Dans la nuit du 14 au 15 septembre 1982, le monde apprend la disparition de deux personnalités ayant, chacune à sa manière, contribué à façonner le sulfureux XXe siècle. Quatre décennies plus tard, retour sur le traitement médiatique de cette journée par la presse et les télévisions françaises.
« Actrice distinguée par un prince qui lui offrit un trône planté sur un caillou cossu dans un royaume d'opérette, Grace de Monaco est morte elle aussi. Cela ne changera rien au destin de l'humanité. Juste un deuil ordinaire. » Avec toute la désinvolture qui le caractérise, Bernard Langlois annonce la disparition de la princesse Grimaldi aux téléspectateurs du journal télévisé d’Antenne 2. Son dernier. Nous sommes le 15 septembre 1982 et depuis la veille, c’est l'ébullition dans les rédactions des grands médias français. Car, pour la presse comme pour le monde audiovisuel, un choix éditorial doit être fait : celui de prioriser l’annonce du décès d’une icône hollywoodienne devenue princesse d’un micro-État voisin ou celui de l’assassinat de Bachir Gemayel, président à peine élu dans un Liban meurtri par la guerre.
Langlois, en poste depuis moins d’an un sur la seule chaîne concurrente à TF1 – qui choisit d’ouvrir ses journaux depuis le Rocher –, dénonce la couverture de l'information des dernières heures. « Gemayel. Kelly. Deux morts de gens illustres qui n’ont certes pas le même poids sur les balances de l’histoire mais qui offrent matière à réflexion… » Pas pour la direction d’Antenne 2 qui limoge son journaliste à peine sorti du plateau. Cela aura le mérite d'être clair.
Rumeurs et ondes de choc
Le 14 septembre 1982, il est 16h10 heure libanaise quand 300 kilos de TNT explosent en bas du QG des Phalanges libanaises, à Achrafieh. La première dépêche officielle annonce 8 morts et 40 blessés mais on dit Bachir vivant. Certains badauds jurent même l’avoir vu monter dans une ambulance avec une légère blessure à la jambe. Quelques heures plus tard, c’est un Patrick Poivre d’Arvor en pleine ascension qui ouvre son 20 heures d’Antenne 2 avec des nouvelles de Beyrouth qui se veulent rassurantes. « Le président de la République libanaise a échappé de justesse à un attentat. Bachir Gemayel est sorti sain et sauf de l’immeuble effondré », lisait-il alors. À la 27e minute du même journal, alors que PPDA s'apprête à rendre l’antenne, sans reportage ni arrêt sur image, il alerte ses téléspectateurs sur « l'état stationnaire » de la princesse Grace de Monaco, victime la veille d’un accident de la route avec, à bord, sa fille cadette Stéphanie. Rien ne présageait alors les télégrammes qui allaient garder éveillées jusqu'à l'aube l’ensemble des rédactions de France. Peu avant minuit, à une dizaine de minutes près, Beyrouth et Monte-Carlo préviennent le monde de leurs deuils respectifs. Cette « nuit qui n’en finissait plus », Patrick Cohen s’en souvient et la détaille au micro de sa matinale de Radio France en 2012. « À 4-5 heures du matin, les imprimeries crachaient les éditions de dernière minute avec, en une, et au fil de la soirée, de moins en moins de Liban et de plus en plus de Monaco… »
Le loupé de « Libé »
Dans les kiosques à journaux de l’Hexagone, les quotidiens s’entassent et sont exceptionnellement imprimés à plus d’exemplaires que d’habitude. Sur la Côte d’Azur vibrant toujours au rythme des touristes anglais ravivant ses promenades, on se réveille avec un numéro de Nice-Matin entièrement consacré à la mort de Grace Kelly. Proximité géographique oblige. Raccords avec leurs confrères azuréens, tous les titres régionaux consacrent leurs unes à la princesse, de Sud-Ouest en région bordelaise au Parisien qui n’accorde qu’un encadré au Liban entre un reportage sur le désir de sécurité des Français et le score du PSG au match de la veille.
OLJ / Par Karl RICHA, le 13 septembre 2023 à 22h08
https://www.lorientlejour.com/article/1349233/la-princesse-et-le-president-quand-la-mort-de-grace-kelly-eclipsa-celle-de-bachir-gemayel.html
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