Dans un document que « Le Monde » s’est procuré, le parquet général de Versailles synthétise l’état d’avancement de l’enquête en cours sur le tir du policier à l’origine de la mort du jeune homme de 17 ans à Nanterre. Le maintien en détention provisoire de ce brigadier a été requis.
Les circonstances de la mort de Nahel M., tué mardi 27 juin à Nanterre par un policier, commencent à s’éclaircir. Dans le cadre de l’audience sur le maintien en détention provisoire de ce brigadier mis en examen pour homicide, prévue jeudi 6 juillet, le procureur général de Versailles, Jean-Louis Bernadeaux, synthétise, dans un réquisitoire daté de mercredi 5 juillet, et que Le Monde a pu consulter, l’état d’avancement des investigations en cours.
Le document reconstitue, de façon détaillée, la chronologie des faits depuis le début de la course-poursuite jusqu’aux premiers incidents impliquant des jeunes et des proches de la victime. A l’issue de son réquisitoire, le parquet requiert le maintien en détention provisoire du brigadier.
Le procureur reprend les explications des deux policiers pour comprendre pourquoi et comment ils avaient pris en chasse la Mercedes de location conduite par Nahel M. et dans laquelle se trouvaient deux passagers. D’après les déclarations du brigadier mis en cause pour homicide, celui-ci avait remarqué « une Mercedes dont le moteur vrombissait et qui circulait dans la voie de bus ».
Le véhicule, de type AMG, capable de passer de 0 à 100 km/h en 3,9 secondes, selon sa fiche technique, a été loué la veille à la société FullUp Location, à Nanterre (Hauts-de-Seine), créée trois mois à peine auparavant. Avant que le jeune Nahel n’en prenne le volant, deux autres personnes l’ont utilisée dans des circonstances encore inconnues.
« De brusques accélérations »
Ce mardi 27 juin, c’est lorsque la Mercedes regagne le flot normal de la circulation que le binôme de motocyclistes de la police tente une première fois de l’intercepter. Le brigadier se porte alors à la hauteur du passager et, sa sirène enclenchée, fait signe au conducteur de se ranger sur le côté. « Mais celui-ci, note le réquisitoire, avait alors accéléré brusquement et pris la fuite. Poursuivi par les deux motards, il avait conduit à vitesse élevée avec de brusques accélérations, des franchissements de feux rouges fixes et passages de carrefours “à pleine vitesse” et sans précaution pour les piétons… Il avait même fait une embardée volontaire vers son collègue qui était venu se mettre à son niveau. »
Après examen de la vidéosurveillance, le parquet note qu’au cours de son périple, la Mercedes a « failli percuter un cycliste tandis qu’un piéton engagé sur un passage protégé avait dû faire demi-tour en courant pour éviter d’être percuté ». Celle-ci aurait également roulé plusieurs fois à contresens.
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Une fois la Mercedes à l’arrêt, bloquée par d’autres véhicules à proximité de la place Nelson-Mandela où elle finira sa course, les deux policiers mettent leur moto sur béquille et s’en approchent, leur arme de service dégainée, la visière de leur casque relevée. Le premier, gardien de la paix, que les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) désignent dans un rapport comme « P1 », se place face à la vitre du côté du conducteur. Le second, le brigadier (« P2 » pour l’IGPN), se positionne du côté avant gauche du capot, son pistolet automatique Sig Sauer pointé en direction du conducteur.
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C’est dans cette attitude que la séquence vidéo tournée par une passante saisit les deux fonctionnaires, quelques secondes avant que ne soit tiré le coup de feu mortel. C’est également à ce moment que le brigadier reconnaît avoir cogné contre le pare-brise – l’un des deux passagers évoque des coups de crosse contre Nahel M. – pour « attirer l’attention du conducteur ».
L’exploitation de la séquence vidéo par l’Inspection générale de la police nationale, confirme les mots prononcés par l’un des policiers, sans pour autant que celui-ci soit identifié à ce stade. Dans leur reconstitution des échanges, les enquêteurs notent : « Au début de la séquence, on entend un échange entre 3 voix différentes (VI, V2, V3) avant la détonation, que nous interprétons comme suit :
VI : « … une balle dans la tête »
V2 : « Coupe ! Coupe ! »
V3 : « Pousse-toi !
VI : « Tu vas prendre une balle dans la tête » (propos pouvant être attribués à P1 qui agite son bras droit au même moment).
V2 : « Coupe ! ».
Juste après la détonation, la vidéo enregistre cinq ou six coups de klaxon et un vrombissement de moteur.
Des contradictions
D’après cette première analyse, ce serait donc le collègue du brigadier et non ce dernier qui aurait crié à l’adresse de Nahel « Tu vas prendre une balle dans la tête », des propos que le policier auteur du tir a, du reste, constamment nié avoir tenus lors de sa garde à vue. De même, le parquet souligne que le premier compte rendu policier, à 8 h 22, six minutes après le tir policier, évoque un « individu blessé par balle à la poitrine gauche ». L’opérateur signale que « le fonctionnaire de police s’est mis à l’avant pour le stopper » et que « le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire ». Or, observe encore le réquisitoire, le brigadier n’utilise jamais cette expression dans les conversations enregistrées sur la « conférence 32 » – en réalité, la « conférence 132 », le réseau radio utilisé par l’ensemble des effectifs de la direction de l’ordre public et de la circulation, à laquelle appartenaient les deux policiers motocyclistes.
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Demeurent des contradictions, que l’information judiciaire ouverte à l’encontre du brigadier du chef d’homicide volontaire éclaircira peut-être. Dans son réquisitoire, le parquet reprend en effet, de façon synthétique, la défense de ce policier, qui enchaînait son neuvième jour consécutif de travail : « [Le brigadier] expliquait s’être retrouvé acculé contre le trottoir et le muret situé derrière lui. Il avait immédiatement pensé que le conducteur allait accélérer alors que pour lui, à cet instant précis, son collègue se trouvait toujours dans l’habitacle. II avait pris la décision d’ouvrir le feu pour éviter qu’il ne renverse quelqu’un ou “n’embarque” son collègue et alors que lui-même avait été “un peu poussé” lorsque le conducteur avait accéléré ».
Plus loin, le document indique que le brigadier a assuré que « son objectif initial n’avait pas été de tirer ». Il a toutefois précisé qu’il n’avait pas voulu « viser le haut du corps mais le bas ». Il a ensuite expliqué qu’au moment de faire usage de son arme, « il avait été déstabilisé par l’accélération du véhicule » et que « celui-ci aurait pu le faire tomber entre le trottoir et la chaussée ou “embarquer” son collègue ».
Pour justifier son tir, le policier auteur du tir a déclaré avoir pensé que le corps de son équipier était « engagé à l’intérieur de l’habitacle ». Des déclarations contredites par son coéquipier, qui a précisé lors de ses auditions que seul son bras l’était.
« Tu vas plus vivre tranquille, frère »
L’enquête fait également état d’une situation extrêmement tendue dès les minutes qui ont suivi la mort de Nahel. Le parquet relève que, au moment de la sécurisation des lieux, des « jeunes hostiles étaient présents » ainsi que des proches de la victime. Selon les policiers, la grand-mère de la victime aurait tenu les propos suivants : « Les deux policiers, ils vont pas sortir (…). Je les attendrai. J’ai des copains qui travaillent au dépôt (…) Il y a un terroriste qui va tous les attraper Inch’Allah, un terroriste qui va tous les massacrer. »
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Le gardien de la paix, lui, est pris à partie par un ambulancier, dans une séquence également filmée et devenue virale où l’on peut entendre les propos, répétés à deux reprises : « Tu vas plus vivre tranquille, frère. »
Jugé en comparution immédiate deux jours après les faits, jeudi 29 juin, l’ambulancier a été condamné pour outrage mais dispensé de peine, le tribunal de Nanterre ayant pris en considération le contexte dramatique dans lequel ses paroles avaient été prononcées.
Le même jour, au cours d’une audience de comparution immédiate, un jeune homme âgé de 20 ans était condamné à dix-huit mois de prison dont douze mois avec sursis probatoire pour avoir diffusé les coordonnées personnelles du brigadier. Quelques heures plus tard, la France s’embrasait.
Antoine Albertini et Luc Bronner
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