3 août 2023 à 14h58
La cour d’appel d’Aix-en-Provence a refusé, ce jeudi, la remise en liberté du gardien de la paix Christophe I., en détention provisoire depuis deux semaines. À l’audience, il a démenti toute participation aux violences contre Hedi R., 22 ans, mais admis pour la première fois avoir fait usage de son arme.
Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).– Son incarcération, le 20 juillet, a entraîné une grève du zèle massive chez les policiers marseillais, un soutien inédit du directeur général de la police nationale et un festival de propositions pour éviter la détention provisoire aux policiers soupçonnés d’avoir commis des violences dans l’exercice de leurs fonctions.
Ce jeudi, la remise en liberté de ce gardien de la paix a été refusée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, devant laquelle il faisait appel de son incarcération. Dans un communiqué accompagnant cet arrêt, le parquet général détaille les motivations de la cour. Celle-ci insiste sur les « dénégations fallacieuses » du policier, qui « jettent le discrédit sur l'ensemble de ses propos », et juge la détention provisoire indispensable pour éviter toute concertation entre les mis en examen avant leurs interrogatoires.
Pour assister à l’audience, tôt ce matin, ce policier de 35 ans, Christophe I., a été extrait de sa cellule à la prison de Luynes pour être conduit devant la cour. Mis en examen depuis deux semaines pour des « violences aggravées » contre Hedi R., le 2 juillet à Marseille, le policier espérait bénéficier du même traitement que ses trois collègues, Gilles A., Boris P. et David B., placés sous contrôle judiciaire.
« La justice passe et elle travaille », a réagi jeudi en fin d’après-midi l’avocat de Hedi, Me Jacques-Antoine Preziosi. « La profession devrait se débarrasser de ceux qui jettent du discrédit sur elle », a-t-il ajouté, dénonçant également les « dérapages de la hiérarchie policière qui estime qu’il est plus important de soutenir les siens que de les écarter quand ils sont fautifs ».
De son côté, le syndicat Alliance l’a jugé « incompréhensible » et « très injuste ». « Notre collègue n’a pas à rester en prison », a commenté Sébastien Gréneron, le secrétaire départemental des Bouches-du-Rhône, annonçant : « On va continuer à soutenir nos collègues ».mbre de l’instruction a siégé dans la salle des assises face à une affluence inhabituelle, avec un public composé pour moitié de journalistes, mais sans rassemblement policier – le cas de Gilles A. qui a fait appel de son interdiction d’exercer devait également être examiné. Le huis clos demandé par la défense de Christophe I., désireuse de préserver la « sérénité des débats » et le secret de l’enquête, a rapidement été rejeté.
Christophe I. fait alors son entrée dans le box en verre réservé aux détenus. Avec son crâne rasé, son buste athlétique et son tatouage au bras gauche, ce policier de la BAC Sud marseillaise pourrait passer pour un prisonnier lambda, si ce n’est son assurance particulière et son parler administratif.
Cette audience, rappelle le président en préambule, vise seulement à trancher « deux questions » : existe-t-il « des indices graves et concordants » que Christophe I. a participé aux faits poursuivis, et les critères de la détention provisoire sont-ils remplis ? De l’avis du parquet général, c’est le cas.
« Je ne suis pas un fou de la gâchette »
Les débats donnent cependant l’occasion au policier de préciser sa position, voire d’en changer. Dans une déclaration spontanée, Christophe I. tient à exposer sa version des faits, sans attendre son premier interrogatoire au fond par la juge d’instruction, prévu le 30 août. Alors qu’il niait jusqu’ici tout tir au LBD en direction de Hedi R., le gardien de la paix reconnaît désormais avoir fait usage de son arme. Sans pour autant se montrer convaincu d’avoir causé ses graves blessures à la tête.
Le 1er juillet, le policier a pris son service à 19 heures. Lors de cette troisième nuit d’émeutes consécutives à la mort de Nahel, ses collègues et lui avaient la consigne « de ne plus interpeller » faute de place en garde à vue, affirme-t-il. Mais ils étaient chargés de « rétablir l’ordre » dans les rues en proie à des pillages. Christophe I., seul porteur de LBD de son équipage, a déclaré dix tirs au cours de cette seule nuit, contre des « groupes mobiles et hostiles » qui « lançaient des projectiles ».
Aux alentours de 2 heures du matin, la BAC tente de « sécuriser » une portion de la rue d’Italie, alors « plongée dans le noir », quand Christophe I. avise « deux individus entièrement capuchés » qui marquent un temps d’arrêt face à lui et s’enfuient. Le policier aurait alors vu Hedi R. « armer son bras pour jeter un objet », le conduisant à « faire usage du LBD à une reprise » et provoquer sa chute. Sur les lieux des faits, à l’angle de la rue d’Italie et de la rue du Commandant-Imhaus, les enquêteurs ont en effet retrouvé une cartouche de LBD percutée.
Le policier insiste sur le « contexte très particulier » de ces émeutes « inédites ». Son avocat enfonce le clou : des conditions « extrêmement dégradées », des mortiers, des lacrymogènes, du bruit et de la pénombre. À titre personnel, Christophe I. explique qu’il « revenai[t] de blessure » et avait tenu à travailler alors qu’il aurait pu « poursuivre [son] arrêt ». L’épuisement, explique-t-il, aurait pu lui faire perdre en lucidité.
« Je ne suis pas un fou de la gâchette », ajoute le mis en examen, qui dément avoir visé la tête ou cherché à blesser. Après son tir, estimant que « la situation est gérée par [ses] collègues », Christophe I. n’aurait rien vu du passage à tabac dénoncé par Hedi (lire son récit ici). « Il n’a fait que tirer, la suite ne le concerne pas », résume son avocat.
Des images corroborent le récit de la victime
Comme l’a écrit le parquet général dans son réquisitoire en vue de l’audience, révélé par Le Monde et dont Mediapart a également eu connaissance, les enquêteurs ont pu corroborer le récit de la victime par des images. Issues des caméras de la ville, d’une synagogue, d’un commerce et d’une vidéo de onze secondes tournée par un particulier, elles montrent le jeune homme se tenir la tête et tituber, puis un fonctionnaire en civil lui faire une balayette pour le faire tomber. Plusieurs lui assènent ensuite des coups de poing et de pied avant de le pousser à repartir, d’un dernier coup de pied aux fesses.
Conduit à l’hôpital de la Timone par son ami et des épiciers, Hedi voit son pronostic vital engagé. Les médecins relèvent un « traumatisme crânien grave » avec « hématome sous-dural gauche », causé par un objet contondant, entraînant une intervention chirurgicale en urgence. Il présente aussi une « fracture temporo-zygomatique gauche » qui nécessite une autre opération, des « hémorragies intra-oculaires multiples de l’œil gauche », dont il a à ce jour perdu l’usage, de « multiples lésions abrasives, notamment au niveau des jambes » et un « stress aigu réactionnel ».
À l’audience, personne ne conteste la gravité de ses blessures. Ni l’avocat du policier, Pierre Gassend, qui exprime sa « compassion » envers la victime et lui souhaite « un prompt rétablissement ». Ni l’avocat général, « marqué » comme tout un chacun par « le visage de ce jeune homme, apparu sur les écrans le crâne déformé ». Ni le président, soulignant que les policiers ont opté pour « une extrême minimisation de ce qui s’est passé ».
Depuis leur identification, en effet, les fonctionnaires présents sur place ont presque tous affirmé n’avoir aucun souvenir de l’épisode impliquant Hedi R. et son ami Lilian P.. Ils ne se rappelleraient ni d’un tir de LBD ni de coups. Certains ne se reconnaissent même pas sur les vidéos qui leur ont été présentées. Une commandante de la BAC, qui a assisté à la scène, n’a signalé aucun événement particulier. Comme si rien n’était arrivé.
« Vous avez tiré à trois mètres dans la tête »
Jusqu’à ce jeudi, Christophe I. concédait seulement s’être « retrouvé dans le secteur ». Son collègue Gilles A., celui qui conteste les conditions de son contrôle judiciaire, n’a reconnu qu’une fois confronté aux images avoir mis « un coup de pied malheureux » à Hedi R. Il l’a justifié en expliquant alors avoir dû se dégager de l’emprise de la victime, qui lui aurait attrapé la jambe droite. Ce soir-là, il portait des gants coqués.
« Vive l’incarcération, si elle permet aux gens de dire la vérité », raille Jacques-Antoine Preziosi, l’avocat de Hedi. « Cinq semaines après, il vient nous dire que oui, il a tiré », insiste-t-il, s’adressant directement au mis en examen : « Vous n’avez pas tiré à 20 mètres sur une silhouette, vous avez tiré à 3 mètres dans la tête. Vous mentez depuis le début. Vous êtes dangereux, monsieur. »
Dans ce dossier, « les sept policiers se sont téléphoné aussitôt qu’ils ont reçu les convocations IGPN », ajoute l’avocat de la partie civile, pour qui Christophe I. « s’est entendu avec toute son équipe pour mentir, dire qu’ils ne se souvenaient de rien ». Face à cette « amnésie collective », l’avocat appelle la cour à confirmer la détention du policier pour l’« isoler » de ses collègues.
« Préserver l’information judiciaire » jusqu’aux interrogatoires : c’est aussi le souhait de l’avocat général. À ses yeux, la détention provisoire est le seul moyen de prévenir la concertation frauduleuse entre les mis en examen ou une éventuelle destruction de preuves.
« Quelle que soit la confusion du moment, on est en droit d’attendre une totale coopération au moment où l’on cherche à savoir la vérité », ajoute le magistrat, fustigeant la position initialement adoptée par les policiers. « Ce qui a été déclaré aujourd’hui change la donne », conclut-il en saluant « le travail de réflexion » du mis en examen.
Pour la défense, la remise en liberté ne présenterait aucun risque. Pierre Gassend rappelle que son client s’est engagé « au service de la nation » et a « quatorze ans de voie publique derrière lui ». Aucune raison, donc, que son client « soit le seul martyr de la cause », alors que ses collègues sont libres, et qu’il fasse les frais de « l’émoi médiatique ».
L’avocat questionne davantage les réelles intentions de la victime, qui selon lui présentait « toute la panoplie d’un émeutier ou d’un pillard ». « Quand on vient “par curiosité” au contact des forces de l’ordre à 2 heures du matin, en étant porteur d’une capuche, à quoi peut-on s’attendre ? Ce soir-là, Christophe I. a estimé en une fraction de seconde qu’il fallait engager le tir sur monsieur R., qu’il pensait être un émeutier. »
Lors de l’une de ses auditions, le major Gilles A. a eu une expression malheureuse pour décrire le comportement de Hedi : même si rien ne démontre sa participation aux émeutes, il était « habillé en mode délinquant ». Du grain à moudre pour l’avocat du jeune homme, Jacques-Antoine Preziosi. « Moi, je porte souvent des vestes avec capuche, je me demande si je vais être en danger quand je vais au restaurant ou au cinéma le soir. Après le délit de sale gueule, le délit d’habit ? »
Camille Polloni
3 août 2023 à 14h58
https://www.mediapart.fr/journal/france/030823/affaire-hedi-marseille-le-policier-qui-tire-au-lbd-est-maintenu-en-detention-provisoire
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