Relire Feraoun. Entre lucidité, combat et engagement (Editions Koukou, juin 2023) est un livre nécessaire qui revisite le parcours et l’œuvre de l’un des écrivains les plus populaires d’Algérie et, paradoxalement, le moins bien lu et compris. Il restitue toute l’épaisseur intellectuelle de l’écrivain et son extrême lucidité dans un environnement colonial compartimenté qui ne laissait pourtant de place que pour les violences et les opportunismes. En effet, coincé entre les mailles d’une colonisation brutale d’une part et d’un nationalisme algérien assoiffé de totems d’autre part, il a tenu à porter un message de vérité et d’humanité à travers une œuvre littéraire remarquable en évitant le piège des « rapport de force » et en allant à la rencontre de l’humain qui est en chacun des belligérants. Entretien.
Hervé Sanson et vous-mêmes venez de publier un ouvrage collectif que vous avez coordonné sur Mouloud Feraoun. Vous y proposez une relecture de cet écrivain parce que vous estimez qu’il a été mal lu et, surtout, incompris. Pouvez-vous nous résumez ce qui est mal lu et incompris chez Feraoun ?
Tassadit Yacine et Hervé Sanson : Soyons précis. Deux aspects ont caractérisé la réception de l’œuvre et du parcours de Feraoun. Tout d’abord, cette œuvre a souffert de lectures trop souvent réductrices, simplificatrices. Bien souvent centrées sur Le Fils du pauvre dont on a fait le parangon d’une littérature dite ethnographique. La littérarité de l’œuvre passait trop souvent par pertes et profits, même s’il faut saluer le travail précurseur de Christiane Achour-Chaulet, puis Martine Mathieu-Job, ou Robert Elbaz au tout début des années deux mille. Ensuite, la situation de Feraoun durant la guerre de libération nationale a été méjugée bien souvent, perçue de façon inappropriée. Rappelons qu’il fut l’un des rares auteurs d’importance – sinon le seul – à vivre la guerre « en direct », c’est-à-dire en ce qui le concerne dans le bled, pris en étau entre l’armée française, l’administration coloniale et le FLN, l’ALN plus précisément, qui exerçait des pressions sur les instituteurs « indigènes », comme Feraoun. Feraoun, fonctionnaire de l’Éducation Nationale, a toujours su préserver son intégrité en se gardant d’une trop grande proximité avec l’administration coloniale – et pourtant il faut imaginer combien cela pouvait être difficile ! – mais en accomplissant simplement son devoir contre vents et marées, à savoir instruire les élèves qui lui étaient confiés, dans le contexte tourmenté de l’époque. Parallèlement, il tient ce journal, terrible réquisitoire contre la violence coloniale, et le système qui la suscite, mais qui dans le même prévient – déjà ! – contre les dérives autoritaires d’un mouvement national dont il pressent le caractère tyrannique futur. La réserve qu’il exprime vis-à-vis du pouvoir colonial, et la sympathie qu’il exprime à l’égard des aspirations indépendantistes, lui valent l’hostilité puis la haine du sous-préfet des Ouadhias, Jacques Achard, qui a menacé Feraoun en personne. Ce fut vraisemblablement lui qui fut à l’origine de la désignation de Feraoun sur les listes de l’OAS comme cible à abattre. La vie au jour le jour dans le bled ne donnait pas une grande marge de manœuvre à Feraoun, et l’étau se resserrait de plus en plus. Face à l’hostilité grandissante de l’armée et de l’administration coloniale françaises, Feraoun fut contraint à l’été 1957 de quitter la Kabylie, et de gagner Alger. La dénomination de « pense-petit » qui fut accolée à Feraoun par certains (Tarik Maschino pour ne pas le nommer) est tout à fait odieuse, et l’accusation d’acculturation par d’autres, totalement déplacée. Enraciné profondément dans sa culture kabyle, instruit en langue française et « produit » de cette école de la IIIe République, Feraoun ne voyait d’autre issue à cent trente ans de colonialisme que l’indépendance de son pays. Il condamnait sans réserve le système colonial (il suffit de lire le Journal pour s’en convaincre), n’était que trop lucide sur l’injustice intrinsèque à ce système, et la nécessité donc d’y mettre fin, y compris par la lutte armée, mais il n’était pas aveugle non plus sur la nature du pouvoir qui se dessinait, une fois l’indépendance acquise. Il ne se faisait pas d’illusions sur la nature d’une frange de l’ALN, laquelle très tôt a pris les rênes de la conduite du mouvement de libération, et fait taire ses opposants, c’est-à-dire les éléments plus modérés du mouvement. D’où un certain nombre d’avertissements émaillant le Journal, apparaissant aujourd’hui comme visionnaires.
À travers la lecture de l’ensemble de son œuvre, on voit un Feraoun qui a été écartelé entre une France qui lui a donné la clé de l’instruction et à laquelle il est resté moralement redevable et une Algérie combattante qui aspire à la liberté. Peut-on retracer avec vous le cheminement qui a conduit Feraoun de la réticence à un engagement franc pour l’indépendance de l’Algérie ?
Tassadit Yacineet Hervé Sanson : Retracer le cheminement de Feraoun risque d’être long, nous comprenons votre question, mais nous nous limiterons à une synthèse, à un ou deux axes. Pourquoi ? Parce que réduire un grand écrivain à des actes ou à un acte précis dans sa vie est très réducteur. Nous comprenons bien qu’en période coloniale, en situation de guerre particulièrement, la notion d’engagement est importante, il faut assurément lui accorder une place, mais soyons sérieux, pas toute la place. Même si la notion d’engagement est bien visible dans le titre de notre livre, il est néanmoins faux de prétendre que cette contribution réduit l’œuvre de Feraoun au fait qu’il soit engagé. Cela d’une part. De l’autre, nous avons voulu montrer qu’il y avait diverses manières de s’engager. Un écrivain, un intellectuel, un poète, un peintre a ses propres armes qui ne sont pas celles d’un combattant dans la lutte armée. Il faut chercher cette forme spécifique dans d’autres formes d’expression, non pas celles dictées par l’idéologie du moment et qui se perpétuent mais les siennes. Il suffit de relire ce qui a été écrit sur (disons contre) Feraoun, à quelle époque, et par qui, pour se rendre compte que c’était finalement des règlements de compte politiques et idéologiques. Nous pensons que notre contribution a permis de lever de nombreuses équivoques. Le regard que portent les auteurs de ce livre est nouveau car ils n’appartiennent pas à la génération de la guerre et ne cherchent aucun bénéfice symbolique à travers l’engagement de Feraoun mais à travers la connaissance de son œuvre.
Dans l’introduction, vous citez le cas de Jean Amrouche auquel vous comparez Mouloud Feraoun. Comment expliquez-vous que Jean Amrouche, bien que Français, statut qu’il revendiquait sans cesse, et qu’il vivait dans des conditions beaucoup plus « confortables », se soit battu ouvertement contre la colonisation depuis 1945 alors que Feraoun ait hésité longtemps avant de s’engager pour l’indépendance ?
Tassadit Yacine et Hervé Sanson : Ce sont deux personnalités très différentes et des trajectoires complètement différentes elles aussi. Amrouche est plus âgé, il est né en 1906, il a dû quitter son pays natal à l’âge de 6 ans, pour Tunis. Dans cette ville, il a rencontré un monde étranger par la langue, la culture, et a affronté le racisme très tôt à l’école primaire. Ce bouleversement social et historique se superpose à une histoire familiale peu commune : la conversion au catholicisme de ses parents, la position de sa mère, fille illégitime dans une société kabyle patriarcale, vécue consciemment ou non comme un véritable trauma, ont, sans conteste, préparé le jeune Amrouche à comprendre le phénomène colonial (il onvient de relire « Quelques raisons de la révolte algérienne » paru en 1956, ou « La France comme mythe et comme réalité », publié en 1958…). La dimension personnelle et familiale a servi à mieux cerner la situation collective de l’Algérie et de la Tunisie.
On ne peut pas dire la même chose de Feraoun qui avait les problèmes de sa génération et celle de son époque, de son milieu social : la pauvreté. Mais une pauvreté vécue avec les siens, dans sa société, il n’a pas connu le rejet, le racisme à l’instar de Jean Amrouche. Il le découvrira plus tard.
La Kabylie de la fin du XIXe et du début du XXe a été dépossédée, surtout après 1871, mais elle a gardé sa culture qui a préservé sa population, qui l’a protégée de la colonisation, pas comme dans les villes. Les colons ne se sont pas installés dans les montagnes, c’est pour cela que les Kabyles, chez eux, n’ont pas connu le racisme et la discrimination.
Amrouche a découvert le fait colonial, adolescent en Tunisie d’abord et, plus tard, en Algérie. Comme toute l’élite francisée, il a cru en la France, en la promesse de réformes et surtout la fameuse égalité entre les « musulmans » et les Européens, comme en 1944.
Mais les événements de 1945, caractérisés par des émeutes suivis de massacres de plusieurs milliers d’Algériens, le détourneront définitivement de la France coloniale. Feraoun qui a vécu en Kabylie jusqu’à son départ à Alger, pendant la guerre, n’a pas connu ce monde colonial de près, il a mis du temps pour le décrire de façon explicite mais cela ne veut pas dire qu’il ne le voyait pas, ne l’analysait pas ou qu’il n’en subissait pas les effets. Peut-être n’avait-il pas alors les moyens de s’exprimer… On n’en sait rien. À part le roman, comment pouvait-il donner son point de vue depuis Tamazirt ?
On peut en effet retrouver la domination au second degré, l’écrivain s’exprime avec ses codes, ses métaphores, ses non-dits… c’est au lecteur d’en décrypter le message.
La pauvreté dans Le Fils du Pauvre, la vie en émigration dans La Terre et le Sang, ne symbolisent-ils pas la colonisation ?
Enfin, c’est le Journal qui décrit le mieux son engagement, il est tout à son pays, à sa terre, même si les termes sont ceux d’un homme pétri d’humanité et non ceux d’un idéologue.
La relation entre Feraoun et Camus a été abordée dans le livre. Ils sont qualifiés de « justes » parce qu’ils défendaient tous les deux une Algérie plurielle, apaisée, et pacifiée, où l’Autre, quel qu’il soit, a sa place. Or, l’Algérie voulue par le FLN et à laquelle on a abouti à l’indépendance n’a rien à voir avec l’Algérie de Camus et de Feraoun. Où se situe l’erreur ? Quelle est la place de la lucidité dans l’engagement de ces deux écrivains ?
Tassadit Yacineet Hervé Sanson : Ils sont tous deux humains, humanistes, et tous deux se projetaient dans une Algérie plurielle mais il y a une différence : Feraoun était en faveur d’une Algérie souveraine et Camus militait pour le maintien de la France. Ce qui les liait profondément, c’est la dimension de l’humain, la compréhension de l’autre mais cela ne signifie pas qu’ils ont adopté la même position quant à l’indépendance de l’Algérie.
L’erreur, c’est encore autre chose. Je ne pense pas qu’ils aient eu le temps de la voir concrètement, il fallait attendre 62, la prise du pouvoir par l’armée des frontières pour se rendre compte que les idéaux pour lesquels le FLN (et le mouvement national) s’était battu n’ont pas été respectés.
Mouloud Feraoun fait partie des auteurs les plus censurés pendant la colonisation. La lecture des manuscrits originaux nous révèle une facette méconnue de l’auteur. Quel regard portez-vous sur cette censure aujourd’hui ?
Tassadit Yacine et Hervé Sanson : Il est difficile de porter un jugement sur une situation de guerre parsemée d’attentats, de disparitions, etc. Nous pensons qu’il faut reconnaître que c’était impossible de publier en l’état le Journal pour des raisons politiques. Si le Journal avait été publié, Feraoun n’aurait jamais pu continuer à vivre en Algérie ou de vivre tout court.
Amrouche était censuré en Algérie pour les mêmes raisons.
Mouloud Feraoun a abordé des questions qui, pour marginales qu’elles aient pu paraitre pendant la colonisation, ne sont pas moins importantes : l’identité, l’égalité, la femme, l’altérité, etc. Peut-on dire que Feraoun était un écrivain avant-gardiste ?
Tassadit Yacine et Hervé Sanson : On peut dire en effet que Feraoun fut un écrivain avant-gardiste. Tout d’abord, sur le plan de la forme, en inscrivant au sein du récit un discours à plusieurs strates, par lequel perce une certaine ironie, qui doit garder le lecteur d’une compréhension au premier degré de bout en bout. Par ailleurs, il s’empare le premier du regard exotisant de l’Autre, l’Européen, pour le retourner contre lui d’une part, mais il fait aussi advenir un regard « de l’intérieur », produit par un Algérien sur les Algériens, au cœur de sa société.
D’autre part, il prend conscience de l’importance de défendre sa culture propre, au cœur du combat de libération nationale (songeons aussi à l’article de Taos Amrouche, paru en 1956 dans Combat : « Que fait-on pour la langue berbère ? »), avec la traduction et la présentation des Poèmes du grand poète kabyle Si Mohand ou M’hand, qui paraîtront chez Minuit en 1960. Songeons aussi à l’évocation, subtile, et empreinte d’humour, du mode de vie et des coutumes kabyles dans Jours de Kabylie, parus chez Baconnier en 1954.
Son Journal – le seul tenu par un Algérien au cœur des événements, en Algérie même – évoque de façon visionnaire, nous l’avons dit, les rapports de force au sein du Mouvement de libération nationale, et l’avenir d’une certaine Algérie plurielle, envisagé de façon pessimiste, avenir qu’il appelait pourtant de ses vœux.
Enfin, son œuvre romanesque porte les traces d’une critique – empreinte de nuances, et empruntant le détour de l’ironie, procédé qu’affectionne Feraoun – de la structure patriarcale et des normes de genre alors en cours dans sa société d’origine. L’œuvre entière de Feraoun fait sa place à l’Autre : l’Européen d’Algérie (voir ses lettres à Camus), le chrétien ou l’hybride culturel (que l’on songe au roman Les Chemins qui montent), la femme (il faut relire les trois romans). C’est ce qui en fait à notre sens une œuvre avant-gardiste qu’il convient, plus que jamais, de relire.
Entre 1841 et 1884, au temps de la conquête de l’Algérie par l’Etat français, près de 4.000 personnes ont été arrachées à leur pays et transférées sur l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes. Une exposition présentée sur place leur est consacrée.
Une photographie prise vers 1884, dernière année de présence de prisonniers algériens sur l'île Sainte-Marguerite, l'une des deux îles de Lérins, au large de Cannes — Archives municipales de Cannes
Dans les années 1970, des travaux forestiers menés par des harkis au large de Cannes, sur l’île Sainte-Marguerite, avaient permis de mettre au jour un des plus anciens cimetières musulmans de l’Hexagone. Au milieu des sépultures, une stèle saluait la mémoire de « nos frères morts pour la France ». Erreur historique. Elle a été retirée l’an dernier. Les 274 corps enterrés là appartenaient en fait aux milliers de Nord-Africains arrachés à leur terre natale et détenus sur place par l’Etat français. Au temps de la conquête de l’Algérie. Entre 1841 et 1884. L’exposition « Prisonniers en terre d’exil », présenté jusqu’au 29 octobre au Musée du Masque de fer et du Fort royal*, fait toute la lumière sur ces faits.
« Et c’était une volonté du maire de Cannes, David Lisnard, lui-même, explique le directeur adjoint des musées de la ville Christophe Roustan Delatour, commissaire de l’exposition. En 2018, il nous a demandé de lancer un projet d’étude et de valorisation du cimetière musulman. Compte tenu de la sensibilité du sujet, qui touche à l’histoire coloniale, il a insisté pour que nos recherches soient les plus précises possibles. Tout ça ne pouvait pas rester invisible. C’était un véritable devoir de mémoire. »
« Sans culpabilité posthume ni esprit de revanche »
Avec l’appui d’Anissa Bouayed, une historienne franco-algérienne, et après deux ans de recherches, de nombreux documents attestant du sort de ces « déportés » (« c’est le terme qui était employé à l’époque », rappelle Christophe Roustan Delatour) sont rassemblés. « Point de jugement ici, point de morale, point de politique non plus, mais des faits, prévient aussi David Lisnard dans le catalogue de l’exposition. Le destin de ces populations d’Algérie a croisé nos rivages et nous devons le saisir, le comprendre, l’assimiler, sans culpabilité posthume ni esprit de revanche […] dans une mémoire apaisée et respectée des deux côtés de la Méditerranée. »
Des lettres officielles de l’Armée, des listes de noms et des photographies sont notamment exposées. Tout commence le 30 avril 1841. Un arrêté du ministre de la guerre, le maréchal Soult, affecte la forteresse de l’île Sainte-Marguerite à la détention des « prisonniers de guerre provenant de l’Algérie » où la France a entamé sa conquête dix ans plus tôt. « Ils sont envoyés là sans procès, sans jugement. De l’autre côté de la Méditerranée, on leur confisque même leurs terres. Ils étaient en fait des otages que l’on a soustraits à cause de l’influence qu’ils avaient dans leur pays », révèle le responsable des musées.
« Ce n’était pas du tout un camp d’extermination »
Le Fort royal, où était enfermé le Masque de fer le siècle précédent, voit donc débarquer près de 4.000 de ces détenus en un peu plus de 40 ans. Des membres de la fameuse Smala Abd-el-Kader y sont notamment envoyés en 1843. « Il y a eu jusqu’à 700 personnes en même temps. Voire peut-être même 800. On essayait de les garder tous en bonne santé. Ce n’était pas du tout un camp d’extermination. Les conditions étaient plutôt bonnes », relate Christophe Roustan Delatour. Elles sont reconstituées dans l’exposition avec des aquarelles de l’illustrateur Jacques Ferrandez. Trois scènes de la vie quotidienne sont présentées au plus proche de la réalité de l’époque.
Sur place, il y avait une infirmerie. On célébrait des naissances, des mariages. On faisait même venir de la semoule pour la confection des couscous. La religion était également respectée. « Un espace où étaient pratiquées les ablutions rituelles a pu être identifié. Un lieu autour d’un arbre qui servait pour la prière est également mentionné dans des documents », précise-t-il.
« Des enfants n’auront vu que cette île »
Mais il y a aussi des décès. « Certains de ces prisonniers sont morts de nostalgie. Loin de l’Algérie, ils se sont laissés mourir. A cause de la promiscuité, il y a eu aussi des épidémies, de dysenterie notamment. Et des enfants, nés sur place, n’auront vu que cette île dans leurs existences parfois très courtes », explique encore l’historien.
Cette déportation vers l’Hexagone, également organisée dans une moindre mesure dans des forts situés à Agde et à Toulon, cessera finalement en 1884. « L’armée française a considéré que l’éloignement de ces détenus n’était pas assez dissuasif pour faire avancer leurs plans en Algérie, conclut Christophe Roustan Delatour. C’est ensuite vers la Nouvelle-Calédonie et la Guyane, dont on savait déjà qu’ils ne reviendraient jamais, que ces prisonniers ont été envoyés. »
*L’exposition « Prisonniers en terre d’exil » est présentée jusqu’au 29 octobre. Le Musée du Masque de fer et du Fort royal, sur l’île Saint-Marguerite (accessible en navettes maritimes depuis le Vieux-Port de Cannes) est ouvert tous les jours de l’été entre 10 heures et 17h 45. Billet à acheter sur place ou en ligne : 6,50 € (3,50 € en tarif réduit).
EnquêteEpinglé par le rapport du Sénat sur le fonds Marianne dont il a bénéficié, le journaliste franco-algérien s’est imposé comme une figure de la lutte contre l’islam radical, adoubée par une partie de la gauche. Depuis son exil en France en 1999, son parcours dessine un personnage clivant et intéressé.
Avant de prendre la parole, il a posé ses mains sur les accoudoirs de son fauteuil et il a donné une grande impulsion, balançant son buste en avant. Comme s’il lui fallait se jeter à l’eau. Puis, d’un geste sec et précis, il a tiré sur la veste de son costume trois-pièces bleu nuit, pour en effacer les plis. Au Sénat, ce jeudi 15 juin, le journaliste Mohamed Sifaoui s’apprête à témoigner devant la commission d’enquête constituée à la suite des supposées irrégularités du fonds Marianne. Lancée par Marlène Schiappa, alors ministre de la citoyenneté, cette enveloppe de 2,5 millions d’euros a été créée au printemps 2021 en réaction à l’assassinat du professeur Samuel Paty, le 16 octobre 2020, dans le but de financer une riposte aux discours séparatistes sur les réseaux sociaux.
Principal bénéficiaire du fonds, le Franco-Algérien est soupçonné d’avoir utilisé, par le biais d’une obscure association, l’Union fédérative des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), une large part de cet argent pour se rémunérer, lui et son associé, un curieux homme d’affaires, Cyril Karunagaran, patron d’une petite entreprise de maroquinerie de luxe. Deux jours plus tôt, le 13 juin, les policiers sont venus frapper à la porte du journaliste, vers 6 heures, pour une perquisition dans le cadre d’une information judiciaire ouverte par le Parquet national financier pour « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance » et « prise illégale d’intérêts ».
Devant les sénateurs, plutôt que de chercher à se défendre, Mohamed Sifaoui a choisi d’attaquer. S’en prenant à un invisible chiffon rouge que personne n’a encore pris la peine d’agiter, il donne des coups de corne, à droite et à gauche. Une première pique adressée au sénateur écologiste Daniel Breuiller, qui, pour résumer l’affaire du fonds Marianne, avait dénoncé « la République des copains ». « Le premier copinage qui devrait être dénoncé est celui qui lie votre courant politique, celui des écologistes, à l’islamisme, et ce dans plusieurs villes de France », décoche Mohamed Sifaoui.
Il dénonce ensuite le rapport « pathétique » de l’inspection générale de l’administration « instruit exclusivement à charge, avec des approximations, des insinuations graves et des mensonges ». Puis, emporté par son élan, il poursuit son réquisitoire contre « des systèmes médiatiques sclérosés globalement médiocres qui alimentent le populisme ». Convaincu de son innocence, il se dit ligoté à un bûcher médiatique. Il se vit comme une victime expiatoire condamnée, à l’avance, pour son combat contre l’islamisme politique.
Alors qu’il le regarde se débattre par écran interposé, Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, qui l’a côtoyé longtemps, n’est pas surpris par sa violence verbale. Et encore moins de cette étonnante stratégie de défense. « Mohamed ne peut pas baisser la tête, il est incapable de faire un mea culpa en public. Quand il est attaqué, il attaque. Il aimerait tellement être un héros.
Quatre semaines plus tard, la commission d’enquête sénatoriale rend ses conclusions. Elles sont impitoyables. Les sénateurs estiment que l’association méconnue dont s’est servi Mohamed Sifaoui, l’USEPPM, qui a reçu 266 250 euros de subventions dans le cadre du fonds Marianne, « n’avait pas d’expérience notable dans la lutte contre le séparatisme ». Plus grave, alors que le journaliste a été payé 3 500 euros net par mois pendant un an, de juin 2021 à juin 2022, grâce à ce fonds, ils jugent le travail fourni « très largement en deçà de ce qui aurait pu être attendu » et soulignent « un bilan insignifiant au regard de la subvention » perçue. Contactés par M, ni Mohamed Sifaoui ni son avocat n’ont répondu à nos sollicitations.
Un cortège de polémiques
Si Mohamed Sifaoui est un héros, c’est au minimum un héros controversé. Difficile de trouver un homme qui traîne derrière lui un tel cortège de polémiques et d’oxymores. Il serait tout à la fois courageux et menteur, arrogant et amical, vénal et désintéressé. Un homme aux mille ennemis et aux amis fidèles, lancé à corps perdu dans un combat contre l’islamisme radical, le racisme et l’antisémitisme.
Ami de la journaliste Caroline Fourest, soutien de l’ex-premier ministre socialiste Manuel Valls, proche de Bernard-Henri Lévy, et compagnon de route de Charlie Hebdo, il a été l’un des rares à oser témoigner à l’occasion du procès, en 2007, pour la publication des caricatures danoises de Mahomet par l’hebdomadaire satirique. Un journaliste engagé qui se dit à gauche mais qu’une grande partie de la gauche déteste. Pour les uns, c’est un Salman Rushdie algérien dont la vie est, elle aussi, menacée par les islamistes. Pour les autres, un méprisable mystificateur qui instrumentalise la laïcité. Le jour de son audition, devant les sénateurs, celui qui vit sous protection policière depuis vingt ans, déclare dans son préambule : « Je n’ai pas eu le droit à une vie normale. La mienne a été jonchée de cadavres, elle a été jonchée de sang. La mienne a été alimentée de menaces de mort. » Il est au choix un rempart ou un danger.
C’est loin de toute attention médiatique que Mohamed Sifaoui quitte Alger pour Paris le 28 octobre 1999. Avec son épouse, ils sont deux anonymes dans le flot de passagers fuyant la guerre civile qui fait rage en Algérie depuis près de huit ans. En cet automne 1999, le journaliste de 32 ans doit d’abord demander le statut de réfugié politique. Se créer un réseau, aussi, dans ce pays où il n’a jamais travaillé. Il vient toquer à la porte de Reporters sans frontières (RSF) d’abord, où l’on accueille ce jeune confrère qui se dit harcelé et menacé par le pouvoir algérien. Francophile, cultivé, blagueur, Mohamed Sifaoui se fait vite des amis chez RSF.
Il trouve, avec son épouse et leur fille qui vient de naître, une chambre au modeste Hôtel Rhin et Danube, dans le nord-est de la capitale. Dans ce quartier de la Mouzaïa, la famille Sifaoui habite à deux pas de l’appartement de Vincent Brossel, alors directeur du département Asie à RSF. Assez vite, Mohamed est invité aux fêtes régulières que Vincent Brossel organise chez lui avec son colocataire, Matthieu Chanut, qui devient vite un ami. De quoi s’aérer l’esprit et sortir du huis clos familial à l’hôtel.
Un « mec extrêmement drôle »
Qui est, à l’époque, le jeune Mohamed Sifaoui ? Matthieu Chanut se souvient aujourd’hui d’un « mec extrêmement drôle ». Gros fumeur et amateur de vin, ce fils de la bourgeoisie algéroise, né à Kouba, à l’est de la capitale, le 4 juillet 1967, est un « bon vivant ». Mais il y a aussi une part plus sombre, mystérieuse. Celle du journaliste exilé, ancien correspondant pour Jeune Afrique et passé par L’Authentique et Le Soir d’Algérie, entre autres, qui s’intéresse aux « questions sécuritaires » – autrement dit, la lutte armée contre les islamistes.
Peu après la victoire dans les urnes du Front islamique du salut, en décembre 1991, les généraux algériens ont interrompu le processus électoral. A Vincent Brossel et Matthieu Chanut, Mohamed Sifaoui parle souvent de ce chaos algérien et de ce pouvoir de l’ombre des militaires. En février 1996, Le Soir d’Algérie, pour qui Mohamed Sifaoui travaillait, est visé par une attaque à la voiture piégée. Trois membres du journal meurent. Mohamed Sifaoui, lui, n’était pas dans les locaux.
Il ne quittera son pays que trois ans plus tard. Certains de ses articles auraient déplu au régime, assure-t-il. « Il disait qu’il avait révélé des choses, se remémore Vincent Brossel. Mais je n’ai jamais su ce qui lui avait valu le désamour des autorités. » Une chose saute néanmoins aux yeux des deux colocataires, le journaliste trentenaire a « une énorme envie de revanche ». Un Rubempré algérois animé par une insatiable soif de reconnaissance.
Guéguerre avec un sous-lieutenant
En ce printemps 2000, il vient de faire une rencontre. De celles qui peuvent marquer une vie et lancer une carrière. L’homme qu’il vient de croiser dans les locaux de RSF est un ancien sous-lieutenant algérien. Habib Souaïdia, le visage émacié, a déjà une vie de souffrances derrière lui. Né en 1969 à l’est du pays, il s’est engagé dans l’armée à 20 ans. Il a traqué les « barbus » dans les montagnes, en a même tué. Sans prendre le parti des islamistes, il veut dénoncer les « atrocités », les exactions et les manipulations des militaires qu’il a vues. Mohamed Sifaoui se propose de l’aider à écrire. Le patron des éditions La Découverte, François Gèze, rencontre les deux hommes, il est emballé. L’éditeur, qui s’intéresse à l’Algérie depuis les années 1980, est bien placé pour saisir la valeur d’un tel témoignage.
Avant même la publication du livre, Mohamed Sifaoui introduit Habib Souaïdia auprès de nombreux médias. A l’époque, le journaliste n’a pas de mots assez durs contre l’armée algérienne, comme lors de cet entretien le 22 avril 2000 avec Jean-Baptiste Rivoire, alors à l’agence Capa, et dont M a pu voir les rushs. A propos des généraux algériens « archi-milliardaires », Mohamed Sifaoui glisse à Habib Souaïdia qu’ils sont « les premiers bénéficiaires » de la guerre et du terrorisme dont ils « sont directement ou indirectement responsables ». Et le journaliste algérien de résumer : « Je ne veux pas le justifier, mais le terrorisme en Algérie, il a une cause : c’est le comportement des responsables au sein de l’armée qui ont volé tout le pays. »
Lorsque, le 8 février 2001, sort le livre La Sale Guerre, c’est une déflagration. Le Monde en fait sa « une » le jour même. C’est une victoire pour Habib Souaïdia… et un camouflet pour Mohamed Sifaoui. Car, une semaine avant sa sortie, le journaliste a tenté de s’opposer à sa publication. En vain.
Autrefois alliés, Habib Souaïdia et Mohamed Sifaoui se sont déchirés au cours de l’élaboration du texte. Dans plusieurs ouvrages qu’il écrira ensuite, dont La Sale Guerre. Histoire d’une imposture (Chihab, 2003), publié par une maison d’édition algérienne, Mohamed Sifaoui racontera sa version. Il accuse François Gèze d’avoir fait pression sur Habib Souaïdia pour charger le régime de tous les maux et exonérer les islamistes. Totalement faux, s’indignent Habib Souaïdia et François Gèze. Ils assurent au contraire que Mohamed Sifaoui a cherché à modifier à plusieurs reprises le témoignage original de l’ancien sous-lieutenant, y ajoutant des erreurs factuelles, dans le but, selon eux, de décrédibiliser son témoignage et donc le livre.
Retournement de veste
A cela s’ajoute une mesquine histoire d’argent que le prolixe Sifaoui n’a jamais évoquée dans ses récits. Aux deux Algériens, François Gèze avait versé 50 000 francs d’à-valoir. Charge à Sifaoui, alors le seul à détenir un compte bancaire en France, de reverser la moitié de la somme à Souaïdia. On sera loin du compte, assurent l’ex-sous-lieutenant et l’éditeur. Souaïdia demandera son dû à son compatriote à plusieurs reprises. Sans succès. Un coup tordu qui n’est jamais passé pour Matthieu Chanut et Vincent Brossel : « Habib avait besoin de cet argent pour vivre et Mohamed la lui a faite à l’envers. »
Peu importe à Mohamed Sifaoui, qui intente dans la foulée un procès aux éditions La Découverte : il s’indigne que son nom apparaisse sur la première édition du livre, qu’il considère « comme un tissu de mensonges », et réclame tout de même sa part de droits d’auteur – le livre, vendu à 70 000 exemplaires, est un succès de librairie. Le journaliste obtient 6 000 euros de dommages et intérêts, mais perd sur la question des droits d’auteur.
Mohamed Sifaoui aura sa vengeance un peu plus tard, et de façon magistrale, lorsque le général Khaled Nezzar, ancien homme fort du régime algérien, attaque Habib Souaïdia pour diffamation. Le journaliste, qui quelques mois auparavant n’avait pourtant pas de mots assez violents pour dénoncer ce régime, vole au secours du général. Conscient de l’invraisemblance de la situation, Mohamed Sifaoui s’en expliquera lors du procès en rendant hommage à Nezzar et à ses collègues militaires « pour avoir arrêté le processus électoral et pour avoir empêché des islamistes, des intégristes, de faire de l’Algérie un autre Afghanistan. »
Plus de vingt ans après, le discret Habib Souaïdia, qui tient aujourd’hui un magasin de vêtements chics à Paris, est convaincu que le journaliste a été « retourné » par les services algériens. L’ex-spécialiste de l’Algérie à Libération, José Garçon, a longtemps soupesé cette hypothèse, avant de se faire sa propre idée : « Pour moi, cette histoire est d’abord la démonstration que c’est avant tout un effroyable opportuniste. »
Depuis le procès intenté par Nezzar contre Souaïdia, Mohamed Sifaoui a définitivement choisi son camp. Il devient l’opposant intransigeant et acharné aux islamistes du monde entier, d’autant plus valeureux qu’il est lui-même musulman. A l’époque directeur de la rédaction de Marianne, Jean-François Kahn lui met le pied à l’étrier : « Mohamed nous a beaucoup aidés dans notre combat éditorial contre tous ceux, et notamment Libération, qui avaient tendance à relativiser la responsabilité des islamistes dans les atrocités commises en Algérie. »
Jean-François Kahn lui commande ses premiers papiers. Sa carrière de journaliste est relancée. Et, le 11 septembre 2002, un an après les attentats aux Etats-Unis, il sort son premier livre, La France malade de l’islamisme. Menaces terroristes sur l’Hexagone, avec une préface du patron de Marianne (Le Cherche Midi). Sa thèse tient en une phrase : « Au cours des vingt dernières années, l’idéologie islamiste s’est propagée dans les couches de l’immigration comme se propage une maladie endémique et contagieuse, sans que la société française ait eu le temps de s’en apercevoir. »
Et déjà pointe son obsession sur le port du voile, « un signe d’appartenance à une idéologie extrémiste ». Elle ne le quittera pas. La machine Sifaoui est lancée : une vingtaine de livres, presque autant de documentaires, deux bandes dessinées et même un scenario de film. Tout tourne autour de ses thèmes de prédilection : l’islamisme, la menace terroriste, le communautarisme. Avec souvent un parfum de scandale et de controverses.
Un tuyau percé dans l’affaire Estelle Mouzin
Son premier documentaire, Enquête sur un réseau (islamiste), réalisé avec la journaliste Florence Bouquillat et diffusé le 27 janvier 2003 sur France 2 – qu’il déclinera dans la foulée en livre au titre plus accrocheur, Mes “frères” assassins. Comment j’ai infiltré une cellule d’Al-Qaida (Le Cherche Midi) – fait immédiatement polémique. Le film suit un dénommé Karim Bourti, un salafiste déjà condamné par la justice, qui évoque, en caméra cachée, l’hypothèse d’un attentat contre la tour Eiffel. Même si le documentaire ne parvient pas à démontrer son appartenance à la mouvance Al-Qaida, l’effet de buzz est immédiat.
Mohamed Sifaoui est invité à « Tout le monde en parle », le talk-show de Thierry Ardisson. « Arrêt sur images » y consacre une émission. Sur le plateau de Daniel Schneidermann, Florence Bouquillat semble émettre, à demi-mot, des réserves sur sa collaboration avec son collègue : « J’ai fait attention dans ma manière de travailler avec lui, par exemple à toujours garder les cassettes avec moi. » Publiquement, elle en restera à cette phrase sibylline.
Sauf à de très rares proches, la journaliste n’a jamais raconté que, quelques jours avant la diffusion du documentaire, elle a reçu un coup de fil des policiers du Quai des Orfèvres l’invitant à venir les voir. Intriguée, elle s’y rend. Et découvre qu’ils connaissent les moindres détails des entretiens réalisés. Pour elle, cela ne fait guère de doute que Sifaoui les avait tenus informés de l’état d’avancement de leur enquête.
Contactée, Florence Bouquillat n’a ni infirmé ni confirmé cet épisode. En parallèle de ses activités de journaliste, Sifaoui travaillait-il avec la police française ? Patron de la Crim’ à l’époque, Frédéric Péchenard ne le confirme pas, sans pour autant l’exclure : « A ma connaissance, jamais M. Sifaoui ne nous a donnés d’informations, mais il se disait qu’il en donnait aux RG [Renseignements généraux], mais je ne sais pas si c’était vrai. » Quoi qu’il en soit, Florence Bouquillat et Mohamed Sifaoui ne se parleront plus jamais.
Les polémiques se suivent mais ne se ressemblent pas. Quatre ans plus tard, en marge de son enquête J’ai infiltré le milieu asiatique (Le Cherche Midi), qui a aussi fait l’objet d’un documentaire diffusé sur TF1, Mohamed Sifaoui est d’abord accusé d’avoir tenu des propos racistes en déclarant que « la majorité des Asiatiques que j’ai fréquentée n’a absolument rien à foutre de la communauté nationale. Ils sont là pour gagner de l’argent ».
Mais, surtout, le journaliste a confié à la police avoir recueilli, pendant son enquête, des informations décisives selon lesquelles le corps d’Estelle Mouzin, une fillette disparue depuis 2003, se trouverait sous un restaurant chinois. Après la garde à vue de dix personnes, la démolition du sol du restaurant et la découverte d’ossements… d’animaux, la piste se révèle un tuyau percé. Ce genre de mésaventure aurait dû ruiner la crédibilité de n’importe quel journaliste. Mais pas celle de Mohamed Sifaoui.
Le messie d’une gauche à cheval sur la laïcité
L’homme sait rebondir. Grâce notamment au soutien de l’essayiste Caroline Fourest, il va assez vite se constituer un réseau d’amitiés et de fidélités assez puissant. De gauche, mais d’une gauche très à cheval sur la laïcité, hostile, par principe, au port du voile et très en soutien d’Israël. De Philippe Val, le patron de Charlie Hebdo puis de France Inter à l’ex-premier ministre Manuel Valls, en passant par l’ancien leader de SOS Racisme Malek Boutih. Tous ont refusé de répondre à nos questions. Sauf Bernard-Henri Lévy.
Lui se souvient d’avoir découvert Mohamed Sifaoui à la télévision en 2003. Une sorte d’apparition. « J’ai rêvé toute ma vie de trouver des ponts vivants entre le monde musulman et le monde juif. C’est tellement important un musulman qui de l’intérieur condamne l’islamisme radical et l’antisémitisme et promeut la fraternité avec les juifs. Mohamed fait partie des grandes voix qui expriment cela et il n’y en a pas beaucoup. »
e télévision, il parle fort et de façon péremptoire. Multipliant les formules parfois blessantes, pour ne pas dire insultantes envers la communauté musulmane. « Il fait partie de ces gens qui, par ignorance ou intérêt, ont fait de l’islam un sujet noir ou blanc. Il a pris la place du musulman qui dit du mal de l’islam, car il a bien vu que c’était vendeur », dénonce Hakim El Karoui, essayiste, chercheur associé à l’Institut Montaigne, auteur d’un rapport sur l’islam de France.
Cela ne l’a pas empêché d’intégrer le bureau national de SOS Racisme entre 2009 et 2012, puis celui de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) en 2016. Dominique Sopo, le président de SOS Racisme, le défend encore aujourd’hui : « Même si ses analyses sont un peu mécaniques, il connaissait très bien le sujet de l’islam politique. Ce n’est pas l’escroc intellectuel que ses détracteurs veulent dénoncer… »
Vrai faux croyant
Le procès contre Charlie Hebdo, en 2007, va être son moment. « C’est lui qui nous propose de nous soutenir, se souvient un ex-Charlie qui souhaite rester anonyme. Il était l’un des rares à dire : “Je m’appelle Mohamed Sifaoui et je n’ai aucun problème à soutenir la démarche de Charlie.” » A la sortie de l’audience, les caméras et les micros se ruent vers lui. « Vous, en tant que musulman croyant et pratiquant, vous ne vous êtes pas sentis offensé par les caricatures ? », lui demande un journaliste. Réponse : « Non, je suis offensé quand des musulmans tirent en mon nom, au nom de l’islam et au nom de ma religion. »
Croyant, Sifaoui ? Quatre ans plus tôt, sur le plateau de Thierry d’Ardisson, il déclarait déjà : « Moi, je suis croyant, il ne pourra m’arriver que ce que Dieu m’aura prescrit. » Pourtant, tous ceux qui l’ont bien connu nous ont tous affirmé la même chose : Mohamed Sifaoui n’est ni croyant ni pratiquant. Ce n’est que dans son livre Une seule voie : l’insoumission (Plon, 2017), qu’il reconnaîtra que s’il a été croyant quand il était enfant, il a ensuite longtemps cru en son « agnosticisme », « avant d’être finalement convaincu de ne croire en aucun Dieu ».
Il faut parfois nuancer ce que dit Mohamed Sifaoui en public. Y compr
is devant les sénateurs. « Tous ceux qui défendent la République et la laïcité sont tous mes copains », a-t-il par exemple déclaré le 15 juin. Ce serait trop simple. Car l’homme a un immense talent pour se faire des ennemis, y compris avec des gens censés défendre les mêmes idées que lui.
Le 18 novembre 2015, il est en plateau sur France 2 pour une émission spéciale sur les attentats du Bataclan, lorsqu’il se lance, de façon aussi soudaine que brutale, dans une diatribe contre Latifa Ibn Ziaten, la mère d’un militaire assassiné par Mohamed Merah en 2012, qui depuis s’est engagée dans un travail de sensibilisation dans les écoles contre les fanatismes de toutes sortes : « Ce n’est pas parce qu’une personne perd son fils (…), qu’on doit la sortir de ses fourneaux pour en faire une égérie de la lutte contre le terrorisme. » Trois ans plus tard, le 12 février 2018, il récidive, encore plus violent : « Le voile qu’elle porte est porté par l’idéologie qui a tué son propre fils. »
Latifa Ibn Ziaten, qui se couvre les cheveux avec un foulard depuis la mort de son fils, en signe de deuil, dépose plainte pour diffamation. Mal lui en a pris. « Je suis sortie du tribunal en pleurant, se rappelle-t-elle aujourd’hui. Il n’a même pas fait l’effort de s’excuser… Franchement, je n’ai rien compris. » Mohamed Sifaoui est finalement relaxé. « Cette affaire de Latifa l’a rendu fou, décrypte un ancien ami. Pour lui, c’était insupportable que cette mère en deuil incarne ce qu’il est censé incarner : la vraie victime de l’islamisme politique. Et, en tant que victime, il considère que tout le monde a une dette envers lui. »
L’éphémère association Onze janvier
Même avec le Printemps républicain, ce mouvement fondé en 2016 sur l’idée d’une laïcité de « combat », avec laquelle il est, a priori, parfaitement aligné, il va réussir à se brouiller de façon incompréhensible. « C’est toujours compliqué de bosser avec Mohamed, répond une vieille amie. Je pense qu’il a un comportement autodestructeur, qui est lié à son syndrome post-traumatique. Le fait d’être tout le temps en bataille depuis l’attentat d’Alger contre son journal. Il ne parle que de salafisme du matin au soir. Quand on a été à ce niveau de menaces, d’emmerdes, de polémiques, ça rend à fleur de peau. »
L’ancien président de la Licra Alain Jakubowicz reconnaît bien volontiers que Mohamed Sifaoui, appelé en 2016 au sein du bureau exécutif de l’association, n’est pas un partenaire facile. « Ce n’est pas toujours un homme de dialogue. Pour lui, sa position est non négociable. » Là encore, le compagnonnage avec la Licra se termine dans les drames, en septembre 2017, avec un communiqué de presse rageur. « Je trouvais que l’histoire de Mohamed était une belle histoire personnelle, poursuit Alain Jakubowicz. On a toujours considéré que ce qu’il avait vécu, ses combats, expliquait – ne justifiait pas forcément, mais expliquait – ses outrances. »
De l’aveu de ses proches, les attentats de 2015 ne lui ont pas fait du bien. Ce qu’il pressentait et redoutait, presque seul, depuis plus de dix ans est advenu. Consacré par le « je vous l’avais bien dit », « il s’est radicalisé dans ses positions », relève Jean-François Kahn, qui nuance aussitôt : « Il a eu jusqu’au bout le mérite de ne pas basculer à droite. »
L’islamisme n’a jamais autant tué en France, Mohamed Sifaoui veut plus que jamais faire feu de tout bois. Il mobilise ses amis, active ses réseaux. Au printemps 2015, il annonce créer l’association Onze janvier, pour lutter contre les fanatismes religieux et l’extrême droite. En mai, une assemblée générale à Paris réunit une cinquantaine de membres fondateurs, dont les essayistes Raphaël Glucksmann et Fiammetta Venner – par ailleurs compagne de Caroline Fourest –, le journaliste et fondateur du site Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt, ou encore le directeur général de l’Association française des victimes de terrorisme (AFVT), Guillaume Denoix de Saint Marc.
Les statuts sont déposés en préfecture le 6 juin ; l’adhésion est fixée à 50 euros. « Si des gens qui ont des moyens ne sont pas capables de mettre 50 euros sur la table, explique Mohamed Sifaoui lors d’un séminaire organisé en juin 2015 par La Règle du jeu, la revue de Bernard-Henri Lévy, ils n’ont rien à faire dans un combat qui doit les opposer à des gens qui mettent souvent leur vie sur la table. » Il promet des embauches, mais l’ambitieux projet fait long feu. Guillaume Denoix de Saint Marc résume aujourd’hui : « Il y a eu des prémisses, mais ça a fait pschitt. » Aucun des interlocuteurs sollicités par M n’a été en mesure de dire combien d’argent avait été récolté par l’association Onze janvier. Encore moins à quoi il a pu servir.
Un emploi « peu transparent »
Auprès de l’AFVT, Mohamed Sifaoui va tout de même faire fructifier son combat contre l’islamisme. Avec les attentats de janvier 2015, cette petite association croule sous les demandes et voit ses subventions grimper. Dès avril 2015, le journaliste est embauché. « Guillaume [Denoix de Saint Marc] nous dit qu’il est extraordinaire, qu’il a un carnet d’adresses et va nous aider, nous conseiller », se remémore un administrateur. Après une première prolongation de contrat, Mohamed Sifaoui signe un CDI – trente-deux heures par semaine, 2 250 euros brut, en février 2016.
Pour quelles missions effectuées ? Difficile à dire. Il y a, certes, ces quatre sessions de prévention de la radicalisation auprès d’élus et de cadres municipaux à Sarcelles, en février et mars 2016, facturées 25 000 euros par l’AFVT. Pour le reste, l’apport de Sifaoui dans l’association reste « très mystérieux, et peu transparent », selon le même administrateur. En 2017, le conseil d’administration de l’AFVT s’interroge sur la réalité de son travail, une majorité des membres souhaite son départ. Une rupture conventionnelle est signée en mars 2018.
Mohamed Sifaoui collectionne alors les projets aussi ambitieux que fugaces. Le 11 janvier 2018, il lance la revue Contre-terrorisme, conçue comme un trimestriel. Le juge d’instruction Marc Trévidic ou l’historienne Jacqueline Chabbi font partie des contributeurs bénévoles. Avec une douzaine d’autres personnalités, ils ont même mis quelques centaines d’euros pour aider à la création d’une société éditrice. Las, après deux numéros, le magazine s’arrête, sans aucune explication. Les abonnés – Mohamed Sifaoui en revendiquait 1 500 – en sont pour leurs frais. Tout comme ceux de la chaîne Web Islamoscope TV, lancée par le journaliste à l’été 2020 et qui diffusait, contre un abonnement mensuel de 4,99 euros, du « contenu exclusif » et des « grands entretiens » sur l’islam politique et le terrorisme. Une promesse qui ne dure que quelques mois.
Un passage par la Ligue 1
Puisque aucun de ses projets ne décolle, Sifaoui va cumuler les missions. Entre la fin 2020 et 2022, il signe un premier contrat de consultant (de 39 500 euros) avec le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, qui dépend en partie de Beauvau et dont il connaît bien le nouveau secrétaire général, Christian Gravel, un intime de Manuel Valls. Et, quand Marlène Schiappa a l’idée de lancer son fonds Marianne, son cabinet se tourne à nouveau vers Mohamed Sifaoui, que la ministre connaît. Par l’intermédiaire de l’USEPPM, dont il est devenu administrateur le 20 mai 2017, il recevra environ 60 000 euros.
« La grande phrase de Sifaoui, c’était : “Il faut mutualiser les sources de revenus” », se remémore Raphaël Saint-Vincent, un formateur en close-combat qui l’a fait rentrer à l’USEPPM avant de s’en mordre les doigts. Alors Sifaoui « mutualise », y compris sur des terrains improbables. Il est un temps salarié de la société de maroquinerie de luxe de Cyril Karunagaran, un étrange touche-à-tout, par ailleurs président de l’USEPPM.
Comme si cela ne suffisait pas, il rédige une dizaine d’articles pour Le Journal du dimanche, puis, entre novembre 2021 et mai 2022, une dizaine d’autres pour l’hebdomadaire dirigé par Caroline Fourest Franc-Tireur. Quitte à se retrouver parfois en situation de potentiel conflit d’intérêts avec sa principale source de revenus, le ministère de l’intérieur. « Je n’ai jamais cru que des gens de mon profil puissent se suffire des trente-cinq heures », expliquera-t-il aux sénateurs.
Dans cette course aux contrats, l’été 2022 marque une accalmie. Mais, dès octobre, une opportunité inattendue et lucrative se présente. « Je range ma carte de presse », annonce alors Sifaoui – façon de parler, lui qui n’a jamais eu de carte de journaliste professionnel. Il devient, à la surprise générale, directeur de la communication du club de football d’Angers, alors dernier de Ligue 1. Loin, très loin de ses terrains habituels. En quelques semaines et à coups de phrases chocs, il réussit à se mettre à dos supporteurs et joueurs. Les journalistes aussi, à qui il reproche, dans des textos insultants, leur « flatulence médiatique ». « Il n’avait ni les codes de la communication ni ceux du football », résume le correspondant de L’Equipe, cible du courroux du dircom’. L’erreur de casting – environ 7 000 euros par mois – prendra fin en avril.
L’argent, tout autant que les idées, voilà peut-être l’un des fils rouges de Mohamed Sifaoui. Il a donné l’impression de courir après toute sa vie. A RSF, il y a vingt ans, ils sont plusieurs à lui avoir prêté quelques centaines d’euros, sans en revoir la couleur. Depuis, les anecdotes de généreux déçus se sont accumulées. Un jour, au tournant des années 2010, c’est un dirigeant associatif qui envoie plusieurs fois son RIB, dans l’espoir de récupérer les 1 850 euros prêtés, en vain. Une autre fois, c’est une avocate parisienne qui fait un scandale en demandant son dû. « Je ne veux pas accabler Mohamed. Mais je connais plusieurs amis communs et il nous a tous tapé un peu de pognon », résume un autre avocat qui lui a prêté « des milliers » d’euros.
Sans rancune : « Pour les gens à qui il s’est adressé, l’argent n’est pas un sujet majeur. » Devant les sénateurs, le 15 juin, Mohamed Sifaoui ne s’est pas étendu sur les questions pécuniaires. Il a souligné qu’il n’est « pas un rentier ». Avant d’ajouter : « Je suis un père de famille avec des enfants à élever, il me faut gagner ma vie (…) mais pas pour un enrichissement personnel. Cela n’a jamais été ma quête d’existence. » Les sénateurs, dans leur rapport, se sont tout de même « étonnés » de son niveau de rémunération. Et l’inspection générale de l’administration, elle, a demandé le remboursement de près de la moitié de la subvention perçue.
Par Yann Bouchez et Grégoire BiseauPublié aujourd’hui à 17h11, modifié à 20h01https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/07/07/de-l-algerie-au-fonds-marianne-les-zones-d-ombre-de-l-intrigant-mohamed-sifaoui_6181007_4500055.html..
Le livre de Tarek Djerroud Camus et le FLN fait valoir un autre point de vue algérien sur les rapports de l’écrivain à la « question algérienne ». Entre essai et récit, l’œuvre ne se veut ni l’apologie d’un saint ni l’excommunication d’un apostat, mais une interrogation personnelle de l’histoire contemporaine de l’Algérie, parfois quelque peu idéalisée.
Pour certains, Camus était un saint, un héros rare, quand d’autres ne voyaient en lui qu’un écrivain inconsistant : pourtant, lui n’était qu’un humain, avec ses hauts et ses bas. […]. En marge d’une longue et difficile quête de justice humaine, nous apprenons par-ci et par-là qu’un homme d’action pourrait être défini par ce qu’il avait bien réussi à accomplir dans sa vie sans oublier ce qu’il avait voulu réaliser sans y parvenir, l’une comme l’autre conséquence pouvait plaider en sa faveur sinon à son désavantage.
Avec cette position, Tarek Djerroud rompt avec les anathèmes qui se perpétuent en Algérie, et parfois en France, depuis la conférence officielle « Albert Camus vu par un Algérien », donnée à Alger en février 1967 par Ahmed Taleb Ibrahimi, alors ministre de l’éducation. L’écrivain y reste condamné comme celui qui, en refusant son nom à « l’Arabe » de L’Étranger et en ne faisant aucune place aux colonisés dans ses romans, avouerait n’être qu’un « tardif défenseur »1 de la domination française en Algérie. Accusé même de vouloir réaliser « de manière subconsciente », « en tuant l’Arabe », « le rêve du pied-noir qui aime l’Algérie, mais ne peut concevoir cette Algérie que débarrassée des Algériens », Albert Camus est réduit à être celui qui a fait passer sa communauté « avant la défense des valeurs universelles ». À ce titre, selon Ibrahimi, Camus, qui ne mérite pas le titre d’« Algérien », « restera pour nous un […] étranger », pour n’avoir pas reconnu « la noblesse de notre combat » et sa « seule issue acceptable : l’Indépendance ».2
Repris sans fin au nom de la critique postcoloniale ou nationaliste, ce verdict, en subordonnant expressément l’algérianité de Camus au critère d’un soutien politique à l’indépendance telle que la voyait le FLN, validait malheureusement l’inquiétude de l’écrivain que les Européens natifs d’Algérie se voient reconnaître leurs droits, comme minorité, à la pleine citoyenneté dans ce nouveau pays.
UN RÉFORMISTE EN QUÊTE DE JUSTICE
Revenant aux faits, Djerroud part du texte de Camus « Réflexion sur la générosité » publié en 1939 dans L’Entente, le journal de Ferhat Abbas. Il passe par son engagement au Parti communiste, sa volonté de faire entendre politiquement la voix des colonisés et sa dénonciation courageuse de la répression des premiers indépendantistes de l’association Étoile nord-africaine et du Parti du peuple algérien (PPA) fondés par Messali Hadj. Il termine sur le Camus de la fin des années 1950, pris en tenaille entre sa sous-estimation de l’aspiration nationale algérienne et la crainte que la surenchère des terrorismes rende impossible toute cohabitation future entre les communautés. Djerroud le dit clairement : la dénonciation du colonialisme français par Camus restait réformiste, dans le sens d’une égalité politique et juridique entre tous les citoyens d’Algérie, sans distinction de religion et d’appartenance communautaire, et cela dans le respect total et inconditionnel des différences linguistiques, religieuses et sociales. Ce rêve de justice et de fraternité avait sa grande part d’illusions, perdues peut-être par avance !
Cette aspiration à un dépassement du système colonial passait aussi par l’appel à remédier sans tarder à la détresse économique du plus grand nombre, notamment avec « Misère de la Kabylie », une série de reportages effectués par Camus et publiés dans le journal Alger républicain en juin 1939. Djerroud y voit un engagement sincère de Camus pour les droits et besoins humains les plus élémentaires, et en premier lieu la justice3. Même si, ajoute-t-il à juste titre, ce dernier ne faisait pas clairement le lien « entre colonialisme et misère sociale ». Djerroud brosse ainsi le portrait d’un Camus non pas « colonialiste » ou « paternaliste », mais humaniste, inquiet et incertain, cherchant, depuis le milieu européen pauvre dont il est issu, sa place face à l’altérité des colonisés. Il voulait faire entendre la voix de damnés de cette terre, dont il n’a cessé de célébrer la beauté et la grandeur.
LES LIMITES DE LA « PENSÉE DE MIDI »
Quant à L’Étranger, il dépeint selon Djerroud « l’autochtone en étranger chez lui, en triste démuni, lequel était même sacrifié à cause d’un faux alibi : le soleil ! ». C’était écrire vrai : le droit discriminatoire de la colonie a fait de « l’Arabe » un « sous-homme » auquel les principes de la République « ne s’appliquaient guère ». Par-delà toute interprétation, ajoute Djerroud, « ce roman, qui se nourrit d’imaginaire comme du réel, venait à pic pour miroiter une réalité quasi quotidienne » de la vie en colonie. Au passage, rappelons que les critiques postcoloniales ou nationalistes de L’Étranger minorent souvent le fait — l’occultent — que ce roman acte la rupture avec la véritable littérature d’apologie du colonialisme, celle dite « algérianiste », jadis représentée par Louis Bertrand et Robert Randau.
Loin du cliché du « colonialiste » dominateur et aveugle, et face à la souffrance et aux revendications de justice et d’indépendance des colonisés, la figure de Camus serait mieux comprise selon Tarik Djerroud dans un rapprochement avec celle de l’instituteur Daru dans la nouvelle de 1957, L’Hôte. Natif d’Algérie, parlant l’arabe, transmetteur du savoir tentant de pallier la famine des habitants, ce personnage refuse l’ordre des autorités de livrer le captif qui lui est confié. À travers lui, l’auteur signalerait tant aux « Arabes » qu’aux Européens quelle quête d’humanité s’esquisse ici entre les deux hommes « dans un « pays […]cruel à vivre » , mais qui pourrait changer avec la volonté de tous ». L’épilogue où l’instituteur se voit condamné de part et d’autre le montre pourtant : l’écrivain n’ignore plus rien de la finitude d’un ordre social qui voue une telle quête à l’échec.
Voulant illustrer une nécessaire « pensée de midi », celle de la juste mesure, Camus a montré les limites de sa vision de « la question algérienne » avec sa proposition fédéraliste très peu réaliste de 1958. « Camus, écrit là aussi Djerroud, pouvait être lucide sur beaucoup de problèmes de son temps. […]. Mais il resta très aveugle sur l’art d’écraser l’ignominie coloniale en Algérie ».
Du livre de Tarik Djerroud, retenons l’invitation lucide à penser l’avant et l’après 1962 sans céder ni aux simplismes de l’histoire officielle ni au mythe de l’écrivain maître du bonheur comme du malheur d’un monde qui souvent l’écrase par son indifférence assourdissante. Car il serait absurde de faire porter la responsabilité de la conquête coloniale et ses conséquences, mais aussi les massacres et atrocités d’une guerre de sept ans à un écrivain broyé dans ses affres.
Une femme palestinienne marche près de sa maison détruite, après un raid israélien de deux jours à Jénine, en Cisjordanie occupée par Israël, le 5 juillet 2023 (Photo, Reuters).
«L'impunité dont jouit Israël pour ses actes de violence depuis des décennies ne fait qu'alimenter et intensifier le cycle récurrent de la violence», ont ajouté les expertes
Les deux jours de raids de cette semaine ont représenté l'assaut le plus féroce contre la région depuis la destruction du camp de réfugiés de Jénine en 2002
NEW YORK : L'offensive israélienne contre le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie occupée cette semaine, qui a tué au moins 12 Palestiniens dont cinq enfants, pourrait constituer un crime de guerre, ont déclaré mercredi des expertes de l'ONU.
Des maisons, des immeubles et d'autres infrastructures ont été endommagés au cours des deux jours de raids, lundi et mardi, et plus de 4 000 Palestiniens ont été contraints de fuir.
Les actions d'Israël constituent «des violations flagrantes du droit international et des normes relatives à l'usage de la force et peuvent constituer un crime de guerre», ont déclaré Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l'homme dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, et Paula Betancur, rapporteuse spéciale sur les droits de l'homme des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays.
«Les attaques ont été les plus violentes en Cisjordanie depuis la destruction du camp de Jénine en 2002», ont-elles ajouté.
Albanese et Betancur ont souligné que des équipes d'ambulanciers s'étaient vu refuser l'accès au camp de réfugiés, empêchant ainsi les blessés de recevoir une assistance médicale.
«Il est déchirant de voir des milliers de réfugiés palestiniens, déplacés à l'origine depuis 1947-1949, contraints de quitter le camp dans une peur abjecte au milieu de la nuit», ont-elles déploré.
Les rapporteurs spéciaux font partie de ce que l'on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Ce sont des experts indépendants qui travaillent sur une base volontaire, ne font pas partie du personnel de l'ONU et ne sont pas rémunérés pour leur travail.
«Amplification de la violence structurelle»
Albanese et Betancur ont également dénoncé l'opération «antiterroriste» menée par Israël et ont signalé que le droit international ne justifiait pas de telles actions.
«Ces attaques constituent une punition collective à l'encontre de la population palestinienne, qualifiée de “menace collective pour la sécurité” aux yeux des autorités israéliennes», ont-elles indiqué.
Elles ont également exprimé leur «grave inquiétude» concernant les armes et les tactiques déployées au moins à deux reprises au cours des deux dernières semaines par les forces israéliennes contre la population de Jénine.
«Les Palestiniens du territoire palestinien occupé sont des personnes protégées par le droit international, auxquelles sont garantis tous les droits de l'homme, en particulier la présomption d'innocence», ont souligné Albanese et Betancur.
«Ils ne peuvent être traités comme une menace pour la sécurité collective par la puissance occupante, d'autant plus qu'elle poursuit l'annexion des terres palestiniennes occupées, ainsi que le déplacement et la dépossession de leurs résidents palestiniens».
Les opérations menées par Israël à Jénine représentent «une amplification de la violence structurelle qui imprègne» les territoires palestiniens occupés depuis de nombreuses années, ont-elles ajouté.
«L'impunité dont jouit Israël pour ses actes de violence depuis des décennies ne fait qu'alimenter et intensifier le cycle récurrent de la violence.»
Les expertes de l'ONU ont demandé qu'Israël soit tenu responsable, en vertu du droit international, de son «occupation illégale et des actes de violence qui la perpétuent».
Elles ont soutenu : «Pour que cette violence incessante prenne fin, l'occupation illégale d'Israël doit cesser. Elle ne peut être corrigée ou améliorée à la marge, car elle est erronée au plus profond d'elle-même.»
Un Algérien se souvient du 5 Juillet 1962, fête de l’indépendance nationale, un jour indélébile de la mémoire algérienne. Mais enfin, comment en est-on arrivé là ? Et à quel prix ? Du 5 juillet 1830 au 5 juillet 2023 : de la prise d’Alger au 61e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
Le 5 juillet 2023, l’Algérie célèbre son 61e anniversaire de l’indépendance. Fanfares, défilés, parades, concerts et feux d’artifice sont prévus dans chaque grande ville d’Algérie. Une date hautement symbolique sous le signe de l’unité nationale, mais qui ne doit pas faire oublier ce passé «chargé» de faits et méfaits d’une colonisation française extrêmement violente. Après des décennies d’humiliations, de bouleversements et de répressions sanglantes, l’heure de l’indépendance est à la joie indélébile et au bonheur d’une nouvelle renaissance qui reviennent de droit à ses vrais habitants, les Algériens.
L’Algérie, qui depuis l’Antiquité a subi et supporté toutes les dominations et occupations possibles, devient un Etat indépendant le 5 juillet 1962, un jour indélébile de la mémoire algérienne qui ne ressemble à aucun autre, magique et inoubliable. Dans mes souvenirs d’enfance, c’est une alternance de fêtes et de moment de tristesse et de deuil pour les disparus sans sépultures où nos chouhada sont en quelque sorte encore présents. La joie : mon père et mes deux frères venaient d’être libérés. Le deuil : un parent proche sans sépulture, «disparu» durant la Bataille d’Alger. Mémoire et reconnaissance en ce jour magique sur l’admirable courage des familles de chouhada, des femmes violées, des martyrs des «enfumades», des rescapés des camps de regroupements, des enfants de disparus, des enfants nés sous X, des irradiés de Reggane…
L’indépendance nationale, mais à quel prix ?
Le passé est encore douloureux, cimenté dans nos mémoires collectives, les blessures béantes et les cicatrices indélébiles toujours pénibles sont présentes à ce jour. J’étais un jeune Algérien âgé de 12 ans à l’époque ; je me souviens de ce jour magique que je ne pourrai jamais effacer de ma mémoire.
Le 5 juillet 1962, un climat de liesse règne, notre immeuble à La Casbah d’Alger s’est vidé pendant une semaine. Tout le monde était dehors. Les gens ne dormaient pas, ne mangeaient pas, ne travaillaient pas, de jour et de nuit. A Climat de France, chez ma sœur, avec mes neveux, on repeignait les murs et façades d’immeuble en blanc, puis on ajoutait des inscriptions «Vive l’indépendance», «Tahia El Djazaïr»… Je me déplaçais aussi partout dans les rues d’Alger, sur les capots de voiture, criant ma joie. Je me suis blessé, j’ai perdu deux dents en tombant de l’arrière d’un camion à la rue de la Lyre. Ce moment est cimenté dans ma mémoire. Quand j’y pense, aucune citation ou émotion ne peut le résumer.
Un jour magique : c’est une journée qui ne ressemble à aucune autre. En ce 5 Juillet 1962, l’Algérie fête, dans la frénésie, l’indépendance que doit proclamer le soir-même le général de Gaulle. Cent trente-deux ans de colonisation jour pour jour après la prise d’Alger par les Français… Hommes, femmes et enfants défilent dans les rues, au cri de «Vive l’Algérie indépendante», vêtus de leurs habits de fête, drapeaux du Front de libération nationale (FLN) au vent. C’est un événement que l’on ne vit qu’une fois. De tous les villages, toute la population venait, les hommes, les femmes de tous âges. Ils dansaient, ils chantaient. On se rencontrait, on criait. C’était l’euphorie.
La population goûte à la liberté retrouvée, les combattants de l’Armée de libération nationale (ALN) paradent dans les rues, les exilés préparent leur retour et les chefs politiques s’apprêtent à endosser le costume de gouvernants. Avec l’indépendance, arrachée après plus de sept années de guerre et la victoire du «oui» au référendum du 1er juillet, sonne l’heure de la délivrance. Tandis que les adultes emménageaient dans les appartements laissés vacants, les gamins s’adonnaient au pillage des magasins.
C’est un peu comme si tous les habitants du 93 s’installaient sur les Champs-Elysées. Il faut imaginer les boutiques laissées à l’abandon… Je me suis d’ailleurs allégrement servi pour jouer au Robin des Bois. De Bab Azzoun, j’ai ramené des rouleaux de tissus que j’ai offerts à toutes les voisines de notre immeuble. Les bijouteries étaient vides ! Tout le monde se servait. Tout le monde était content.
La plus grande joie a été le retour à la maison de mes deux frères. Ils rentraient sains et saufs chez eux, dans un pays libéré, après avoir été incarcérés dans la prison de Serkadji et condamnés à mort. J’avais 12 ans, cette nuit du 5 Juillet 1962, la grande surprise et beaucoup d’émotion, c’est le retour mes frères Mohamed et Laadi, condamnés à mort, ils ont été libérés. De la prison Barberousse, à une demi-heure de notre domicile du 24, rue Randon (actuellement rue Amar Ali), ils sont arrivés la nuit accompagnée d’au moins une dizaine de prisonniers libérés et ne sachant où dormir, le temps de passer la nuit puis de rejoindre leurs familles.
Ma mère leur a préparé des cafés et des boissons. Tout le monde dans notre immeuble criait et pleurait de joie, les femmes lançaient des youyous stridents. Ils sont venus voir et félicité ces hommes qui ont donné leur vie pour l’indépendance de l’Algérie. Les voisins frappaient continuellement à notre porte pour embrasser mes deux frères. C’était la joie des retrouvailles, des pleurs, des rires, des moments inoubliables cimentés dans ma mémoire. Les hommes fatigués parlaient sans cesse, dansaient, chantaient et refusaient de dormir.
Le lendemain, mon frère Mohamed est parti rejoindre ses amis de La Force locale, en l’occurrence le Commandant Azzedine, le capitaine Nachet et les frères Oussedik. Une nuit inoubliable, magique, bien cimentée dans ma mémoire de jeune Yaouled. Pendant leur absence, des armes et de l’argent étaient dissimulés sous le lit de mes parents. Je me rappelle, j’étais avec mon frère Mohamed à un siège de la Force locale, j’ai pris un revolver dans un appartement à Diar Djamaâ que j’ai caché dans mon cartable.
C’est un local où il y avait des grenades, des revolvers et plein de munitions. En fait c’était un dépôt de munitions de la force locale. Mon neveu Faouzi a pris une grenade, puis après je ne sais pas s’il l’a donnée à quelqu’un. Ce revolver je l’avais toujours lors des manifestations du 5 Juillet 1962 caché dans mon cartable lors de la rentrée scolaire en 6e au lycée Guillemin, devenu plus tard lycée Okba. Puis de peur je l’ai jeté dans une des rues de La Casbah.
Pendant ce temps-là, la fête battait son plein. Avec des copains armés, on a tourné dans les quartiers européens, sur les capots des voitures, en criant de joie «Tahia El Djazaïr». D’ailleurs, je me suis blessé en tombant d’un camion rue de la Lyre. Le 5 juillet 1962 restera pour moi une fête inoubliable. Historique cette ambiance festive, cimentée dans ma mémoire. Même avec la bouche en sang et deux dents cassées. Sur les capots des voitures, des jeunes filles bien habillées brandissaient des drapeaux.
Cette fête est inoubliable, cette ambiance festive…
Des cris de joie, des larmes et des youyous dans les villes, villages, douars et quartiers d’Algérie. Des dizaines de milliers de femmes, d’enfants et d’hommes ont chanté et dansé sur les places d’Alger et au square Port Saïd transformé en piste de danse. Fanions, guirlandes et drapeaux vert et blanc avec l’étoile et le croissant rouges envahissent les rues. Des enfants bien habillés portent des tenus de fête tricolores, assis sur des charrettes à vélo et plus souvent du haut des camions ou sur les capots de voitures criant «Tahia El Djazaïr», en frappant des mains, chantant et dansant...
A défaut de camions, parfois accrochés à des lampadaires, des arbres, parapets et balcons, occupés par des grappes de gens. Le drapeau algérien est fièrement déployé aux fenêtres. Les femmes vêtues de blanc, sans la petite voilette (adjar), poussent des youyous dans les rues. C’est du jamais vu dans l’histoire de l’Algérie. Les villes sont envahies par la foule et les klaxons des voitures. La joie éclate, le bruit et l’excitation extrême, des évanouissements dus à la chaleur du mois de juillet, des cris, des enfants errants, perdus. Et ça durait comme ça des jours et des jours.
Le 5 Juillet 1962 : l’indépendance de l’Algérie est proclamée. Que dire : la joie dans les rues, un peuple colonisé 132 ans qui retrouve son indépendance… Moi le yaouled (gamin) de La Casbah, j’avais 12 ans à l’époque. C’était un moment de folie et d’euphorie. L’exode des Français d’Algérie, qui avait débuté dès le mois de mai, s’est précipité. Pour eux, c’était «la valise ou le cercueil». Ils n’envisageaient pas d’alternative. Bab El Oued, la rue Michelet et la rue d’Isly se sont ainsi vidés de leurs habitants.
Durant les derniers jours, c’était la panique. Le «oui» avait obtenu 99,72% des suffrages lors du référendum du 1er juillet, le premier scrutin loyal depuis 132 ans. Pendant au moins dix jours, Alger n’était plus une ville mais une fête permanente. Les femmes ne parlaient plus, elles poussaient des youyous à longueur de journée. Les enfants étaient redevenus des enfants. Les grands aussi. Il régnait une sorte d’anarchie joyeuse. C’était une joie indélébile, un événement que je ne peux oublier même si je perdais la raison. Après tout ce que nous avions vécu comme persécutions, peur et cauchemar en permanence, c’était comme une révélation divine et une nouvelle naissance. On nous appelait musulmans, Arabes ou indigènes jamais Algériens.
Les Arabes, que les colons accablaient de barbarie, paresse, de vanité...
Le mépris des Européens et les humiliations ont fait de l’Algérien un méchant, un révolté, un révolutionnaire épris de liberté et de justice. Pouvoir vivre sans cette peur, imaginer qu’on peut circuler librement, crier notre joie sans avoir à se justifier était inouï, c’était presque incroyable, inimaginable. Alors qu’on nous avait interdit d’être Algérien et nous étions étrangers dans notre propre pays, nous les bicots, tronc de figuier, ratons, crouilles, singes, bougnoules, sous-homme, ce jour-là, tout semblait permis, tout semblait possible.
Dans toute l’Algérie les gens étaient dans les rues et descendaient des douars environnants pour exprimer leur joie, et beaucoup de personnes, hommes, femmes et familles entières, s’embarquaient au hasard dans des camions en direction d’Alger pour défiler et fêter «l’indépendance». Pour terminer, non à l’oubli et gloire à nos martyrs. Après 132 ans de colonisation, «tout empire périra», l’Algérie revient toute entière à «ses habitants, les vrais». Ce jour indélébile, inoubliable et magique du 5 Juillet 1962 est toujours présent dans la mémoire collective des Algériennes et Algériens.
"Pas de justice. Pas de paix". Ce slogan est le cri lancé depuis les banlieues françaises depuis la mort du jeune Nahel, tué par un policier lors d’un contrôle routier, mardi 27 juin dernier.
Ce slogan, scandé à de multiples reprises lors de manifestations, est arrivé en top tweet sur Twitter après le tir mortel d’un policier qui a tué un adolescent franco-algérien à Nanterre lors d’un contrôle routier.
La justice pour Nahel mais aussi pour tous les habitants des banlieues, les étrangers de France, c’est ce que les manifestants réclament à la France qui ne peut plus cacher son indifférence pour les quartiers populaires et les citoyens d’origine étrangère.
France : les banlieues sous l’effet cocotte-minute
C’est ce même besoin de justice qui a fait exploser les banlieues mais aussi les villes de France. Le décès de l’adolescent a déclenché plusieurs nuits d’émeutes et de violences en France.
Des magasins pillés dans les grosses villes françaises, des agents de police agressés. Des écoles, des mairies, des centres sociaux, des médiathèques ont été envahis et vandalisés après la mort de Nahel et surtout la découverte de la vidéo où l’on voit le policier tirer sur l’adolescent. Preuve que la France a atteint un point de rupture.
Même si le policier a été placé en détention provisoire pour homicide volontaire, la disparition de Nahel est l’événement de trop pour les banlieues françaises.
Le média Blast s’est rendu dans le quartier de Nahel pour interviewer ses proches. Leurs témoignages révèlent le malaise de fond qui a décuplé la souffrance de voir l’un des leurs partir.
"Nahel est mort et les gens ont explosé. Parce que c’est trop. On se fait contrôler. On se fait taper. On se fait humilier. Ils nous parlent mal« , confie Anaïs, une amie d’enfance de Nahel. »C’est impardonnable, il a tué Nahel, il a tué le monde entier", explique-t-elle avec beaucoup d’émotions.
Comme Anaïs qui a perdu un ami et l’espoir qu’elle et son entourage soient estimés par la France, ils sont nombreux dans les banlieues françaises à être dégoûtés d’un système injuste où ils sont perçus comme des sous-citoyens. L’explosion était attendue.
La banlieue en France : ghettoïsation de la pauvreté et de l’immigration
La banlieue ce n’est pas seulement un terme générique, un concept abstrait ou une zone vaguement délimitée en dehors des centres villes. La banlieue représente 1514 quartiers prioritaires répartis sur 859 communes en France. Ce sont environ 5,4 millions personnes qui représentent actuellement 8 % de la population française.
La banlieue est le cœur de la pauvreté française. La moitié de ces 5,4 millions d’habitants vit avec moins de 1.168 euros par mois d’après les chiffres de Statista. Alors que la moyenne de revenus en France est de 1.822 euros net mensuels. Concrètement, la banlieue connaît un taux de pauvreté de plus de 40 %. C’est trois fois plus que la moyenne nationale française.
Ce constat n’est pas récent mais date des années 80, pourtant la France ne parvient toujours pas à améliorer les conditions de vie des habitants de ces zones prioritaires. Le premier plan banlieue date de 1977 avec l’arrivée des problèmes dus à l’isolement de ces populations dans des grands ensembles urbains en périphérie des villes. Cet ostracisme fait naître les premières discriminations, le manque d’égalité des chances.
Dès les années 80 naissent les premiers éclats en banlieue. La première action violente dans les banlieues intervient aux Minguettes à Vénissieux où des jeunes incendient des voitures volées. S’en suivent des décennies de crises régulières. En 1983, la marche des Beurs pour dénoncer les discriminations subies par les habitants de banlieue et les Français issus de l’immigration impose le sujet banlieue comme un débat public.
Pourtant 40 ans plus tard, les pouvoirs publics français peinent encore à donner quelconque réponse. 14 plans banlieues ont été proposés. Les quelques plans concrétisés ont surtout mis l’accent sur la rénovation urbaine ou le classement de ces territoires en tant que zone prioritaire.
Mais ces décisions politiques ne prennent pas en compte les discriminations subies quotidiennement par cette population. La pauvreté, l’échec scolaire et la multiplication des violences policières. Pour sauver les banlieues c’est toute une révolution socio-politique que la France aurait dû lancer, pas seulement des dispositifs bancals.
Karcher, décivilisation : la politique de l’effacement avant tout
La situation actuelle que connaît la France est donc loin d’être inédite. Le pays vit de manière cyclique des explosions sociales, des déclenchements d’émeutes et manifestations violentes.
Dans un précédent article nous rappelions l’étrange écho de ces émeutes avec celles de 2005. Elles avaient également été déclenchées par la mort injuste de jeunes de banlieue. Mais surtout elles faisaient suite à l’échec de plans banlieue et à une série de provocations politiques.
"Le bruit et l’odeur« de Jacques Chirac. »La racaille« à passer »au karcher« de Nicolas Sarkozy. Plus récemment »la décivilisation" d’Emmanuel Macron. Ces trois hommes politiques qui ont été ministres et présidents de la République n’ont pas hésité à déshumaniser les habitants de banlieue dans les moments de crise pour répondre à un agenda politique. Des instants où justement les banlieusards demandaient tout l’inverse. Du respect et de l’égalité.
Effacer la citoyenneté des habitants de banlieue n’a permis que de mettre davantage d’huile sur le feu. Leur existence et leurs problèmes ne sont pris en compte que lors d’échéances électorales, d’élaboration de programmes politiques ou pire dans les discours d’extrême-droite pour justifier le nécessaire durcissement des politiques sociales et migratoires.
L’extrême-droite a profité de la vacance politique dans les banlieues
Ce mépris politique s’est accéléré ces dernières années, notamment avec un surinvestissement de l’extrême-droite et de l’ultra-droite dans le débat public.
Ces tendances politiques ont gagné sur le terrain de l’image et de la peur. Leur manière de diaboliser systématiquement les banlieues françaises a fini par devenir une démarche politique tolérée.
Même sous la pression d’une situation de désespoir, comme celle que vit la France avec la mort de Nahel et le déclenchement des émeutes, l’extrême-droite ne lâche rien. Au contraire, elle développe de nouveaux arguments. Toujours orienté vers la détestation du pauvre et de l’étranger d’origine maghrébine particulièrement algérienne et ce pour des raisons historiques liées à la colonisation et à la guerre d’Algérie. Des idées vides sans fondements.
« Emmanuel Macron doit marteler que la guerre d’Algérie est terminée », disait Yazid Sabeg dans un entretien au Télégramme de Brest en septembre dernier quelques jours seulement après la visite du président français en Algérie.
D’origine algérienne, Yazid Sabeg a élaboré un plan banlieue quand il était commissaire à la diversité sous la présidence de Sarkozy (2007-2012). Mais son plan a été ensuite abandonné après l’élection de François Hollande comme président de la République en 2012.
Vendredi dernier, Eric Zemmour dénonçait encore sur Twitter : "On a dépensé 40 milliards d’euros pour reconstruire ces quartiers avec le plan Borloo, 40 milliards ! Vous voyez le résultat aujourd’hui ?".
De quel plan Zemmour parle-t-il ? Du programme national de rénovation urbaine 2004-2021 ? Comme le rappelle Libération, il "n’a pas coûté 40 milliards, mais 12 milliards". Des milliards consacrés seulement à la rénovation immobilière qui d’ailleurs a bénéficié par la même occasion au secteur du BTP, générant des recettes importantes et des emplois.
Le second plan Borloo présenté lors du premier mandat d’Emmanuel Macron a existé… mais uniquement sur le papier. Le plan Borloo qui était ambitieux a été abandonné à la dernière minute par Emmanuel Macron qui le trouvait trop arriéré. Le Président à l’époque a préféré se concentrer sur le déploiement renforcé de forces de police dans les banlieues.
Par ce genre de phrase, Eric Zemmour devenu l’une des figures dominantes de l’extrême-droite en France continue de bâtir la croyance selon laquelle les habitants de banlieue ne méritent aucun égard. Une forme de théorie de "l’ensauvagement" des cités qui plaît tant à l’extrême-droite et l’ultra-droite.
Ce discours est également repris par le Rassemblement National, par la voix de son président Jordan Bardella, qui appelle à ne surtout plus relancer de plans banlieue, "un cadeau fait aux émeutiers absolument inouï". La colère derrière les émeutes n’est jamais analysée mais seulement instrumentalisée pour diaboliser toujours plus les banlieues.
La tentative d’un basculement vers un conflit racial
L’extrême-droitisation du débat politique en France n’a pas seulement favorisé la crise actuelle. Elle pourrait empirer les choses avec son obsession des banlieues et surtout des origines étrangères particulièrement algérienne de ses habitants. Avec le déclenchement des émeutes, l’extrême-droite a encore gagné du terrain en évoquant constamment une idée de guerre civile et d’émeutes raciales. Alors que la France traverse une crise purement franco-française.
Un discours repris au sein même de la police. Les syndicats Alliance et UNSA police ont publié un communiqué d’une violence incroyable. Dans lequel ils évoquent la notion de guerre contre "des nuisibles« et de »hordes sauvages« . Un discours dangereux qui, en suggérant une fausse guerre, pourrait l’inciter. C’est d’ailleurs ce qu’a dénoncé Jean-Luc Mélenchon dans un tweet. »Les ‘syndicats’ qui appellent à la guerre civile doivent apprendre à se taire", a estimé l’ancien candidat de gauche à la présidentielle.
À cela s’ajoute la "cagnotte de la honte" pour la famille du policier qui a tué Nahel. Lancée par Jean Messiha, zemmouriste de première heure. Plus de 1,6 million d’euros donné à l’homme qui a ôté la vie à un jeune franco-algérien.
Une forme de soutien indécente et raciste, qui acte encore une fois une forme de guerre sourde contre les habitants de banlieue, et par extension les étrangers qui ne se soumettent pas aux règles françaises. Il n’est plus question d’oublier les banlieues françaises mais encore une fois de les effacer.
Ces discours haineux ont des conséquences déjà à court terme. Non seulement sur le sort des banlieues mais plus généralement sur celui des Français ayant des origines étrangères.
Ce mercredi, à Bron, dans la métropole de Lyon, un père et sa fille ont été percutés par des individus se revendiquant d’extrême-droite souhaitant "se faire des noirs et des arabes". Doit-on craindre la multiplication de ce genre d’actes en France ?
Le gouvernement algérien, sur instruction du président Abdelmadjid Tebboune, a décidé d’introduire l’anglais dans son système éducatif et scolaire afin de remplacer la langue française.
L’annonce a déjà été faite le 1er août 2022 par Abdelmadjid Tebboune. Cette décision controversée, prise dans un contexte de tensions entre Alger et Paris, prend effet dès l’entrée scolaire 2023.
C’est une manière pour l’état d’Alger de narguer la France pour l’immixtion de ses dirigeants dans les affaires internes ou externes algériennes.
Bien que la langue française ait longtemps été considérée comme la langue de l’éducation et de l’administration, le gouvernement estime que l’anglais offre davantage d’opportunités sur la scène internationale. Cependant, cette décision a suscité un débat passionné au sein de la société civile quant à son impact sur la culture et l’identité nationale des Algériens.
Le gouvernement a évoqué plusieurs raisons justifiant sa décision de remplacer la langue française par l’anglais.
Tout d’abord, l’anglais est aujourd’hui largement reconnu comme la langue internationale des affaires, de la science, de la technologie et de la communication.
En adoptant l’anglais comme langue d’enseignement principale, l’Algérie espère mieux préparer ses étudiants à s’intégrer facilement dans l’économie mondiale et à accéder à des opportunités d’emploi plus vastes.
Le gouvernement a souligné que l’anglais faciliterait l’accès aux connaissances et aux ressources mondiales. De nos jours, une grande partie des publications scientifiques, des études universitaires et des avancées technologiques sont disponibles en anglais.
En faisant de l’anglais la langue d’étude principale, l’Algérie souhaite permettre à ses étudiants d’accéder à ces ressources sans barrières linguistiques, favorisant ainsi l’innovation et le développement.
Après les classes primaires, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Kamel Baddari, a décidé d’adopter l’anglais comme langue d’enseignement dans les universités algériennes à partir de la rentrée universitaire 2023-2024. Cette démarche intervient après le lancement de programmes de formation au profit des enseignants universitaires en septembre dernier.
Cependant, cette décision suscite des préoccupations de la part des francophiles quant à son impact sur les relations avec la France.
Les Gens du Peuplier. Roman de Arezki Metref, Casbah Editions, Alger 2023, 233 pages, 1 200 DA
Un quartier populaire et populeux, «Le Peuplier», juste avant et juste après l'Indépendance du pays. Et, une bande d'adolescents, malmenés par la guerre et les privations vivant presque en vase clos, se nourrissant de rencontres de foot interminables (avec des balles faites de chiffons), d'illustrés (quand ils étaient disponibles), de films bas de gamme (quand cela était possible financièrement... sinon l'un d'entre eux assistait à la séance grâce à la cotisation puis devait raconter le film), d'échos, bien souvent confus, sur la résistance anticoloniale clandestine et la guerre de libération nationale... L'établissement scolaire était partagé à parts égales avec les soldats de l'armée coloniale. Une situation qui va nourrir l'imaginaire des enfants de la cité, qui vont chacun à sa manière s'inscrire dans une résistance à l'ordre établi.
Dans cette école, refuser de se plier aux injonctions des militaires était perçu comme un acte héroïque digne des moudjahidine, alors qu'exécuter les corvées imposées par les soldats était proche de l'acte de trahison pour ces enfants. Puis, par la suite, avec l'indépendance du pays l'émergence de nouveaux héros (dont Col. Mao, le premier président du pays), et surtout la fréquentation d'adultes originaux racontant leurs «vies» d'antan et d'ailleurs. Toujours enjolivé, cela allait de soi.
On a donc des jeunes vies se croisant : Boubekeur Atamar (fraîchement arrivé dans cette cité en 1958, à l'âge de six ans), le fou de cinéma qui, après les études de cinéma en Urss, s'en ira à Hollywood et sous le nom de Bob Atmar, sera, après avoir été simple script, «oscarisé», Jam, son grand copain, lui aussi fou de cinéma mais qui finira bistrotier à Paris, Lavraq le footeux séduisant par ses tirs et dribbles qui deviendra joueur de l'équipe nationale, Mouloud, futur Dg de l'hôtel le plus prestigieux d'Alger,... Dans le camp des adultes, on a, entre autres, Bouftika le boucher philosophe, Omar l'affabulateur, le «Homère» de la «Cité du Peuplier» et Zoubir alias Zampano «véritable bonimenteur de foire, habile à faire passer le jour pour la nuit»... mais qui a tout même réussi à restaurer son image quelque peu écornée par un gros mensonge à ramener, un jour... à la cité, au Café des Amis,... Anna Karina (venue à Alger tourner un film).
Destins croisés avec, pour certains, des amours d'adolescents se limitant à des échanges furtifs de petits mots ! Destinées différentes ! Portraits d'une génération et, avec elle, d'un pays malmené par les tourments de la guerre puis de la violence. Plus tard, Bob Atmar revient à la cité «Le Peuplier», à ses bras, incognito, la plus célèbre et «la plus rentable» des stars d'Hollywood. Une idée fixe depuis qu'il avait décroché son Oscar de meilleur scénariste de l'année : remettre le Trophée à Baba Salem. Pourquoi donc ? Gabriel Garcia Marquez disait que «la vie n'est pas ce qu'on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient».
L'Auteur : Né en mai 1952 à Sour El-Ghozlane. Sciences Po' Alger. Journaliste-chroniqueur (El Moudjahid, Algérie Actualité, Horizons, Nouvel Hebdo, Le Soir d'Algérie...), écrivain, poète, documentariste, auteur de plusieurs recueils de poésie, de nouvelles et de romans, de pièces de théâtre, d'essais...
Table des matières : Prologue/ Le Peuplier de la cour de l'école/ Aïcha, mère d'un Oas/ Le boucher philosophe/ Omar, notre Homère/ Le sosie de Col. Mao/Zampano amena Anna Karina au Café des Amis/ Maya
Extraits : «On finit pas déduire que parler était un boulot et que ça nourrissait son homme (...).On en était arrivés à la conclusion qu'il était urgent de permuter le dicton, que c'était la parole qui était d'or, et non le silence» (p 84), «Notre vie était partagée entre l'amour de la patrie et l'amour du foot. Souvent, l'un et lautre se rejoignaient» (p 105) «Le bon vieux docteur Benriben (qui) avait tant côtoyé les malades désargentées qu'il avait fini par devenir lui-même un remède» (p107),» Notre existence se tenait là, dans cette rotation de chiffes enroulées en globe. Rouler cette balle sur un terrain boueux ou un tapis de cailloux, était notre raison d'être. Nous en oubliions de boire, de manger, de jouer à d'autres jeux et même parfois d'aller à l'école» (p115), «Par l'un de ces processus imbéciles qu'on finit un jour par comprendre, nous assimilions le foot à la guerre. Il fallait gagner. L'indépendance était en jeu» (p117), «Puis était venu le temps des assassins et de la peur, d'un nouvel exil... Âmes en peine, âmes morts, âmes sans repos, errant à travers la topographie des exils, des villes et des pays des autres» (p231)
Avis : Démarrage de la lecture quelque peu laborieux mais la suite et la fin sont un régal de récit et d'écriture. Avec des portraits savoureux de personnages et des moments... qu'on a, presque tous, à un moment ou à un autre de notre (jeune) vie croisés, affrontés, rencontrés, écoutés... Il ne s'agit nullement d'une chronique du temps qui passe, mais aussi et surtout une interrogation originale sur l'exil, l'amour et le destin du pays.
Citations : «Avoir grandi dans la guerre prédestine à la résistance ou, du moins, à l'une de ses formes, la persistance. Quoi qu'on ait fait de nos vies, elles se sont poursuivies à la fois banales et singulières» (p 28), «Lire, c'est pouvoir relire, et cela permet de se repasser le film, de telle sorte que son organisation permet de relier et de synchroniser l'imagination à son propre rythme» (p 95), «Cette discrétion (note : l'origine) est une vertu américaine reposant sur le postulat : à l'exception des Indiens, tout Américain vient à un moment ou à un autre de quelque part. Ce n'était pas le cas en France...» (pp182-183), «Je ruminais de savoir si l'échec collectif de tout un peuple était la somme des échecs individuels, ou si au contraire l'échec générique de notre peuple avait été distribué en une sorte de rente proportionnelle à chacun» (p207)
Mes cousins des Amériques. Récit de Arezki Metref. Koukou Editions, Alger 2017, 214 pages, 800 dinars. (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel, extraits. Fiche de lecture complète in www.almanach-dz.com/ tourisme/ bibliothèque dalmanach)
Les textes avaient été présentés en «morceaux» par «Le Soir d'Algérie». Hélas, c'est un phénomène lié à la lecture -actuelle- dans notre pays : nous lisons mal notre presse, nous contentant, la plupart du temps, soit d'un parcours très rapide, des titres (et, bien sûr, ce sont les plus «accrocheurs» qui prennent le pas) et «en diagonale» des textes, soit des informations sportives et/ou des mots croisés. D'où, peut-être, car je n'en suis pas sûr, l'ignorance et/ou l'oubli rapide... sauf chez les amis et les mordus du journal ou de la signature.
Heureusement, les «morceaux» sont, aujourd'hui, recollés avec un résultat «magni-fake», qui se lit d'un seul trait. L'histoire d'un «road-trip» comme on en a vu rarement dans notre édition (Peut-être Chawki Amari avec «Nationale 1», un carnet de route sur la légendaire route de 2400 km menant de Bir Mourad Raïs à In Guezzam, Casbah éditions, 2007 ? Peut-être Reda Brixi avec ses grands reportages publiés par Le Quotidien d'Oran ?) et qui devrait se multiplier pour faire connaître certes nos journalistes-écrivains mais aussi et surtout pour mieux (faire) connaître notre pays et le monde, et sortir nos concitoyens de l'enfermement culturel... et idéologique.
L'auteur, grand admirateur de Jack Kerouac (écrivain, poète et romancier américain ; un des chefs de file de la «Beat génération» et des «beatniks», auteur, entre autres, d'un ouvrage, en 1957, qui avait fait date : «Sur la route»), c'est-à-dire bouffé par la «démangeaison du vagabondage» et élevé, fort heureusement, comme beaucoup d'entre nous, au biberon des mythes de la «culture de masse» des années 60-70, a réalisé son rêve : partir à la recherche de l'Algérien en Amériques (Usa et Canada). D'abord au States (San Francisco, Bonanza, Silicon Valley, Salinas, Hollywood, San Diego...), ensuite au Canada «Un berbère au pays des Iroquois» : Montréal, Ottawa...), et une virée marathonienne à New York.
L'Auteur : Voir plus haut
Extraits : (...) «L'Amérique m'a appris à ne pas juger mais à essayer de comprendre» (Un «cousin» d'Amérique, p 62), «Sans doute, y a-t-il un savoir-faire américain, une sorte d'ingénierie dans l'art de créer une histoire avec trois fois rien» (p 65), (...),«A New York, il faut tout le temps tout nettoyer, et quand on a fini c'est juste «pas sale» (Andy Warhol, p 199)
Avis : Du grand, du très grand «grand reportage» !
Citations : «Un voyage se fait en trois fois. Et chacune de ces fois est différente :1-La première en est la conception. C'est la préparation et la projection... 2- La seconde fois, c'est le voyage physique, autrement dit le déplacement...3- Mais pour moi, le meilleur voyage, c'est le troisième. Le moment où l'on écrit les deux premiers...» (p 11), «Où que tu ailles, un Algérien te précède» (p 26), (...)
PS : -Ouvrage d'auteur algérien et édité à l'étranger (en français): «L'Algérie juive. L'Autre moi que je connais si peu» par Hedia Salhi (finaliste du Prix Mohamed Dib 2022). Editions Altaya, Paris 2023. «Une des nuances les plus authentiques d'un creuset multiculturel et multiethnique plusieurs fois millénaire».
- Ouvrage d'auteur algérien édité en Algérie (en arabe) : «Cinquante clés pour l'Indépendance» par Abdelmadjid Merdaci (traduit du français par Khalsa Goumazi).Editions El Hibr, Alger 2023. «Articles de presse sur le mouvement indépendantiste. Des éclairages historiques»
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