La presse maghrébine commente largement les violences en France, après que Nahel M., un adolescent d’origine algérienne, a été tué par un policier mardi 27 juin.
« La France refuse de reconnaître ses fautes. Une fois de plus », titre le journal arabophone algérien El Khabar, après que Nahel M., un adolescent de 17 ans, a été tué par balle mardi 27 juin à Nanterre lors d’un contrôle de police. Les émeutes intervenues dans plusieurs villes de France sont observées de près dans les pays maghrébins, alors que les origines algériennes de la famille de Nahel M. ont été relevées.
« Un fait dramatique met la France face à son entêtement à ne pas admettre un passé colonial violent. La France continue à marginaliser des générations d’immigrés. Elle a refusé, bien qu’ils soient nés sur son territoire, des Français jouissant de tous les droits (…) Elle les a maintenus dans un statut de français d’origine », poursuit El Khabar. C’est sous l’angle du racisme et des problématiques liées à l’immigration que plusieurs médias commentent la situation sociale française. Le site internet Tout sur l’Algérie s’indigne que de certains médias français se soient empressés d’inventer à la victime « un casier judiciaire » sur la base des préjugés collés à un jeune de banlieue, d’origine modeste et étrangère.
Le ministère des affaires étrangères et de la communauté nationale à l’étranger a exprimé jeudi 29 juin, dans un communiqué, le « choc et la consternation » de l’Algérie à la suite de « la disparition brutale et tragique du jeune Nahel et les circonstances particulièrement troublantes et préoccupantes dans lesquelles elle est intervenue ». Une déclaration inhabituelle pour un représentant de l’Etat algérien généralement prompt à défendre le principe de non-ingérence malgré le fait que les Algériens constituent la première communauté d’immigrés en France. Tout en assurant la famille de la victime que « son deuil et sa peine sont largement partagés », le communiqué des affaires étrangères dit « faire confiance au gouvernement français à assumer pleinement son devoir de protection, soucieux de la quiétude et de la sécurité dont doivent bénéficier nos ressortissants sur leur terre d’accueil ».
Règlement de comptes
Au Maroc voisin, le communiqué des autorités algériennes a fait réagir la presse proche du pouvoir. Le 30 juin, le site francophone « Le 360 » a accusé le régime d’Abdelmadjid Tebboune d’« indécente récupération politique de la mort du jeune Nahel ». « L’Algérie s’empare de l’affaire et en profite pour régler ses comptes avec la France », dénonce ce média.
Alger et Rabat ont rompu depuis près de deux ans leurs relations diplomatiques, minées par du dossier du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole à la fois revendiquée par le royaume marocain et les indépendantistes du Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Dans ce contexte, la politique de main tendue du chef de l’Etat français à l’égard de l’Algérie plombe un peu plus une relation déjà glaciale depuis plusieurs mois entre Paris et Rabat.
Ce communiqué « risque d’être interprété comme une forme d’ingérence dans les affaires internes françaises, souligne pour sa part l’hebdomadaire « Maroc Hebdo », alors que le président français, Emmanuel Macron, et son gouvernement, sont en difficulté face à la colère et l’instabilité provoquées » par la mort de l’adolescent.
Au Maroc, comme ailleurs au Maghreb, les nuits d’émeutes en France étaient tant suivies dans les ministères que dans les rues. Vendredi 30 juin, au lendemain de la fête de l’Aïd, les télévisions étaient allumées – comme souvent, sans le son – sur la chaîne d’information France 24, en langue arabe. « Quelle catastrophe, ils sont en train de tout détruire », commente dans un café de la banlieue de Tunis Mehdi, la quarantaine, portant sa cigarette à la bouche et regardant les images de feux d’artifice, de voitures brûlées ou d’affrontements entre la police et les manifestants.
Sentiment d’exclusion
« Je suis les événements comme tous les Tunisiens », indiquait vendredi le chroniqueur Zyed Krichen dans Midi Show, l’émission de radio la plus écoutée en Tunisie, diffusée à la mi-journée sur les ondes de Mosaïque FM. Avec plus d’un million de ressortissants tunisiens vivant en Europe – environ 10 % de la population totale tunisienne –, dont la grande majorité en France, le sujet ne laisse pas indifférent.
« Si Nahel avait été blanc aux yeux bleus, il n’aurait pas fui, (…) il a eu peur. Si les passagers de la voiture avaient été blancs aux yeux bleus, le policier n’aurait pas pensé à tirer à bout portant », a estimé Zyed Krichen, également directeur de la rédaction du quotidien Le Maghreb. « Ce n’est pas seulement le lien de la police avec les citoyens, il est aussi question de la relation qu’entretient ce pays avec les générations d’immigrés qui s’y trouvent. On y parle de modèle républicain mais le sentiment de “hogra” [un terme qui désigne à la fois le mépris, l’exclusion, l’injustice et l’oppression] est très présent ». « Il y a une colère latente en France », a acquiescé Elyes Gharbi, l’animateur de l’émission.
La critique de la politique migratoire de l’Europe et de la France intervient également dans un contexte tendu où les négociations entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie, sur un accord relatif au contrôle des frontières et aux flux migratoires à destination de la rive nord de la Méditerranée, font régulièrement la une des médias depuis plusieurs semaines. L’annonce d’un « partenariat global » entre les deux parties devait coïncider avec la réunion du Conseil européen les 29 et 30 juin mais les discussions, plus longues que prévu, ont été reportées au lundi 3 juillet.
Sur le réseau social TikTok, un extrait de la déclaration de Ravina Shamdasani, une des porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme appelant la France à « s’attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination parmi les forces de l’ordre », a été largement partagé. Plus habitués aux condamnations internationales d’événements survenus au sud de la Méditerranée, certains internautes s’en amusent : « C’est le monde à l’envers », peut-on lire en commentaire.
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