’il s’agit de commenter l’affaire. Tout juste après avoir défendu son maintien en sélection, lundi sur Sud Radio, Amélie Oudéa-Castéra a ajouté, comme pour convaincre de sa cohérence sur le sujet : « J’ai aussi envie et besoin de rappeler que quand on porte le maillot d’une équipe de France, les valeurs d’égalité et de fraternité sont essentielles et impératives. […] Il y a un enjeu d’exemplarité. »
Violences et racisme dans le sport, ces « fléaux » à combattre
Le même enjeu d’exemplarité avait d’ailleurs été avancé par la FFR pour évincer Mohamed Haouas, un autre international tricolore, après sa condamnation pour violences conjugales en mai 2023. Le vice-président de la fédération, Serge Simon, avait signé un communiqué d’une clarté limpide, dont la relecture prêterait presque à sourire aujourd’hui. « Être membre de l’équipe de France implique un respect irréprochable des valeurs de respect et d’intégrité, disait-il. La fermeté est notre devoir dans de telles circonstances. »
Des propos qu’aurait pu applaudir Amélie Oudéa-Castéra, elle-même très engagée sur le sujet. Elle a lancé cette année un plan de lutte contre les violences dans le sport et participé à l’élaboration du plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. De la haine raciale, elle parlait ces derniers mois comme d’un « fléau à l’opposé des valeurs du sport », contre lequel il faut « lutter sans relâche ». Début juillet, elle saluait la « révolution » du sport « pour ne plus laisser aucune prise à toutes ces formes d’incivilités et d’agissements violents ».
L’affaire pourrait continuer d’occuper le débat public à la veille de l’ouverture de la compétition : deux députés insoumis, François Piquemal et Thomas Portes, ont écrit au gouvernement pour dénoncer la convocation du deuxième-ligne. « Beaucoup d’acteurs du rugby commencent à sortir du silence, salue le premier auprès de Mediapart. Beaucoup m’ont écrit pour nous dire qu’on avait raison de lancer l’alerte. Il y a eu sept faits de racisme en 2023 autour du rugby en France. Trois internationaux français ont été la cible de propos racistes. Il y a un sujet. » L’entourage d’Amélie Oudéa-Castéra n’avait pas répondu, mardi soir, aux questions de Mediapart.
Ilyes Ramdani
5 septembre 2023 à 09h55
https://www.mediapart.fr/journal/france/050923/racisme-la-veille-du-mondial-de-rugby-la-ministre-botte-en-touche-dans-l-affaire-chalureau
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