Dans la nuit du 1er au 2 juillet, le jeune homme a été touché par un tir de LBD qui lui a causé un grave traumatisme crânien. Il dit aussi avoir été « tabassé », avec plus de 60 jours d’arrêt de travail à la clef. Quatre policiers ont été mis en examen vendredi, et l'un d'entre eux incarcéré.
Nejma Brahim, Pascale Pascariello et Camille Polloni
19 juillet 2023 à 19h29
Le visage esquinté et la tête bandée, Hedi peine encore à réaliser ce qui lui est tombé dessus, dans la nuit du 1er au 2 juillet dernier. « Ils m’ont tiré dessus et m’ont tabassé, puis ils m’ont laissé pour mort par terre », résume-t-il, attablé en terrasse du restaurant tenu par ses parents, dans les Bouches-du-Rhône.
Vendredi 14 juillet, au lendemain de sa sortie de l’hôpital de la Timone, à Marseille, Hedi est un homme détruit. Pourtant, il affirme garder en mémoire les violences qu’il a subies. « C’était une équipe de la BAC, ils étaient au moins quatre, rembobine-t-il. On les a croisés au croisement d’une ruelle vers le cours Lieutaud. » L’endroit exact, le jeune homme de 22 ans ne l’a plus en tête.
Après que des agents de l’IGPN ont recueilli son témoignage durant son hospitalisation, huit policiers ont été placés en garde à vue mardi 18 juillet. D’après La Provence, ils appartiennent à deux brigades anticriminalité (BAC). Les suspects ont reçu le soutien d'une partie de leurs collègues, qui les ont applaudis jeudi 20 juillet lors de leur transfert vers le palais de justice.
Vendredi 21 juillet au matin, le parquet de Marseille a annoncé que quatre de ces fonctionnaires ont été mis en examen par un juge d’instruction pour des violences volontaires en réunion, par personne dépositaire de l'autorité publique, avec arme, ayant entrainé une ITT supérieure à 8 jours. L’un d’eux a été placé en détention provisoire, une mesure rarissime, les trois autres sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’exercer.
« Je suis contente qu’ils les aient arrêtés, ça va dans le bon sens » réagit Leila, la mère de Hedi. « J’imagine qu’ils ont dû avoir des éléments grâce aux caméras. On a confiance en la justice. Mais j’ai dit à Hedi et à son ami Lilian de se préparer à être attaqués, à ce que certains aillent chercher la moindre petite broutille. »
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Le 5 juillet, le parquet de Marseille avait ouvert une information judiciaire pour des « violences en réunion par personnes dépositaires de l’autorité publique » ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours. Il a confié l’enquête à la police judiciaire (PJ) de Marseille et à l’IGPN.
« La scène décrite est une scène de barbarie », commente Jacques-Antoine Preziosi, l’avocat de Hedi. « Deux gosses parfaitement socialisés, sans casier, qui travaillent, descendent à Marseille pour se distraire. Ils ne sont ni des manifestants ni des pilleurs. Ils tombent sur cinq ou six cinglés qui les agressent. Il se trouve que ce sont des fonctionnaires de l’État français. Nous attendons que l’enquête ait lieu et que justice se fasse, qu’on identifie ces gens-là et qu’on les juge. »
Un tir de LBD et un passage à tabac
Le soir des faits, Hedi donne « un coup de main » à ses parents à l’occasion de la « fête des terrasses ». Il quitte le restaurant seul en voiture, aux alentours de 1 h 15 ou 1 h 30 du matin. « Je suis descendu à Marseille pour rejoindre des camarades, on s’est retrouvés au Vieux-Port », se souvient-il.
Là, il découvre une « scène de film ». « Il y avait un hélicoptère, on a eu l’idée de le suivre, ce qui n’était pas très malin, concède Hedi. Mais bon, un hélicoptère qui survole le ciel à Marseille dans un tel chaos, on n’en voit pas tous les jours. » Lui et Lilian, son ami, arpentent les rues du centre-ville en suivant l’engin des yeux.
Hedi assure qu’ils n’ont pas pris part aux révoltes mais croisé la route d’autres jeunes qui y participaient, certains cagoulés, d’autres pas. Ils avancent dans l’obscurité de la nuit, sans lumière de la ville. Au croisement d’une ruelle située près du cours Lieutaud, ils tombent nez à nez avec les agents de la BAC.
« On leur a dit bonsoir, mais on a vite compris qu’ils étaient énervés et fermés à la discussion. » Selon le récit de Hedi, les policiers n’ont pas répondu. L’un d’eux aurait agrippé son lanceur de balle de défense (LBD), un autre se serait saisi de sa matraque pour asséner un coup au visage de Lilian. « Il s’est protégé avec son bras, puis il a réussi à partir en cavalant. » Hedi n’y parvient pas.
Il raconte avoir vu un policier lui tirer dans la tête avec son LBD, puis avoir été traîné au sol sur environ dix mètres. L’un des hommes se serait alors agenouillé sur ses jambes pour l’immobiliser, tout en lui donnant plusieurs coups, tandis que les autres le passaient à tabac. « Je me souviens de leur matraque, de leurs gants à coque et de leur arme de service à la taille. » Il revoit aussi le sang couler sur son visage, provenant de sa blessure à la tête, comme si on lui « renversait de l’eau dessus ». « Je sentais un truc énorme dans mon crâne qui me brûlait », poursuit Hedi, qui marque une pause dans son récit pour ravaler ses larmes.
« Il se montre fort, là, mais il pleure quand il est seul avec nous à la maison », commente sa mère.
Hedi estime que ce calvaire a duré cinq minutes. Il précise avoir supplié les policiers d’arrêter et ne se souvient d’aucune parole de leur part, en raison du « brouhaha ». « Je criais en disant que j’étais gentil, que j’avais mes papiers, qu’ils pouvaient me fouiller pour voir que je n’avais rien de dangereux sur moi. Mais ils n’ont pas voulu arrêter. »
Après avoir été abandonné, il aurait trouvé, avec l’adrénaline, la force de se relever et de courir, courir encore, sans vraiment savoir où il allait ; tentant d’appeler son ami Lilian par téléphone pour pouvoir le rejoindre quelque part. « J’essayais de lui envoyer ma localisation avec Snapchat, mais avec le stress, je n’y arrivais pas. On a fini par se retrouver par hasard devant une alimentation. »
Transporté à l’hôpital en urgence
Peu de temps après, le jeune homme s’écroule. Malgré le flou, il se souvient d’avoir perdu le contrôle de son corps, de s’être uriné et vomi dessus, et d’avoir vu « tout blanc » alors que le projectile était encore incrusté dans son crâne. Son ami, ainsi que les deux gérants de l’épicerie, le prend en charge et l’emmène à l’hôpital. « J’étais tout raide dans la voiture, Lilian n’a pas pu monter avec nous. L’un des gérants me tenait la tête, l’autre conduisait. Lilian a couru derrière nous jusqu’à l’hôpital. »
La suite, ce sont ses proches qui nous la confient. Hedi tombe dans le coma. Ses parents ne sont prévenus que le lendemain, dimanche, en fin de matinée. Mais avant même que les gendarmes ne viennent toquer à leur porte, Leila, sa mère, se doute de quelque chose : « D’habitude, quand mes fils sortent, ils me donnent toujours des nouvelles. Je l’ai appelé le matin car on devait aller à la piscine ensemble. Et c’est quand il n’a pas répondu que j’ai compris. »
Les gendarmes leur demandent d’appeler la police. « C’est très grave » est la seule précision qu’ils obtiennent à ce moment-là. « Quand on les a appelés, ils nous ont juste dit qu’il avait été déposé à la Timone après avoir reçu un coup sur la tête. Ils nous ont dit de nous y rendre le plus vite possible. »
Les parents du jeune homme, qui a fêté ses 22 ans à l’hôpital, ne peuvent le voir avant 15 heures. « Les médecins voulaient nous parler d’abord. Ils nous ont dit que c’était un miraculé et qu’il faudrait encore attendre 48 heures pour être sûr qu’il s’en sortirait », relate Leila, qui précise qu’il était intubé. Des sources hospitalières, interrogées par Mediapart, confirment que son pronostic vital a été un temps engagé.
Et pour cause. Les médecins ont dû retirer une partie de sa boîte crânienne pour évacuer le sang qui se trouvait entre le cerveau et le crâne. Hedi a aussi une fracture de la mâchoire – « c’est simple, commente-t-il, il n’y a plus d’os sur le côté gauche » –, l’œil gauche tuméfié et fermé, la joue creusée, des hématomes plein les jambes. « Les médecins pensaient qu’il ne pourrait plus marcher », ajoute Leila.
Cinquante agrafes sur le crâne
Au moment où nous le rencontrons, il n’a toujours pas recouvré la vue du côté gauche. Sur sa fiche médicale, qu’il nous montre, apparaît la mention « traumatisme crânien grave sur shoot de flash-ball ». Les violences subies lui valent plus de 60 jours d’ITT et une invalidité temporaire.
Dans la même nuit du 1er au 2 juillet, toujours dans le centre-ville de Marseille, Mohamed B., 27 ans, est décédé d’une crise cardiaque après avoir été touché au thorax par « un projectile de type flash-ball ». Le parquet de Marseille a ouvert une information judiciaire pour « coups mortels » avec arme. Cette enquête, confiée à la PJ et à l’IGPN, vise à déterminer si un fonctionnaire de police est à l’origine du tir, et à l’identifier.
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« Ils t’ont pas épargné, hein !, lâche un ami des parents de Hedi, de passage au restaurant, en voyant l’ampleur de ses blessures. Le jeune homme prend soin de saluer toutes celles et ceux qui viennent prendre de ses nouvelles. « Comment ça va ? », interroge-t-il à plusieurs reprises. « C’est à toi qu’il faut demander ça », répondent un à un les visiteurs et visiteuses.
Sur la table en face de lui est posé le casque qu’il est supposé porter pour protéger sa tête d’un éventuel choc. « À ce jour, il lui manque toujours une partie de sa boîte crânienne, donc c’est très fragile », précise sa mère. En retirant ses bandages, Hedi laisse entrevoir une cicatrice formant un arc de cercle, depuis le front jusqu’à l’arrière de l’oreille. Il aura fallu 50 agrafes.
« La police est censée nous protéger »
Depuis le drame, le jeune homme est très affaibli. D’anciennes photos d’identité laissées sur la table montrent qu’il a perdu beaucoup de poids. « Je n’arrive plus à manger, j’ai encore de fortes douleurs », regrette cet assistant de direction dans l’hôtellerie-restauration. Il n’a qu’une crainte : ne plus pouvoir exercer son métier. « Mon employeur est très compréhensif pour l’instant, mais même si je reprends un jour, je refuse d’être un “poids” pour l’entreprise. »
À sa sortie de l’hôpital, il devait rejoindre une maison de rééducation à Avignon, mais la famille a refusé. « Avec tout ce qu’il a vécu, on refuse qu’il soit loin de nous », explique Leila, qui lui a trouvé une autre maison de repos tout près d’ici. Avant de l’intégrer, Hedi devait subir une opération de la mâchoire ce mercredi.
S’il témoigne aujourd’hui (après avoir livré son récit à La Provence, une semaine après les faits), c’est « pour les autres ». « On ne veut pas que ce genre de choses se reproduise. » Hedi, qui n’a pas de casier judiciaire, dit être déjà tombé sur des « cow-boys » par le passé, mais jamais sur des « gars aussi violents », capables de « te laisser pour mort dans une méchanceté gratuite ». Il y voit le signe d’un « problème dans la police ». « Quand il y en a un ou deux, OK. Mais quand sur une équipe de quatre ou cinq, tu vois qu’ils sont tous pourris, c’est grave. Ça veut dire que c’est clair et assumé. »
Et sa mère de compléter : « La police est censée nous protéger. Comment il va vivre avec ce traumatisme maintenant, lui ? S’il se fait contrôler en voiture demain, est-ce qu’ils ne vont pas lui en mettre une ? » La famille veut garder confiance en la justice. Elle est soutenue par l’Association d’aide aux victimes, qui leur signifie depuis le départ que les soins de Hedi sont pris en charge à 100 %. Mais le jeune homme n’a toujours pas récupéré ses effets personnels, placés sous scellés dans le cadre de l’enquête. « Il n’a donc pas de carte Vitale, et je dois avouer que l’aspect financier nous inquiète beaucoup », conclut sa mère.
Nejma Brahim, Pascale Pascariello et Camille Polloni
19 juillet 2023 à 19h29
https://www.mediapart.fr/journal/france/190723/hedi-22-ans-laisse-pour-mort-apres-avoir-croise-la-bac-marseille
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