© COURS DE MATHÉMATIQUES DANS UNE ÉCOLE À ALGER, EN ALGÉRIE. © IONESCO/GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES
Après les soldats, place aux Pères Blancs et aux sœurs charitables, chargés d’éclairer les autochtones… Et d’en faire des serviteurs dociles.
A la craie, l’instituteur trace une ligne sur le sol, juste devant l’entrée de l’école. Au-delà de cette limite, les élèves ont l’interdiction de parler leur langue maternelle. En préparant son livre sur L’Ecole des colonies, le romancier Didier Daeninckx a trouvé de nombreuses photos montrant cette même scène, répétée en Afrique, en Asie, en Océanie… Chaque matin, les écoliers peuvent lire sur le tableau noir : « Mes enfants, aimez la France votre nouvelle patrie. »
Les écoliers doivent renoncer à leur langue, à leur culture, à leur histoire
Pour être assimilés, ils doivent renoncer à leur langue, à leur culture, à leur histoire, bref à tout ce qui fait leur identité. Pour leur bien évidemment. Marianne entend élever des populations considérées comme ignorantes et attardées à des valeurs supérieures. Cette élévation se pare dans les colonies d’une aura religieuse qui détonne au sein de la IIIe République. En effet, en France métropolitaine, les lois Jules Ferry de 1881-1882 ont confié l’enseignement à un personnel strictement laïque. Dans les campagnes, les hussards noirs, chantres du progrès véritable, mènent un combat féroce contre l’Eglise. Rien de tout cela dans les colonies ! « L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation », déclare Léon Gambetta. Loin de Paris, les missions religieuses illustrent bien ce régime d’exception.
Les missionnaires ouvrent en Afrique les premières écoles européennes
Au XIXe siècle, la France a ainsi enfanté de nombreuses congrégations. Les sœurs de Saint-Joseph de Cluny étaient au Sénégal dès 1819, les pères du Saint-Esprit (spiritains) les ont rejointes en 1847, avant d’essaimer au Congo et au Gabon. En 1854 a été fondée la Société des missions africaines de Lyon. Et en 1879, monseigneur Lavigerie, archevêque d’Alger, a envoyé ses « Pères blancs » porter la bonne parole sur le continent noir. Pour cet ecclésiastique qui conçoit l’évangélisation comme le complément de la conquête militaire, ils doivent apporter « la lumière » à « tous ces peuples perdus dans la mort ». C’est un renfort bienvenu pour les gouverneurs qui leur délégueront souvent l’éducation et les actions sanitaires que l’Etat n’a pas les moyens de financer entièrement. A Wallis, en Océanie, les missions recevront ainsi en 1920 le monopole de l’enseignement. Les écoles « indigènes » des Pères vont former les nouvelles élites locales et ouvrir de nombreux dispensaires
Un membre de la société missionnaire des Pères Blancs enseigne à des enfants dans une école d’Afrique équatoriale. Carte postale des années 1930 © Collection Sirot-Angel/leemage/Wikimedia Commons
La médecine moderne sera une autre manifestation éclatante de la supériorité occidentale ! La propagande taira en revanche la face cachée des missions : par exemple les plantations de café des jésuites à Madagascar utilisant comme main-d’œuvre… les enfants de leurs propres écoles.
Faire des écoliers des sujets dociles
La république coloniale n’est donc en rien laïque. Et ses écoles sont d’un genre bien particulier. En Algérie, des décrets de 1883 et 1887 ont bien tenté d’imposer l’enseignement laïque obligatoire. Mais une partie des colons se sont alors insurgés, en estimant les indigènes indignes du fait d’une différence de « niveau » trop importante entre élèves français et algériens. L’empire n’a pas besoin de grands esprits mais de sujets dociles. Une partie des cours consistera en « travaux pratiques » agricoles, et une dérogation à la loi française permettra même de faire travailler des enfants de 10 ans dans les exploitations jouxtant souvent les établissements scolaires.
Pas question donc de développer l’esprit critique et de former des êtres éclairés pouvant remettre en cause l’ordre colonial. Pour ne pas qu’ils rêvent de devenir les égaux des colons, on rabâche aux petits indigènes leur appartenance à des « races inférieures » et que « la plus parfaite est la race blanche », comme l’affirme le manuel de lecture Le Tour de la France par deux enfants (1877). Pour assimiler les populations, on met en place un enseignement minimum dont le but explicite est de former la main-d’œuvre, les serviteurs dont les maîtres ont besoin. Georges Hardy, inspecteur de l’enseignement en Afrique-Occidentale française (AOF) de 1912 à 1919, puis directeur de l’école coloniale de Paris, donne des instructions claires : « Deux ou trois ans de scolarité, une cinquantaine d’élèves par classe. Nous n’avons pas de temps à perdre. Allons aux besognes essentielles ! Dans les écoles de villages, il est bien entendu que ce français (langue commune) sera simple autant que possible, et limité à l’expression d’idées courantes, à la désignation d’objets visuels, sans raffinement de syntaxe et sans prétention à l’élégance. Et ce sera avant tout du français parlé. »
Chiffres clés
En 1945, en Afrique occidentale et équatoriale française, l’ensemble de la population compte 95% d’illettrés.
Sur le continent africain, la France a scolarisé entre 5 et 7% des enfants.
Dans l’Algérie française, pendant plus de 130 ans, la France a formé parmi la population autochtone: 40 médecins, 3 ingénieurs, 10 professeurs du secondaire.
https://www.caminteresse.fr/histoire/colonies-francaises-le-mythe-du-role-educatif-11133365/
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