Après la mort de Nahel, de nombreux rappeurs ont pris la parole pour exprimer leur soutien et leur colère. « L’Obs » revient sur une relation complexe et incendiaire entre scène rap et forces de l’ordre.
Depuis plus de tente ans, le rap se fait le rapporteur d’un brutal ressentiment dans les quartiers populaires et dénonce une faiblesse persistante des réponses politiques face au racisme et à de violentes pratiques policières. Tandis que le mouvement de révolte se cristallise et s’étend même à la Belgique et à l’outre-mer, focus sur le rôle central des rappeurs dans la prise de conscience autour des violences policières.
Des réactions en chaîne de Jul, SCH…
Leur inimitié à l’égard des forces de l’ordre est de notoriété publique et les rappeurs, depuis la création du mouvement hip-hop, tentent d’éveiller les consciences sur des pratiques policières qu’ils jugent alarmantes. Lorsque surgit un nouveau drame impliquant la police, les personnalités de la scène rap – souvent issues des banlieues – sont parmi les premiers à réagir. Après le décès du jeune Nahel mardi 27 juin, de nombreux rappeurs ont pris parole, outrés par la violence des images diffusées.
Parmi eux, Jul, qui a posté sur Instagram un message de soutien, accompagné d’un lien vers une cagnotte en l’honneur de celui que l’artiste Marseillais appelle « le petit frère ». Un moyen de montrer son soutien à la famille du garçon qui figurait sur son clip « Ragnar », tourné en février 2023 à Nanterre. Dans la foulée, c’est SCH qui s’est fendu d’un message révolté sur Twitter, dénonçant le manque d’« humanité » de certains internautes. Présent sur la scène rap depuis presque trente ans et habitué des prises de paroles polémiques, Booba a quant à lui tenu à répondre à Eric Zemmour, condamnant sur Twitter un geste aussi extrême qu’incompréhensible, symptomatique d’un pays qui « va très mal ».
Jeudi 29 juin, une marche blanche était organisée à Nanterre en mémoire de l’adolescent. Dans le cortège, de nombreux rappeurs, à l’instar de Mokobé (membre fondateur du groupe 113), Médine ou encore Dinos. Le rappeur du Val-de-Marne Rohff – qui avait déjà exprimé son choc sur Twitter – était également présent sur plusieurs séquences vidéo tournées en compagnie de la mère du défunt, Mounia. En légende : « Le peuple est avec toi Mounia. Ça fait mal. C’est trop pour une Maman #justicepourNahel ».
Presque vingt ans après son cri d’alerte contre la marginalisation des quartiers dans « Je revendique », Kery James s’est une nouvelle fois placé en fervent opposant aux violences commises par les policiers. Sur Twitter, le rappeur a relayé quelques lignes rédigées de sa main en 2005, lors des émeutes qui avaient frappé le pays après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. Constat d’une situation similaire et en pleine détérioration.
Inaction sociale dans les banlieues, oppression, racisme, phénomène de ghettoïsation… autant de thèmes qui émaillent et façonnent le discours du monde du rap.
« Faut combien de morts ? »
« Ils veulent pas que ça brûle comme en 2005, pourtant, ils font les mêmes erreurs. » En 2019, c’étaient avec ces mots que SCH et Ninho évoquaient la mort de Zyed et Bouna dans le morceau devenu prophétique « Prêt à partir ». Porte-étendard de la lutte contre la violence dans les banlieues, le rap français a, depuis ses origines, interrogé l’opinion et lutté pour une mise en valeur des zones délaissées par le pouvoir politique. Dans les quartiers populaires où règne parfois le sentiment que rien ne change, résonnent entre les murs les mots de Dinos sur le morceau « 93 mesures » (2020) : « Un peu innocent, un peu coupable, chaque contrôle de police me rapproche de mon feat avec 2Pac » ou ceux de Niro dans « #EF4 Testament Remix » (2019) :
« Et les violences policières, faut faire quoi pour les voir cesser ? Faut combien de morts ? Combien d’insultes à encaisser ? Toujours acquittés, affaires non élucidées, ils disent qu’on s’est suicidé. »
En juin 2022, le collectif S-Crew, emmené par Nekfeu, faisait sensation avec son clip « 22 » s’en prenant directement à la BAC (Brigade anticriminalité). En caméra embarquée dans une voiture de police, les quatre membres du groupe parisien relataient une course-poursuite ténébreuse mettant en exergue les agissements du service de la police nationale. Actualisation d’une parole qui, depuis des décennies, dénonce un système policier.
Dans les années 1990, le rap encore bourgeonnant intrigue autant qu’il incommode la classe politique. Les condamnations se succèdent pour NTM ou Le Ministère A.M.E.R. (« Sacrifice de poulets », en 1997) au moment où la jeunesse de banlieue se reconnaît dans cette musique et que se cristallise une identité propre d’appartenance aux cités. Tandis que certains dénoncent déjà les violences policières (Assassin ou Kery James reviennent sur la mort de Malik Oussekine) l’opposition à l’institution fait émerger deux scènes, entrant dans le combat chacune à sa manière.
D’un côté, les rappeurs dits « conscients » (Sniper, Scred Connexion, Fonky Family), véritables journalistes des banlieues luttant contre les clichés sur leurs quartiers. Ils chroniquent la vie sociale et dénoncent les injustices, en délaissant les insultes gratuites. En s’adressant à tous, ils abordent des thèmes variés (injustice, racisme, immigration, extrême droite), avec le dessein de redonner des repères aux jeunes des quartiers sensibles. Leurs textes, parfois très virulents contre les symboles du pouvoir, ont fait d’eux les porte-voix des couches sociales dont ils sont issus. En 2007 avec « Qui ça étonne encore ? », le groupe La Rumeur évoque par exemple le sentiment de rejet dans une France toujours fracturée après le passage des émeutes de 2005.
·Publié le
https://www.nouvelobs.com/culture/20230701.OBS75191/mort-de-nahel-depuis-trente-ans-le-rap-francais-est-en-premiere-ligne-contre-les-violences-policieres.html
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