Chaleurs insoutenables, incendies meurtriers, pluies de grêle… Les effets du dérèglement climatique rebattent les cartes du tourisme mondial. Le point avec Jean François Rial, PDG de Voyageurs du Monde et président de l’office du tourisme et des congrès de Pari.
Une épaisse fumée, un ciel rougeoyant aux allures de fin du monde, et sur une route bordée de villas, des centaines de touristes, certains traînant de grosses valises, d’autres encore en maillot de bain, hébétés. Les images de l’évacuation de l’île grecque de Rhodes, en proie aux flammes, dimanche 23 juillet, ont marqué les esprits. Comme une répétition générale et chaotique des effets dévastateurs et désormais récurrents du réchauffement climatique à la période estivale ? A Rhodes, dans le Dodécanèse, en neuf jours, plus de 13 000 hectares sont partis en fumée et des milliers de touristes ont dû quitter l’île dans la précipitation, principalement par la mer. Tout comme à Corfou, autre île grecque située plus au nord en mer Ionienne. En Croatie, un feu s’est déclaré mercredi près de Dubrovnik, haut lieu historique et touristique. Au Portugal (où 110 000 hectares sont partis en fumée l’an dernier), un feu de forêt menaçait en milieu de semaine la station balnéaire de Sintra.
Et que dire des températures suffocantes ? Presque 50 degrés lundi en Tunisie, soit 6 à 10 degrés de plus que les normales de saison, des pics à 48 °C en Algérie, en proie aussi à des incendies meurtriers… Impossible de se voiler la face. Incendies ravageurs, orages violents, températures extrêmes viennent désormais rythmer le calendrier des vacances sur le pourtour méditerranéen. Et rebattre les cartes d’un tourisme estival de moins en moins en adéquation avec l’état environnemental de la planète ? On a posé la question à Jean-François Rial. Grand spécialiste du tourisme mondial, le cofondateur de Voyageurs du Monde est aussi président de l’office du tourisme et des congrès de Paris depuis 2021.
Pensez-vous que le dérèglement climatique est en train de modifier durablement la carte du tourisme mondial ?
C’est très simple. On sait que le réchauffement climatique impacte plus certaines zones que d’autres. Quand vous avez 1,15° supplémentaire en moyenne mondiale, et deux fois plus dans le sud de l’Europe, au Moyen-Orient, en Afrique… cela a évidemment une incidence sur le tourisme. Tous les pays situés autour de la Méditerranée : l’Espagne, le sud de la France, le Portugal, la Turquie, le Maroc, la Tunisie, la Grèce, la Sicile… vont être touchés l’été par de terribles vagues de chaleur. C’est un fait.
Cet été, ce sont les effets du dérèglement – orages, incendies, etc. – qui marquent les esprits. Avez-vous noté une modification des comportements suite à ces catastrophes spectaculaires ?
Ce sont des incidents ponctuels. Les gens vont se déplacer en temps réel. Ce n’est pas cela qui va changer structurellement le tourisme, mais bien la hausse des températures, le fait d’avoir trop chaud, qui va conduire les gens à anticiper ce risque et à choisir telle ou telle destination.
Mais pour le touriste qui se rend dans un hôtel climatisé, est-ce que cette hausse des températures change beaucoup la donne ?
Il ne faut pas être caricatural. D’abord parce que la prise de conscience écologique est en hausse partout dans le monde. Ensuite parce que personne n’a envie de passer ses vacances enfermé dans un hôtel, même si la climatisation utilisée est peu énergivore. C’est jouable jusqu’à 35 °C, mais au-delà… Enfin, il faut arrêter d’opposer tourisme de masse et tourisme vertueux. Est-ce qu’aller observer une tribu dans les montagnes thaïlandaises est un acte vertueux ?
Du coup, les touristes qui affectionnaient le pourtour méditerranéen pour leurs vacances d’été vont-ils se rabattre sur d’autres pays d’Europe ?
Bien sûr ! Les pays du nord de l’Europe, la Finlande, l’Irlande, la Grande-Bretagne, le Danemark, la Suède vont bénéficier de ce basculement car il y fait moins chaud l’été.
Mais c’est déjà le cas depuis une dizaine d’années et cela va s’accentuer. L’Islande est par exemple devenue archi bondée l’été. Il y a même trop de monde car c’est un pays qui ne peut fonctionner, du fait de son climat, que trois mois par an. Et en plus, l’été, les couleurs y sont incroyables…
Le réchauffement climatique n’explique donc pas tout…
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Oui, la recherche d’un tourisme différent, de destinations moins fréquentées, plus proches de la nature, participe à ce mouvement. Mais le réchauffement climatique y contribue beaucoup et à cause de cela il va y avoir, c’est certain, un étalement de la saison sur les destinations les plus prisées. Et de ce point de vue, c’est plutôt pas mal.
Mais tout le monde ne peut pas partir en dehors de la saison estivale !
Détrompez-vous, cet étalement a déjà commencé. Les gens voyagent plus en octobre ou au printemps qu’avant, et la sacro-sainte période estivale de juillet-août est en train de bouger.
Il faut savoir que la moitié des touristes sont inactifs. En plus, je ne serais pas surpris si, dans les années à venir, les gouvernements européens choisissaient de modifier le calendrier scolaire pour favoriser cet étalement. Les plus grands pourvoyeurs de tourisme au monde sont les Anglais et les Allemands. Et comme ils vont principalement dans les pays chauds, ils pourraient adapter leur calendrier.
Choisir le « hors saison », ou des destinations moins « prisées », n’est-ce pas aussi un moyen de récupérer du pouvoir d’achat en période de crise ?
Sur les voyages, la crise n’a pratiquement pas d’incidence. Le secteur connaît une hausse des prix supérieure de 25 % à ceux pratiqués en 2019, on est sur des niveaux d’inflation très élevés, mais les gens voyagent davantage… Comme si le voyage était devenu un produit d’ultra-nécessité. Je le constate au sein de Voyageurs du Monde, mais aussi dans les statistiques que me partagent mes confrères.
En France, c’en est fini des étés sur la Côte d’Azur ?
Il est certain que le tourisme estival, sur la Côte d’Azur, va souffrir. Mais il devrait bénéficier du reste de la saison. Et je trouve que c’est une bonne chose. Ce qui me désole, ce n’est pas l’étalement de la saison touristique, bien au contraire, c’est le réchauffement brutal de la planète et ses conséquences : le manque d’eau, la survie de l’espèce humaine, la pénibilité de la chaleur.
Y a-t-il des pays que vous déconseillez aujourd’hui à cause du réchauffement climatique ?
Voyageurs du Monde ne déconseille aucun pays mais conseille de voyager à contre-courant. C’est notre base line. Cela fait bien longtemps que nous avons compris que, si l’on veut bénéficier d’une vraie expérience de voyage, il faut marcher à contre-courant. Et le réchauffement climatique va, au contraire, nous aider à promouvoir ce type de tourisme ! Je souhaite cette déconcentration du tourisme pour éviter la pression sur les populations locales et les écosystèmes.
·Publié le
https://www.nouvelobs.com/voyage/20230727.OBS76297/le-rechauffement-climatique-devrait-conduire-les-gouvernements-a-repenser-le-calendrier-des-vacances-d-ete.html
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