C’EST LA MÊME CHANSON (1/5). On pourrait croire les chansons définitivement gravées, sur un vinyle, un CD ou en streaming. Mais rien n’est plus vivant qu’une chanson. « Le Déserteur » de Boris Vian en est la preuve, depuis près de soixante-
00Boris Vian. (AFP - L’OBS)
Elle n’en finit pas de coller aux basques de l’actualité. Elle raconte l’histoire sans fin d’une humanité qui se déchire, se combat, s’entretue, comme s’il n’y avait rien à apprendre du passé. Elle reste dramatiquement d’hier, d’aujourd’hui et de demain, en France, en Europe et plus loin encore. Régulièrement, on ressort « le Déserteur » pour dénoncer, comme on hurle dans le désert, l’absurdité de la guerre. Ecrite par Boris Vian (et composée avec Harold B. Berg), elle a été gravée dans le marbre de la Sacem au matin givré du 15 février 1954. Pour Boris Vian, « le Déserteur » n’est ni pacifiste ni antimilitariste. La chanson existe, et c’est l’essentiel, comme un appel à la paix, ce vœu pieux.
Il en existe plusieurs versions, à commencer par celle de Marcel Mouloudji, qui était, pour les amnésiques, auteur, compositeur, interprète, acteur, peintre et écrivain actif au XXe siècle. C’est une première version, plus édulcorée. Mouloudji adresse cette lettre aux « Messieurs qu’on nomme grands », les puissants, qui envoyaient la jeunesse se faire tuer au front, la fin de la guerre d’Indochine (avec la défaite de Diên Biên Phu) et le début de la guerre d’Algérie, pour la seule année 1954, celle de l’appel poignant de l’abbé Pierre à la solidarité.
En scène, sur les routes, avec sa voix de trémolos, Mouloudji déclame :
« Il faut que je vous dise, les guerres sont des bêtises, le monde en a assez. »
Il ose appeler à la désertion dans un climat extrêmement tendu :
« S’il faut verser le sang, allez versez le vôtre, messieurs les bons apôtres, messieurs qu’on nomme grands. »
Il conclut :
« Si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes, que je n’aurais pas d’armes et qu’ils pourront tirer. »
Mouloudji racontera que le public sera divisé à l’écoute des paroles : ceux qui hurlent au scandale contre ceux qui applaudissent.
Ensuite, parce qu’il y a une suite, Boris Vian lui-même entre en studio pour donner une autre version de son « Déserteur », en avril 1955. Elle s’adresse directement à « Monsieur le président » et appelle à déserter en temps de guerre : « Je mendierai ma vie, sur les routes de France, de Bretagne en Provence, et je dirai aux gens : “refusez d’obéir, refusez de la faire, n’allez pas à la guerre, refusez de partir”. C’est cette dernière version qui sera le plus souvent reprise. A commencer par Serge Reggiani, le comédien qui aura beaucoup chanté du Boris Vian au moment de devenir chanteur sous l’impulsion de Barbara. En introduction, Reggiani récite un « le Dormeur du val » de Rimbaud.
Après ? Après la chanson a tracé son chemin, ressortant des caves de la mémoire si besoin, autrement dit assez souvent. Au milieu des années 1960, le trio folk américain Peter, Paul and Mary l’a reprise sur scène ; comme l’engagée Joan Baez qui, des années 1980 à aujourd’hui, lâche régulièrement sa guitare sur scène pour envoyer a cappella, de sa voix vibrante, cet appel à tous les cessez-le-feu.
Jean-Louis Trintignant, amateur de poésie libertaire, qui de son propre aveu ne savait pas chanter, a récité « le Déserteur », accompagné à l’accordéon par Daniel Mille, cette fois dans une version censurée, et contradictoire, celle dont Mouloudji ne voulait pas, parce qu’elle s’achève par cette parole de résistant, cette menace : « Prévenez vos gendarmes, que je possède une arme et que je sais tirer. »
On trouve aussi, quelque part dans les archives, une version approximative du « Déserteur » par Georges Brassens, qui cherche ses mots au son de l’harmonium. Brassens qui disait de Vian :
« Un temps viendra comme dit l’autre, où les chiens auront besoin de leur queue et tous les publics des chansons de Boris Vian.
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https://www.nouvelobs.com/musique/20230724.OBS76118/le-deserteur-l-eternel-appel-a-la-paix-de-boris-vian-tant-chante-et-si-peu-entendu.html
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