La célèbre œuvre d'Albert Camus a été adaptée en une mini-série de quatre épisodes sur France 2, après plus de 40 jours de tournage, majoritairement à Nice.
Une adaptation ambitieuse de “La Peste” d’Albert Camus
Plus de quarante jours de tournage ont été consacrés à l’adaptation du roman le plus célèbre d’Albert Camus, “La Peste”. Cette ambitieuse mini-série, qui comporte quatre épisodes, sera diffusée sur France 2. Les scénaristes Gilles Taurand et Georges-Marc Benamou ont relevé le défi de transformer ce monument de la littérature en une série d’anticipation. Les problématiques soulevées par ce roman ont, selon eux, une résonance particulière aujourd’hui.
L’action se situe dans le sud de la France, sous la direction du réalisateur Antoine Garceau (Dix pour cent, Salade Grecque). Le tournage est un mélange de séquences provenant des différents épisodes, nécessitant une vision globale du projet. Au casting, on retrouve des acteurs de renom tels que Frédéric Pierrot, interprète du docteur Rieux, mais aussi Hugo Becker, Sofia Essaïdi ou encore Judith Chemla.
“La Peste” de Camus, un roman plus actuel que jamais
Le projet de cette série, révélé en 2020 par France Télévisions, est construit en quatre épisodes. Stéphane Sitbon-Gomez de France Télévisions a décrit cette entreprise comme une audace dans le contexte actuel de montée des radicalités et de crise sanitaire. Publié en 1947, La peste est devenu le roman le plus vendu au monde en pleine pandémie de Covid. Pour Frédéric Pierrot, qui incarne le docteur Rieux, l’œuvre de Camus n’a jamais été aussi pertinente.
Une série d’anticipation
L’adaptation de La Peste se déroule en 2029, dans une société autoritaire confrontée à une nouvelle épidémie. Après celle du Covid, on découvre dans une ville du sud de la France un nouveau variant du bacille de la peste, baptisé YP2. Face à l’absence de traitement, le gouvernement décide d’isoler la ville et d’appliquer un mystérieux “Plan D”.
Une adaptation qui nécessite de l’imagination
Les réalisateurs ont dû faire preuve d’imagination pour remplacer Oran et l’Algérie, lieux du récit original de Camus. Selon Georges-Marc Benamou, producteur et scénariste, le contraste entre le ciel bleu, le soleil éclatant et l’étrangeté de la vie a fait que les décors du sud de la France se sont imposés. La série “La Peste” sera diffusée sur France 2 en 2024.
Par Benjamin, publié le 14 juillet 2023 à 18h05, modifié le 14 juillet 2023 à 18h05.
Le 70ème anniversaire de la répression, quasiment inconnue, du 14 juillet 1953 contre un cortège de militants algériens à Paris, se prépare activement (6 Algériens et un Français tués et près de 50 blessés par balles). Dans ce cadre, un collectif s’est créé afin que cet événement dramatiquement oublié puisse être commémoré.
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Est-ce la ville qui fait ses hommes ou est-ce les hommes qui font leur ville ? Si les hommes d'aujourd'hui n'arrivent même pas à gérer leur ville, autrefois, des hommes sont sortis de l'anonymat pour faire de Cherchell une ville d'art et de culture.
Il est dommage que Cherchell connue pour ses musées et ses vestiges ne soit plus gérée par ses hommes de culture mais par ceux qui préfèrent la couleur du béton à l'odeur du jasmin et la pollution de l'air à l'écoute de la musique et ses airs. Heureusement que cette ville a laissé des hommes de lettres et des artistes pour la défendre avec leurs moyens ancestraux : la plume, le pinceau ou le plectre.
Qui, mieux que les Cherchellois notamment ses hommes de lettres et ses artistes, pourraient la défendre et lui rendre ses lettres de noblesse ? Parmi les enfants de cette ville romaine, certains, tels que le plus ancien des herboristes Kamel Djebbour, écrivent des poèmes pour se défouler en attendant des jours meilleurs pour la ville de leurs ancêtres et d'autres, comme Kamel Bouchama, un ancien ministre et ambassadeur, décident de revenir sur l'histoire de Cherchell et de ses habitants connus pour avoir été de grands hommes de science et de culture.
Les érudits de Cherchell
Kamel Bouchama a consacré son avant-dernier livre De Lol à Caesarea à… Cherchell à sa ville natale.
Dans son ouvrage, l'ex-ministre et homme de culture (il a écrit une quinzaine d'ouvrages en arabe et en français) a tenu à rappeler les noms de Juba II qui fut architecte et homme de lettres, Priscianus Caesaeriensis qui était un grand grammairien ayant enseigné à Constantinople et Sidi Brahim El Ghobrini, le saint patron de Cherchell, un maître reconnu en théologie.
L'histoire culturelle et artistique ne s'est jamais arrêtée, car les bonnes graines sont toujours fécondes.
La preuve est donnée par Assia Djebbar qui a gagné sa place à l'Académie française. Avant de devenir académicienne, Assia Djebbar, de son vrai nom Fatma Zohra Imalayène, a écrit des nouvelles, des poèmes, des romans et même réalisé des films. C'est dire que cette romancière est une artiste complète.
Le premier docteur en médecine
Il est à rappeler que le premier médecin algérien à obtenir un doctorat d'une faculté européenne est un enfant de Cherchell. En effet, Mohamed Sghir Belarbey (Belarbi) a eu son doctorat avec la mention «excellent» à Paris en 1884, alors que le premier tunisien l'a obtenu en 1897. Le président du jury lui aurait déclaré : «Nous vous rendons aujourd'hui, ce que nous avons emprunté à vos aïeux.»
Il est à noter que l'un des frères de Mohamed Sghir était médecin au palais du Bey à Tunis alors que le second était interprète. Côté artistique, la beauté de cette ville n'a jamais cessé d'inspirer les artistes. Même si la plupart sont restés méconnus à cause de l'éloignement et du manque de communication, beaucoup ont pu s'imposer au niveau national.
Nora, Nardjess et les autres
C'est le cas de la grande chanteuse Nora qui a obtenu le disque d'or Pathé Marconi en 1970. Mariée au compositeur Kamel Hammadi, Nora a chanté en arabe, en kabyle. L'interprète de Ya Teyyara, Houa Houa a enregistré l'un des rares duos des années 1960 Ya Bensidi avec le regretté Ourad Boumediène. Elle a également chanté et enregistré six chansons en langue française dont la plus connue est Paris dans mon sac.
Dans la chanson hawzi, Nardjess qui vient de faire son retour après une longue absence est actuellement la vraie représentante de ce style aux côtés de la grande Seloua qui est également originaire de cette ville romaine.
Les habitants de Cherchell qui tiennent à garder ce patrimoine pratiquent cet art au sein d'associations très actives telles que Errachidia. Un des descendants de Sidi Brahim El Ghobrini fait partie de cette association qui fut dirigée pendant une longue période par le chanteur Smaïl Hakem qui, malgré ses connaissances n'a pu se détacher de l'imitation de Dahmane Benachour.
Andalou, chaâbi et moderne
Dans le chaâbi, malgré un petit défaut de langue, feu Saïd El Ghobrini, également descendant du saint patron de la ville, avait pu se classer parmi les meilleurs chanteurs de chaâbi des années 1960- 1970. Mohamed Cherchali est aussi un chanteur, parolier et compositeur. Il a écrit des dizaines de chansons pour des chanteurs dont Redha Doumaz.
La chanson Chahlet Laâyani écrite par Abdelhakim Garami, qui était également un chanteur de talent, reste toutefois la plus connue puisqu'elle a été reprise et diffusée dans les pays arabes. Côté musique, tous les spécialistes reconnaissent encore le grand talent du banjoïste Kaddour Cherchali qui fut un véritable maître de l'andalou et du chaâbi.
Pour la chanson moderne, deux artistes sont sortis de Cherchell pour s'imposer au niveau national. Le premier Baâziz, le provocateur à la guitare sèche et harmonica et le second Cheb Bilal, un artiste connu pour son humanisme.
Placée sous la bénédiction de Sidi Brahim El Ghobrini, dont le mausolée mérite une Destauration et une meilleure gestion, Cherchell ne cessera jamais de nous gâter d'art et de culture.
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Nostalgie, quand tu nous tiens...
Uue reste t-il de ma belle ville... Et de son cadre si charmant ? Que restera t-il de l'ilot Joinville... De sa petite plage au sable d'argent ?
Que reste t-il de ses allées... Bordées de fleurs à l'ombre des muriers ? Que reste t-il de son passé... Que de souvenirs de mes rèves premiers.
Que reste t-il de ses jardins fleuris... De "mer et soleil" ce p'tit coin de paradis ? Que reste t-il de ses mausolées... De "Ain Qsiba" cette autre oubliée.
Que reste t-il de son forum punique... D'ou cette foule chantait de joyeux cantiques ? Que restera t-il de ses ruines, colonnes et cirques ? Que sera le destin de ma capitale antique ?
Que restera t-il à ce symbole de ma fierté.. De ce phare tel un géant face à cette immensité ? Au pied de ce "bel-ombra" sans défense je maudissais... Ces engins de mort et cette mer qui reculait.
Sans scrupule "ils" ont terni ta gracieuse image... A vouloir éffacer toute ton histoire... Ceux qui t'ont connue, aimé garderont cet espoir... Revenir un jour, méditer sur ton rivage.
Alors ! que reste t-il donc de CHERCHELL ? Accepteriez-vous cette vérité ? Toujours aussi belles... Sa place romaine et sa mosquée...
Cherchell Coésaréa Aux bords des flots bleus, sous une ombre exquise Cherchell enchanteur, sourit aux passants Nulle par ailleurs aussi fraîche brise Peut-il exister cadre plus charmant ?
L’ombre du passé monte de la terre Coésarée l’antique clame son renom Ruines bouleversées d’une ville entière Colonnes de marbre, buste d’Apollon
Vous, que le hasard conduit à nos portes Et que demain le destin emporte Rappelez-vous que les douceurs de la vie A jamais ne s’arrêtent …… Quand reviendrez-vous ?
L’histoire lointaine de l’Afrique du Nord, au regard des horizons éloignés de son passé, malgré les heurts et les coups portés pour sa destruction, avait survécu aux aléas et les vicissitudes du périple, lors de sa traversée temporelle jusqu’à nous. Elle reste vivante, visible et accrochée à son amazighité, pour le bonheur des générations futures qui, sans doute, prendront le relais pour mettre en œuvre une politique adaptée afin de consolider, dans la joie, sa véritable personnalité algérienne. Les sédiments coriaces et indélébiles des racines d’une culture amazighe qui résiste à l’usure du temps et les frasques meurtrières des invasions successives renseigne sur la résistance et la ténacité du combat de nos aïeux pour préserver leur modèle de vie, forgé autour de l’idéal naturel de la liberté.
L’histoire de l’Algérie ne débuta pas au VIIe siècle, et encore moins en novembre 1954. Les enfants de l’Algérie amazighe participèrent, allégrement, à l’édification des grandes civilisations qui forgèrent la pensée supérieure de l’homme moderne. Nous avons évoqué, dans un récent article, pour retirer de l’oubli le génie de Saint-Augustin, l’Amazigh chrétien, dont l’impact philosophique fut à l’origine de la pensée universelle qui encadre le monde d’aujourd’hui. Sa philosophie des lumières fut, pourtant, destinée à enrichir et éclairer, avant tout, son peuple d’Afrique du Nord. Le monde occidental chrétien saisit l’opportunité de cette aubaine unique pour faire évoluer la pensée de ses peuples et vulgariser, au profit de l’humanité, en faisant sienne la nouvelle richesse du génie amazigh avec ses bienfaits conceptuels de la pensée, comme une évidence, pour étendre son influence sur le reste de l’humanité.
Nous allons déroger, une fois de plus, aux méthodes impassibles de la civilisation arabe pour mettre en lumière et faire connaître les illustres enfants amazighs qui avaient essayé, vainement, de forcer le destin pour créer, en Afrique du Nord, le centre névralgique de la connaissance et de la recherche scientifique.
Mais la pesanteur de la civilisation islamique, à partir du VIIe siècle, vint neutraliser cette volonté, pleine d’entrain, des Berbères portés par l’esprit créateur et animés par le goût d’entreprendre, d’inventer et d’élucider les mystères de la nature et de l’environnement alentour.
L’héritage d’un islam politique étriqué, et loin des préceptes d’origine de l’islam des lumières, avec ses contraintes idéologiques, s’imposa en semant, tous azimuts, la malédiction de la pauvreté dans tous les territoires berbères. Avec des dogmes, dans leurs positions dominantes, forgés comme un socle, de nature intrinsèquement sûre et versée dans une outrecuidance éhontée ; l’islam politique avait toujours écarté de son passage tout ce qui n’est pas conforme ou issu de sa propre philosophie. En d’autres termes, il reste fidèle à l’origine de sa pensée insipide, inspirée par les grands espaces du vide et la profondeur du néant qui caractérise l’opacité des mirages du désert. Une inspiration issue de la horde des Béni Hilal qui achevèrent tout espoir de modernité depuis leur invasion au XIe siècle de notre ère.
En outre, la civilisation arabe avait, néanmoins, un penchant singulier de toujours détruire, écrabouiller, effacer et piétiner, avec une cécité morbide, toute autre civilisation qui lui tient tête et lui fait concurrence. Les concepts d’une pauvreté intellectuelle immuable prennent, alors, place et entravent l’éveil à la raison et l’esprit critique qui conforte la liberté de la pensée. Cet aveuglement, illustré par une pensée statique et indigente, méthodiquement insufflée par les esprits chagrins pour pousser à la haine envers la culture millénaire des aïeux. Par ce comportement, sciemment réfléchi, ils interrompirent la lancée enthousiaste de toute activité intellectuelle riche et fertile du peuple amazigh, affable de liberté et aguerri aux défis de la découverte.
Afin de nous distinguer de cette philosophie défaitiste, nous apportons les histoires glorieuses, hélas, oubliées des enfants de l’Algérie antique, qui avaient l’amour de leur pays et l’ambition de construire ses fondements avec des réalisations pérennes et un savoir envié par tous les peuples de la péninsule méditerranéenne.
L’Afrique du Nord, à travers les Amazighs, avait été pionnière des philosophies qui élevèrent la pensée vers le progrès et la modernité. Une pensée qui naquit sur la terre amazighe et qui, paradoxalement, bénéficia pour les autres nations. Notre fierté avait été érodée, infantilisée et influencée par des slogans nauséabonds qui dénigrent nos ancêtres, en les traitant de mécréants pour nous détourner de leurs lumières.
Nous devons éclairer nos enfants, à défaut de leur apprendre à l’école, qu’ils avaient une histoire et une civilisation derrière eux. Une épopée de laquelle il faut s’inspirer en prenant le modèle comme exemple pour construire leur univers de demain. Notre but serait atteint si notre contribution fait bouger les idées, en suscitant un intérêt quelconque sur le patrimoine culturel, dans son ensemble, de notre pays chez le lecteur algérien.
Nous allons aborder, aujourd’hui, en faisant une approche simplifiée du parcours de Juba II, le plus éclairé et le plus savant des rois. Un autre Amazigh qui marqua son temps par des gigantesques réalisations architecturales et ses immenses innovations et découvertes pour le bienfait de l’humanité et de son pays. Il érigea des infrastructures grandioses, à l’image de sa vision éclairée et moderne pour ouvrir son peuple à l’ère de la marche inexorable vers le progrès. Il fit de sa capitale Césarée (Cherchell, Algérie actuelle) une petite Alexandrie, d’autres lui prêtent l’ambition de vouloir construire sa capitale, à l’image de Rome. Chaque vestige à Cherchell d’aujourd’hui évoque le règne de Juba II.
Parler de Juba II, un vaste sujet où la légende dépasse le simple statut d’un roi numide, pour le situer au cœur de la synthèse de toutes les grandes civilisations qui forgèrent les règles sociétales modernes de notre temps. Le règne de Juba II, avec la déesse Séléné, illustra la synthèse de toutes les civilisations humanitaires, en occurrence, la romaine, l’amazighe et l’égyptienne pour en faire, dans la terre amazighe, la civilisation universelle des hommes.
Juba II est d’une descendance directe de Massinissa. Il fut roi amazigh de la Maurétanie. Fils de Juba Ier, né vers 52 av. J.-C. à Hippone en Numidie (dans l’actuelle Annaba en Algérie) et mort en 23 après J.-C. à Tipaza en Algérie. Mais avant l’avènement de son sacre, il connut les méandres d’un parcours hasardeux, loin de sa terre natale, qui mena sa miraculeuse destinée de Rome jusqu’au royaume de la Maurétanie. César en voulait à Juba Ier qui combattit aux côtés de Pompée (brillant général de Rome qui partagea le pouvoir avec César et qui a été aussi son beau-père), l’ennemi juré de César.
Pompée vaincu, Juba Ier se donna la mort pour éviter les affres d’une mort humiliante orchestrée par César lui-même. Alors, Juba II, âgé de cinq ans, fut élevé à Rome dans une captivité heureuse par Octavia, la sœur d’Octave ; le futur empereur Auguste et fils adoptif de César. Octavia était la première épouse répudiée de Marc Antoine (amant de Cléopâtre VII, reine et dernière pharaon d’Egypte). Juba II et Cléopâtre Séléné reçurent une excellente éducation à la cour d’Auguste. Juba II fut marié par Auguste à Cléopâtre Séléné orpheline (la fille de la grande Cléopâtre VII et Marc Antoine). Il régna avec sa femme Séléné à partir de 25 av. J.-C. sous la protection romaine dans sa capitale Cherchell, appelée à l’époque Césarée de Maurétanie (actuelle Cherchell, située dans la wilaya de Tipaza, en Algérie). Ils eurent un garçon et une fille.
Son fils Ptolémée lui succéda après sa mort et fut assassiné par son cousin, l’empereur Caligula, à Rome. L’empereur Auguste apprécia beaucoup la fidélité et l’adresse de Juba II. Il lui octroya le territoire de son père : la Numidie. Le territoire sous le commandement de Juba II s’étendit de l’océan Atlantique, à l’ouest-sud de l’Afrique du Nord jusqu’aux confins de l’ouest de la Tunisie actuelle. Il couvrit le sud jusqu’à la région de Sétif. Un grand territoire qui dépassa l’étendue du royaume de son ancêtre Massinissa.
Juba II mena, conjointement, avec sa femme Cléopâtre Séléné une politique florissante qui favorisa les arts et la culture en construisant des cirques, des théâtres, des musées, des écoles et des bibliothèques. Ils mirent en valeur la recherche, en encourageant, la recherche scientifique, médecine, métrique, linguistique, mathématiques et l’histoire naturelle. Le couple royal développa des échanges et du commerce avec les pays d’Europe. Ils apportèrent la prospérité et le bien-être dans leur royaume, sous l’œil intéressé de Rome. Le roi de la Numidie envoya des expéditions sur les mers à la découverte des continents. Les flottes des expéditions découvrirent cinq îles dont les îles Canaries et l’île Tenerife, entre autres. Juba II attribua lui-même les noms à ces dernières.
Juba Il rédigea dix-sept ouvrages en grec et en latin. Il avait écrit sur l’histoire naturelle, la géographie, la grammaire du latin, du grec et la grammaire berbère. Il rédigea des fascicules sur la peinture, le théâtre, la danse et le chant lyrique. Seuls quelques fragments de son œuvre ont survécu. La plupart des traités scientifiques, de ses propres ouvrages et ceux de son immense bibliothèque, avaient tous disparu.
Juba II construisit le Mausolée royal de Maurétanie, connu sous le nom du tombeau de la chrétienne, à l’image des pyramides d’Egypte, pour enterrer sa femme Cléopâtre Séléné, selon la tradition des Pharaons. Il édifia le Mausolée en hommage à son rang royal, de sa femme, issue de la lignée pharaonique égyptienne. Le Mausolée fut construit dans la commune Sidi Rached (commune actuelle en Algérie), à une soixantaine de kilomètres à l’ouest d’Alger. D’autres experts affirment, cependant, que l’existence du Mausolée fut antérieure au règne de Juba II.
Après la mort de sa première femme Séléné, Juba II prit comme seconde épouse une jeune princesse anatolienne : Glaphyra. Glaphyra survécut à Juba II et devint épouse d’Hérode Archélaos (gouverneur de la Judée et Samarie en Palestine), en secondes noces.
Juba II mourut en 23 après J.-C. à Tipaza et fut enterré avec sa première femme au Mausolée royal de Maurétanie.
Juba II posséda une intelligence inégalable à son époque, un lecteur assidu, curieux de tout, s’intéresse à tous les thèmes. Il associa l’Algérie à l’histoire romaine et égyptienne par ses liens de mariage avec Cléopâtre Séléné (la fille de Cléopâtre et Marc Antoine). Il donna un nouvel élan pour l’Afrique du Nord, en la plaçant au centre du savoir et de la liberté de la pensée et l’effort intellectuel.
Quel gâchis ! Quelles occasions manquées ! Et nous continuons d’être contre nous-mêmes, en nous entêtant à regarder en masse en direction du modèle de l’Orient, qui, sans cesse, efface, inexorablement, de notre mémoire la culture du style des grands faits et des épopées ambitieuses qui ouvrent l’esprit et qui agrandissent les hommes dans la liberté.
Coïncidence bienvenue, au lendemain des nuits de révolte, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a publié son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. S’en dégage un paradoxe : la « tolérance » est devenue largement majoritaire, mais les préjugés racistes se répandent, notamment dans des médias prompts à stigmatiser les étrangers. Cette haine de l’Autre cible prioritairement l’immigration.
Tel Sisyphe, la CNCDH ne cesse, depuis 1990, de monter et remonter son rocher. Seuls ceux qui ignorent ou négligent ses rapports s’étonnent des violences que vient de connaître la France. De 2005 à 2023, les mêmes causes produisent les mêmes effets, cette fois généralisés aux villes moyennes. Ces émeutes ont un même détonateur : le décès de Zied et Bouna il y a 18 ans, l’assassinat de Nahel cette année. Mais ces morts n’auraient pas produit un tel effet sans la poudrière qu’est devenue la société française, et notamment ses banlieues. Au-delà des « casseurs », des millions de jeunes partagent le sentiment d’être des citoyens de seconde zone.
Le terreau principal, c’est la situation économique et sociale précaire d’une majorité de jeunes, les discriminations concrètes dont ils sont victimes dans des quartiers ghettoïsés et les violences policières qu’ils subissent. Autant de facteurs essentiels dont on peut regretter qu’ils soient trop peu présents dans le rapport 2022 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). En revanche, ce dernier propose une analyse toujours plus fine de la contradiction que les enquêtes révèlent : l’essor de la tolérance et celui, simultané, des préjugés racistes, qu’alimentent de plus en plus ouvertement la classe politique et médiatique1.
Sur ce point, la dernière partie du rapport est claire :
Le bilan de l’année 2022, ainsi que la teneur des campagnes électorales qui l’ont ponctuée conduisent à s’interroger sur les évolutions de la scène politique et médiatique en matière de racisme, d’antisémitisme, de xénophobie. Au-delà du thème déjà ancien d’une identité nationale mise en péril par les migrations, on a assisté à une cristallisation et à un usage désinhibé de préjugés, mensonges, fake news et amalgames à l’encontre de l’étranger. Cette stigmatisation a opéré à visage découvert en réclamant qu’un principe d’inégalité devienne un élément structurant de notre vie sociale, politique, culturelle. Ainsi, l’idée de mettre en œuvre des politiques de « préférence nationale », longtemps portée par le seul Front/Rassemblement national dans la lignée des décrets discriminatoires du début des années 1930, semble maintenant acceptée et banalisée dans les débats politiques et médiatiques. De même, le fantasme d’un « grand remplacement » aura alimenté petits mots et petites phrases au sein de la classe politique.
DES PROGRÈS SIGNIFICATIFS
Pourtant, plusieurs tableaux du rapport 2022 indiquent un recul des théories racistes. À commencer par l’Indice de tolérance cher au sociologue Vincent Tiberj :
I
l en va de même de ce tableau témoignant de la marginalisation du « racisme biologique » :
L’autodéfinition des personnes sur l’échelle du racisme est également encourageante :
Enfin la perception de l’intégration des différentes communautés — à l’exception des Roms — s’améliore depuis le début du siècle :
Malgré ces signes positifs, écrit, dans son avant-propos, le président de la CNCDH, Jean-Marie Burguburu, « les idées racistes favorisant l’exclusion peuvent revenir rapidement dans le débat public quand elles sont endossées et légitimées par des responsables politiques et médiatiques. » Car, poursuit-il, « dans un contexte de crise politique, sociale, économique et identitaire, un certain nombre de personnalités politiques ont activement participé de la politisation du rejet de l’Autre2 figure mouvante aux visages multiples. ».
DES ÉVOLUTIONS NÉGATIVES
La première évolution négative, c’est le nombre d’atteintes racistes aux biens et aux personnes que le rapport recense. D’autant que, malgré les lois antiracistes d’ailleurs remises en cause par l’extrême droite « une large majorité des victimes ignorent leurs droits ou sont réticentes à porter plainte ».
La principale source de la CNCDH, c’est le Service central du renseignement territorial (SCRT), du ministère de l’intérieur :
L’année 2022 a donc vu refluer les trois grandes catégories de faits racistes. Mais, comparée à 2019, avant le Covid, leur recul global est de 17 %, mais « le fait notable est ici une singularité des faits antimusulmans pour lesquels on enregistre une hausse de 22 % » , contre une baisse de 35 % pour les faits antisémites et de 11 % pour les « autres faits ».
Les faits antisémites ont plutôt tendance à reculer sur le long terme depuis le pic de 2004, ce qui n’empêche pas un fort sentiment d’insécurité chez nombre de juifs du fait de leur caractère meurtrier :
Sur le long terme également, les faits antimusulmans connaissent une baisse depuis le pic de 2015, mais restent à un niveau élevé :
Quant aux « autres faits racistes », leur tendance globale est à la hausse depuis 1992 :
Les autres sources utilisées par la CNCDH (SSMSI, police, gendarmerie, Signal Discri, Stro-Discri, Sivis, ministère de la justice, Teo, Tepp, Credoc Dares, Pharos, Défenseur des droits, etc.) confirment l’ampleur des faits racistes. La police et la gendarmerie ont enregistré en 2021 6 267 crimes ou délits. Et, selon le ministère de la justice, toujours en 2021, 7 812 personnes ont été mises en examen, dont la moitié classé sans suite…
Les auteurs d’infractions, précise le rapport, sont une population très mal connue, car, pour une part non négligeable de faits, ils ne sont tout simplement pas identifiés, ou bien, s’ils sont identifiés, ils ne sont pas forcément interpellés.
LE CHIFFRE NOIR
C’est pourquoi le rapport évoque un « chiffre noir », l’ensemble « des actes délictueux qui échappent totalement au radar de la justice fausse en effet les contours du racisme en France […] L’état de sous-déclaration massive des actes racistes auprès des autorités judiciaires accentue la méconnaissance de ce phénomène ».
Et de préciser : « Au total, 1,2 million de personnes de 14 ans ou plus en France métropolitaine auraient été victimes d’au moins une atteinte à caractère raciste (injures, menaces, violences ou discriminations) », soit une personne sur 45. « Qu’il s’agisse d’injures, de menaces, de violences ou de discriminations “raciste”, les personnes immigrées et descendantes d’immigrés apparaissent largement surexposées. »
DES PRÉJUGÉS QUI PEUVENT TUER
Le second signe négatif est celui des préjugés. Or l’affaire Halimi comme la multiplication des victimes maghrébines de la police3 nous rappellent qu’un préjugé peut tuer…
Le rapport conclut notamment à une montée des préjugés sur l’immigration. « Près d’un Français sur deux estime désormais qu’“aujourd’hui en France, “on ne se sent plus chez soi comme avant” (48 %) », soit + 5 % en un an. Ce sentiment est particulièrement présent « chez les personnes se disant “plutôt racistes” (98%) ou “un peu racistes’’ (79 %) […] ou encore chez les sympathisants LR (69 %) et RN (94 %). » Il « semble donc étroitement lié au rejet d’une France perçue comme étant de plus en plus multiculturelle. » Ainsi observe-t-on « une progression de l’opinion selon laquelle “il y a trop d’immigrés en France” : 53 % des Français l’approuvent, en hausse de 4 points par rapport à l’an dernier. » 55 % soutiennent néanmoins le droit de vote des étrangers non européens résidant en France aux élections municipales : plus généralement, 57 % estiment que « les étrangers devraient avoir les mêmes droits que les Français ».
Autre glissement inquiétant :
Une nette majorité de l’opinion rend les immigrés en partie responsables de la situation économique et sociale actuelle du pays, leur arrivée supposément massive étant jugée difficilement supportable pour le modèle social. Ainsi, 60 % des Français pensent que “de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale” un chiffre en nette hausse (+ 8 points).
Et, pour 42 %, + 7 points4, « l’immigration est la principale cause de l’insécurité ».
L’idée, agitée par la droite macroniste comme lepéniste, d’« un fort communautarisme de certaines minorités présentes en France est aussi globalement en hausse ». Ainsi les Roms sont perçus comme « formant un groupe à part dans la société » : 67 % (+ 6 %). Il en va de même, à un moindre degré, des Chinois » (38 %, + 2 %), des musulmans (32 %, + 3 %), des Asiatiques (30 %, + 2 %) et des Maghrébins (24 %, + 3 %).
UNE VISION NÉGATIVE DE L’ISLAM
Une majorité semble même penser que les problèmes d’intégration sont avant tout le fait de « personnes étrangères qui ne se donnent pas les moyens de s’intégrer » (49 %), seuls 35 % mettant en cause « la société française qui ne donne pas aux personnes d’origine étrangère les moyens de s’intégrer ». La première affirmation est plus fréquente chez les personnes se disant « plutôt racistes » (92 %), les sympathisants RN (90 %), les personnes « très à droite » (87%) et les électeurs LR (65 %). La seconde est majoritaire chez les sympathisants Europe Écologie Les Verts (EELV) (56 %) et La France insumise (LFI° (67 %) ainsi que chez les personnes se disant « pas racistes du tout ». Toutefois, seule une petite minorité croit que « les enfants d’immigrés nés en France ne sont pas vraiment français » (22 %, + 2 %) ». Ce sentiment n’est majoritaire que « chez les personnes se considérant comme “très à droite” (54 %) et “plutôt racistes” (78 %) ».
Autre élément positif, l’ensemble des catégories politiques se réclame de la laïcité, mais elles n’en donnent pas toutes la même définition : 57 % y voient « la liberté de pratiquer la religion que l’on souhaite ou de n’en pratiquer aucune », 55 % le fait de « permettre à des gens de convictions différentes de vivre ensemble », 32 % « la séparation des Églises et de l’État » et 25 % « l’interdiction des signes et des manifestations religieuses dans l’espace public ». Pour 15 %, la laïcité équivaut à « la préservation de l’identité traditionnelle de la France » et pour 7 % au « rejet de toutes les religions et convictions religieuses ».
Pour 94 %, il est « grave » de « refuser l’embauche d’une personne noire qualifiée » et pour 92 % d’une personne « d’origine maghrébine ». Il est grave également, pour 80 % , d’être « contre le mariage d’un de ses enfants avec une personne noire » — 77 % dans le cas d’un mariage avec une personne « d’origine maghrébine ». Si 40 % pensent que les réactions racistes peuvent parfois être « justifiées par certains comportements », 56 % estiment que « rien ne peut les justifier ». Progresse toutefois l’opinion selon laquelle « il y a trop d’immigrés en France » : 53 %, soit + 4 %en un an.
Même contradiction sur l’islam. Seuls 32 % en ont une opinion « positive » contre 30 % « négative ». Ils sont même 42 % à considérer que « l’islam est une menace pour l’identité de la France » (+ 4 % en un an). Et de citer des pratiques considérées comme difficilement compatibles avec notre société : « le port du voile intégral » (75 %), le « port du voile » (49 %) et du « foulard » (42 %), « l’interdiction de montrer l’image du prophète Mahomet » (50 %). Mais ils sont 82 % à affirmer qu’« il faut permettre aux musulmans de France d’exercer leur religion dans de bonnes conditions ». Et 85 % des sondés jugent que « les Français musulmans sont des Français comme les autres ».
JUDAÏSME, ANTISÉMITISME ET ISRAËL
Idem pour les juifs. Si 89 % voient en eux « des Français comme les autres », 18 % pensent qu’ils « ont trop de pouvoir en France », 38 % qu’ils « ont un rapport particulier à l’argent » et 36 % que, pour eux, « Israël compte plus que la France ». Ces préjugés sont surtout présents à l’extrême droite, alors que « les sympathisants des partis de gauche et du centre y sont relativement imperméables ».
L’image des juifs pâtit aussi de celle d’Israël, qui « s’est progressivement détériorée ». Depuis novembre 2022, « les jugements négatifs ont nettement pris le pas sur les jugements positifs (34 % vs 23 %) ». L’image de la Palestine s’est aussi dégradée : « 23 % d’évocations positives vs 34 % négatives ». Mais, poursuit le rapport,
le lien entre l’image de ces deux États et le positionnement politique des sondés est plus complexe que ne le suggère la thèse d’un nouvel antisémitisme à base d’antisionisme qui serait passé en bloc de l’extrême droite à l’extrême gauche du champ politique […] L’image d’Israël est toujours plus négative aux deux extrêmes du champ politique et ce rejet n’est pas le seul privilège de l’extrême gauche même s’il y est plus marqué qu’à l’extrême droite.
Selon le rapport, un point commun explique les préjugés racistes : l’ethnocentrisme, défini comme « la tendance à voir le monde au prisme des valeurs et des normes de sa société ou de son groupe, perçues comme supérieures à celles des autres groupes ». Le rejet des minorités relève « d’une même attitude qui consiste à valoriser son groupe d’appartenance (ingroup) et à dévaloriser les autres (outgroups) ». En outre, l’ethnocentrisme se conjugue avec une demande d’autorité :
Le degré d’antisémitisme, d’islamophobie et d’ethnocentrisme varie avec l’âge et le genre (les soixante-huitards et les femmes sont plus tolérants), mais surtout en fonction des options politiques. « L’intolérance s’élève à mesure qu’on se rapproche du pôle droit de l’échiquier politique, où prédomine une vision hiérarchique et autoritaire de la société, explique le rapport. Chez les personnes se situant à l’extrême droite, la proportion de scores élevés […] atteint des niveaux records (94 %, 71 % et 57 %) ».
N’en déplaise à Manuel Valls, expliquer n’est pas justifier. Si « casser » ne fait pas avancer la cause de la jeunesse issue de l’immigration, il serait absurde de ne pas prendre en compte, avec les discriminations dont elle est victime, le harcèlement politique et médiatique qu’elle subit. La lutte pour une véritable égalité des droits est inséparable du combat contre toutes les formes de racisme et de préjugés.
DOMINIQUE VIDAL
Journaliste et historien, auteur notamment de Antisionisme = antisémitisme ? (Libertalia, février 2018) et co-directeur, avec… (suite)
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La capitale algérienne, Alger, est actuellement le théâtre d’un conflit inhabituel, où certains habitants locaux se voient sommés de quitter leur domicile par des descendants de pieds-noirs français.
Ces demandeurs, petits-enfants ou héritiers des colons français qui ont quitté l’Algérie après son indépendance, revendiquent leur part d’héritage. Malgré la légitimité de leurs actes de propriété, cette situation délicate soulève un sentiment de menace constant et une tension palpable chez les habitants de certaines régions de la capitale.
Des habitants d’Alger « sommés » de quitter leurs domiciles par des héritiers de pieds-noirs
Depuis plusieurs mois, des lettres de commandement ont été envoyées à certains résidents d’Alger, les sommant de quitter les lieux au nom de l’héritage des pieds-noirs français. Ces descendants soutiennent que les biens immobiliers que leurs ancêtres ont laissés derrière eux leur reviennent de droit. Ils estiment donc pouvoir revendiquer leur part de cet héritage, quel que soit le temps écoulé depuis le départ de leurs familles.
Ces demandes de départ ont suscité de vives réactions au sein de la communauté algéroise. Bien qu’ils soient propriétaires de droit, certains habitants se sentent menacés et contestent la légitimité de ces revendications, soulignant que de nombreuses années se sont écoulées depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962. Ils estiment qu’il est injuste de remettre en question leur droit de propriété après tant d’années et de générations écoulées.
Les accords d’Évian et l’héritage des colons français en Algérie
D’après l’avocate à la cour Fatima Zahra Benbrahem, les accords d’Évian comprendraient une clause permettant aux pieds-noirs de revendiquer leurs bien en Algérie après une certaine période.
« C’est un problème complexe, car les accords d’Évian ont été rédigés d’une façon très franche. Selon ces derniers, tout Français ayant quitté le territoire algérien après 1962 et voulant revenir au pays après une certaine période est en droit de le faire. Ce dernier peut revendiquer ses biens et en faire usage comme bon lui semble ».
La nationalisation des biens vacants, une solution au problème épineux de l’héritage colonial ?
Cette situation complexe soulève des défis juridiques et politiques considérables. La question de la propriété foncière en Algérie est intrinsèquement liée à l’histoire coloniale du pays, ce qui rend les revendications d’héritage encore plus délicates.
Néanmoins, il convient de noter que le gouvernement algérien a procédé à la nationalisation de tous les biens vacants après le départ des pieds-noirs, cherchant par là à préserver les droits des habitants actuels. Un conflit juridique majeur pourrait-il éclater entre les propriétaires algériens des biens et les héritiers des colonisateurs ?
Propos incendiaires de Kaïs Saïed, racisme systémique, crise économique sont invoquées pour expliquer le déchaînement contre les Subsahariens.
A Sfax, en Tunisie, le 12 juillet 2023, après une semaine de violences contre des migrants subsahariens. FATHI NASRI / AFP
« Quand j’arriverai en Tunisie pour les vacances, je sourirai aux migrants, ce n’est pas grand-chose, mais qu’ils ressentent qu’on n’est pas tous les mêmes », promet Mayssa Ben Abdallah, une étudiante en commerce de 22 ans qui appréhende son prochain voyage dans le pays de son père.
Depuis la mort, le 3 juillet, d’un Tunisien, lors d’affrontements à Sfax entre habitants et migrants subsahariens, la Tunisie est en proie à des violences racistes, encouragées par les déclarations du président Kaïs Saïed. En février, le chef de l’Etat dénonçait les « hordes de migrants » dont la présence serait le fruit d’un complot « pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie ». Depuis, plusieurs centaines de personnes originaires d’Afrique subsaharienne, dont des femmes et des enfants, ont été expulsées de Sfax et conduites aux frontières libyenne et algérienne.
En France, la diaspora tunisienne, qui comptait 328 200 personnes en 2022 selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), est divisée. Certains condamnent les violences à l’encontre des migrants, d’autres leur présence sur le sol tunisien et soutiennent la politique gouvernementale, voire justifient les brutalités sur les étrangers.
« Qu’on les renvoie dans le désert ! »
Sur le marché de Belleville, à Paris, l’absence d’empathie envers les migrants est criante. « Y en a plus que marre ! », martèle un homme en rangeant ses marchandises. L’homme d’une trentaine d’années, qui n’a pas souhaité donner son nom, estime que le nombre de migrants a augmenté en Tunisie, les viols, les crimes, et même les actes de cruauté sur les animaux ont explosé. « Avant, on leur tendait la main, maintenant, ils violent les femmes et ils tuent », renchérit un passant anonyme. Des dénonciations sans précisions ni éléments de preuves mais qui éclairent sur l’état des relations. « Qu’on les renvoie dans le désert ! », conclut ce dernier.
Pour l’étudiante Mayssa Ben Abdallah, le rejet des migrants serait une question d’âge : « C’est vrai qu’une partie de la génération plus âgée tient le même discours que tiennent les Français d’extrême droite. » Mohamed Bhar, ex-coordinateur de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, dans le 19e arrondissement de Paris, condamne sans réserve les violences racistes observées de l’autre côté de la Méditerranée. Le 6 juin, comme chaque été, il est parti à Ksour Essef, à 200 km au sud de Tunis. Quelques jours après son arrivée, dans un supermarché, « quelqu’un s’est mis à lancer que les Subsahariens nous colonisent », témoigne-t-il.
« J’ai très peur des vacances que je vais passer en Tunisie, des discussions qui vont sans doute nous diviser », anticipe la psychiatre et écrivaine franco-tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve. « En France, l’extrême droite s’exprime comme on aurait jamais imaginé il y a quinze ans, ajoute Wafa Dahman, journaliste et enseignante à Lyon. En Tunisie, il se passe exactement la même chose. »
« Nos frères Africains »
Après les violences qui ont suivi la mort de Nahel, tué par un policier le 27 juin, une partie de la classe politique française a fait le lien entre immigration et émeutes. Pour certains immigrés tunisiens, leur pays d’origine répète ce schéma de stigmatisation. « Alors que les Tunisiens peuvent subir cette situation en France, nous, Tunisiens, exerçons la même chose sur nos frères Africains ? », s’indigne Fatma Bouvet de la Maissonneuve.
Parmi les personnes interrogées, les difficultés économiques actuelles de la Tunisie sont mises en avant comme première piste d’explication à la dérive raciste. « Avec la pauvreté, certains ne trouvent pas un bout de pain sec pendant trois jours », assure Ali Choubani, 80 ans, installé devant un lait fraise sur la terrasse d’un café de Belleville.
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« Il y a des files d’attente pour acheter du pain et il manque des produits de base comme la semoule ou le café, poursuit Mohammed Bhar. Certains rejettent les migrants à cause de ça, mais ce n’est qu’une justification, une partie de la population est simplement tombée dans le rejet de l’autre. » Pourtant, au sein de la société civile, certains se sont mobilisés. Des vidéos, filmées notamment à Sfax, montrent des habitants distribuer eau et nourriture aux migrants.
« Les Tunisiens aussi se noient en Méditerranée »
Par-delà la politique et les difficultés du quotidien, l’étudiante en commerce rappelle que la Méditerranée ne fait pas de préférence : « Les Tunisiens vivent la même chose vers l’Europe, ils galèrent et se noient. » Si de janvier à mai 2023, 3 432 Tunisiens, dont 864 mineurs, ont atteint les côtes italiennes, selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, chaque année, des dizaines de jeunes harraga (littéralement des brûleurs de frontières) meurent en mer.
Ces violences sont advenues dans un contexte de négociation de « partenariat global » entre la Tunisie et l’Union européenne, qui souhaite que Tunis renforce ses contrôles migratoires.
L’épisode d’attaques racistes sur les migrants semble passé, mais « personne n’en sortira indemne », s’inquiète Fatma Bouvet de la Maisonneuve. « Ici, j’ai vu des Français pleurer pour les jeunes de banlieue. Nous, on pleure pour ce qu’on fait aux Noirs dans notre pays », raconte la psychiatre, « que deviendra la femme qui a accouché dans le désert ? Son enfant ? Les gamins, assoiffés, qu’on a laissés traîner dans la chaleur ? Tous auront des séquelles, que l’on ne verra pas. »
Par Emma Larbi
Publié aujourd’hui à 19h00https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/13/les-violences-contre-les-migrants-en-tunisie-divisent-la-diaspora-tunisienne_6181858_3212.html.
« Pour la fête des hommes libres, ils ont massacré mes amis », écrivait le poète pied-noir et indépendantiste Jean Sénac en souvenir d’une manifestation qui, avant même le déclenchement de la guerre d’Algérie, s’acheva sur une tuerie en plein cœur de la capitale française. Soixante-dix ans plus tard, la mémoire s’en est presque effacée.
Du 14-Juillet, fête nationale française, on retient avant tout aujourd’hui le défilé militaire sur les Champs-Élysées, les bals populaires et les feux d’artifice. Durant quelques décennies pourtant, cette date, tout comme le 1er-Mai, donna lieu à un grand défilé des forces de gauche, dans un écho sans doute plus fidèle à la prise de la Bastille en 1789. Le premier du genre eut lieu en 1935, dans le sillage de la grande union antifasciste connue sous le nom de Front populaire, apparue après la manifestation d’extrême droite du 6 février 1934.
C’est dans cette tradition politique et pacifique encore récente que s’inscrivait la manifestation du 14 juillet 1953, où les Algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) venaient fermer la marche. Souvent, pour éviter les heurts, on préférait les placer au cœur du cortège, entre des groupes moins susceptibles de se retrouver en conflit avec les forces de l’ordre.
Quand la violence coloniale s’exprime au grand jour en métropole
Place de la Nation, du côté de l’avenue du Trône, les tirs de la police ce jour-là firent pourtant sept morts et au moins cinquante blessés par balles parmi les manifestants. Avant le 17 octobre 1961 et la manifestation du métro Charonne le 8 février 1962, cette répression sanglante fit entrer la violence coloniale en plein Paris, qui plus est dans une journée symbole d’émancipation, y compris pour les sujets de l’Empire.
L’élément déclencheur de la fusillade suscite encore débat. On évoque, en rappel peut-être du massacre de Sétif le 8 mai 1945, des heurts après la tentative d’un officier de police de s’emparer du drapeau algérien. On s’accorde en revanche sur le fait que, très probablement, aucun ordre ne fut donné d’ouvrir le feu et que les premiers coups de pistolet furent tirés spontanément par les gardiens de la paix. Ils firent deux morts et déchaînèrent la colère de la foule au lieu de la faire reculer.
La suite fut un carnage. Bien que les rapports officiels aient cherché à convaincre du contraire, on sait aussi qu’aucun Algérien ne brandit d’arme à feu et que les tirs furent strictement policiers. Parmi les victimes, une seule était Française, un syndicaliste de la CGT qui tenta de s’interposer et d’implorer un cessez-le-feu.
« Un racisme qui n’ose pas dire son nom »
« Quand on constate que la plupart des journaux (le vôtre est parmi les exceptions)couvrent du nom pudique de “bagarres” ou “d'incidents” une petite opération qui a coûté sept morts et plus d'une centaine de blessés, quand on voit enfin nos parlementaires, pressés de courir à leurs cures, liquider à la sauvette ces morts encombrants, on est fondé, il me semble, à se demander si la presse, le gouvernement, le Parlement, auraient montré tant de désinvolture dans le cas où les manifestants n'auraient pas été Nord-Africains, et si, dans ce même cas, la police aurait tiré avec tant de confiant abandon. Il est bien sûr que non et que les victimes du 14 juillet ont été un peu tuées aussi par un racisme qui n'ose pas dire son nom », écrivit Albert Camus au Monde.
En 2014, Daniel Kupferstein a consacré un documentaire aux Balles du 14 juillet 1953. Trois ans plus tard, après avoir repassé en revue toutes ses archives, il a donné le même titre à un livre publié aux éditions La Découverte, lequel constitue à ce jour la référence ultime sur le sujet. Pour construire son propos, il a passé en revue les archives de police et consulté le dossier de l’instruction aux archives de la Seine. Il a aussi parcouru la presse des semaines qui ont suivi le massacre et recherché les témoignages des victimes ou de leurs proches ainsi que celui de quelques policiers, à partir des noms consignés dans le dossier d’instruction.
Certains d’entre eux disaient ne se souvenir de rien, d’autres ont purement et simplement refusé de témoigner, deux ont finalement répondu – tous deux sont décédés peu de temps après ces entretiens. L’un des policiers apparaissant dans le film reconnaît avoir « tiré à l’horizontale », autrement dit en direction des manifestants, quand l’autre dit n’avoir que tiré en l’air pour faire reculer la foule. De leur récit, il ressort que 210 douilles, et non une dizaine comme précisé dans l’instruction, ont été retrouvées sur les lieux, et que les policiers sont allés acheter des cartouches chez un armurier afin de recharger leurs armes et camoufler ainsi la plupart des tirs effectués.
Des balles à bout portant
Aucun des deux n’a manifesté de remords. « C’était violent pour moi, parce que je revenais d’Algérie où j’avais entendu les familles des défunts », confie le réalisateur. Le plus impliqué dans la fusillade lisait, le jour de sa venue, un livre sur les secrets de la police qu’il a montré au documentariste. Quand, en fin d’entretien, ce dernier lui a demandé s’il avait quelque chose à ajouter, espérant un mot de compassion à l’égard des victimes, il s’est souvenu qu’en plaisantant, un policier s’était écrié en remontant dans le fourgon : « Quand est-ce que vous nous filez les mitraillettes que l’on tire dans le tas. »
Ce massacre fut vite éclipsé par les grèves victorieuses d’août 1953 – contre le recul de l’âge de la retraite – et l’année suivante, les débuts de ce qu’en métropole on nomma les « événements d’Algérie » posa la question de l’indépendance d’une manière autrement plus tragique encore. Il reste que ce jour-là, comme cela se produira en Irlande après le Bloody Sunday de septembre 1972, de nombreux militants algériens renoncèrent à une voie strictement politique et négociée.
Quelque temps plus tard, le MTLD devait se diviser entre les partisans de la lutte armée du Front de libération nationale, le FLN, et les fidèles au vieux leader Messali Hadj autour du Mouvement national algérien, le MNA. Au conflit anticolonial s’ajouta ainsi une sorte de guerre civile entre les deux camps, dont une partie eut lieu en métropole, où le MNA restait solidement implanté. « Ce qui m’a déterminé à faire ce film, conclut Daniel Kupferstein, c’est ce que je dis en substance à la fin de mon livre. En 1953, la guerre d’Algérie n’avait pas commencé, ce qui vide de leur sens les justifications constamment avancées concernant les violences commises en octobre 1961 ou en février 1962. » Lors du débat qui a suivi la projection du film à l’hôtel de ville de Paris, pour les 70 ans du massacre, le président de la Ligue des droits de l’homme, Patrick Baudoin, s’est fait encore plus explicite, en référence à la mort de Nahel Merzouk, 17 ans, le 27 juin 2023 : « Une balle à bout portant, ça rappelle quelque chose. »
Les autorités tunisiennes mènent depuis début juillet une campagne contre les immigrés subsahariens accusés d’« envahir » le pays, allant jusqu’à les déporter en plein désert, à la frontière libyenne. Une politique répressive partagée par les pays voisins qui sert surtout à dissimuler l’immigration maghrébine massive et tout aussi « irrégulière », et à justifier le soutien des Européens
Gare de Sfax, 5 juillet 2023. Des immigrés subsahariens attendent un train pour fuir vers Tunis après les tensions raciales à Sfax qui ont dégénéré en violencesHoussem Zouari/AFP
La chasse à l’homme à laquelle font face les immigrés subsahariens en Tunisie, stigmatisés depuis le mois de février par le discours officiel, a une nouvelle fois mis en lumière le flux migratoire subsaharien vers ce pays du Maghreb, en plus d’ouvrir les vannes d’un discours raciste décomplexé. Une ville en particulier est devenue l’objet de tous les regards : Sfax, la capitale économique (270 km au sud de Tunis).
Le président tunisien Kaïs Saïed s’est publiquement interrogé sur le « choix » fait par les immigrés subsahariens de se concentrer à Sfax, laissant flotter comme à son habitude l’impression d’un complot ourdi. En réalité et avant même de devenir une zone de départ vers l’Europe en raison de la proximité de celle-ci, l’explication se trouve dans le relatif dynamisme économique de la ville et le caractère de son tissu industriel constitué de petites entreprises familiales pour une part informelles, qui ont trouvé, dès le début de la décennie 2000, une opportunité de rentabilité dans l’emploi d’immigrés subsahariens moins chers, plus flexibles et employables occasionnellement. Au milieu de la décennie, la présence de ces travailleurs, devenue très visible, a bénéficié de la tolérance d’un État pourtant policier, mais surtout soucieux de la pérennité d’un secteur exportateur dont il a fait une de ses vitrines.
L’ARBRE QUI NE CACHE PAS LA FORÊT
Or, focaliser sur la présence d’immigrés subsahariens pousse à occulter une autre réalité, dont l’évolution est autrement significative. Le paysage migratoire et social tunisien a connu une évolution radicale, et le nombre de Tunisiens ayant quitté illégalement le pays a explosé, les plaçant en tête des contingents vers l’Europe, aux côtés des Syriens et des Afghans comme l’attestent les dernières statistiques1 Proportionnellement à sa population, la Tunisie deviendrait ainsi, et de loin, le premier pays pourvoyeur de migrants « irréguliers », ce qui donne la mesure de la crise dans laquelle le pays est plongé. En effet, sur les deux principales routes migratoires, celle des Balkans et celle de Méditerranée centrale qui totalisent près de 80 % des flux avec près de 250 000 migrants irréguliers sur un total de 320 000, les Tunisiens se placent parmi les nationalités en tête. Avec les Syriens, les Afghans et les Turcs sur la première route et en seconde position après les Égyptiens et avant les Bengalais et les Syriens sur la deuxième2.
La situation n’est pas nouvelle. Durant les années 2000 — 2004 durant lesquelles les traversées « irrégulières » se sont multipliées, les Marocains à eux seuls étaient onze fois plus nombreux que tous les autres migrants africains réunis. Les Algériens, dix fois moins nombreux que leurs voisins, arrivaient en deuxième position3. Lorsque la surveillance des côtes espagnoles s’est renforcée, les migrations « irrégulières » se sont rabattues vers le sud de l’Italie, mais cette répartition s’est maintenue. Ainsi en 2006 et en 2008, les deux années de pics de débarquement en Sicile, l’essentiel des migrants (près de 80 %) est constitué de Maghrébins (les Marocains à eux seuls représentant 40 %), suivis de Proche-Orientaux, alors que la part des subsahariens reste minime4.
La chose est encore plus vraie aujourd’hui. À l’échelle des trois pays du Maghreb, la migration « irrégulière » des nationaux dépasse de loin celle des Subsahariens, qui est pourtant mise en avant et surévaluée par les régimes, pour occulter celle de leurs citoyens et ce qu’elle dit de l’échec de leur politique. Ainsi, les Subsahariens, qui ne figurent au premier plan d’aucune des routes partant du Maghreb, que ce soit au départ de la Tunisie et de la Libye ou sur la route de Méditerranée occidentale (départ depuis l’Algérie et le Maroc), où l’essentiel des migrants est originaire de ces deux pays et de la Syrie. C’est seulement sur la route dite d’Afrique de l’Ouest (qui inclut des départs depuis la façade atlantique de la Mauritanie et du Sahara occidental) que les migrants subsahariens constituent d’importants effectifs, même s’ils restent moins nombreux que les Marocains.
NÉGOCIER UNE RENTE GÉOPOLITIQUE
L’année 2022 est celle qui a connu la plus forte augmentation de migrants irréguliers vers l’Europe depuis 2016. Mais c’est aussi celle qui a vu les Tunisiens se placer dorénavant parmi les nationalités en tête de ce mouvement migratoire, alors même que la population tunisienne est bien moins importante que celle des autres nationalités, syrienne ou afghane, avec lesquelles elle partage ce sinistre record.
Ce n’est donc pas un effet du hasard si le président tunisien s’est attaqué aux immigrés subsahariens au moment où son pays traverse une crise politique et économique qui amène les Tunisiens à quitter leur pays dans des proportions inédites. Il s’agit de dissimuler ainsi l’ampleur du désastre.
De plus, en se présentant comme victimes, les dirigeants maghrébins font de la présence des immigrés subsahariens un moyen de pression pour négocier une rente géopolitique de protection de l’Europe5 et pour se prémunir contre les critiques.
Reproduisant ce qu’avait fait vingt ans plus tôt le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avec l’Italie pour négocier sa réintégration dans la communauté internationale, le Maroc en a fait un outil de sa guerre diplomatique contre l’Espagne, encourageant les départs vers la péninsule jusqu’à ce que Madrid finisse par s’aligner sur ses thèses concernant le Sahara occidental. Le raidissement ultranationaliste que connait le Maghreb, entre xénophobie d’État visant les migrants et surenchère populiste de défiance à l’égard de l’Europe, veut faire de la question migratoire un nouveau symbole de souverainisme, avec les Subsahariens comme victimes expiatoires.
DÉNI DE RÉALITÉ
Quand il leur faut justifier la répression de ces immigrés, les régimes maghrébins parlent de « flots », de « hordes » et d’« invasion ». Ils insistent complaisamment sur la mendicité, particulièrement celle des enfants. Une image qui parle à bon nombre de Maghrébins, car c’est la plus fréquemment visible, et cette mendicité, parfois harcelante, peut susciter de l’irritation et nourrir le discours raciste.
Cette image-épouvantail cache la réalité d’une importante immigration de travail qui, en jouant sur les complémentarités, a su trouver des ancrages dans les économies locales, et permettre une sorte d’« intégration marginale » dans leurs structures. Plusieurs décennies avant que n’apparaisse l’immigration « irrégulière » vers l’Europe, elle était déjà présente et importante au Sahara et au Maghreb.
Depuis les années 1970, l’immigration subsaharienne fournit l’écrasante majorité de la main-d’œuvre, tous secteurs confondus, dans les régions sahariennes maghrébines, peu peuplées alors, mais devenues cependant essentielles en raison de leurs richesses minières (pétrole, fer, phosphate, or, uranium) et de leur profondeur stratégique. Ces régions ont connu de ce fait un développement et une urbanisation exceptionnels impulsés par des États soucieux de quadriller des territoires devenus stratégiques et souvent objets de litiges. Cette émigration s’est étendue à tout le Sahel à mesure du développement et du désenclavement de ces régions sahariennes où ont fini par émerger d’importants pôles urbains et de développement, construits essentiellement par des Subsahariens. Ceux-ci y résident et, quand ils n’y sont pas majoritaires, forment de très fortes minorités qui font de ces villes sahariennes de véritables « tours de Babel » africaines6.
À partir de cette matrice saharienne, cette immigration s’est diffusée graduellement au nord, tout en demeurant prépondérante au Sahara, jusqu’aux villes littorales où elle s’est intégrée à tous les secteurs sans exception : des services à l’agriculture et à la domesticité, en passant par le bâtiment. Ce secteur est en effet en pleine expansion et connait une tension globale en main-d’œuvre qualifiée, en plus des pénuries ponctuelles ou locales au gré de la fluctuation des chantiers. Ses plus petites entreprises notamment ont recours aux Subsahariens, nombreux à avoir les qualifications requises. Même chose pour l’agriculture dont l’activité est pour une part saisonnière alors que les campagnes se vident, dans un Maghreb de plus en plus urbanisé.
On retrouve dorénavant ces populations dans d’autres secteurs importants comme le tourisme au Maroc et en Tunisie où après les chantiers de construction touristiques, elles sont recrutées dans les travaux ponctuels d’entretien ou de service, ou pour effectuer des tâches pénibles et invisibles comme la plonge. Elles sont également présentes dans d’autres activités caractérisées par l’informel, la flexibilité et la précarité comme la domesticité et certaines activités artisanales ou de service.
AMBIVALENCE ET DUPLICITÉ
Mais c’est par la duplicité que les pouvoirs maghrébins font face à cette migration de travail tolérée, voire sollicitée, mais jamais reconnue et maintenue dans un état de précarité favorisant sa réversibilité. C’est sur les hauteurs prisées d’Alger qu’on la retrouve. C’est là qu’elle construit les villas des nouveaux arrivants de la nomenklatura, mais c’est là aussi qu’on la rafle. C’est dans les familles maghrébines aisées qu’est employée la domestique noire africaine, choisie pour sa francophonie, marqueur culturel des élites dirigeantes. On la retrouve dans le bassin algéro-tunisien du bas Sahara là où se cultivent les précieuses dattes Deglet Nour, exportées par les puissants groupes agrolimentaires. Dans le cœur battant du tourisme marocain à Marrakech et ses arrière-pays et dans les périmètres irrigués marocains destinés à l’exportation. À Nouadhibou, cœur et capitale de l’économie mauritanienne où elle constitue un tiers de la population. Et au Sahara, obsession territoriale de tous les régimes maghrébins, dans ces pôles d’urbanisation et de développement conçus par chacun des pays maghrébins comme des postes avancés de leur nationalisme, mais qui, paradoxalement, doivent leur viabilité à une forte présence subsaharienne. En Libye, dont l’économie rentière dépend totalement de l’immigration, où les Subsahariens ont toujours été explicitement sollicités, mais pourtant en permanence stigmatisés et régulièrement refoulés.
Enfin, parmi les milliers d’étudiants subsahariens captés par un marché de l’enseignement supérieur qui en a fait sa cible, notamment au Maroc et en Tunisie et qui, maitrisant mieux le français ou l’anglais, deviennent des recrues pour les services informatiques, la communication, la comptabilité du secteur privé national ou des multinationales et les centres d’appel.
UN ENJEU NATIONAL
Entre la reconnaissance de leur utilité et le refus d’admettre une installation durable de ces populations, les autorités maghrébines alternent des phases de tolérance et de répression, ou de maintien dans les espaces de marge, en l’occurrence au Sahara.
La négation de la réalité de l’immigration subsaharienne par les pays maghrébins ne s’explique pas seulement par le refus de donner des droits juridiques et sociaux auxquels obligerait une reconnaissance, ni par les considérations économiques, d’autant que la vie économique et sociale reste régie par l’informel au Maghreb. Cette négation se légitime aussi du besoin de faire face à une volonté de l’Europe d’amener les pays du Maghreb à assumer, à sa place, les fonctions policières et humanitaires d’accueil et de régulation d’une part d’exilés dont ils ne sont pas toujours destinataires. Mais le véritable motif consiste à éviter de poser la question de la présence de ces migrants sur le terrain du droit. C’est encore plus vrai pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Reconnaître des droits aux réfugiés, mais surtout reconnaitre leur présence au nom des droits humains pose en soi la question de ces droits, souvent non reconnus dans le cadre national. Tous les pays maghrébins ont signé la convention de Genève et accueilli des antennes locales du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), mais aucun d’entre eux n’a voulu reconnaître en tant que tels des immigrés subsahariens qui ont pourtant obtenu le statut de réfugié auprès de ces antennes.
En 2013, entre la pression d’une société civile galvanisée par le Mouvement du 20 février et le désir du Palais de projeter une influence en Afrique pour obtenir des soutiens à sa position sur le Sahara occidental, le Maroc avait promulgué une loi7 qui a permis temporairement de régulariser quelques dizaines de milliers de migrants. Elle devait aboutir à la promulgation d’un statut national du droit d’asile qui n’a finalement pas vu le jour8. Un tel statut, fondé sur le principe de la protection contre la persécution de la liberté d’opinion, protègerait également les citoyens maghrébins eux-mêmes. Or, c’est l’absence d’un tel statut qui a permis à la Tunisie de livrer à l’Algérie l’opposant Slimane Bouhafs, malgré sa qualité de réfugié reconnue par l’antenne locale du HCR. C’est cette même lacune qui menace son compatriote, Zaki Hannache, de connaître le même sort.
ALI BENSAAD
Professeur des universités, Institut français de géopolitique, université Paris 8.
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