Des Etats-Unis profonds à l’Algérie post-indépendance, l’auteur nous invite à réenchanter le monde et à recréer de nouveaux espoirs politiques.
Nous voilà projetés avec lui sur ce continent américain dont la planète entière connaît, au moins par écrans interposés, les grosses voitures, les grands espaces, les longues routes surveillées par des policiers suspicieux, les hôtels sinistres, les stations-service à moitié désertes, les « diners » où des serveuses en uniforme proposent un café très allongé. « J’ai pris une chambre miteuse, dans un motel au milieu de nulle part. Les murs et les plafonds étaient tapissés de moquette rouge vif avec des fleurs d’un jaune criard. C’est une femme, qui devait avoir pris part à la guerre de Sécession, qui tenait cet établissement. »
Des décors aux costumes, et jusqu’à la coiffure et au maquillage de son importante galerie de personnages, le romancier semble se plaire à coller aux codes d’un genre situé entre polar, western et « road movie », au risque de flirter avec les clichés. Jusqu’à cette intrigue que l’on croit déjà connaître et dont on se demande un temps la finalité : le narrateur part à la recherche d’un homme susceptible de l’aider à retrouver un manuscrit important à ses yeux.
Au rythme du jazz
Mais où va-t-il véritablement ? Et où notre lecture nous emmène-t-elle à travers lui ? L’essentiel de la réponse – et le véritable propos du livre – ne tient pas dans l’aboutissement de sa trajectoire, mais bien plutôt dans les expériences vécues en chemin. Il faut d’abord tendre l’oreille à la bande-son du livre. Car dans l’habitacle de la voiture du narrateur, comme partout ailleurs dans les lieux qu’il traverse, le jazz impose son rythme et ses grands noms comme Charlie Mingus, Archie Shepp ou encore Sarah Vaughan. Avec ces derniers, Kebir Mustapha Ammi met en lumière le chapitre sous-jacent de la condition noire aux Etats-Unis et dénonce la violence sans fin de la ségrégation raciale.
« Un vieux type, qui avait perdu un œil à la guerre, jouait un très vieux morceau, qui avait été repris par de nombreux musiciens. Il avait déjà entendu Charlie Mingus le jouer. C’était une chanson très triste, qui évoquait le lynchage d’un pauvre gars, à Monroe, juste avant la marche du révérend King. On l’avait abîmé. Ce n’était plus un homme. »
Glitter Faraday non plus n’est plus vraiment un homme. Lorsque le narrateur le rencontre, il ne peut deviner la personne autrefois pimpante qu’il était. Objet de nombreux passages à tabac pour avoir notamment eu le tort de tomber amoureux d’une femme blanche, Glitter (qui signifie « paillettes » en anglais) est devenu l’ombre de lui-même : un pauvre hère défiguré et soliloquant, que la puissance de la musique peut seule encore aider à vivre. « Glitter n’avait encore jamais vu personne jouer du saxo comme ce type. C’était un magicien, Archie ! Tom Shygulla disait toujours : ‒ Qu’on le veuille ou non, il y a qu’un seul sax, c’est un Nègre et ce Nègre, c’est Archie Shepp ! »
Terre promise
Grâce à la musique également, le romancier ouvre un second chemin, plus subtil, qui, par-delà les routes de l’Amérique profonde, mène le narrateur vers un autre continent : l’Afrique et en particulier l’Algérie, terre d’accueil à partir des années 1960 – sous la présidence de Houari Boumediene – des militants du mouvement Black Panthers, alors pourchassés par le FBI. « Il y a un pays, Glitter, où tu seras bien, lui disait une voix. Un seul pays, Glitter… Quand il a touché terre à l’autre bout du globe le 24 décembre 1975, il a pleuré comme un enfant pris en faute, dans les rues désertes et noires d’une ville, Alger, qu’il portait en lui depuis toujours. »
Mythifiée pour avoir également été le théâtre de l’important Festival panafricain de 1969 – où l’on put voir sur scène des fleurons de l’époque, de Miriam Makeba à Manu Dibango en passant par Nina Simone ou encore… Archie Shep –, la ville d’Alger apparaît comme une véritable terre promise des luttes révolutionnaires contre l’impérialisme. Toute la subtilité de Kebir Mustapha Ammi consiste alors à comparer les époques par allusions successives et, au bout du compte, à s’interroger sur la situation contemporaine : « Il n’avait jamais cessé de penser à Alger. Je n’avais pas le droit de lui dire qu’il ne restait rien de cette pauvre ville et que ses principes, joyeusement estropiés par des soudards et leurs affidés, avaient fondu comme neige au soleil. »
Au fond, qui est Glitter Faraday, si ce n’est un prétexte romanesque pour inviter les lecteurs à s’inspirer du passé et, faisant fi des déceptions actuelles, à ranimer ou recréer aujourd’hui de nouveaux espoirs politiques ? « Alger n’était pas n’importe quelle ville. Alger était le sanctuaire de tous ceux qui voulaient vivre debout. Alger était le seuil de toutes les promesses. » Une invitation, en somme, à réenchanter le monde en vue du bien commun, comme peut le faire un film… ou un roman.
A la recherche de Glitter Faraday, de Kebir Mustapha Ammi (éd. Project’îles, 288 pages, 17 euros).
Par Kidi Bebey
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/25/a-la-recherche-de-glitter-faraday-le-roman-americain-de-kebir-mustapha-ammi_6179173_3212.html
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