29 août 2023 à 20h00
Dix ans après avoir expliqué que « Marine Le Pen [était] compatible avec la République », Nicolas Sarkozy propose désormais une gouvernance avec les « amis » d’Éric Zemmour. Malgré les défaites et les affaires, il continue de faire la leçon. Et poursuit son entreprise de normalisation de l’extrême droite.
Sept ans après avoir été balayé au premier tour de la primaire de la droite et du centre, on aurait pu imaginer que le message était passé : Nicolas Sarkozy est persona non grata jusque dans sa propre famille politique. Sans même parler des conséquences que cette défaite aurait dû entraîner sur quiconque possède un semblant de surmoi, les affaires qui touchent l’ancien président de la République auraient, elles aussi, pu lui inspirer une forme de discrétion.
Mais non. Aidé par une autolâtrie à tous crins et des médias amis, l’ex-chef de l’État continue de faire la leçon, à l’occasion de la sortie de son dernier livre, dans lequel il parle de lui, mais aussi de lui et également de lui. Mardi 29 août, Pascal Praud l’a encore accueilli pendant deux heures – ressenti : 3 jours – au micro d’Europe 1. Un entretien sans complaisance durant lequel il a été interrogé tour à tour sur sa femme, son amitié avec Johnny Hallyday et sa passion pour le PSG.
Par un tour de passe-passe dont seuls les médias français ont le secret, les affaires disparaissent dès lors que Nicolas Sarkozy est invité quelque part. Une petite question lui est parfois posée, mais seulement du bout des lèvres, parce qu’il faut bien le faire. La plupart des échanges portent sur sa « vision politique », laquelle se résume à distribuer des bons et des mauvais points, tout en laissant entendre que, de toute façon, personne ne sera jamais à sa hauteur.
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Nicolas Sarkozy lors d’une dédicace de son livre à Sainte-Maxime, le 27 août 2023. © Photo Philippe Arnassan / Nice Matin / PhotoPQR via MaxPPP
Entre deux aphorismes à faire pâlir tous les Jean-Claude Van Damme de la terre – morceaux choisis : « la mort, c’est d’abord le silence » ; « la question, c’est la vie » ; « le temps ne nous appartient pas » ; « les sentiments, c’est le cœur, la réflexion, c’est le cerveau », « le rendez-vous [avec la mort – ndlr], il est certain, mais quand ? » –, l’ancien président de la République s’est de nouveau employé, mardi, à enterrer la droite Les Républicains (LR) pour mieux pousser ses pions sur l’échiquier macroniste.
Comme il le fait depuis plusieurs jours, il a aussi répété « détester la diabolisation » du Rassemblement national (RN) et de sa cheffe de file Marine Le Pen, dont il estime qu’elle a « progressé ». « Je trouve absurde qu’on dise que le Rassemblement national n’est pas dans l’arc républicain, a-t-il affirmé sur Europe 1. Un parti qui présente des élus à toutes les élections, dans toutes les circonscriptions, il est dans l’arc républicain, sinon la République l’empêcherait de présenter des candidats. »
L’arc Sarkozy, Zemmour, Le Pen
En fin de semaine dernière, dans les colonnes du Parisien, Nicolas Sarkozy indiquait cependant que l’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République ne serait pas « une bonne chose ». Non pas parce que son programme est foncièrement xénophobe et contraire aux droits fondamentaux – de ça, il n’en est même pas question –, mais simplement parce qu’elle n’a « ni l’expérience ni l’entourage » lui permettant d’exercer les plus hautes fonctions.
« Quant à son projet, il fait penser à celui de la gauche dans les années 1970. C’est totalement démagogique et conduira à l’échec », a-t-il cru bon d’ajouter, alimentant davantage encore la normalisation du parti d’extrême droite. Rappelant que son ancienne majorité allait de Bernard Kouchner à Philippe de Villiers, l’ex-chef de l’État plaide aujourd’hui pour « trouver un leader qui soit capable de rassembler les amis de messieurs Zemmour, Macron et Ciotti ».
Nicolas Sarkozy ne parle plus seulement de la nécessité, pour la droite républicaine, d’aller chercher les électeurs et électrices tenté·es par l’extrême droite. Il va jusqu’à lui proposer de s’ouvrir aux « amis » d’Éric Zemmour, dont certains furent longtemps les siens puisque l’actuel vice-président exécutif de Reconquête, Guillaume Pelletier, qui travaille avec Marion Maréchal et Nicolas Bay, est resté l’un de ses plus fidèles soutiens longtemps après l’échec de la présidentielle de 2012.
Du ministère de l’identité nationale au tristement célèbre discours de Grenoble, il n’a cessé de reprendre à son compte les mots et les idées de l’extrême droite.
Ce faisant, l’ancien président de la République franchit un pas supplémentaire et brise la dernière digue de la droite classique, celle qui considérait encore, au début des années 2000, l’extrémisme comme « un poison » et refusait de débattre avec ses représentant·es. Car il ne se contente plus de dire, comme il l’avait fait en 2012, que « Marine Le Pen est compatible avec la République », il explique désormais que LR doit gouverner avec l’extrême droite d’Éric Zemmour.
On le sait aujourd’hui, mais il est toujours bon de le rappeler : Nicolas Sarkozy a joué un rôle déterminant dans l’extrême droitisation du débat public. Du ministère de l’identité nationale au tristement célèbre discours de Grenoble, il n’a cessé de reprendre à son compte les mots et les idées du parti de Marine Le Pen. Il a ainsi largement contribué au confusionnisme ambiant – ce qui lui permet aussi de qualifier, sans rougir, le JDD, dirigé par Geoffroy Lejeune, de « journal de centre-droit ».
De façon générale, l’ex-chef de l’État ne rougit pas beaucoup. Ni lorsqu’il juge « illusoire » un « retour en arrière » sur la Crimée, annexée en 2014 par la Russie, ni lorsqu’il parle de l’ancien dictateur égyptien Hosni Moubarak d’« homme de paix ». Dans un autre contexte – pour ne pas dire un autre pays – ce type de propos, tenus de surcroît par un ancien président de la République, auraient suscité de vives réactions parmi les responsables politiques qui le sont vraiment.
Mais lorsqu’il s’agit de Nicolas Sarkozy, tout glisse. Les affaires, comme les reproches. À l’image de Manuel Valls, cette autre personnalité dont les médias raffolent bien plus que les urnes, le retour incessant de l’ex-chef de l’État est avant tout le symptôme d’un climat délétère, qui fait la part belle aux crispations identitaires et au grand n’importe quoi. L’ex-chef de l’État peut parler de « crise d’autorité » tout en déniant celles des institutions, ou mettre en garde contre la montée de l’extrême droite tout en la nourrissant, personne ne voit le problème.
Il peut avoir été récemment renvoyé devant le tribunal correctionnel, dans l’affaire des financements libyens, avoir été condamné à de la prison ferme dans les dossiers Bismuth et Bygmalion – il s’est pourvu en cassation dans le premier ; le procès en appel du deuxième doit se tenir cet automne –, et être sous enquête dans l’affaire Mimi Marchand, dans celle de l’attribution de la coupe du monde au Qatar et pour ses financements russes, aucune question ne lui est posée sur le sujet.
Corruption, association de malfaiteurs, trafic d’influence... Il y aurait sans doute de quoi dire. Malheureusement, dans son émission de mardi, Pascal Praud n’a pas trouvé une minute pour questionner l’ancien président de la République. À peine lui a-t-il demandé en fin d’émission, après une chanson de Carla Bruni et des paroles de fans regrettant le « père de la Nation », de réagir sur ce qui ressemble fort, selon lui, à une vengeance de magistrats. L’intéressé a ainsi pu dérouler son discours rodé sur cette fameuse vérité qui éclatera bien un jour.
Quant à ses propos sur l’extrême droite – une expression qu’il semble d’ailleurs avoir bannie de son vocabulaire –, ils n’ont évidemment pas fait lever un sourcil à l’animateur, lui aussi habitué à rassembler les « amis » d’Éric Zemmour.
Ellen Salvi
29 août 2023 à 20h00
https://www.mediapart.fr/journal/france/290823/nicolas-sarkozy-et-l-extreme-droite-un-ancien-president-ne-devrait-pas-dire-ca
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