Les faitsUn grand jury de l’Etat de Géorgie a mis en accusation l’ancien président pour avoir tenté, avec dix-huit autres personnes de son entourage, d’inverser le résultat de l’élection présidentielle de 2020.
Donald Trump a été mis en accusation, lundi 14 août dans la soirée, par un grand jury de Géorgie, pour avoir cherché à renverser le résultat de l’élection présidentielle de 2020. Cette inculpation complète celle réalisée le 1er août à Washington par le procureur fédéral spécial Jack Smith, qui poursuit Donald Trump pour sa tentative de coup d’Etat lors de l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021. Plus de deux ans et demi après les faits, la justice américaine est sur les vrais sujets.
Pendant longtemps, M. Trump a été poursuivi pour des affaires révélatrices de son comportement, mais qui pouvaient apparaître secondaires : sa mise en examen cet hiver par un procureur de Manhattan pour avoir acheté en 2016, en violation de la loi électorale, le silence d’une prostituée, Stormy Daniels ; son inculpation fédérale pour avoir emporté après sa défaite des documents classés dans son golf de Mar-a-Lago, en Floride.
Désormais, la justice se trouve au cœur du réacteur, avec deux inculpations qui décrivent la réalité du trumpisme : une tentative de coup d’Etat (c’est l’accusation fédérale de Jack Smith), réalisée par un groupe quasi mafieux, une « entreprise ». C’est la particularité de l’accusation portée en Géorgie par la procureure Fani Willis. Cette dernière a eu recours à la version géorgienne de la loi sur les organisations motivées par le racket et la corruption (RICO). Cette loi fédérale de 1970 fut utilisée pour lutter contre la mafia et le crime organisé. Et c’est une « entreprise » criminelle que décrit la procureure. « RICO est un outil qui permet au procureur de raconter toute l’histoire », a expliqué Mme Willis lundi peu avant minuit lors d’une brève conférence de presse.
« L’accusé Donald Trump a perdu l’élection présidentielle américaine qui s’est tenue le 3 novembre 2020. L’un des États qu’il a perdus était la Géorgie. Trump et les autres accusés ont refusé d’accepter que Trump ait perdu, et ils ont sciemment et volontairement rejoint un complot visant à modifier illégalement le résultat des élections », commence l’acte d’accusation, qui décrit ensuite « l’entreprise ».
Treize chefs d’inculpation
Donald Trump est poursuivi avec dix-huit coaccusés, dont son ancien conseiller Rudolph Giuliani, maire de New York au moment des attentats du 11 septembre 2001, qui apparaît avoir été la plaque tournante du complot, et le chef de cabinet de la Maison Blanche Mark Meadows. L’ancien président a droit à treize chefs d’inculpations sur un total de quarante et un pour l’ensemble du groupe. L’enquête fut large et a révélé une trentaine de complices supplémentaires, qui n’ont pas été inculpés sans doute en raison de leur collaboration avec la justice. La peine maximale est de vingt ans de réclusion. Ces charges comportent aussi une peine minimale de cinq ans, à la différence des autres procès pour lesquels M. Trump est convoqué.
Grâce à la loi qui donne à la procureure des pouvoirs étendus pour poursuivre de nombreux suspects au-delà de son territoire, Fani Willis décrit, dans son acte d’accusation de 98 pages, un processus qui débute avant l’élection, passe par Washington, les pressions sur le vice-président Mike Pence et l’assaut du Capitole mais aussi des Etats disputés, comme l’Arizona. Mais le fond du dossier concerne les événements de Géorgie, avec la contestation des résultats locaux et les déclarations mensongères répétées de Donald Trump et de ses acolytes.
Dès le soir de sa défaite en novembre 2020 face à Joe Biden, le président sortant avait contesté les élections. Tout en collectant des fonds massifs auprès de ses sympathisants, au moyen de mensonges sur les fraudes électorales, il tentait, par tous les moyens et à tous les niveaux possibles, d’interrompre la transition démocratique. Celle-ci devait aboutir à la certification des grands électeurs au Congrès, le 6 janvier 2021. Dans ce schéma, la Géorgie faisait partie des Etats clés où Donald Trump s’efforçait de remettre en cause le choix populaire en faveur de son adversaire. « Tout le monde sait qu’on a gagné cet Etat », écrivait-il sur Twitter le 13 novembre, en dépit des faits. Joe Biden a remporté le scrutin en Géorgie avec 2 473 633 voix, contre 2 461 854 pour son adversaire, soit une marge de seulement 11 779 bulletins, confirmée après plusieurs recomptages scrupuleux.
Cela n’empêche pas Donald Trump et Rudy Giuliani de multiplier mensonges et intimidations. Le 3 décembre 2020, au Sénat de Géorgie, l’ancien maire de New York diffuse aux élus une vidéo supposément accablante d’employés électoraux, le soir du scrutin, dans un bureau d’Atlanta installé dans la salle omnisports State Farm Arena, en train d’apporter des valises de faux bulletins, profitant de l’absence d’observateurs. Dès le lendemain, le secrétaire de l’Etat, le républicain Brad Raffensperger, dégonflait l’affaire : tout était parfaitement légal.
Une semaine plus tard, Giuliani livre en pâture le nom des deux employées du centre électoral de la State Farm Arena, une mère et sa fille, Ruby Freeman et Shaye Moss. « Ruby Freeman, Shaye Moss et un homme se sont transmis subrepticement des clés USB comme s’il s’agissait d’héroïne ou de cocaïne dans la State Farm Arena pour infiltrer les machines à voter tordues de Dominion », a accusé faussement Rudy Giuliani dès le 10 décembre, selon l’accusation. Il s’agissait en fait d’un bonbon au gingembre.
Par ailleurs, la mise en cause de ces machines électorales par la galaxie Trump a conduit Fox News à payer en avril plus de 787,5 millions de dollars de dommages et intérêts pour éviter de perdre un procès en diffamation. Ruby Freeman a été harcelée par téléphone et a reçu la visite à son domicile, le 15 décembre, d’un autre accusé. La Commission parlementaire sur l’assaut du Capitole avait déjà réhabilité la mère et la fille dans son rapport final publié en décembre 2022 : « Non seulement les allégations de Giuliani au sujet de Freeman et de Moss étaient imprudentes, racistes et fausses, mais elles ont eu des conséquences concrètes qui ont bouleversé la vie des deux femmes. »
Deuxième manipulation assez rocambolesque, la création, en décembre, de faux grands électeurs pour empêcher la validation du vote de Géorgie. Certains d’entre eux ont collaboré avec la procureure Willis.
Troisième volet, une tentative de manipulation de matériel électoral. Dans la zone rurale du comté de Coffee, à 300 kilomètres au nord d’Atlanta, une vidéo a révélé que des partisans de Donald Trump avaient accédé au local électoral en janvier 2021, en pleine période de contestation, et commis des intrusions dans le matériel informatique électoral.
« Dictature marxiste »
Mais c’est surtout un entretien téléphonique de Donald Trump, le 2 janvier 2021, avec Brad Raffensperger, le secrétaire de l’Etat de Géorgie, qui se révèle accablant pour l’ancien président et devrait prouver son implication directe. Les Etats-Unis sont à quatre jours de l’assaut du Capitole. A cette date, la Géorgie avait déjà procédé à un recomptage manuel des bulletins. Aucune fraude massive n’avait été détectée.
Pourtant, depuis des semaines, la pression montait pour Brad Raffensperger, responsable de la tenue du scrutin, et le gouverneur républicain Brian Kemp. L’objectif du clan Trump était de provoquer la convocation d’une session extraordinaire du parlement local pour valider une liste alternative – et totalement artificielle – de grands électeurs en faveur du président sortant. Un effort similaire était conduit en Arizona, dans le Wisconsin, le Nevada et le Michigan.
Mark Meadows, le chef de cabinet de Donald Trump, lui aussi inculpé, a joué un rôle essentiel dans les contacts préalables, longtemps infructueux, avec le secrétaire d’Etat de Géorgie. Selon la commission d’enquête parlementaire, « le président a essayé de parler par téléphone avec Raffensperger à dix-huit reprises au moins » avant de parvenir à ses fins. Ce jour-là, chacun des deux hommes est entouré par conseillers et avocats.
Le président est très agité. « Alors dites-moi, Brad, qu’allez-vous faire ? On a gagné l’élection, et ce n’est pas juste de nous l’enlever comme ça. Et ça va coûter très cher de nombreuses manières. » Donald Trump formule clairement sa demande : « Alors, écoutez. Tout ce que je veux faire, c’est ça. Je veux juste trouver 11 780 voix, soit une de plus que ce que nous avons. » Puis Donald Trump passe aux menaces en soulignant que M.Raffensperger prend « un grand risque », en laissant un « crime » se commettre. « Je savais qu’on avait suivi la loi », résumera le secrétaire d’Etat devant la commission parlementaire.
Donald Trump, dont les déboires judiciaires n’ont pas eu jusqu’à présent d’effet négatif sur sa cote de popularité auprès de l’électorat républicain, a réagi lundi par communiqué à sa nouvelle inculpation. « Un procureur de gauche – avec un parti pris anti-Trump si extrême que même CNN a mis en doute sa légitimité – m’a mis en accusation alors que je n’ai commis AUCUN CRIME », écrit-il. L’ancien président a estimé qu’allait disparaître une République libre : « A sa place se trouve une dictature marxiste du tiers-monde dirigée par un tyran incompétent mais véreux [Joe Biden] qui tente de placer votre sort entre les mains de procureurs vengeurs et corrompus. Le communisme a enfin atteint les côtes américaines. »
Agée de 51 ans, la procureure Willis fut la première femme noire élue en 2020 procureure du district de Fulton, qui englobe Atlanta, après avoir travaillé pendant près de vingt ans pour le parquet. Elle est qualifiée d’extrémiste de gauche par Donald Trump mais, selon le New York Times, elle a irrité la gauche en poursuivant des enseignants d’écoles publiques dans le cadre d’une gigantesque triche aux résultats, et un rappeur dans des affaires de gangs. Cette fille d’un membre des Black Panthers et avocat pénaliste avait affiché dans son bureau une citation de Malcom X, militant de la cause afro-américaine assassiné en 1965 : « Je suis pour la vérité, peu importe qui la dit. Je suis pour la justice, peu importe qui est pour ou contre. »
Lors de sa conférence de presse, Mme Willis a précisé que des mandats d’arrêt avaient été émis contre les prévenus. « Je donne aux accusés la possibilité de se rendre volontairement au plus tard à midi le vendredi 25 août 2023 », a-t-elle annoncé, précisant qu’elle recommanderait au juge un procès « dans les six mois ». Un objectif ambitieux, vu la complexité du dossier et le nombre d’inculpés.
Dans ce contexte, le premier procès pourrait être celui de l’assaut du Capitole, que le procureur spécial voudrait voir débuter le 2 janvier 2024. Celui-ci a le mérite de n’avoir qu’un seul prévenu, Donald Trump, et quatre chefs d’accusation. Juste avant le début des primaires pour la présidentielle de 2024.
Les commentaires récents