Le réchauffement climatique pousse les sociétés humaines dans des territoires jusque-là inconnus. Mercredi 6 septembre, l’institut européen Copernicus a fait savoir que les mois de juin, de juillet et d’août ont été les plus chauds mesurés de l’histoire, avec une température moyenne sur le globe de 16,77 °C, soit 0,66 °C au-dessus des moyennes de la période 1991-2020. Largement au-dessus – 2 dixièmes – du précédent record de 2019. « L’effondrement climatique a commencé, a déploré le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Notre climat implose plus vite que nous ne pouvons y faire face, avec des phénomènes météorologiques extrêmes qui frappent tous les coins de la planète. » Selon Copernicus, 2023 pourrait être l’année la plus chaude jamais mesurée.
Ces derniers mois ont en effet été marqués par une litanie d’événements extrêmes, comme un avant-goût des décennies futures. Ou peut-être, déjà, les signes de l’installation d’une nouvelle normalité. Les crises climatiques se sont succédé dans l’hémisphère Nord pendant la saison estivale : dômes de chaleur, canicules marines, sécheresses. Des « aléas » de moins en moins improbables qui ont provoqué une cascade de conséquences : feux de forêts, précipitations record, inondations.
Le premier indicateur implacable des changements en cours est le niveau des températures. Partout, le thermomètre s’est emballé : 53,3 °C dans la Vallée de la Mort, aux Etats-Unis, le 16 juillet ; 52, 2 °C à Sanbao, au nord-ouest du Xinjiang, en Chine, le même jour ; plus de 50 °C en Iran. Un seuil également franchi en Irak, en Afrique du Nord début août et approché en Méditerranée, avec 47 °C à 48 °C en Sardaigne et en Sicile fin juillet. Des chapes de chaleur parfois bloquées pendant des semaines. La ville de Phoenix a vécu dans une atmosphère à plus de 43 °C pendant trente et un jours d’affilée. La Grèce a été en alerte canicule plus de seize jours. Du 17 au 24 août, la France a vécu sa vague de chaleur la plus intense après un 15 août.
L’Atlantique nord connaît depuis de long mois une anomalie de température (entre 1 °C et 1,5 °C au-dessus de la moyenne 1981-2022) et la plus haute température marine, 38,3 °C, a été relevée près des côtes de Floride, le 24 juillet. Depuis avril, la température moyenne de surface évolue à des niveaux de chaleur inédits. Du 31 juillet au 31 août, elle a même dépassé chaque jour le précédent record de mars 2016, atteignant la barre symbolique inédite de 21 °C.
A cela se sont ajoutées dans l’hémisphère Sud des anomalies de températures qui ont effrayé les scientifiques. Comme les 38 °C relevés en Argentine le 1er août, où les premiers effets du retour d’El Niño se font peut-être sentir.
« Aucun endroit où se cacher »
« Nous nous situons évidemment totalement hors des effets de la variabilité naturelle du climat, et l’influence de l’homme se fait sentir dans tous ces événements, résume Davide Faranda, climatologue à l’Institut Pierre-Simon Laplace. Nous sommes plutôt dans des projections que nous attendions à partir de 2050 en Méditerranée, où la température moyenne de l’eau est aux alentours de 28 °C ; entre 2030 et 2040 pour d’autres zones du monde. »
Cette période a temporairement placé l’atmosphère globale au-delà de l’objectif principal de l’accord de Paris de 1,5 °C de réchauffement. Les événements extrêmes qui en découlent se sont succédé sans répit, se superposant parfois l’un à l’autre. Les premiers feux au Canada ont débuté en mars, avec jusqu’à un millier de foyers actifs en même temps, provoquant la destruction de plus de 15 millions d’hectares de forêts. Début septembre, plus de 600 sont toujours hors de contrôle. Début août, la ville de Lahaina, sur l’île de Maui, à Hawaï, a brûlé ; 115 personnes ont péri dans le brasier, 385 restent portées disparues.
Durant cette période estivale, la Grèce a connu de multiples incendies, jusqu’à l’un des plus grands feux de l’histoire de l’Union européenne, commencé le 19 août (plus de 80 000 hectares dans le parc national de Dadia). Un important incendie sur l’île de Tenerife a également bousculé les autorités.
Dans ce climat réchauffé et saturé d’énergie, des précipitations record sont également tombées en Inde, faisant 884 morts le 27 juillet, et à Pékin, avec « les plus importantes chutes de pluie depuis cent quarante ans », selon les autorités (78 morts depuis fin juillet). Ou encore en Grèce. Mardi 5 septembre, certaines zones ont ainsi reçu environ 750 millimètres d’eau en dix heures, soit plus de la moitié des précipitations annuelles de Brest. Ces fortes pluies ont tué 11 personnes en Turquie, en Bulgarie et en Grèce.
Des illustrations concrètes du sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui réaffirme que le réchauffement d’origine humaine provoquera des événements extrêmes plus intenses et plus fréquents. « De plus en plus souvent, ils ont lieu en même temps. On avait déjà constaté cette concomitance en 2018 avec des canicules simultanées en Amérique du Nord, en Europe et en Asie, rappelle Sonia Seneviratne, climatologue à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (Suisse). C’est lié logiquement à l’augmentation de la probabilité de ces phénomènes, qui progresse à chaque dixième de degré de réchauffement. En poussant les températures mondiales dans des marges extrêmes, on ouvre la porte aux “cygnes noirs” climatiques, des événements très improbables qui deviennent possibles. »
Lourd bilan humain, déplacements de population… Les conséquences des crises liées au climat ont été nombreuses, démontrant l’urgence de la diminution des émissions de CO2 mais aussi de l’adaptation des sociétés au changement climatique, l’un des gros dossiers à l’agenda de la 28e conférence des parties (COP) qui aura lieu à Dubaï, aux Emirats arabes unis, du 30 novembre au 12 décembre. A des centaines de kilomètres des feux de forêt canadiens, les autorités ont ainsi conseillé aux personnes vulnérables de rester chez elles à cause des particules fines. « La fumée des incendies de forêt contient une potion diabolique d’éléments chimiques qui affecte non seulement la qualité de l’air et la santé, mais endommage également les plantes, les écosystèmes et les cultures », a déclaré, mercredi, le docteur Lorenzo Labrador, responsable du réseau de veille de l’atmosphère à l’Organisation météorologique mondiale.
Lors des fortes chaleurs, l’Iran a déclaré deux jours fériés pour protéger sa population. Début août, un rassemblement de scouts en Corée du Sud a vu plusieurs délégations quitter les lieux, des centaines de jeunes ayant subi des coups de chaleur. Au cours des six premiers mois de 2023, les catastrophes naturelles aux Etats-Unis ont causé 40 milliards de dollars de pertes, soit le troisième premier semestre le plus coûteux jamais enregistré, selon l’assureur Aon, cité par le Washington Post. « Il n’y a aucun endroit où se cacher de ces graves catastrophes naturelles, a déclaré au quotidien américain David Sampson, président de l’American Property Casualty Insurance Association. Cela se produit dans tout le pays, et les assureurs doivent donc revoir leur concentration des risques. »
« Effet d’emballement »
Semaine après semaine, les scientifiques se sont penchés sur ces événements pour mesurer la causalité du réchauffement climatique. Le World Weather Attribution a conclu que la canicule méditerranéenne du mois de juillet pouvait dorénavant se dérouler une fois tous les dix ans alors qu’elle aurait été « pratiquement impossible » dans un climat préindustriel. En outre, les conditions particulièrement favorables aux feux canadiens ont été rendues sept fois plus probables à cause des émissions de CO2 d’origine humaine.
« A plusieurs niveaux, 2023 est une année encore plus impressionnante que 2022, surtout quand on prend du recul en regardant l’ensemble de l’hémisphère Nord, estime le climatologue Christophe Cassou (CNRS). Elle démontre bien que le changement climatique n’est pas une crise mais une trajectoire, où chaque dixième de réchauffement augmente les impacts et renforce un peu plus la probabilité de voir des événements extrêmes se dérouler en même temps dans plusieurs régions du monde. La surface des zones affectées par les aléas grandit chaque année et constitue indéniablement une croissance des risques qui nous éloigne irrémédiablement d’un monde habitable pour tous. »
Beaucoup de questions restent en suspens. Par exemple sur les conséquences en cascade des crises liées au climat. « Il y a un effet d’emballement, affirme M. Faranda. La Grèce a connu une canicule qui a renforcé la probabilité des incendies, puis les arbres brûlés retiennent moins bien la terre lors des fortes pluies. »
Le 13 août, les autorités canadiennes ont estimé que la combustion de leurs forêts avait dégagé plus de 1 milliard de tonnes de CO2, près de deux fois les émissions annuelles du pays. « Ces événements sont très choquants mais pas surprenants, car ils correspondent exactement à ce que les modèles annoncent depuis des années, analyse François Gemenne, politologue et spécialiste des migrations climatiques. Mais l’ampleur des feux de forêts pose de multiples questions, notamment celle des impacts de ces phénomènes qui vont peut-être contrecarrer une partie des efforts d’atténuation, avec un changement climatique qui s’autoalimenterait. »
Ces mois d’événements extrêmes surviennent à un moment important de la diplomatie climatique. Le 20 septembre, l’ONU organise un sommet consacré au climat. Une échéance qui lancera un long automne de négociations avant le début de la COP28. Tout l’été, Antonio Guterres n’a cessé de mettre la pression sur les chefs d’Etat. « L’ère du réchauffement climatique est terminée, place à l’ère de l’ébullition mondiale », a-t-il ainsi lancé le 27 juillet.
https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/09/06/l-ete-2023-le-plus-chaud-jamais-mesure-marque-par-une-litanie-impressionnante-d-evenements-climatiques-extremes_6188157_3244.html
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