ANNA MARIA CARULINA CELLI, POEMES ...EXTRAIT Mieux vaut les doigts du vent . Qui te mènent en bateau . Par les cheveux vaguant . Au grand large de ses chevaux . Que les épaves de bois mort . Comme des taches d'encre sur la page . Où tu jettes les poèmes d'un meilleur sort . Echoués sur les bords de la plage . D'un lit trop grand ouvert . Tu ne saurais en faire les fagots de chaleur . Dont au plus fort de l'hiver . Il te faudra nourrir ton coeur . Mieux vaut le panache du torrent . Qui t'attache à ses rubans blancs . Te retient en courant . T'arrache à la fois des frissons et des rires . Que ces mornes visages qui ne respirent . Que par gémissements et soupirs . C'est par la mer qu'arrive le malheur . Par les rivières, l'amorce de l'apesanteur . Mes sommeils marchent sur l'eau . Mes songes sautent sur les pierres . Et moi, je dors la fenêtre béante . Au creux de la main, une petite lumière . Pour la traversée des vestibules clos . Au bout des chemins noirs chante . La note d'une rafale rasant une lame . Le cri perçant du poignard couvert de sang . Mieux vaut le tremblement de l'âme . Que le rouge à lèvres fardant le désir absent . Du vent ! Du vent ! . Je vis avec un oiseau en cage . Un oiseau d'un bleu plumage . Qui me ressemble, m'assemble . Pour lui, chaque soir, je f.ais tomber le toit . Jusqu'à ce que mon corps tremble . Que le vent m'ôte d'un poids . Qui me mène en bateau . Par les cheveux vaguant . Au grand large de ses chevaux . Avant de revenir à l'irréel . De la toile d'araignée . Des enfers artificiels
NIGER ! Il n'y a que des intérêts, ceux de tes adversaires Parce que les tiens tu ne les percevras jamais ! NIGER Entre la France et la Russie qu'est-ce que tu as choisi ? Aucune des deux ne préservera tes terres ou tes frontières Méfie-toi du néocolonialisme il avance toujours masqué ou casqué pour te braquer. Il a ouvert dans ton pays une plaie pour que tu sois toujours à découvert et à sa portée. Elles ne peuvent te débarrasser du terrorisme grâce auquel elles opèrent et prospèrent ! Ce ne sont pas tes amis. Quant à tes ennemis tu n'en as qu'un : toi-même ! Question : Que cherche l'Occident en Afrique ? Réponse : des hommes corruptibles ou des hommes corrompus pour substituer la guerre à la paix.
La coopération algéro-russe se concrétise sur le terrain. D. R.
L’ambassadeur d’Algérie en Russie, Smail Benamara, a affirmé, jeudi depuis Saint-Pétersbourg (Russie), que l’ouverture d’une ligne directe Alger-Saint-Pétersbourg permettra de renforcer la coopération bilatérale entre les deux pays dans différents domaines, notamment le tourisme et l’investissement.
Dans une déclaration à la presse en marge de l’arrivée du premier vol direct d’Air Algérie à l’aéroport Pulkovo de Saint-Pétersbourg, en provenance de l’aéroport international Houari-Boumediène, Benamara a précisé que cette nouvelle ligne permettra de renforcer la coopération dans différents domaines, notamment le tourisme et l’investissement.
Selon l’ambassadeur, la ligne facilitera les déplacements des hommes d’affaires et permettra aux touristes russes de venir découvrir les différentes régions d’Algérie et de transiter par Alger avant de gagner d’autres destinations en Afrique, en Europe, en Amérique et ailleurs.
La décision de l’ouverture de cette ligne directe a été prise lors de la visite du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, en Russie en juin dernier, a rappelé le diplomate, ajoutant que son ouverture a coïncidé avec la tenue du Sommet Russie-Afrique dans ce pays.
Benamara a révélé que les deux pays examineront les moyens d’alléger les procédures d’octroi de visas à certaines catégories, comme les hommes d’affaires, les sportifs et les artistes afin de faciliter leurs déplacements.
Pour sa part, la directrice commerciale de l’aéroport de Pulkovo a estimé que cette ligne directe «est très importante» pour son pays car «elle permet aux citoyens russes de se rendre en Algérie dans le cadre du tourisme ou de l’investissement».
La responsable russe a salué cette réalisation, qui permet également aux Russes se rendant dans d’autres pays de transiter par l’Algérie.
Dans des déclarations à l’APS, des passagers à bord de ce premier vol direct entre Alger et Saint-Pétersbourg, notamment des membres de la communauté algérienne, des hommes d’affaires et des étudiants, se sont félicités de cette réalisation.
A cet égard, Chenini Mohamed, un expert international possédant un bureau à Saint-Pétersbourg, a déclaré que cette nouvelle ligne réduisait la durée et le coût du voyage.
L’homme d’affaires et consultant économique sénégalais Abdoulay Abadi, qui était à bord de ce premier vol, a dit qu’il a toujours eu des difficultés à se rendre en Russie car il devait transiter par la France ou la Turquie, se réjouissant de l’ouverture de cette ligne.
De son côté, Yahi Ali, propriétaire d’une agence de voyage à Alger, a indiqué que cette ligne directe lui ouvrait de nouvelles perspectives et lui permettait de proposer davantage d’offres et destinations touristiques à ses clients.
Air Algérie a opéré, mercredi soir, son premier vol direct reliant Alger à la ville russe de Saint-Pétersbourg. Le billet Alger/Saint-Pétersbourg/Alger coûte à partir de 59 703 DA TTC et le billet Saint-Pétersbourg/Alger/Saint-Pétersbourg à partir de 521 euros TTC.
Anonyme
28 juillet 2023 - 16 h 43 min
Saint Petersburg capitale de l’Empire russe de 1712 jusqu’en mars 1917 elle est la deuxième ville de Russie par sa population, avec 5 281 579 habitants en 2017, après la capitale Moscou. Plus grande métropole septentrionale du monde.. important centre culturel européen,des monuments historiques,un ensemble architectural unique,des universites de renommee.Saint-Pétersbourg est la deuxième ville d’Europe par sa superficie et la quatrième par sa population après Istanbul, Moscou et Londres.Le centre historique de la ville, avec ses 2 300 palais, ses magnifiques bâtiments et ses châteaux, figure depuis 1991 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.La ville abrite le plus haut gratte-ciel d’Europe, le Lakhta Centre, qui mesure 462 mètres…. La ligne directe est une excellente initiative,et un lien logistique important pour l industrie touristique naissante en Algerie….Ouvrir une representation de l office du tourisme Algerien avec celui d air Algerie dans cette grande metropole Russe serait aussi une excellente idee..
Petit pays, à l’honneur au dernier festival du film de La Rochelle (FEMA), la Tunisie compte en revanche un nombre important de cinéastes, notamment des femmes, auxquelles le FEMA a rendu hommage cette année. Le départ forcé du tout-puissant Zine el-Abidine Ben Ali (2011) a provoqué « une explosion culturelle, une forte envie de parler de tout, après tant d’années d’oppression », selon Henda Haouala, maîtresse de conférences à l’Université de Tunis (1). Une oppression qui prenait le nom de censure côté cinéma, et qui sous Habib Bourguiba et Zine el Abidine Ben Ali voyaient des films être coupés et d’autres interdits (2). C’est dire si les pionnières Salma Baccar (Fatma 75, 1976) et Nejia Ben Mabrouk (La Trace, 1982) d’abord, Moufida Tlatli (Les Silences du Palais, 1994), Kalthoum Bernaz (Keswa, le fils perdu, 1997) et Raja Amari (Satin rouge, 2002) ensuite, ont joué avec les règles pour poser les jalons sur lesquels la génération suivante a bâti. « Le cinéma est un art, une suite logique, une construction qui se fait et doit se faire », estime Salma Baccar, dont le film Fatma 75 (1976), un docu-fiction très novateur resté censuré pendant 40 ans, était forcément politique : sous forme d’un exposé, l’étudiante Fatma y rend hommage aux femmes de l’histoire du pays puis rappelle que la Tunisienne jouit en 1975 (la loi sur le droit à l’avortement date de 1973, deux ans avant la loi Veil) d’une liberté sans égale en Afrique (Code du Statut Personnel, 1956, instaurant plus d’égalité hommes-femmes au lendemain de l’Indépendance). Plus classique, Les Silences du palais (1994) n’en est pas moins féministe — la mort de sa réalisatrice Moufida Tlatli, en 2021, a donné à Sophie Mirouze, responsable du festival, l’idée de ce gros plan sur le cinéma de ce pays. Le film montre une servante redoutant d’exposer sa fille aux abus de l’aristocrate dont elle-même est la maîtresse. Éminemment politique aussi l’alors scandaleux Satin Rouge (2002), où l’héroïne s’émancipe de son rôle de mère au foyer en découvrant la danse et le cabaret. « Je ne voulais pas dénoncer, mais partir de l’intime, de la confrontation de Lilia avec l’extérieur, la voir franchir les frontières qu’elle avait elle-même intériorisées », explique Raja Amari. Frontières que Ferid Boughedir, réalisateur tunisien des années 1990, voyait dans les « terrasses (…), le no man’s land entre la rue, qui appartient aux hommes, et les maisons, qui sont le territoire des femmes » (3).
« Je crois que nous avions plus de liberté alors, parce que nous, artistes, étions très forts pour nous opposer à la censure », estime Nadia El Fani en se rappelant le jour où elle a couru vers Nouri Bouzid (L’homme de cendres [1986]) pour l’arrêter avant qu’il ne coupe sa pellicule, après qu’ils avaient réussi à faire plier le pouvoir de Ben Ali. En revanche, cette militante dont le courage force le respect et qui a parlé la première en Tunisie de l’homosexualité féminine dans Pour le plaisir (1990) s’est heurtée, alors que le Printemps arabe venait de naître, à une virulente levée de boucliers de la rue. Dans Ni Allah ni maître (2011) elle dit être athée et promeut la laïcité, déclenchant des réactions d’une violence rare et des menaces de mort — elle raconte ce combat contre la fatwa, doublé de sa lutte contre son cancer du sein dans Même pas mal (2012). « Je suis restée sept ans sans retourner en Tunisie pour éviter la prison », dit-elle — le pouvoir balbutiant ayant utilisé la colère populaire (vague de haine sur les réseaux sociaux, cinémas où son film était projeté attaqués, manifestations dans les rues) dans le but de la poursuivre pénalement. Pour Dora Bouchoucha, la productrice qui a accompagné la plupart des réalisatrices présentées à La Rochelle (4) « il y avait au-delà de la censure une forme d’autocensure qui empêchait les cinéastes de faire des films politiques. Et puis les anciens ne laissaient pas émerger les jeunes. Qui ont fini par s’affranchir de la vision du monde de leurs aînés. Je voyais des scénarios mal ficelés mais libres, frais, innovants, je savais que ce cinéma-là allait décoller ». En 2012, elle produit C’était mieux demain, d’Hinde Boujemaa, qui suit au plus près Aida, une femme qui pense profiter du changement pour trouver un toit et récupérer ses enfants, avant de déchanter, et se rendre compte que pour elle, la révolution ne changera rien. Prise directe des événements ou faits divers, les réalisatrices s’emparent du réel. En 2014, Kaouther Ben Hania — l’invitée principale du festival de La Rochelle — reprend le dispositif du docu-fiction pour se lancer sur les traces du Challat de Tunis, un dingue qui en 2003 circulait à moto pour entailler au rasoir les fesses des femmes jugées « provocantes ». Dans La Belle et la meute (2017), elle raconte cette fois le combat — toujours tiré d’une histoire vraie — d’une femme qui cherche à déposer plainte à la police pour un viol — ce sont des flics qui viennent de la violer... « Jusque-là les réalisatrices montraient des femmes sous l’angle du désir, de l’intime, estime l’universitaire Henda Houala. Avec La Belle et la meute, c’est affirmer tout haut et à tous : mon corps m’appartient ! » L’adultère, autre forme de violence, reste illégal en Tunisie et passible d’une peine de cinq ans de prison. Dans Noura rêve (2019), d’Hinde Boujemaa, Noura ne peut pas vivre avec l’homme qu’elle aime car son époux, truand incapable d’assumer son rôle de père, menace de la dénoncer.
L’actrice qui interprète Noura, Hend Sabri (elle est la fille des Silences du Palais de Moufida Tlatli), grande star du cinéma arabe, incarne trois ans plus tard l’histoire vraie d’Olfa, dans Les filles d’Olfa, dont les filles aînées sont parties rejoindre Daesh en 2016. Nour Karoui et Ichraq Matar jouent, elles, les filles aînées d’Olfa, aux côtés des jeunes sœurs (les vraies protagonistes, elles). Un seul acteur incarne tous les rôles masculins — le père absent, le beau-père incestueux, le flic stupide, voire le patriarcat et le pouvoir tout entier. Lors d’une scène où il interprète le beau-père, l’acteur (Majd Mastoura) demande à parler à la réalisatrice Kaouther Ben Hania hors caméra, comme si l’exploitation du fait divers lui posait soudain un problème d’éthique. Si cette dernière « voulait un rapport direct au réel, parce que le reenactment (reconstitution historique) ne (l)’intéresse pas », son dispositif lui échappe quand les actrices sortent de leur rôle pour devenir des thérapeutes. Par exemple, quand Ichraq Matar (incarnant Ghofrane, la fille aînée partie épouser un islamiste) explique à la mère, Olfa : « Elles ont trouvé le moyen de te dominer avec la religion et avec Dieu. Elles ont inversé le rapport de force ». Ou quand Hend Sabri explique à Olfa que les mères transmettent inconsciemment ce qu’elles ont vécu dans leur propre jeunesse « C’est l’essence de l’art que d’être cathartique, une thérapie, nous dit l’actrice. Sortir de soi pour mieux se voir ».
« Ces histoires de parité sont une insulte faite à la femme. Ce qui m’intéresse, c’est la qualité du projet. Et puis le patriarcat est un problème presque dépassé en Tunisie. La vraie problématique aujourd’hui est la situation socio-économique et la place des jeunes. »
Faut-il pour autant y voir un portrait des dégâts du patriarcat sur Olfa et ses filles ? Les hommes, eux, ne sont pas devant la caméra. « Je pense qu’il est dangereux et contre-productif de ne voir la femme que comme une victime, poursuit Hend Sabri. La femme tunisienne est forte. Et puis elle élève son fils, elle éduque son mari. C’est complexe ». Des sujets de femmes, portés par des réalisatrices du même sexe, et aussi par un moment où convergent un mouvement issu du cinéma (#MeToo) allié à une politique européenne visant à promouvoir les femmes dans l’audiovisuel (la campagne CharactHer par exemple). Ce qui leur permettrait de « rafler tous les prix des grands festivals dernièrement », comme le note le producteur Nadim Cheikhrouha ? « Ces histoires de parité sont une insulte faite à la femme, s’agace la productrice Dora Bouchoucha. Ce qui m’intéresse, c’est la qualité du projet. Et puis le patriarcat est un problème presque dépassé en Tunisie. La vraie problématique aujourd’hui est la situation socio-économique et la place des jeunes. » Il faut dire qu’après avoir espéré que le Printemps arabe ne s’enlise pas en Tunisie comme en Libye, en Syrie ou en Égypte, la mainmise sur tous les pouvoirs en 2021 de Kaïs Saïed, le Président tunisien, laisse un goût amer à beaucoup. Pour les voir évoluer, ces jeunes, il faut se tourner vers des réalisatrices nées au mi-temps des années 1980, comme Erige Sehiri. Son film Sous les figues (2021), tourné avec des acteurs amateurs dans la campagne de Kesra, est à la fois un moment de grâce et un regard sur la société plus profond qu’il n’y paraît. Comme lorsque deux jeunes femmes discutent de Firas, dont l’une est éprise. Son amie lui dit qu’elle a de la chance, qu’il est ouvert, mais l’autre lui répond qu’elle le veut plus conservateur, plus fermé, pour le façonner comme elle l’entend. « Nous ne vivons pas le patriarcat à chacune de nos respirations, estime la réalisatrice qui a grandi à Lyon avant d’aller vivre en Tunisie, juste après la révolution. J’ai voulu montrer, dans un jardin d’Eden, avec ce fruit si symbolique, des rapports hommes-femmes nuancés, de jeunes qui savent aussi comment le monde est, autour d’eux ».
Leyla Bouzid a fait le trajet inverse en quittant Tunis pour étudier à la Sorbonne, mais bouscule aussi les clichés dans Une histoire d’amour et de désir (2021), où Farah, étudiante tunisienne extravertie venue étudier à Paris, désire Ahmed, un fils d’immigré algérien plus timide, qui la repousse. « Les étudiants, à Paris m’ont parfois paru moins épicuriens que leurs homologues tunisiens », se souvient la réalisatrice avec malice. Dans À peine j’ouvre les yeux (2015), elle montre une jeune musicienne critique envers la dictature de Ben Ali, et dont la mère, qui veut la protéger en l’empêchant de critiquer le régime au travers des textes de ses chansons, en vient à l’encourager, comme si elle adhérait finalement à la transition en marche. « La femme tunisienne est un moteur de la société, pas une victime, affirme L. Bouzid. Et dans la société en mutation, la masculinité souffre tout autant ». Elle nous invite à voir des films d’hommes, comme ceux de Youssef Chebbi, Medhi Ben Attia, Mehdi Barsaoui ou encore Mohamed Ben Attia, qui trente ans après L’homme en cendres, de Nouri Bouzid (le père de Leyla) montre, avec Hedi un vent de liberté (2015), un homme se soustrayant à un destin tout tracé par d’autres — dont sa mère. « J’ai voulu creuser le côté homme démissionnaire, élevé par des femmes courageuses, explique Mohamed Ben Attia. Comme s’il leur disait foutez-moi la paix, je n’arriverai jamais à être à la hauteur, à être là où vous m’attendez. L’homme est bousculé parce que dépassé. Les vieux modèles sont dépassés. Il faut trouver un compromis. Que les femmes prennent leur place dans l’espace public et que les hommes trouvent la leur au sein du foyer, qu’ils apprennent à être plus démonstratifs, moins pudiques, dans leurs sentiments. » D’autres thèmes sont également subversifs. L’homosexualité reste un tabou. Le film Le fil (2009), de Mehdi Ben Attia, avec Claudia Cardinale (qui a passé son enfance à Tunis, où elle est née) aborde le sujet mais a été interdit en Tunisie. Aborder frontalement la religion (« on ne touche pas au sacré », reconnaît un réalisateur) reste aujourd’hui impensable, ou bien par un biais : avant Les Filles d’Olfa, Fleur d’Alep (2016) de Ridha Béhi – avec Hend Sabri – ou encore Mon cher enfant (2018) de Mohamed Ben Attia, montraient déjà les ravages du départ d’un enfant attiré par les mirages du djihad et de Daesh. Dans un autre registre, Un divan à Tunis (2019), de Manele Labidi est à coup sûr subversif — il n’a pas été apprécié de tous les Tunisiens —, autant qu’il est drôle et original : l’arrivée d’une psy d’origine tunisienne qui débarque de Paris avec son savoir né dans la bourgeoisie autrichienne va révéler quelque chose du pays, qui se cherche entre modernité et passé prégnant (la bureaucratie inepte, la corruption, l’absence de perspectives pour la jeunesse). « Je préfère qu’on parle de moi comme d’une réalisatrice, pas comme d’une femme, arabe, ou je ne sais quelle autre case », prévient Manele Labidi, en plein tournage de son second long-métrage.
Comme elle, Sonia Ben Slama a grandi en France, et fera à coup sûr partie, avec M. Labidi. L. Bouzid et E. Sehiri, des réalisatrices à suivre. Son film Machtat (2023) présenté à Cannes dans la programmation de l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) vient in fine rappeler que certaines femmes, dans les campagnes où les petites villes loin de la capitale, n’ont d’avenir que dans le mariage — celles que Sonia Ben Slama a filmées vivent à Mahdia, à deux cents kilomètres au sud de Tunis —, mariage qu’elles louent par ailleurs — et c’est là toute l’ironie et l’intelligence sensible de ce film. Pas de cérémonie sans les traditionnelles « Machtat », ces femmes qui célèbrent les unions en chantant — Fatma, la mère, dont le mari est mort ; Najeh, fille aînée divorcée ; et Waffeh, mariée à un mari violent —, mais qui vivent une tragédie dans leur propre vie conjugale. Najeh veut se recaser, entre l’envie d’y croire — bercée par les soap operas venus de Turquie — et son instinct qui sent que celui qui la charme au téléphone la mène aussi en bateau. Waffeh fuit son mari et se réfugie chez sa mère avec ses enfants, tout en envisageant de marier sa fille de 17 ans à un homme de 41. « Se poser la question de l’inclination de son cœur est un luxe », rappelle Sonia Ben Slama. Les hommes ne sont à nouveau pas devant la caméra, mais on devine leur présence, surtout celle des frères, qui pèse, dans l’ombre. Comme si, quand même, la question du patriarcat n’était pas encore un combat d’arrière-garde.
(Les propos cités proviennent d’entretiens menés avec l’auteur).
Les films de Kaouther Ben Hania au festival de La Rochelle (du 1er au 9 juillet) : Le Challat de Tunis (doc, 2013) ; Zaineb n’aime pas la neige (doc, 2016) ; La Belle et la meute (2017) ; L’Homme qui a vendu sa peau (2020) ; Les Filles d’Olfa (doc, 2023).
Les autres films : Les Silences du palais Moufida Tlatli (1994) ; Satin rouge Raja Amari (2002) ; Noura rêve Hinde Boujemaa (2019) ; Sous les figues Erige Sehiri (2022) ; Une histoire d’amour et de désir Leyla Bouzid (2021) ; Un divan à Tunis Manele Labidi (2019) ; Machtat Sonia Ben Slama (doc, 2023).
L’un des quatre policiers mis en examen à Marseille pour des violences à l’encontre de Hedi est déjà apparu dans une information judiciaire relative au tabassage d’Angelina, en 2018. Cet agent, qui avait nié toute implication, n’a pas été poursuivi à l’issue d’investigations plombées par l’absence de vidéos exploitables et le mutisme de la hiérarchie. Mais l’enquête vient d’être rouverte.
Pascale Pascariello
31 juillet 2023 à 12h04
LeurLeur anonymat a jusqu’ici été préservé et toute une profession le protège, plus que jamais. Mais l’identité de l’un des quatre policiers mis en examen dans l’affaire Hedi, jeune homme de 22 ans touché par un tir de LBD à Marseille, puis tabassé et « laissé pour mort »(selon ses termes), mérite pourtant d’être examinée.
D’après nos informations, David B. est l’une des figures centrales d’une précédente information judiciaire ouverte pour des faits de violences assez similaires, commis en décembre 2018 à Marseille. Une jeune fille de 19 ans, Angelina (plus connue sous le pseudonyme de Maria), avait été gravement blessée par un tir de LBD en marge des manifestations des « gilets jaunes », puis passée à tabac par plusieurs policiers, à ce jour non identifiés par la justice.
Dans l’affaire Hedi, David B. a pu être identifié, comme ses collègues de la BAC, grâce à l’exploitation d’enregistrements de caméras de vidéosurveillance de la ville, de celles d’un commerce et d’un lieu de culte, et de vidéos d’un témoin, d’après les informations recueillies par Mediapart.
JeanJean-Marie Le Pen a-t-il commis, en 1957 à Alger, le crime de torture, aujourd’hui considéré en droit international comme un crime contre l’humanité ? La torture a été pratiquée si massivement par l’armée française durant la guerre coloniale en Algérie que la question serait presque anecdotique, s’il ne s’agissait de la personnalité qui est parvenue ensuite à faire du racisme hérité du colonialisme un ressort majeur de la vie politique française durant des décennies
Déjà posée à l’époque des faits, cette question a ressurgi périodiquement, des années 1980 aux années 2000, dans la presse et devant les tribunaux, dans un contexte de sortie progressive de l’amnésie qui frappait la société française depuis 1962 sur la nature de la guerre en Algérie. Alors que ce qu’on a appelé la « lepénisation des esprits » atteint aujourd’hui en France une sorte de paroxysme, elle vient à nouveau d’être posée de la pire des façons. Avec une désinvolture choquante, une émission à caractère historique de France Inter, de bonne qualité et très écoutée, a en effet récemment cru pouvoir y répondre par la négative.
Or, pour peu qu’on veuille bien replacer les activités du lieutenant Le Pen à Alger dans leur contexte historique, et aussi accorder à la parole de ses accusateurs algériens l’attention qu’elle mérite, le dossier de documents et de témoignages dont nous disposons ne laisse guère de doute à l’historien. Qu’on en juge.
Jean-Marie Le Pen lui-même a toujours fait l’apologie de la torture. Au nom du célèbre scénario dit de la bombe à retardement, popularisé par Massu et ses officiers en 1957 : la torture aurait été justifiée en Algérie par l’urgence de sauver des vies, menacées par des bombes prêtes à exploser. Une « fable perverse », maintes fois réfutée, dont aucun cas concret, on le sait, n’est jamais venu confirmer la véracité, mais qui semble s’être imposée dans l’imaginaire français relatif à la guerre coloniale en Algérie.
Jean-Marie Le Pen nie néanmoins depuis des décennies, par exemple encore en 2018 dans ses Mémoires, avoir lui-même torturé : les accusations portées de façon répétée depuis cette époque contre lui seraient, selon lui, une « machination politique ».
Telle ne fut pas toujours sa version des faits. Il admit jadis bien volontiers avoir, selon ses termes, « fait le métier » de tortionnaire, s’amusant même à l’Assemblée nationale, en juin 1957, qu’on puisse voir en lui « le mélange d’un officier SS et d’un agent de la Gestapo ». En novembre 1962, il déclarait au journal Combat : « Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire. »
Une amnistie de tous les crimes et délits en relation avec les « événements d’Algérie » venait alors d’être décrétée, au lendemain des accords d’Évian, bientôt consolidée et élargie par quatre lois destinées à fabriquer l’oubli. Elle garantissait désormais à tous les auteurs d’exactions une impunité judiciaire complète, mais elle dissuadait aussi fortement toute évocation publique de ces crimes.
Ce n’est qu’en 1984 et 1985, quand le Front National (FN) remporta son premier succès, aux élections européennes, que les journalistes Louis-Marie Horeau dans Le Canard enchaîné puis Lionel Duroy dans Libération passèrent outre, estimant qu’informer les électeurs et électrices sur le passé de Le Pen était d’intérêt public.
Batailles devant les tribunaux
C’est alors que se produisit son grand revirement : il attaqua désormais en diffamation ceux qui osaient exhumer son passé. Avec de bonnes chances de succès puisque les faits eux-mêmes, à la fois amnistiés et prescrits, ne seraient pas jugés.
Rappelons que d’autres personnalités accusées comme lui d’agissements criminels durant la guerre d’indépendance algérienne firent de même, avec des fortunes diverses : l’ancien ministre Maurice Papon, quand Jean-Luc Einaudi rappela son rôle prépondérant dans le massacre de manifestants algériens à Paris le 17 octobre 1961, ou encore le général Maurice Schmitt, ancien chef d’état-major de François Mitterrand, accusé lui aussi d’avoir torturé à Alger dans une salle de classe de l’école Sarouy, à l’été 1957.
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Jean-Marie Le Pen gagna ses premiers procès, notamment en 1989 contre LeCanard
enchaîné et Libération. Durant quinze ans, les velléités de revenir sur le sujet furent donc à nouveau annihilées par la peur d’être condamné. Puis le chef du Front national finit par être débouté par les tribunaux, dans les années 1990 et 2000, lors de ses trois dernières tentatives de faire taire ses accusateurs.
Successivement, le premier ministre Michel Rocard, l’historien Pierre Vidal-Naquet et le journal Le Monde gagnèrent, ce dernier n’ayant pas craint, fort du sérieux du travail de sa journaliste, Florence Beaugé, d’accabler à nouveau Le Pen en 2002. La justice estima que la « bonne foi », le « sérieux » et la « crédibilité » de son enquête étaient suffisants et qu’elle n’était pas diffamatoire.
On pouvait légalement dire que Le Pen avait été un tortionnaire. Mais l’intéressé pouvait continuer à le nier.
Est-ce vrai ? C’est là la question qui importe et à laquelle les historiens peuvent répondre en examinant le dossier réuni depuis 1957 par diverses sources.
La collecte des témoignages
Certes, en dehors de Pierre Vidal-Naquet qui le fit très tôt, très peu d’entre eux ont précisément travaillé sur le cas particulier de Le Pen. Il n’est dans l’histoire de la guerre coloniale en Algérie qu’un protagoniste parmi bien d’autres et de peu d’importance.
Cependant, des travaux historiques ont considérablement enrichi la connaissance de la « bataille d’Alger », à laquelle participa Le Pen. Après ceux de Pierre Vidal-Naquet, la thèse de Raphaëlle Branche a solidement établi en 2000 le caractère massif de l’emploi de la torture et décrit avec précision ses modalités, notamment à Alger en 1957. Le projet historiographique Mille autres que je mène avec l’historienne Malika Rahal sur la disparition forcée, a, quant à lui, collecté depuis 2018 un grand nombre de témoignages d’Algérien·nes sur la terreur qui s’abattit sur elles et eux cette année-là[1].
Sur le cas Le Pen, ce sont des militant·es et des journalistes qui, des années 1980 aux années 2000, ont recueilli en Algérie des témoignages de victimes et de témoins oculaires d’exactions perpétrées par lui. Notre connaissance du contexte algérois de 1957 permet de juger de la crédibilité de ces récits. Ils sont de ces sources que les historien·nes du temps présent ont coutume de traiter pour restituer l’histoire de violences de masse niées par les États, alors que les archives de ces derniers sont le plus souvent, dans ce cas, celles de la dissimulation et du mensonge. En l’espèce, ces sources permettent, même si ce ne peut être que de façon fragmentaire, de faire l’histoire du séjour du lieutenant Le Pen à Alger.
Les trois mois de Le Pen à Alger
Le 28 décembre 1956, le 1er régiment étranger de parachutistes (REP) débarque à Zéralda, à quelques kilomètres à l’ouest d’Alger. Dans ses rangs, Jean-Marie Le Pen, 29 ans, député poujadiste du Ve arrondissement de Paris, depuis peu engagé volontaire, avec le grade de lieutenant. Avec son régiment, il vient de battre piteusement en retrait lors de l’expédition de Suez, où il dirigeait une brigade de fossoyeurs, après avoir évacué l’Indochine où il était arrivé après la bataille, c’est-à-dire après la défaite cuisante infligée à l’armée française à Diên Biên Phu par le Vietminh en mai 1954, et où il avait pour fonction d’établir une revue de presse à l’usage des militaires.
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Ce militant d’extrême droite est idéologiquement en phase avec les officiers des généraux Salan et Massu, tout au moins sur l’essentiel : comme eux, il est avide de prendre une revanche contre l’insurrection anticoloniale algérienne commencée depuis deux ans par le Front de libération nationale (FLN). Comme eux, il croit sincèrement que cette « rébellion » est l’œuvre d’un complot du communisme international contre l’« Occident ». Il adhère à la « doctrine de la guerre révolutionnaire » (ou « antisubversive »), enseignée depuis la défaite en Indochine aux cadres de l’armée française[2], dont on sait que la mise en œuvre en Algérie entraîna une pratique systémique de la torture.
Le 8 janvier 1957, Jean-Marie Le Pen est parmi les 8 000 parachutistes qui, selon ses termes, « entrent dans Alger » de façon spectaculaire pour y éradiquer à tout prix le nationalisme dans la population dite « musulmane ». La veille, le gouvernement du socialiste Guy Mollet a en effet donné au général Massu, commandant la 10e division parachutiste, les pleins pouvoirs pour y rétablir l’ordre colonial menacé par la montée en puissance du FLN. Commence alors la séquence historique que la propagande qualifiera bientôt de « bataille d’Alger ».
Sans doute quelque peu embarrassé d’avoir à intégrer dans ses rangs ce jeune politicien parisien, déjà connu pour son goût de la violence physique et de la provocation et dépourvu d’expérience militaire, le 1er REP ne lui a confié aucun commandement d’importance. C’est en ce sens qu’il peut à bon droit souligner dans ses Mémoires qu’il joua alors un « rôle mineur ». D’autant qu’il quitta l’Algérie au bout de trois mois, le 31 mars 1957, bien avant la fin de l’opération.
Quelles sont alors ses fonctions et quel est exactement son rôle ? Son dossier militaire personnel n’étant pas consultable sans son autorisation, on doit ici s’en remettre à ses dires, ce qui ne va pas, sur ce sujet comme sur d’autres, sans risques. Il affirme qu’il commandait une section d’une compagnie d’appui du 1er REP, sous les ordres du capitaine Louis Martin, soit sans doute une escouade de deux ou trois dizaines de parachutistes.
Mais à quoi ce lieutenant est-il occupé exactement durant ces trois mois ? Là-dessus, Le Pen lui-même n’est d’aucun secours. Alors qu’y abondent sur d’autres moments de sa vie les anecdotes et récits les plus détaillés, rien ne semble digne d’être retenu dans ses Mémoires de sa participation concrète à cette héroïque « victoire sur le terrorisme algérien ». Entre son arrivée à Alger et sa décoration des mains de Massu, à la veille de son départ, aucun récit d’opérations auxquelles il aurait participé. Pas de noms, de dates ni de lieux, seulement les généralités d’usage chez les anciens « paras ».
Disparitions forcées
Il livre cependant une indication : il exerçait dans sa compagnie la fonction bien particulière d’officier de renseignement (OR). Autrement dit, il ne fut pas le simple exécutant du « maintien de l’ordre », s’occupant par exemple « des contrôles d’identité », qu’il prétendit avoir été. Mais bel et bien, comme tous ceux qui assumaient cette fonction, un élément clé dans l’opération militaro-policière en cours.
Les officiers de renseignement, l’historienne Raphaëlle Branche l’a montré[3], sont en effet ses « fers de lance ». Ils sont chargés de la collecte du « renseignement » auprès des « suspects » et de leur « exploitation », c’est-à-dire des arrestations et des interrogatoires pouvant en découler. Et il est établi que la torture fut massivement commandée et pratiquée par eux.
Certes, dans l’organigramme militaire de l’opération, Le Pen n’est pas Paul Aussaresses, qui dirige alors un escadron de la mort en lien avec l’état-major de l’armée. Il n’a pas dans les exactions perpétrées en masse en 1957 le niveau de responsabilité d’un Jacques Massu ou d’un Marcel Bigeard. Comme nous allons le voir, il n’en est pas moins, durant trois mois, l’un de ces « seigneurs de la guerre aux terrifiants caprices » (Jean-Paul Sartre) qui règnent alors en maîtres absolus sur Alger.
Rappelons qu’en vertu de la loi dite des « pouvoirs spéciaux » votée en mars 1956, l’armée est autorisée le 7 janvier 1957 par le gouvernement à perquisitionner, arrêter, détenir et interroger tous ceux qu’elle estime « suspects » de liens avec la « rébellion », sans en référer à quiconque. Le mode opératoire mis en œuvre est la pratique massive de ce qu’on nomme aujourd’hui la disparition forcée.
Au cours de l’année 1957 à Alger, des dizaines de milliers de « suspects » sont enlevés, de préférence la nuit, puis interrogés – le plus souvent sous la torture – dans les dizaines de locaux de toutes natures où cantonnent les unités parachutistes. La plupart d’entre eux sont ensuite internés dans des camps, parfois jusqu’en 1962, sans jamais être jugés. Mais plusieurs milliers de ces « suspects » disparaissent définitivement, morts de la torture ou exécutés, leurs corps détruits ou dissimulés.
Dans ce système qui vise principalement à dissuader par la terreur les Algérien·nes de soutenir le FLN, l’officier de renseignement est un rouage essentiel. Il est en première ligne, au contact quotidien et direct de la population algérienne « suspecte ». S’agissant du lieutenant Le Pen, ce contact est d’une extrême violence, ce que documentent les témoignages recueillis.
[1] Voir Malika Rahal et Fabrice Riceputi, « La disparition forcée durant la guerre d’indépendance algérienne. Le projet Mille autres, ou les disparus de la “bataille d’Alger” (1957) », Annales Histoire Sciences Sociales, 2022/2, ainsi que le site 1000autres.org.
[2] Jérémy Rubenstein, Terreur et séduction. Une histoire de la doctrine de la « guerre révolutionnaire », La Découverte, 2022.
[3] Raphaëlle Branche, La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, 2001, réédité en poche en 2016.
La nuit du 2 au 3 février 1957, à Alger, a-t-elle dépassé en violence toutes les autres ? Elle est en tout cas restée dans les mémoires et illustre ce que des victimes décrivent comme une pratique de la "torture à domicile" qu'aurait mise en œuvre Jean-Marie Le Pen. Cette nuit-là, une tragédie à huis clos se noue dans trois maisons de la casbah d'Alger, noyau de la résistance à l'armée française. Interrogés séparément, sans s'être concertés, plusieurs témoins font aujourd'hui un récit presque identique de ces événements. C'était le sixième jour de la "grève des huit jours", lancée par le FLN pour tester son influence à Alger.
Abdelkader Ammour, 64 ans, enseignant en économie et en sociologie à la retraite, raconte : "J'avais 19 ans, pas de responsabilités au sein du FLN, mais j'étais engagé à ses côtés, comme nous l'étions tous dans la casbah. La maison que ma famille partageait avec deux autres familles se situait au 5 impasse de la Grenade." "Le soir du 2 février, une vingtaine d'hommes conduits par Le Pen ont surgi", ajoute-t-il, assurant avoir reconnu, quelque temps plus tard, le lieutenant parachutiste sur des photos. Selon M. Ammour, c'est dans une pièce de son domicile que Le Pen l'aurait interrogé ainsi que trois autres suspects, l'un après l'autre. "Ils cherchaient des armes, dit-il, sans savoir encore que dans la maison, ce soir-là, il y avait des responsables de tout premier plan du FLN, en particulier Yacef Saadi [chef de la zone autonome d'Alger], réfugié dans une cache. Le Pen se faisait appeler "Marco". Il respirait la violence. Pour lui, il s'agissait beaucoup plus de nous mater que de nous arracher des renseignements."
Abdelkader Ammour raconte avoir été allongé par terre sur le dos, nu et les mains ligotées sous lui. Il poursuit : "Ensuite, ils ont branché les fils électriques directement sur la prise et les ont promenés partout sur mon corps. Je hurlais. Ils ont alors pris l'eau sale des toilettes, m'ont étalé une serpillière sur le visage et me l'ont fait avaler de force. Le Pen était assis sur moi, il tenait le chiffon pendant qu'un autre versait la flotte. Je l'entends encore qui criait : "Vas y, vas y, t'arrête pas !"" Au matin, Abdelkader Ammour et les trois hommes torturés avec lui sont libérés. Entre-temps, l'épouse de l'un d'eux a été violée à l'étage supérieur de la maison, affirme M. Ammour. "Ta femme est exquise !", auraient-ils lancé au mari avant de quitter les lieux.
A quelques pas de là, au 33, rue N'Fissa, la famille Merouane endure la même violence. Selon des témoins, M. Le Pen et ses hommes font, cette nuit-là, la navette d'un domicile à l'autre. Mustapha Merouane, 66 ans, peintre en bâtiment à la retraite, est l'un des rares survivants de cette famille de résistants - des "terroristes" pour l'armée française - qui ont disparu et dont les corps n'ont jamais été rendus à leurs familles. "Ils cherchaient des armes, se souvient-il. Il y avait là des pistolets et des mitraillettes, ainsi que deux ou trois paquets de chevrotines, mais pas les fusils de chasse, ce qui les a mis dans une rage folle."
Mustapha Merouane, alors âgé de 18 ans, est dans un premier temps torturé à l'eau. "Ils m'ont mis un chiffon sur le visage, et versé de l'eau dessus pendant qu'un autre était assis sur moi, raconte-t-il. Ma grand-mère s'est jetée sur eux en hurlant. Alors Le Pen a dit : "Emmenez-le !"" Puis le jeune homme est conduit dans une maison voisine, celle des Amara. "Un oncle des Amara, Hamar Boudjemaa, se trouvait là. Il a protesté. Pour le punir, ils l'ont roué de coups, lui cassant le bras notamment", poursuit M. Merouane, qui affirme avoir entendu M. Le Pen crier : "Maurice, prépare les fils !" Son récit se poursuit : "Ils m'ont déshabillé et installé sur un sommier métallique. Le Pen actionnait l'interrupteur. Il a ensuite demandé de l'eau qu'il m'a jetée sur le corps, avant de recommencer l'électricité. Je hurlais." Mustapha Merouane finit par affirmer qu'il y a des fusils de chasse dans sa maison, cachés derrière une armoire. Le Pen et son équipe retournent alors chez les Merouane, en vain.
Pour Mustapha Merouane, Le Pen aurait alors perdu son sang-froid. Il aurait dégainé son pistolet, lui aurait posé sur la tempe pour simuler son exécution, avant de s'en prendre à son père qu'il aurait, lui aussi, passé à la "question" pour savoir où se cachaient deux autres de ses fils, Ali et Boualem - qui seront arrêtés un peu plus tard et disparaîtront.
Quand se lève le matin du 3 février, arrivent plusieurs civils. a ordonné de nous embarquer, raconte M. Merouane. On nous a emmenés à Fort-l'Empereur [caserne située sur les hauteurs d'Alger]. J'ai été de nouveau torturé par Le Pen. Mon père aussi. Il y a eu très peu de survivants. On nous donnait du pain et des sardines, sauf pendant un moment où un adjudant a exigé que nous soyons correctement nourris."
Quelques semaines plus tard, son père et quatre autres prisonniers sont conduits hors de leur cellule. "On a entendu des coups de feu, dit-il. Pour moi, il ne fait pas de doute qu'ils venaient d'être exécutés sur place, et puis sans doute brûlés. Ça sentait souvent le brûlé." Lui sera transféré au bout de trente-six jours dans le camp de détention de Beni-Messous, puis celui de Paul-Cazelles, où, dit-il, "c'était l'enfer, même s'il n'y avait plus de séances de tortures".
Mohamed Amara avait 18 ans quand il a été arrêté au domicile familial du 3, rue Ben-Ali, dans la casbah, cette même nuit. L'un de ses frères, Ali, dit Alilou, joue un rôle important au sein du FLN mais, cette nuit-là, il est absent de la maison. Faute de le trouver, les paras embarquent le jeune Mohamed et un autre de ses frères, Saïd, 24 ans, puis se rendent à Fort-l'Empereur. Là, Saïd est torturé, mais pas Mohamed, qui se souvient qu'après cette séance, son frère était devenu "méconnaissable".
Quelques heures plus tard, Saïd Amara est ramené à son domicile de la casbah, où il retrouve Mustapha Merouane. "On a amené chez nous en pleine nuit l'un de nos voisins, Mustapha Merouane, que Le Pen a torturé chez nous, raconte Mohamed Amara. Un de mes oncles maternels, Hamar Boudjemaa, qui se trouvait là, s'est interposé, et a été passé à tabac..." Saïd est ensuite à nouveau transféré à Fort-l'Empereur. Là, il va subir d'autres séances de tortures avant de disparaître, "abattu alors qu'il cherchait à s'enfuir", selon la version officielle.
Mohamed Amara restera, lui, dix-neuf jours à Fort-l'Empereur. Ses compagnons de cellule auraient "tous été torturés par Le Pen", dit-il - à l'électricité, à l'eau et au chalumeau.
Florence Beaugé
Trois mois à Alger, début 1957
Jean-Marie Le Pen est resté trois mois en Algérie - de janvier à fin mars 1957. Alors plus jeune député de France, élu, en 1956, sous l'étiquette de l'Union de défense des commerçants et artisans (UDCA) de Pierre Poujade, il s'est engagé, à 28 ans, par solidarité avec le contingent dont il a voté l'envoi en Algérie sur proposition de Guy Mollet. Officiellement, le lieutenant Le Pen du 1er régiment étranger de parachutistes (REP), attaché à la division Massu, ne fait pas d'interrogatoires à Alger, mais du renseignement. "Je n'ai rien à cacher, j'ai torturé parce qu'il fallait le faire", dira M. Le Pen dans un entretien au journal Combat, en 1962.
Les victimes interrogées par Le Monde n'avaient jusqu'alors jamais parlé publiquement des tortures subies. Elles expliquent avoir décidé de le faire en découvrant le score de M. Le Pen lors du premier tour de l'élection présidentielle, le 21 avril. D'autres ont choisi de demeurer silencieux ou anonymes, disant seulement qu'évoquer les supplices subis serait pour eux un nouveau traumatisme.
Le Monde
Publié le 03 juin 2002 à 10h51, modifié le 03 juin 2002 à 10h51
«Je n’ai rien à cacher. J’ai torturé parce qu’il fallait le faire». Ce sont les mots de Jean-Marie Le Pen en 1962, dans le journal Combat.
Oui, Le Pen, fondateur du Front National et père de la double finaliste des dernières élections présidentielles est un tortionnaire. Il est coupable de crimes contre l’humanité au sens du droit international. De nombreux témoignages confirment que le parrain de l’extrême droite française a bien commis des actes de torture et de barbarie ignobles, jusqu’au meurtre, sur des personnes algériennes en 1957 lors de la Guerre d’Algérie.
Cette déclaration, prononcée au lendemain des accords d’Évian et au passage de lois amnistiant tous les crimes et délits en relation avec «les événements d’Algérie», cette déclaration est accablante. Les nombreux témoignages recueillis lors des dernières décennies le sont aussi. Personne ne peut le nier… et pourtant, 60 ans plus tard, dans la classe politique comme dans les médias du service public, on continue de nier la culpabilité du fondateur du FN. Pire, lorsque Le Pen, désormais nonagénaire, a fait un malaise au mois de mai dernier, tous les médias se sont précipités à son chevet, s’inquiétant de sa santé, interrogeant sa fille, comme s’il s’agissait d’une personnalité populaire et appréciée.
Une série d’articles de Médiapart revient ainsi sur le passé criminel du fondateur du Front National. Un passé qu’on tente, depuis des décennies, d’invisibiliser.
Concrètement, de nombreux témoignages de victimes et de témoins oculaires attestent des exactions commises précisément par Jean-Marie Le Pen. Celui-ci est resté 3 mois en Algérie en 1957, pendant lesquels sa mission est de se «rendre au domicile de “suspects”, accompagné d’une escouade de parachutistes» pour y procéder à “une arrestation” qui a tout d’un enlèvement». Les familles pouvaient ensuite rester sans nouvelle pendant des mois, des années, voire pour toujours. Les victimes, enlevées, subissaient ensuite «des interrogatoires». Les témoignages font part de violences insoutenables, des récits de torture sont difficilement supportables. Médiapart livre ainsi les récits recueillis en avril 2002 par la journaliste du Monde Florence Beaugé.
La nuit du 2 février 1957, Abdelkader Ammour, 19 ans est torturé, dénudé, «des électrodes sont placées sur ses seins et son sexe. Puis il doit ingérer de force de grandes quantités d’eau sale. C’est Le Pen, assis sur lui, qui commande la torture. Une voisine, Saliha Meziane, dont le mari fait partie des torturés dans cette maison, raconte à la journaliste que les hommes suppliciés hurlaient «comme des loups». Le viol d’une femme de la maison est rapporté.
Dans la même nuit, Mustapha est également torturé par Le Pen, alors appelé «lieutenant Marco» : «ingestion d’eau sale, puis torture au moyen d’un sommier métallique électrifié par ses soins. Enfin, pistolet sur la tempe, il subit un simulacre d’exécution». Il sera de nouveau torturé le lendemain ainsi que son père. «Après quelques semaines, ce dernier et quatre autres prisonniers, selon Mustapha Merouane, sont exécutés et leur corps sans doute «brûlé».
Au matin du 3 mars 1957, Mohamed Cherif Moulay, 12 ans, découvre un poignard oublié dans la maison familiale, à Alger. L’un des parachutistes français qui a enlevé et torturé son père, Ahmed, avant de l’exécuter, a fait tomber l’objet lors de sa venue. L’enfant cache la pièce à conviction, que les parachutistes ne retrouvent pas malgré plusieurs fouilles. Il s’agit d’un couteau des Jeunesses Hitlériennes. Sur le fourreau de ce poignard, le propriétaire a fait graver son nom. On peut lire : J. M. Le Pen, 1er REP.
Début février, Mohamed Abdellaoui, 27 ans, sera également «torturé à l’eau et à l’électricité par Le Pen», ainsi qu’Ahmed Korichi, le 10 février. Celui-ci témoignera dès 1985 devant la justice lors du procès intenté par le tortionnaire fasciste contre le Canard Enchaîné. Ou encore Boukhalfa Hadj, «torturé à l’électricité, à l’eau, on lui enfonce les yeux dans les orbites, ce qui le laissera quasi aveugle, et on lui casse les doigts».
Ali Rouchaï. Mohamed Louli.Lakhdari Khelifa. Rachid Bahriz. Ahmed Moulay. Abdenour Yahiaoui. Ahmed Bouali ben Ameur. Des noms que nous nous devons de ne pas oublier. Des noms parmi tant d’autres… Mais qui méritent que justice soit rendue. Rappelons que Le Pen a aussi servi dans une autre guerre coloniale sanglante, en Indochine, où il a probablement commis d’autres exactions.
Les témoignages de victimes algériennes, nombreux et cohérents, qui décrivent les actes de barbarie dont Le Pen est coupable, ne cessent pourtant d’être remis en cause, sans aucune justification concrète. Une suspicion permanente sur la véracité de ces récits, comme si l’on refusait d’accepter simplement les faits : Jean-Marie Le Pen a bien torturé des personnes algériennes et a bénéficié d’une impunité totale, jusqu’à arriver jusqu’au second tour des élections présidentielles en 2002. Tout en réussissant à implanter sa famille dans le paysage politique depuis des décennies. Famille qui, dans la droite ligne du patriarche, ne cesse de répandre des discours de haines racistes, sexistes et LGBTphobes, jusqu’à réussir à les normaliser dans l’espace public.
Ces tentatives de dissimulation s’inscrivent dans un contexte global d’oubli complice des faits gravissimes que les français ont commis en Algérie. «La parole algérienne reste pour certains illégitime par nature et a priori suspecte d’affabulation. Il en allait ainsi à l’époque coloniale, quand la justice française en Algérie enterrait systématiquement les plaintes algériennes ou que la presse les ignorait de peur de paraître alimenter la propagande ennemie». Ces mots résonnent particulièrement aujourd’hui. Dans un contexte où, de la même manière, les victimes de la police sont méprisées et ignorées par la justice, et d’autant plus lorsqu’elles sont racisées et issues des classes populaires. La justice a depuis toujours le rôle de défendre l’ordre établi et le pouvoir en place… ne nous faisons aucune illusion, il s’agit de perpétrer un système colonial jusque dans nos quartiers.
Il faut également rappeler que si les faits datent de 1957, il a fallu attendre 1980 pour que des investigations à l’initiative de journalistes militant-es soient lancées sur les actes criminels commis par Le Pen. C’est ainsi après les premiers succès du Front National aux élections européennes, dans les années 80, que quelques journalistes, notamment Louis-Marie Horeau du Canard Enchaîné et Lionel Duroy de Libération, sont allés fouiller le passé criminel de Jean-Marie Le Pen. Celui-ci a alors saisi les tribunaux en diffamation contre ceux qui tentaient de faire la lumière sur les actes criminels du tortionnaire. Procès qu’il gagne, puisque les faits étaient déjà amnistiés et prescrits.
La justice avait déjà tout mis en place pour garantir l’impunité des crimes coloniaux. C’est à partir de la fin des années 90-2000 que des magistrats font timidement volte-face dans les derniers procès en diffamation de Le Pen, reconnaissant «la bonne foi», «le sérieux» et «la crédibilité» de l’enquête de Florence Beaugé dans le Monde, jugeant ainsi que les propos accusant Le Pen d’être tortionnaire n’étaient pas diffamatoires. Autrement dit, la justice avouait pudiquement la véracité des actes criminels reprochés au champion du Front National. Sans pour autant engager la moindre poursuite.
Malgré le recueil précieux de ces témoignages accablants, ceux-ci continuent d’être niés, y compris sur des médias du service public.
Le silence règne sur les actes criminels de la France et de ses soldats en Algérie. Le Pen tortionnaire est la mauvaise conscience de la République française, coloniale et raciste. Les témoignages de victimes sont étouffés. Ce sont pourtant des victimes de crimes de masse, d’actes de tortures et de barbarie. Voilà ce dont la France et ses soldats sont coupables. Ne l’oublions pas : une partie de la classe politique s’inscrit dans cet héritage.
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