7 août 2023 à 17h46
Face au refus de plus en plus de femmes de porter le hidjab, le pouvoir se crispe et contre-attaque, même si les réformistes tentent de se faire entendre. Pendant ce temps, la population rit des « sextapes » qui circulent impliquant des religieux.
« Espionnage en relation avec une puissance étrangère. » C’est l’accusation qu’a finalement retenue début août un tribunal révolutionnaire de Téhéran à l’encontre de Niloufar Hamedi et d’Elaheh Mohammadi, les deux journalistes qui avaient révélé, en septembre dernier, l’histoire de Mahsa Amini, cette jeune Kurde iranienne de 22 ans battue à mort à Téhéran par une unité du gasht-e ershad (littéralement « les patrouilles de l’orientation islamique »), la police des mœurs, pour un voile mal porté.
À l’issue des deux premières audiences d’un procès à huis clos qui a commencé fin mai sans même la présence de leurs proches, les juges ont requalifié les chefs d’inculpation des deux jeunes femmes. Pour les magistrats, leur mise en accusation n’aurait aucun rapport avec leurs enquêtes sur ce meurtre qui a embrasé l’Iran pendant plusieurs mois et leur a valu d’être arrêtées quelques jours après le début de la révolte. Cette fois, d’après leurs avocats, ce qui leur vaut d’être poursuivies est tout simplement ahurissant : avoir assisté il y a environ un an et demi à un séminaire sur le journalisme en Écosse dirigé par « un juif ». Des accusations qui pourraient leur valoir, si des circonstances aggravantes sont retenues, la peine de mort.
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Niloufar Hamedi, 30 ans, reporter pour le journal Shargh (L’Orient), est spécialisée dans tout ce qui relève des droits des femmes dans son pays. C’est elle qui avait révélé le tabassage de Mahsa Amini, cherché et trouvé l’hôpital où elle se trouvait dans le coma, rencontré des témoins et sa famille, et publié des photos de la victime sur Twitter le jour même où elle décédait. Une semaine plus tard, la seconde journaliste jugée, spécialiste des questions de société au quotidien Ham-Mihan, faisait le déplacement en taxi jusqu’à la petite ville de Saqqez dans le Kurdistan iranien, pour rendre compte des funérailles de la jeune Kurde, point de départ des manifestations qui ont suivi.
Ce n’est pas la première fois que des journalistes iraniens sont accusés d’espionnage en relation avec une puissance étrangère, en général Israël, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Depuis la création de la République islamique, en 1979, quelque cent vingt cas de ce genre ont été instruits par la justice iranienne avec des dossiers vides et des aveux extorqués sous la torture. Cette fois, le régime entend punir celles qui ont révélé la mort scandaleuse de la jeune femme, sans vouloir le montrer ouvertement, craignant à l’évidence qu’une condamnation en relation avec son meurtre attise la contestation à l’occasion du premier anniversaire de sa mort, le 16 septembre. C’est aussi la liberté d’informer et d’enquêter en Iran qui est en jeu.
Car ces derniers mois, une répression intense s’est abattue sur les journalistes, les femmes en particulier, dont trois d’entre elles ont été condamnées à quatre ans de prison.
Ligne rouge absolue
Par ailleurs, l’avocate Narges Mohammadi, une figure emblématique des combats féministes et la porte-parole de l’organisation Defenders of Human Rights Center (DHRC), s’est vu infliger le 4 août un an d’emprisonnement et 154 coups de fouet pour avoir fait sortir clandestinement de la maison d’arrêt une lettre dénonçant le harcèlement sexuel des prisonnières et fait campagne contre « la torture blanche », cette pratique qui consiste en un isolement total des détenu·es – elle-même l’avait subie pendant plus de deux mois dans le quartier 2A de la prison d’Evin, l’un des plus durs du fait de sa gestion par les pasdarans (gardiens de la révolution). Avec cette nouvelle peine, sa condamnation s’élève à présent à dix ans et six mois de prison et plus de 200 coups de fouet.
Depuis le soulèvement, la fustigation est aussi devenue l’une des principales armes de la répression. Selon le site de l’ONG Iran Prison Atlas, 117 militant·es et opposant·es politiques, dont 13 femmes, ont été condamné·es depuis septembre à un total de 7 404 coups de fouet.
Autre nouvelle accablante pour la société civile iranienne, Nasrin Sotoudeh, autre grande figure des combats pour les droits de femmes – elle a été la première avocate à défendre celles qui refusaient de porter le voile, ce qui lui a valu d’être emprisonnée à son tour –, serait malade, ce qui expliquerait pourquoi elle a été relâchée sous caution il y a quelques mois alors qu’elle avait été condamnée à 38 années et demie de prison et 148 coups de fouet.
Sur la question du voile, l’institution judiciaire, le président Ebrahim Raïssi et son gouvernement ainsi que le Guide suprême Ali Khamenei campent sur une position résolument dure, faisant de cette question une ligne rouge absolue. Les fermetures de commerces qui n’interdisent pas l’entrée aux femmes non voilées se poursuivent au quotidien. Trois des plus importants sites de vente en ligne iraniens sont également sous le coup d’une menace après la diffusion d’images d’employées sans voile. De nouvelles punitions ont été imposées aux femmes arrêtées comme celle d’aller laver des cadavres ou l’obligation de se faire examiner dans des cliniques psychiatriques, ce qui est arrivé, outre des peines de prison, à deux actrices bien connues en Iran, Afsaneh Bayegan et Azadeh Samadi.
Cependant, on note les premiers craquements au sein du régime et des signes de plus en plus flagrants d’hésitation. Si la police des mœurs a repris sa chasse aux femmes bi-hidjab (sans voile) dans les rues des grandes villes, y compris avec des policiers à moto, personne au sein du régime n’a osé assumer cette décision. Dès lors, on ignore à quel niveau elle a été prise. L’agence de presse Tasnim, liée au corps des gardiens de la révolution, en a crédité le président Raïssi et le chef du pouvoir judiciaire Gholamhossein Mohseni Ejei avant de faire machine arrière et d’effacer cette partie de l’article après avoir été contactée, précise-t-elle, par « des personnes au gouvernement ».
Une loi sur le hidjab, destinée à sanctionner le dévoilement des Iraniennes et comportant 70 articles, est en attente d’être votée au Majlis (l’Assemblée islamique). Mais, quand bien même cette institution est un fief des radicaux – le 6 novembre 2022, 227 des 290 membres avaient appelé l’appareil judiciaire à exécuter les manifestants arrêtés –, un certain nombre de députés l’estiment néanmoins inapplicable. Le président du Majlis, et proche du Guide suprême, Mohammad Bagher Qalibaf, a même fait savoir qu’elle ne servirait à rien. Curieusement, Ali Khamenei, dont personne n’ignore qu’il est farouchement déterminé à ne rien céder, reste silencieux sur ce sujet.
La meilleure punition ? « Des coups de fouet ! »
Pour les réformistes, dont le mutisme sur la répression des manifestations a été accablant, ce qui a encore aggravé leur discrédit aux yeux des Iraniens, c’est l’occasion de se démarquer des factions conservatrices dans la perspective des élections législatives de mars. D’où le retour sur le devant de la scène de leur chef de file, l’ancien président (1997-2005) Mohammad Khatami, qui, le 30 juillet, a ouvertement reconnu que la campagne pour imposer le port du foulard obligatoire « n’était pas une réussite » et que la majorité de la société n’en voulait pas.
La réaction des milieux conservateurs a été violente. Le journal Kayhan, dont le directeur est nommé par le Guide suprême, l’a accusé « d’agir en coordination avec l’ennemi dans son projet de chasser la chasteté » de la société iranienne.
« Le port obligatoire du hidjab pour toutes les femmes, c’était un acquis absolu de ce régime et force est de constater qu’il l’a perdu, souligne le politiste et spécialiste des droits humains Reza Moini. On voit bien que la police peine à l’imposer et ne veut surtout pas d’affrontements. Elle se retire quand elle entend les gens crier, comme on l’a vu récemment à Racht (nord-ouest de l’Iran) et dans le nord de Téhéran. On n’avait jamais vu cela auparavant. »
Même chez les religieux, le débat aussi s’est ouvert. Certains campent sur des positions extrêmes. « La sanction contre les femmes non voilées doit être dissuasive et une amende ne résout pas le problème. La meilleure punition est de leur administrer des coups de fouet », a lancé début août Ali Moalemi, un dignitaire religieux proche du Guide. Mais pour d’autres clercs, le port du hidjab, puisqu’il n’est pas expressément prescrit par le Coran, ne saurait être obligatoire.
« Je ne sais pas si l’on peut parler de révolution culturelle mais il y a, à l’évidence, un changement culturel, dont on ne peut pas mesurer l’importance à cause de la répression, ajoute Reza Moini. Cet acquis culturel va demeurer même si la répression gagne encore du terrain. Cela dépasse la question du voile : si je prends le cas du quartier de Ekhbatan [célèbre quartier de grands immeubles à la périphérie de Téhéran, construit au départ pour les gens du régime qui les ont ensuite revendus à la classe moyenne, où la contestation a été particulièrement intense – ndlr], on peut voir à l’œil nu que les relations des habitants entre eux ont changé. »
Malgré la répression, les Iranien·nes qui n’aiment rien tant que rire des travers de la République islamique ont un nouveau sujet de moquerie : une histoire de sextapes qui frappe de plein fouet le régime au point de gagner les plus hautes sphères de l’État, dont le Conseil suprême de sécurité nationale, qui l’a évoquée. Diffusées par GilanNews, un canal de la messagerie Telegram, connu pour communiquer des informations de caniveau et administré depuis l’Allemagne par un journaliste iranien, ces vidéos, mises en ligne les 18 et 21 juillet, montrent des scènes explicitement sexuelles entre plusieurs mollahs et de l’un d’eux avec de jeunes hommes.
Le scandale frappe d’autant plus fort le pouvoir que l’un des religieux Reza Seghati est le directeur général du bureau pour la province de Gilan (nord-ouest de l’Iran) du ministère de l’orientation islamique et qu’il a récemment mené une campagne de surveillance baptisée « hidjab de quartier et chasteté vertueuse » visant à faire respecter les lois sur le voile.
Un autre religieux impliqué, Mahdi Haghshenas, est l’ancien directeur du Bureau de la propagation de la vertu et la prévention du vice, une organisation d’État très active dans la répression des milieux LGBTQ+, des femmes non voilées, et partisane d’une application la plus radicale possible de la charia, laquelle prévoit la peine de mort pour les relations homosexuelles.
En novembre 2005, selon le site Iran International, deux jeunes hommes, âgés de 24 et 25 ans avaient été pendus en public pour des relations homosexuelles à Gorgan, également dans le nord de l’Iran, ce qui avait provoqué une vague de terreur parmi les LGBTQ+.
Jean-Pierre Perrin
7 août 2023 à 17h46
https://www.mediapart.fr/journal/international/070823/en-iran-le-regime-echoue-imposer-le-voile-malgre-une-repression-sans-fin
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