Les Algériens la surnomment « l’Autoghoute Est-Ouest », en référence à Amar Ghoul, l’ancien ministre des Travaux publics, qui en a supervisé la réalisation, avant de finir en prison. Le dernier tronçon du « projet du siècle » vient seulement d’être livré, alors qu’il devait l’être en 2009. Récit d’un scandale d’État.
Les anciens présidents Chadli Bendjedid et Liamine Zeroual en ont rêvé, Bouteflika l’a fait. Le projet de doter l’Algérie d’une autoroute qui relierait la frontière marocaine à la frontière tunisienne remonte à 1983. Mais la crise économique qui a frappé le pays au milieu des années 1980 en avait décidé autrement. Il sera relancé dans les années 1990 avec la réalisation de plusieurs tronçons grâce à des financements européens, arabes et africains, à hauteur d’environ 470 millions de dollars. Mais là encore, la guerre civile dans laquelle l’Algérie est plongée durant cette « décennie noire » retardera ou bloquera aussi bien les travaux que les financements.
À partir de 2004, toutefois, la manne pétrolière qui commence à se déverser sur l’Algérie après le premier mandat de Bouteflika ouvre la voie aux grands projets structurants (routes, barrages, logements, chemins de fer…). C’est ainsi que le projet de construction de cette autoroute refait surface. Plutôt que de recourir à des financements étrangers, en sollicitant notamment la Banque mondiale, comme ce fut le cas précédemment, l’ancien chef de l’État opte alors pour un financement à 100 % algérien.
Pourquoi avoir choisi cette option ? Les organismes financiers internationaux étant très stricts en matière de transparence, d’éthique et de règles anti-corruption, la possibilité pour les responsables et les intermédiaires algériens et étrangers de détourner des fonds, de percevoir des commissions et des rétrocommissions serait ainsi devenue quasi-nulle. Or la tentation d’enrichissement illicite sera d’autant plus grande que les verrous et les digues anti-corruption ont précisément commencé à sauter à partir du début du deuxième mandat de Bouteflika, avec l’explosion des investissements publics et les factures des importations.
C’est ainsi qu’entre 2005 et 2009, les autorités algériennes alloueront une enveloppe globale de 140 milliards de dollars pour financer ces grands projets. Ces commandes publiques aiguisent l’appétit des hommes d’affaires – qu’on qualifiera plus tard d’oligarques –, des partenaires étrangers et d’une faune de responsables rôdant dans les ministères, les grandes administrations publiques, ainsi que dans l’establishment sécuritaire et militaire.
Prévarication et détournements
Ce sera alors le début d’un gigantesque processus de dilapidation, de prévarication et de détournements qui nourrira, à partir de 2019, les grands procès pour corruption impliquant oligarques, Premiers ministres, ministres et hauts gradés de l’armée. C’est ainsi que l’affaire de l’autoroute Est-Ouest deviendra l’un des scandales les plus retentissants de l’ère Bouteflika.
Le 12 août 2023, le dernier tronçon – 80 km reliant la ville d’Annaba à la frontière tunisienne – a été livré et inauguré par le Premier ministre, Aymen Benabderrahmane. Selon le calendrier initial, il devait être achevé en… 2009. Entre-temps, l’autoroute est devenue, pour beaucoup d’Algériens, l’« Autoghoute Est-Ouest », en référence à Amar Ghoul, l’ancien ministre des Travaux publics, qui en a supervisé la réalisation, avant de finir derrière les barreaux, où il purge depuis 2019 une peine de cinq ans de prison pour abus de fonction et corruption. Et le « projet du siècle » – surnommé ainsi en raison de la longueur record, 1 216 km, de l’autoroute – s’est transformé en scandale d’État, représentant un gouffre financier de plus de 17 milliards
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